Conclusion

Avec tout le respect dû au soldat doué d’une indomptable volonté qui avait eu des succès au combat et, de surcroît, s’était hissé au sommet de l’administration, de l’organisation du génie militaire et de la rédaction de manuels du combat, les admirateurs de QI devaient reconnaître que leur héros devait être une bête politique pour mener à bien tout ce qu’il avait accompli. Après tout QI avait atteint les honneurs à une période où les familles militaires  héréditaires auraient du être complètement abolies au profit de l’établissement d’une armée recrutée, et le réseau de lignes d’intendance aurait du être éliminé par un système de finance intégré. Dans la mesure où les lettrés bureaucrates d’un empire sédentaire étaient incapables d’accomplir ces changements, le seul moyen de stimuler la force de combat de l’armée était le compromis, c’est à dire le mélange du Yin et du Yang.

         Le talent de QI Jiguang fut de percevoir cette inévitable nécessité et d’accepter de travailler avec des outils qui étaient loin d’être idéaux. A l’âge de la poudre à canon, il revint aux fortification de briques. Dans sa brigade mixte, on pouvait voir de l’artillerie moderne aussi bien que des boucliers de rotin. Son observation méthodique des heures du lever et du coucher du soleil contrastaient avec sa coutume rétrograde qui consistait à couper les oreilles des soldats récalcitrants. L’incorporation simultanée sous son commandement d’éléments de civilisation qui, dans d’autres pays auraient été séparés par des siècles, créa pourtant une difficulté quand il fallut les intégrer à un haut niveau. En pratique, les nouveaux éléments devaient ralentir leur allure pour observer la même que les anciens. Quand les moyens institutionnels pour réaliser la coordination avaient été épuisés, c’était alors à l’initiative privée de jouer. De même que le commandement de Jizhou devait subir l’influence de son commandant, de même le lien qui unit ce dernier avec le maître du Pavillon Wen Yuan devint aussi inévitable.

QI Jiguang s’adonnait-il à l’étude du surnaturel ? Sans doute, dans un certain sens, comme le faisaient beaucoup de ses contemporains. Mais comme eux, il faisait parfois preuve d’une tendance au fatalisme et à l’agnosticisme en plus de son adhésion à la doctrine de Karma[1], qui était chose courante dans les publications du temps des Ming au XVIème siècle. De plus il prodiguait à ses troupes un endoctrinement à base de légendes, de folklore et de religion populaire, c’était pour une raison bien précise qui tenait à la qualité de ceux à qui ces messages s’adressaient. Dans un message à l’empereur, il indiquait que, dans les troupes du nord, seuls un ou deux officiers sur dix avaient atteint un niveau minimum d’instruction. Il était donc compréhensible qu’en s ‘adressant aux soldats paysans, dont le niveau culturel était encore plus bas, il n’utilisât que le genre de vocabulaire qu’ils pouvaient comprendre.

En face d’un auditoire d’une autre trempe, le commandant en chef de Jizhou pouvait modifier son langage sur le champ. Par exemple, il donnait le nom de Zhi zhi Tang à sa résidence[2]. Cela signifiait « salle de la fin bien heureuse », il contribuait ainsi à faire savoir qu’il avait déjà atteint le but dernier de sa carrière dans l’armée et n’avait pas d’autre ambition personnelle. La sympathie, quand elle est guidée par la perspective historique, permet de montrer que le général QI n’a jamais eu comme but la poursuite d’un  bénéfice personnel. S’il a parfois fait preuve d’opportunisme, on s’est aussi largement servi de lui.

Comme il savait que les affaires de l’armée, y compris la technologie militaire, n’étaient pas en état d’exercer  l’influence nécessaire pour reconstruire la société chinoise, mais au contraire continueraient à subir sa pression, QI Jiguang rechercha des moyens viables de créer, dans ces limites, les forces de combat les meilleures possibles et tout en agissant dans ce sens, il lutta aussi pour mener une vie agréable. Parce qu’il avait travaillé si longtemps avec Zhang Juzheng et Tan Lun, son rôle de général politique n’apparut pas toujours clairement ; mais cela n’échappa pas à l’attention des bureaucrates et de l’Empereur. Il restait pour eux une sorte de monstre tapi devant le palais, qu’aucune institution ne pouvait maîtriser. Sur le plan de l’organisation, les innovations limitées de QI Jiguang pour élever le niveau de l’armée allaient déjà à l’encontre du principe d’équilibre de la bureaucratie. Et pour ce crime, il devait payer le prix d’une mort solitaire après destitution. Mais personne dans l’empire ne pouvait songer qu’avec la disparition de ce général fidèle, avait disparu la dernière occasion de l’empire d’apporter à son armée la modernisation minimale dont elle avait besoin pour survivre à une ère nouvelle. Trente ans plus tard, son armée allait affronter les hordes mandchous sans bénéficier de la tactique de la brigade mixte de QI. Quand sa faiblesse eut été démontrée, les barricades de la grande muraille mal équipées furent abattues par les envahisseurs mandchous. Mais le vieux général, bannis de son époque à traversé le temps dans de bien meilleures conditions. En effet, au cours de la première moitié du vingtième siècle, en chine, ce n’est pas moins que les deux principaux chefs de guerre qui firent réimprimer ses écrits et les méditèrent. Le généralissime Jiang jieshi et dans une moindre mesure le guide de la révolution Mao ze dong se réclamèrent dépositaires de son travail, notamment en ce qui concerne tous les couplets sur la discipline et le courage du soldat. Aujourd’hui également, aucun lettré n’ignore les succès de ce général remportés contre l’ennemi de toujours, le japon mais également le désordre régulièrement apporté par les hordes tartares au nord de l’Empire. C’est donc bien véritablement un pan de la culture stratégique militaire chinoise que le général QI Jiguang a contribué à édifier en son temps et que l’inconscient collectif chinois reproduit presque au quotidien. La mémoire du général est bien vivace, à en croire également l’ambitieux projet d’espace des affaires en cours dans sa ville natale de Penglai (province du Shandong). Ce personnage est un théoricien incontournable de la pensée militaire chinoise.


[1] Qi in « Lianbing Shiji » p.212 passage dans lequel il admet l’effet intimidant d’ une punition en enfer, dans l’avenir, comme ayant une valeur utilitaire.

[2] Qi in « Lianbing Shiji » p.196

Publié dans Uncategorized | Commentaires fermés sur Conclusion

Chapitre II – Ses responsabilités de stratège

II.1- La base de ses écrits

 1.1- Ses campagnes

a) Le combat à Ping Hai

En 1560 (l’an 39 Jia Qing), QI Jiguang reprend ses fonctions car, pendant la période immédiate qui précède la formation de ses troupes, il était  en disgrâce suite à sa défaite en 1559. Aussi, il se trouve à nouveau au Zhejiang avec les nouvelles troupes qu’il a pu entraîner et devient le responsable militaire des affaires de la défense de 3 villes qui sont Taizhou (aujourd’hui, Linhai province du Zhejiang). Jinhua, et Yinzhou . Parmi ces trois villes, la ville de Taizhou est la plus importante car elle est composée de 6 districts: Ninghai, Linhai, Huangyan, Tiantai, Taiping. Cet ensemble de communes longe la côte sur une distance de plus de 200 li (= 100 km). L’arrière pays est constitué principalement  de petites montagnes.

Au début de la Dynastie des Ming, il  existe dans cette province du Zhejiang, 2 garnisons composées de 6 postes de garde. Mais, ne faisant plus l’objet d’attaque depuis fort longtemps, leurs défenses se sont émoussées : équipements obsolètes ; effectifs manquants et non qualifiés ; grand âge d’une large partie de la troupe; aucun entraînement ni motivation…. Depuis le commencement des troubles occasionnés par les Wokou, la population locale, mal défendue par ses militaires a beaucoup souffert.

Dès son arrivée  le général,  décide de prendre les choses en mains : tout en continuant à entraîner les troupes qu’il a recruté à Yiwou (province du Henan) , il prend également des mesures pour la mise des garnisons existantes en ordre de marche.

1.

Nomination d’un haut coordonnateur civil : compte tenu de la longueur des côtes et du manque d’organisation, il demande qu’un haut fonctionnaire civil soit nommé pour coordonner les affaires de la défense. Dans les premières années des Ming, les fonctionnaires civils ne participaient pas aux affaires militaires. Mais cette pratique, commencée dans les années de Zheng Tong est devenue une tendance générale au détriment des places occupées auparavant par les fonctionnaires militaires. De nombreux fonctionnaires militaires expriment leur mécontentement, mais QI, pour la bonne organisation a demandé la nomination d’un fonctionnaire civil, cette requête très appréciée par le préfet Hu Zhong Xian a été satisfaite sans trop retarder et Hu Zhong Xian a nommé Tang You Chen. QI Jiguang s’entend parfaitement avec ce dernier et cette entente ne fait que faciliter les conditions de travail pour QI.

 

2.

Remplir les effectifs : dans certains postes de garde, plus de la moitié des soldats ne sont pas présents pour différentes raisons : désertions ; mutations temporaires ; détournements d’emploi…. Alors, le général a usé de tous les stratagèmes pour les rappeler à leur poste afin de pouvoir, sans faire appel à de nouveaux  recrutements, réaliser les effectifs.

3.

Constitution des troupes embarquées de la marine : C’est en effet la 1ère fois que QI a sous sa responsabilité les troupes embarquées de la marine. Alors, il en a profité pour faire construire 44 bateaux de combat. Il a demandé que ces bateaux soient de 3 modèles et 3 tailles différentes, les plus grands : modèle FU HAI ; les moyens, le modèle HAI CANG ; les plus petits : TONG XIAO. Ce dernier modèle  est une invention de QI car la taille du bateau  est juste plus grand que celui des Wokou afin d’être efficace dans l’attaque mais, assez petit pour être facile à manipuler. Une escadrille est alors composée de 2 FU CHUAN, d’1 HAI CANG et de 2 TONG CUAI. Les 2 escadrilles composent une flotte. En mars de l’an 40 de Jia Qing, les 44 bateaux ont levé l’ancre. Il en attribue 20 à Zhong Mei : 2 flottes entières qui sont chargées de la défense sud et sud-ouest des côtes ; et 20 autres à Hai Mei pour la défense nord et nord-est. Les 4 restantes, sont  gardées en réserve, à la disposition de QI Jiguang.

Ainsi, les deux avant postes de ces flottes se combinent et agissent de concert : les grands bateaux, très efficaces servent pour la chasse et la poursuite hauturière. Par contre, les bateaux de taille moyenne et de taille plus petite sont plus adaptés pour les combats rapprochés et ceux qui ont lieu dans les ports et détroits.

Le général a aussi renforcé l’équipement des armes à feu à bord de ces bateaux. Par exemple,  un FU CUAI est équipé de :

  • §        1 gros canon;
  • §        20 canons à feu = HOU PAO
  • §        6 catapultes ; =DA FU LANG JI
  • §        3 petits obusiers; =WAN KO TONG
  • §        10 mousquets =NIAO TONG
  • §        60 tromblons = PEI TONG
  • §        100 grenades = YAN TONG
  • §        300 fusées = HOU JIN
  • §        100 briques à feu = HOU ZHUAN

En plus des armes à feu ci-dessus (légèrement mal listées en raison du manque de dictionnaires appropriés), les armes blanches ne manquent pas non plus : flèches, gaffes,  fléchettes, javelots, boucliers en rotin, boites de cendres.

Ainsi, les armes s’ajustent : à longue distance, on utilise les canons et les armes à feu à longue portée, à courte distance, ceux sont les armes à feu de précision et les armes blanches que l’on utilise.

Ainsi, le système mis au point par QI est complet et consiste à[1]:

–                                au niveau des équipements : des armes à feu et des armes blanches qui se couvrent.

–                                au niveau de la flotte : des bateaux de taille et de vitesse différentes qui sont complémentaires ;

Ce système qui est destiné à se défendre et à attaquer dans un rayon de 100 pas, est vraiment redoutable pour les adversaires.

4.

Renforcer les postes de contrôle et d’observation : QI a fait restaurer les postes existants et fait construire d’autres postes complémentaires. Dans le système d’observation et de garde qu’il a fait établir, 5 soldats doivent se relayer jour et nuit, qui ne peuvent pas quitter ces points d’observation sans permission préalable. L’alerte est donnée en journée par des drapeaux et des coups de fusils ; si c’est la nuit, par des torches et des coups de fusils. QI Jiguang a aussi renforcé le contrôle de toutes les entrées de bourgs ainsi que les villages alentour avec un système de mots de passe et des rondes permanentes de 3 personnes en temps de paix et de 5 personnes en temps de menace.

Ainsi, au lointain il y a des postes d’observation ; au plus près, des contrôles d’accès et des grands carrefours. Les ennemis ne peuvent pas s’approcher sans être aperçus.

5.

Harmoniser tout le système de défense : QI réforme les postes de garnison ; crée les troupes d’embarquées de la marine, améliore l’entraînement des troupes et le rend obligatoire, renforce les postes de contrôle. Pour rendre toutes ces mesures plus efficaces encore, QI a aussi beaucoup réfléchi sur l’engagement coordonné dans les actions de combat des troupes de la marine, des troupes de garnison et des troupes recrutées et formées par lui-même. Les troupes de la marine au nombre de 4 flottes constituées de 4 bataillons chacune, défendent les zones littorales. A l’intérieur de chaque flotte, lorsque qu’un bataillon part en mer pour une patrouille, un autre  reste au port en état d’alerte afin de pouvoir intervenir dans les plus brefs délais. Ils forment ensemble une ligne de défense sur la mer. Si l’attaque ennemie est de faible importance, chaque bataillon peut intervenir indépendamment. S’ils sont en plus grand nombre, les bataillons se joignent pour combattre ensemble.

Sur terre, les troupes des garnisons sont responsables de la défense des bourgs et des villages. Par contre, les troupes de QI sont plus mobiles et se chargent essentiellement des attaques et des contre attaques ainsi que des poursuites de l’ennemi.

En mer et à terre ; troupes de défense et d’attaque ; courage et stratégie ; jour et nuit…, voilà le stratégie de QI : tout s’accorde et tout se complète, pas de faille exploitable par l’ennemi. C’est en effet la clé des nombreux succès au combat obtenus par le général dans la lutte contre les wokou.

b) La victoire à Taizhou

Début Avril 1561 (l’an 40 de Jia Qing), plusieurs centaines de bateaux des wokou ont été repérés par des postes de surveillance. Dix à vingt mille wokou attaquent en même temps une dizaine de villages côtiers de la Province du Zhejiang (graphiques 3). Parmi eux, 2000 wokou avec une cinquantaine de bateaux sont au large de Ningbo et Shaoxing, ils sont rassemblés au large et attendent l’occasion pour attaquer. Les chefs lieux attaqués sont sous le contrôle de QI. Ce dernier, dès l’alerte, se prépare aux combats. Le 12 avril il est monté lui-même à bord du bateau de commandement et croise au large pour observer ses adversaires. Les wokou, impressionnés par l’allure de la flotte et des bataillons embarqués de QI n’osent pas s’approcher et  quittent leurs positions. Le 19 avril[2], nouvelle alerte. Les wokou qui ont réussi à débarquer au port du bourg de Xifen qui dessert Fenghua au nord de Taizhou, se dirigent vers le sud et prennent le bourg de Ninghai. Ils pillent et dévastent tout le village de Ninghai. Ce village n’est pas très éloigné de Taizhou (Linhai, aujourd’hui). Après avoir analysé cette nouvelle situation, QI Jiguang décide de diviser ses troupes en 3 groupes :

–                                une partie reste à Taizhou pour assurer sa défense ;

–                                une autre partie se charge de la défense de Datian, un autre bourg à proximité ;

–                                une troisième partie dirigée par lui-même fait route vers Sanmen pour anéantir les wokou.

Le matin du 22 avril, QI Jiguang quitte Taizhou pour Ninghai. Le jour même, les wokou ont appris cette nouvelle par le biais d’informateurs locaux. Sachant que Taizhou n’est défendue que par une petite partie des troupes de QI, les wokou se précipitent pour l’attaquer par 3 côtés :

–                                500 wokou en 3 grands bateaux débarquent à Lipu et s’approchent de Taozhu  le 22 avril;

–                                Plus de 500 wokou montés sur 8 bateaux débarquent par le port Zhouyang et se dirigent vers le bourg de Jiaojiang entre le 22 et 23 avril;

–                                Une troisième partie, plus de 2000 wokou répartis sur 18 bateaux débarquent par Jiantiao le 25 avril.

La situation devient critique. Après avoir étudié toutes les données , QI en conclut que les wokou de Taozhu et de Jiantiao ne causent aucune menace sérieuse pour le chef lieu qui est Taizhou malgré le fait qu’ils sont nombreux. Par contre, ceux qui ont débarqué par le port de Zhouyang, mieux organisés doivent être maîtrisés assez rapidement, car le bourg de Jiaojiang est le point stratégique le plus proche de Taizhou. Si les wokou arrivent à avoir Jiaojiang, les troupes auront beaucoup plus de mal à défendre Taizhou. Alors, QI Jiguang soutenu par sa hiérarchie supérieure, le fonctionnaire civil Tang Xiao Chen qui a fait un rapport à Hu Zong Xin, le préfet, a pu obtenir un accord total pour sa stratégie d’attaque.

Le 24 avril, les wokou, après avoir pillé les villages autour de Huaqiao (graphiques 4) s’approchent de la cité. Les hommes robustes et forts sont partis avec QI et les soldats restant d’un nombre largement insuffisant s’inquiètent. L’épouse de QI Jiguang ainsi que les autres femmes de soldat se portent en avant. Elles s’habillent en costume militaire et montent dans les postes de garde afin de renforcer le défense. Ensemble, ils ont mis des drapeaux partout, crient très fort et tirent sur les wokou qui essayent de s’approcher de la ville. Les wokou trompés par cette apparence en croyant qu’il y a beaucoup plus de soldats à l’intérieur ne veulent pas prendre de risque en l’attaquant immédiatement, alors, ils encerclent la ville et préparent leur attaque.

Le 25 avril, QI a reçu une communication de la part de Tang Xiao Chen dans laquelle ce dernier lui précise que les troupes de renfort sont arrivées pour libérer Ninghai. Suite à cette nouvelle, QI Jiguang repositionne ses troupes et les dirigent immédiatement vers Jiaojiang. Il a ordonné une marche forcée.

Le matin du 26 avril, les wokou recommencent leur attaquent pour entrer dans Xinhe. Avant midi, les troupes de QI apparaissent soudainement derrière les wokou. Surpris, les wokou abandonnent l’attaque de Jiaojiang et sont obligés de se battre avec les troupes de QI. Sans être capable de tenir plus longtemps, ils se replient dans un ensemble de maisons. Les troupes de QI, au lieu de conduire l’assaut, se déploient et attendent. Vers 4 heures de l’après-midi, les wokou  tentent de s’enfuir. A ce moment précis, les troupes de QI se découvrent et ouvrent le feu. Une centaine d’hommes sont tués ou blessés. A la tombée de la nuit, les troupes entrent dans la ville. Les wokou qui fuyaient vers Wenling ont été rattrapés par les autres troupes des Ming sauf une petite partie qui a réussi à s’échapper vers Dajing.

Deux cents wokou ont été tués lors de ce combat, le bourg de Jiaojiang a été préservé.

Une fois que le risque majeur a été écarté par l’anéantissement des ennemis les plus dangereux, les troupes impériales commencent à s’occuper des autres. Il reste ceux qui s’approchent de Taozhu et ceux qui font mouvement vers Sanmen.

Afin d’anéantir les wokou qui s’approchent de Taozhu par Jinqing ( à 20 li de Linhai) dans le but également d’attaquer Taizhou, QI Jiguang a décidé de diriger ses troupes immédiatement vers Taizhou. C’est à présent le 27 avril. Lors du départ des troupes de QI vers Ninghai, le 22 avril, chaque soldat n’a porté que 3 jours de provision pour ne pas être trop chargé dans la marche forcée. Depuis, ces soldats marchent et combattent et ils n’ont eu aucun repos. Arrivé au 27 avril, toute provision est épuisée, les soldats n’ont plus de quoi se nourrir  depuis 2 jours. L’espoir de pouvoir se reposer et de se ravitailler à Jiaojiang a été déçu par cette nouvelle marche forcée ordonnée par QI Jiguang. QI est bien au courant de la situation et promet aux soldats un repas dès l’arrivée à Taizhou.

Les wokou de Jing Jin Si ont appris les échecs de leurs compères et décident de se diriger le plus vite possible vers Taizhou afin de pouvoir y parvenir avant les troupes de QI, de piller la ville et de repartir tout de suite après. Ainsi ils pensent pouvoir éviter l’affrontement direct avec les troupes de QI. Si ils doivent les affronter, ils seront à l’intérieur de Taizhou et QI Jiguang à l’extérieur. Mais, ils sous estiment les troupes de QI car elles sont sur place dès le petit matin du 27 avril. Elles ont déjà parcouru plus de 70 Li et sont arrivées juste avant les wokou. En effet, ces derniers ne sont seulement qu’à 2 Li du chef lieu quand les troupes de QI arrivent et ferment les portes de la ville. Les wokou, désagréablement surpris et pour ne pas laisser le temps aux troupes de s’installer, s’engagent immédiatement dans l’attaque. Les troupes de QI, passablement épuisées se mettent en position de combat. Face et flanc  gauche : chef du bataillon Ding Bang Yin ; face et flanc droit : chef du bataillon Chen Da Cheng, et au milieu deux compagnies dirigées par Chen Hao et Hu Da Shao. Les troupes locales sont dirigées par le sous-préfet ainsi que les hommes armés de la ville, qui sont répartis dans les postes de garde. QI Jiguang dirige l’ensemble de la manœuvre par drapeaux et  tambours. Les pionniers attaquent les wokou avec les armes à feu et ils sont suivis par les soldats qui utilisent les armes traditionnelles de précision (arcs, arbalètes, lances…). Les wokou essayent d’attaquer du mieux qu’ils peuvent : ils concentrent toutes leurs forces pour attaquer les troupes de Ding Bang Yin qui se trouvent à l’avant gauche. Ces derniers, renforcés par les compagnies du centre se défendent avec un courage hors du commun et ne cèdent aucun pouce de terrain ni aucune habitation. Les wokou se heurtent à la même résistance lorsqu’ils tentent leur 2ème chance en se jetant sur les troupes de Zhen Da Cheng. Les wokou ont compris qu’ils n’ont aucune chance d’entrer dans Taizhou et sont contraints de changer de stratégie en organisant leur retraite. Les troupes de QI profitent de leur avantage et poursuivent les Wokou pendant plus d’une journée. Ils sont tous anéantis, soit dans le cours d’eau Gua Lin Jing par Chen Da Cheng ou soit dans le Xin Qiao par Ding Peng Yin à plus de 10 Li de Taizhou. Les troupes de QI, victorieuses, se regroupent et s’offrent un banquet pour fêter ce combat. Ils ont eu en total 308 têtes de wokou sans compter ceux qui sont morts noyés. Deux chefs sont emprisonnés et les troupes impériales récupérèrent plus de 650 armes.

Malgré cette victoire, le danger n’est pas écarté, car le corps principal des wokou mouille au large de Jin Tiao, ils sont plus de 2000. Le 28 avril, ils débarquent et le 1er mai, ils se rassemblent à Ta Tian Zhen et prévoient eux aussi d’attaquer Taizhou. A ce moment, une partie des troupes de QI Jiguang sont à Jiaojiang et Wenling, il n’y a que 1500 soldats à Taizhou. Pour encourager les soldats, il procède de la façon suivante :

D’abord, il fait la « morale » aux soldats de façon que ces derniers nourrissent à l’égard de l’ennemi la plus grande haine ;

Ensuite, il double les récompenses pour chaque wokou tué. Après cela les soldats brûlent d’impatience de combattre pour protéger le pays.

Enfin, il donne les règles spécifiques pour cette bataille – 3 consignes bien précises:

– Ne pas chercher à gagner les récompenses à tout prix;

– Ne pas reprendre les matériaux des ennemis ;

– Ne pas tuer les coreligionnaires (chinois enrôlés par les japonais)

Une fois les travaux préparatifs au combat terminés, les soldats de QI Jiguang, que l’on prénomme « troupes de la famille QI » partent pour Dianqian (nord-ouest de Linhai) pour s’embusquer. Les wokou ayant aperçus l’arrivée des troupes de QI n’osent plus avancer et reculent jusqu’à Xiage afin d’attaquer Xianju et Lishui. Selon les analyses de QI, les wokou vont probablement traverser la rivière par Zhongdu en passant par Shangfengling et en sortant par Baishuiyang ( côté ouest de Linhai). Le sud de Shangfengling est un ravin. Alors, QI  décide de faire une embuscade à cet endroit – là. Il a demandé que ses troupes y montent à toute vitesse et y rester sans bouger. Chacun doit tenir une branche d’arbre afin de se dissimuler. Le 4 mai, les wokou, sans remarquer les pièges de QI, décident d’emprunter Shangfengling pour arriver à Xianju. Leur troupes avancent en colonne simple sur une distance de 20 Li. Les wokou observent avant de s’y engouffrer. N’apercevant personne, ils s’engagent dans le ravin sans méfiance. QI Jiguang sait que les wokou mettent souvent leurs soldats les plus forts devant et derrière lors de la marche et ceux du milieu sont plutôt médiocres. Alors, il attend que les wokou entrent complètement dans le ravin et ordonne de l’on attaque avec les armes à feu du haut vers le bas. Les soldats de QI Jiguang en formation (une des formations d’attaque répétées à l’entraînement) UNE TETE, DEUX AILES ET UNE QUEUE jettent par terre leur branche d’arbre et tirent sur les wokou et plus spécialement sur ceux qui se trouvent au milieu. D’un seul coup, dans le ravin, à la place des branches et des arbres, on voit surgir partout les soldats de QI Jiguang et on entend les détonations. Les wokou, totalement pris au dépourvu, sont dans l’incapacité d’organiser leur défense. Ils reculent et se regroupent sur une petite colline située au nord du ravin afin de résister à l’attaque. A ce moment, deux autres compagnies « de la Famille de QI » arrivent et poursuivent les wokou jusqu’au pied de la colline. L’assaut ne sera pas  une partie facile car il faut attaquer du bas vers le haut. Mais avant de donner l’assaut, QI a fait installer un grand drapeau blanc et demandé aux plusieurs centaines de soldats de crier ensemble dans la direction des ennemis : «Les coreligionnaires qui veulent se rendre en venant tout de suite sous ce drapeau ne seront pas châtiés». Après quelques instants d’hésitation, plusieurs centaines de wokou se rendent en déposant leurs armes sous le drapeau. Les acharnés ne voulant pas reconnaître leur défaite entreprennent de monter jusqu’au sommet de la colline afin de mieux résister. Cette colline aux abords très escarpés possède à son sommet un plateau bien dégagé, un seul chemin de chèvre peut y accéder. Une seule personne peut l’emprunter à la fois. C’est véritablement un endroit qui est  facile à défendre et difficile à attaquer. Tenter de l’escalader, c’est prendre le risque de périr dans le torrent. Les wokou, s’appuyant sur cette protection naturelle pensent qu’ils peuvent résister à l’attaque. Mais, « les troupes de la famille QI » qui osent escalader une montagne d’épées et braver une mer de flammes ne reculent pas devant cet obstacle. Les braves des troupes de QI se succèdent les uns après les autres pour escalader. Les premiers échelons avancent en se protégeant avec les boucliers de rotin contre les flèches et fléchettes que les wokou lancent du haut vers le bas. Les arbalétriers protégent les grimpeurs en faisant des tirs de protection. Les autres unités, plus loin de la colline tirent aux armes à feu. Une fois que les premiers échelons atteignirent le sommet, ils attaquèrent avec des lances et des haches pour anéantir le maximum de wokou afin que les autres soldats puissent accéder au sommet également. Ainsi les troupes de la famille de QI ont réussi à occuper la colline et les wokou ont été soit tués au sommet, soit précipités dans le vide du haut de la colline. Seuls quelques dizaines de wokou ont eu le temps de s’échapper et courent vers Baisuiying afin de se cacher dans la cour de la Famille Zhu (commerçant influent de la sous région). Les troupes de QI Jiguang les poursuivent. Les wokou n’arrivant pas à briser l’encerclement sont aux abois : ils se suicident ; ou bien sont brûlés à mort ou encore se rendent. Les troupes de la famille de QI ont encore une fois gagné le combat. Elles ont décapité 344 têtes, fait prisonnier 5 chefs et récupéré plus 1490 armes. Elles ont libéré plus de 1000 personnes prises par les wokou. Les troupes impériales ne déplorent qu’une vingtaine de tués lors du combat, c’est une vraie victoire.

Au niveau de la stratégie, QI a  bien su analyser la situation des deux camps et leur rapport au terrain. Après, le choix de l’endroit pour l’embuscade, au cours de l’embuscade, il a su attaquer le point le plus faible des wokou.

         1.2-Son expérience sur la frontière Nord de l’empire

Trois ans plus tard, QI Jiguang fut muté dans le nord. Bien que les succès qui l’avaient rendu célèbre eussent été le résultat d’une situation particulière au milieu du XVIème siècle, il n’en était pas moins redevable en grande partie à un fonctionnaire civil qui lui avait accordé sans réserve son aide et son soutien. Parmi les bureaucrates, Tan Lun était une personnalité douée d’aptitudes peu communes. Titulaire du diplôme de docteur, il fit dans la région côtière de l’est une carrière administrative qui le mena au poste de gouverneur du Fujian et au cours de laquelle il réalisa l’exploit de devenir spécialiste des questions militaires.

Quand QI Jiguang offrit d’entraîner des volontaires, Tan cautionna ce projet. Ensuite, il avait veillé à ce que ce corps de volontaires fût convenablement approvisionné, ne fût pas trop accablé pendant les opérations sur le terrain et par dessus tout que ses mérites fussent  reconnus. Il avait également joué un rôle dans la promotion de QI au grade de commandant en chef. En 1567, quand Tan Lun, fut nommé gouverneur général du nord du Zhili, chargé des installations de défense autour de Beijing (graphique 5), il était tout naturel qu’il suggéra au trône la mutation de QI Jiguang à son commandement pour y être chargé de l’entraînement des troupes. Arrivant au début de 1568, QI devait plus tard devenir le commandant en chef de Jizhou (Jixian aujourd’hui), la principale ville de garnison du nord Zhili pour une période de quinze ans. Pendant ce temps, Tan Lun fut promu ministre de la guerre et mourut en fonction, mais auparavant lui et QI Jiguang avaient donné au commandement de Jizhou une nouvelle impulsion.

         Le général QI eut à faire face à de nombreux problèmes. Immédiatement après son arrivée, QI découvrit que même son statut personnel n’était pas précisé. La situation au Zhili était embarrassante du fait que les militaires étaient depuis si longtemps soumis à la domination civile, que les officiers supérieurs n’avaient aucun moyen d ‘exercer leurs fonctions administratives. Bien des généraux étaient, au mieux, à demi lettrés. Leurs subordonnés, en garnison dans les districts locaux, étaient aux ordres des magistrats du service civil et des préfets. Les services logistiques leur échappant, ces chefs militaires avaient été forcés de se contenter de mener leurs troupes au combat[3]. Quand QI Jiguang fut élevé à un poste où il devait superviser et diriger tous les éléments qui dépendaient de son commandement en temps de paix, cela créa une situation qui s’éloignait de la pratique normale.

Par nature un commandement dans le nord était très différent des conditions du sud. La frontière mongole était une menace constante.  La sécheresse qui sévissait périodiquement forçait les hordes nomades à lancer des attaques sur la frontière chinoise où l’impréparation militaire invitait à des incursions plus profondes et plus fréquentes. Le plus grand avantage des mongols était leur mobilité et la concentration de leur force de frappe. La charge de cavalerie était leur mode de combat dominant, mais parfois aussi ils assiégeaient des villes. Au cours d’un assaut, ils pouvaient lancer 100.000 cavaliers dans la bataille. Altan Khan réalisa l’unité des steppes qui, d’est en ouest, s’étendaient sur plus de mille milles de long, les forces des frontières de la dynastie prises au piège dans leur position de défense et trop éparpillées, ne purent trouver le moyen d’arrêter les raids annuels.

Jizhou (graphique 6) était une des neuf régions de défense de la frontière nord. Avec les villes de garnison qui en dépendaient, elle formait une zone de protection autour de Beijing, mais elle était séparée de la garnison de la capitale. Selon les prévisions elle aurait du comprendre 80.000 hommes sous les armes, plus de 22.000 chevaux de combat[4]. Mais en réalité personne ne savait à quoi se montait sa force. Parmi les soldats qui dépendaient organiquement du commandement, il y avait des conscrits venant des colonies militaires. On les appelait « soldats-hôtes » et ils étaient en principe pris en charge par la localité. D’autres soldats étaient mutés de districts extérieurs à la zone de défense, on les appelait « soldats-invités ».

Bien que leur transfert fût en fait permanent, les districts dont ils étaient originaires n’étaient jamais libérés de la responsabilité de leur charge. Le gouvernement central accordait aussi des subsides au commandement. De plus, il y avait des soldats issus de familles militaires héréditaires des provinces de l’intérieur dont le service à la frontière était limité aux mois du printemps et de l’automne. Pratiquement peu d’entre eux se déplaçaient en personne ; ils se faisaient remplacer par des gens qu’ils payaient, et dont le nombre ne correspondait généralement pas à celui qui était prévu à l’origine. Le système suivant lequel les soldats étaient fournis stipulait que le commandement devait être composé de corps combattants dont la solde venait de différentes sources, dont certaines n’existaient que sur le papier. On pouvait s’interroger sur la qualité de ces combattants qui était aussi hypothétique. Ce manque d’organisation et cette absence d’intégration n’étaient pas complètement dénués d’intention. Derrière eux, on devinait l’appréhension qu’un grand général trouvât tout seul la réponse à toutes les questions politiques. L’histoire avait fourni de nombreux exemples de généraux installés dans le district de la capitale qui avaient marqué le commencement de la fin d’une dynastie. C’est pourquoi l’ambition de QI Jiguang d’augmenter la puissance de commandement de Jizhou allait se heurter à des obstacles dont certains seraient dressés par le service civil et la force de la tradition.

         Heureusement pour QI, ses projets avaient l’approbation d’un important personnage de l’entourage de l’empereur, Zhang Juzheng, qui devint grand secrétaire de l’empire et qui avait dans ses intentions de rajeunir les forces armées et le commandement de Jizhou était au premier plan de ses préoccupations. QI Jiguang ne devait pas tarder à découvrir qu’il n’avait pas besoin de s’occuper des problèmes politiques. Tout ce qui devait être fait avait déjà été organisé par le gouverneur général Tan Lun et le grand secrétaire Zhang Juzheng. Ce qu’ils ne parvenaient pas à obtenir était vraiment hors d’atteinte.

Voici comment se produisirent les changements dans le commandement de Jizhou. La proposition que fit QI au commencement  et qui aurait placé sous ses ordres 100.000 recrues sélectionnées pour un entraînement intensif de trois ans, était trop ambitieuse pour devenir effective[5]. Aucun effort ne fut fait par la suite pour intégrer les contingents de soldats du nord. Mais on permit à QI d’amener dans la zone de défense les volontaires qu’il avait recrutés dans le sud ainsi que leurs officiers. Le groupe comprenait 3000 hommes ; les forces autorisées furent augmentées continuellement jusqu’à atteindre vingt mille hommes[6]. Pour faire ressortir le côté inhabituel de la fonction de QI, Zhang Juzheng parvint pendant une brève période à lui conférer le titre de surintendant des affaires militaires de Jizhou. Aucun titre semblable n’avait jamais été accordé à un officier dans toute l’histoire de la dynastie. Comme cela provoqua force commentaires, le grand secrétaire s’inclina devant l’opinion publique et changea par la suite le titre en commandant en chef. Mais d’autres officiers supérieurs de cette zone de défense furent mutés pour laisser à QI une autorité sans partage. Sur proposition de Tan Lun, tous les fonctionnaires civils du district reçurent des instructions explicites leur enjoignant de ne pas intervenir dans la gestion de QI. Tan suggéra en outre que, pour une période de trois ans, QI Jiguang devrait être exempt  des critiques des censeurs.

         Au commencement, le commandement de Jizhou reçut une allocation supplémentaire de chevaux de combat et des fonds pour la fabrication d’armes à feu et de chariots. Bien qu’elles fût  limitée en nombre, cette attribution causa néanmoins des jalousies et des conflits. Puis il y avait aussi des rivalités entre les gens du nord et les gens du sud, entre les conscrits locaux et les recrues, et entre les officiers de la vieille école et ceux du nouveau programme d’entraînement. Dans sa correspondance privée, Zhang Juzheng enjoignait à QI Jiguang de pratiquer l’humilité.

         La façon la plus adéquate de décrire la tactique créée par QI Jiguang à Jizhou pourrait être : « l’idée que se fait un fantassin de l’emploi des armes combinées ». Cependant, toutes les critiques doivent tenir compte de ses limitations sur le plan de la technique. Les armes à feu modernes dont il disposait étaient encore en enfance, et il ne pouvait qu’assumer une attitude défensive. Puisqu’il ne pouvait compter sur les troupes du nord, il devait se fier aux volontaires du sud. Ce qui revient à dire qu’il était censé arrêter l’avance de l’immense cavalerie mongole avec des formations de bataille de la taille d’une simple brigade.

         Dans sa méthode de combat, le chariot de bataille était une pièce essentielle. C’était fondamentalement un grand chariot à deux roues attelé d’un mulet ; mais à la place des côtés redressés il y avait un écran de bois fait de huit sections qu’on pouvait rabattre à plat sur la plate-forme du véhicule. Pendant le combat, les mulets étaient dételés. Le chariot était placé de côté, une roue face à l’ennemi et l’écran redressé derrière la roue pour offrir une surface de quinze pieds. Les chariots en position de bataille étaient alignés les uns à côté des autres pour former un mur continu. Les sections des extrémités de l’écran servaient de portes battantes qui permettaient aux fantassins d’entrer et de sortir[7]. Chaque chariot de bataille portait deux pièces d’artillerie légères appelées couleuvrines (fo lang chi), probablement d’origine européenne. Plus près d’un fusil à gros calibre que d’un canon selon les normes modernes, la couleuvrine était coulée dans du bronze ou du fer. Sa longueur variait de 3 à 7 pieds, son calibre n’excédait pas deux pouces. Le boulet de plomb était introduit par la gueule. La cartouche contenant des charges propulsives était faite du même matériel et avait la même puissance que le canon, mais était en forme de poire et était placée dans l’extrémité arrière de l’arme qui était découpée. Une tige de fer insérée dans des trous de chaque côté de l’affût du canon servait de verrou. Le modèle le plus redoutable avait une portée de six cents mètres. La couleuvrine ainsi que les arquebuses faisaient feu du chariot de bataille, par des trous prévus à cette intention dans les écrans[8]. QI affectait vingt soldats à chaque chariot de bataille. Dix d’entre eux ne devaient jamais quitter le véhicule. Ils le manœuvraient, le mettaient à sa place et s’occupaient de la mise à feu de la couleuvrine. Les dix autres formaient une équipe d’assaut autour du chariot. Bien que quatre soldats de ce dernier groupe fussent aussi armés d’arquebuses, quand l’ennemi approchait, ils se servaient tous d’armes de combat rapproché comprenant des boucliers en rotin, des javelots fourchus et des épées à long manche, pour se livrer à des combats au corps à corps. Mais ces actions devaient être menées en équipes. L’équipe d’assaut ne devait jamais s’aventurer à plus de sept à huit mètres du chariot. Quand elle avançait, le chariot devait suivre. Parfois, des escouades d’infanterie supplémentaires prenaient part au combat. Elle suivaient essentiellement les tactiques que QI avait fait prévaloir dans le sud contre les pirates, excepté que désormais les soldats qui portaient les boucliers et les épées s’attaquaient uniquement aux genoux et aux sabots des chevaux ennemis qu’ils tailladaient tandis que ceux qui portaient des lances en portaient des coups aux cavaliers. Le bambou était encore considéré comme une arme utile pour arrêter l’adversaire[9].

Dans un  texte soumis à l’empereur, QI donnait d’autres détails concernant sa tactique. Une brigade mixte devrait avoir 3000 cavaliers, 4000 fantassins, 128 chariots de combat lourds et 216 chariots légers. Face à l’ennemi, la cavalerie formait d’abord un écran derrière lequel prenait place les véhicules. Les chariots étaient disposés soit en carré, soit en cercle. Pour permettre le passage des chevaux, des espaces étaient laissés entre les chariots ; mais des abattis et d’autres obstacles mobiles comblaient les vides. Quand les cavaliers mongols approchaient, la cavalerie se retirait, se mettant à couvert à l’intérieur. On négligeait une formation ennemie de moins de cent montures. Autrement, les soldats ouvraient le feu quand les mongols étaient à moins de 250 pieds. En plus des couleuvrines et des arquebuses, l’armée avait aussi des flèches propulsées par des fusées allumées par des javelots fourchus. Parfois des canons lourds accompagnaient les unités combattantes sur le terrain. L’un d’eux, qui répondait au surnom de « généralissime » fonctionnait suivant le principe d’un canon à percussion. La cartouche en  forme de cruche semblable en apparence à celle de la couleuvrine était bourré dans son logement. Mais elle contenait des explosifs, des galets et de petites boules de fer entassées par couches ; il était bouché à l’avant par un morceau de bois scellé avec de la boue. Le « généralissime » était utilisé pour le tir horizontal. Bien qu’il fut transporté sur un chariot, il pesait plus de 1300 livres. Il fallait avant de l’utiliser, planter dans le sol des béquilles de bois pour le maintenir. Un mortier léger de deux pieds de long était aussi utilisé. QI Jiguang n’avait pas de canons à obus explosifs. Dans le plan tactique de QI , la contre-attaque de l’infanterie avait beaucoup d’importance. Des sonneries de clairons appelaient les fantassins à sortir par vagues, en courant, des chariots de combat, par les côtés et par dessous. Dès que l’élan de la charge ennemie était arrêté et sa formation rompue, la cavalerie lui donnait la chasse. Mais la cavalerie de QI n’était guère plus que de l’infanterie à cheval. Les soldats d’une même escouade étaient équipés de diverses armes de combat rapproché et il leur était recommandé de maintenir la « formation en canards mandarins » au combat[10]. Aucun effort n’était fait pour imiter les hordes mongoles qui arrivaient en masse, sabres brandis et comptaient sur l’impact initial de leur lancée. Le sort voulu que ce plan, organisé dans ses moindres détails, ne fût jamais mis sérieusement à l’épreuve sur le champ de bataille pour pouvoir devenir une procédure standardisée de l’armée impériale[11].

         Il n’y avait pas moins de trois ans que QI avait pris son commandement à Jizhou quand Altan Khan vint faire sa soumission à la cour des Ming en échange de subsides annuels et de privilèges commerciaux. L’organisation de sa confédération mongole perdit toute signification sur le plan militaire[12]. La tribu mongole des Tumen orientaux resta en dehors de ce traité ; et firent des raids à Liaodong (dans la Liaoning), loin du territoire de QI Jiguang. Les quelques engagements locaux contre les tribus auxquels prirent part les troupes de Jizhou ne furent pas décisifs. Toutefois pour traiter avec les nomades qui continuaient à causer des troubles à la frontière, le grand secrétaire choisissait les promesses ou l’intimidation, ne considérait le recours à la force que comme un dernier ressort. Il écrivit à QI Jiguang :  « le nombre de soldats sous votre commandement qui peuvent réellement se battre n’est pas très élevé ». Il disait explicitement au général qui avait toute sa confiance : « notre souci principal est la défense. Si les nomades sont contenus dans leurs frontières, c’est déjà une réalisation importante. Tant que Jizhou reste en paix, votre mission a été accomplie ».

         La plus grande difficulté au sein des troupes de Jizhou venait de la coexistence des conscrits du nord et des volontaires du sud. QI pouvait se fier à ces derniers et compter sur leur discipline. Quant aux premiers, il ne pouvait ni compter sur eux, ni les congédier. Ainsi, bien qu’il ait scrupuleusement recruté ses volontaires sur les bases de la paysannerie, aux yeux des autres, il avait tout de même fondé un  corps d’élite qui bénéficiait, d’attributions de faveur, et dont les services d’intendance étaient plus sûrs. QI Jiguang avait proposé à l’origine  de faire instruire le gros de l’armée par ses unités mieux entraînées. Mais quand on voit le grand nombre d’hommes du sud qu’il devait amener à Jizhou et la lettre que Zhang Juzheng lui écrivit, il est évident que son but ne fut jamais atteint. Pour ne pas laisser inemployée toute cette force humaine et pour renforcer la défense de façon permanente, QI proposa de construire le long de la grande muraille des tours de guet à l’allure de châteaux forts, les premières de cette espèce. Il proposait que des bataillons de construction de 250 hommes fussent organisés, chaque bataillon devant achever soixante-dix tours par an. Cet ambitieux programme fut par la suite révisé de fond en comble car en réalité le gouvernement impérial n’accorda à Jizhou que la construction de 1200 tours sur les 3000 proposées jusqu’en 1581 au moins, soit plus de dix ans plus tard.

         La tour de guet prévue par QI (graphique 7) avait trois niveaux et un minimum de douze pieds au sommet. Elle devait loger entre trente et cinquante soldats avec leur équipement. Les matériaux de construction comprenant des pierres, des briques et du ciment étaient produits par la main-d’œuvre elle même, soldats du nord pour la plupart enrôlés pour cette réalisation. La subvention accordée par le gouvernement civil, petites quantités d’argent payées directement aux groupes de travaux, était réduite au minimum. Les officiers du nord s’étaient montrés très hostiles au projet. Mais, soutenue par l’influence personnelle toute-puissante de Zhang Juzheng, la fortification fut construite et devint en fait, après sa mort, la seule contribution durable du grand secrétaire à l’empire. Bien qu’on en fasse rarement mention, la construction des tours et la stratégie de défense qui s’y rattachait étaient aussi reliées à la logistique. Dans ses écrits, QI fait ressortir que, alors que chaque donjon pouvait loger un peloton de fantassins, entre cinq et dix seulement de ceux-ci faisaient partie de ses volontaires sudistes, les seuls qui devaient y être stationnés en permanence. Le reste, étant composé de soldats du nord et donc mal payés et en principe subvenant en partie à leurs besoins, était autorisé à rechercher des moyens d’existence quand le service actif lui en laissait le loisir[13]. Cet arrangement fut rendu officiel et le resta pendant quelque temps après que QI Jiguang eût abandonné son poste de commandant  en chef. Après avoir lui même recommandé que ses troupes fussent réparties dans ces forts, QI n’avait aucun motif de s’en plaindre. Mais, ses écrits suggéraient continuellement que si il avait eu le choix, il aurait de beaucoup préféré attaquer et faire une guerre de mouvement.

         La durée du commandement de QI Jiguang à Jizhou – quinze ans – est égale au temps qu’y  passèrent en tout ses dix prédécesseurs. Sa charge l’occupa amplement. Il adorait les manœuvres, les inspections, les cérémonies et faire des conférences. En dépit, de toutes ces activités, il parvint aussi à produire des œuvres littéraires. Son deuxième traité sur l’entraînement des troupes, LIANBING SHIJI fut publié en 1571.

           1.3-Ses libres réflexions sur la stratégie chinoise de son époque

Il est un fait entendu que la théorie stratégique chinoise fut principalement élaborée avant l’unification de la dynastie des  QIN (221-206). Depuis, elle semble avoir stagnée. Bien qu’un nombre important de publications ait été effectué en rapport avec le sujet, la base de la théorie n’a véritablement pas évoluée. D’après les informations que l’on peut détenir, la plupart des livres touchant à la chose militaire ont été rédigés  au cours des périodes fondatrices des dynasties qui ont succédé à la fondation de l’Empire. Selon les écrits du professeur Lu[14], presque 60% du total des 805 fascicules militaires connus et écrits après l’époque QIN, ont été rédigés au cours de trois dynasties. Avec 268 travaux, la dynastie des MING a été la plus prolifique, suivie par la dynastie des SONG (104) et plus récemment, la dynastie des QING (101). Chacune de ces dynasties ont eu à affronter des agressions majeures de la part d’ennemis extérieurs à l’empire et furent de nombreuses fois vaincues, défaites par eux. Il est dans ces cas, pas faux de dire que l’étude de la théorie militaire entre autres choses était une nécessité sociale. Les crises ont obligés les contemporains à lutter pour leur survie et cela a conduit à l’émergence de nouvelles idées.

Cependant, ces efforts ont seulement porté sur la quantité de travaux écrits sans véritablement apporter une rupture théorique avec les préceptes militaires classiques. Cet échec peut en partie être du à l’égale stagnation de la société culturelle et politique chinoise tout au long des dynasties qui ont succédé à la dynastie QIN et HAN, en particulier. L’entraînement militaire fut séparé de l’éducation civile, les soldats ne versèrent pas plus dans la littérature et le paysan ordinaire devint indifférent aux affaires d’intérêt national et par conséquent peu enclin à servir dans les forces armées. Ce changement et la cause de la perte du sens chinois du devoir. Le professeur Lei Bai-Lun[15] décrit ce phénomène comme « une culture sans soldat ». La qualité des troupes chinoises dès lors déclina régulièrement. De plus beaucoup de travaux au cours de cette longue période furent rédigés par des fonctionnaires civils bien plus que par des chefs militaires en activité. Sans expérience de la chose militaire, ces lettrés confucianistes reproduisirent largement les idées des écrits militaires classiques, tels que rédigés par Sun Zi ou Taigong, ou rapportèrent avec force et détails des épisodes de la vie militaire sans intérêt. Les points suivants semblent avoir été les principales sources d’intérêt pour les chroniqueurs de la chose militaire au cours des siècles qui suivirent la publication des classiques militaires chinois. C’est ainsi que Qi Jiguang les répertoria.

a) Du dispositif des troupes :

Le dispositif des troupes  concerne en fait le déploiement des troupes en opération, on parle aussi à l’époque de ‘’formation’’ ;  déploiement et combinaison des troupes qui peut à la fois satisfaire aux opérations offensives comme défensives. Les principes de la stratégie et de la tactique sont en premier lieu décidés par les systèmes d’armes et les équipements employés.  La discussion sur ce thème était au centre des préoccupations des stratèges. Un des plus célèbres du début de la dynastie Ming, He Liangchen[16], ayant une réelle expérience militaire s’ingénia à décrire les postures qu’il convenait de ne pas adopter au combat, et sa conclusion sur ce thème était que plus un dispositif est compliqué, plus il a de chance de ne pas être appliqué sur le terrain. Tant il est vrai que les écrits de cette époque prônaient encore les formations des classiques, telles que celles de Li Quan, en substance, lorsque deux armées se rencontraient sur le champ de bataille[17], elles s’échangeaient des émissaires qui étaient responsables de convenir mutuellement des conditions de date, d’heure, de lieu pour s’affronter. Allant jusqu’à aménager le terrain retenu afin de faciliter les mouvements. Cette vision du dispositif était allée trop loin et par conséquent complètement inapplicable. Le plus grave, remarquait QI Jiguang était que ces observations ne se limitaient pas au niveau tactique et mettaient le plus souvent en jeu des dispositifs de plusieurs centaines de milliers de soldats.

b) L’accent sur le développement technique :

Bien que les lettrés reconnaissaient que tout ce qui pouvait être dit et écrit sur le sujet l’avait été au travers des œuvres de Sun Zi et Sun Bin[18]. En conséquence, ils se contentèrent de compléter ces écrits en décrivant plus en détail les techniques utilisées sans pour autant en amorcer les modifications tactiques et stratégiques induites. L’ensemble de ces travaux décrivaient très précisément  les techniques de fabrication de murs de protection, d’abris, de tunnels, de fossés, d’arbalètes et bien d’autres instruments de défense, tels que du matériel de franchissement des rivières, de moyens de propagation du feu,  mais aussi sur l’utilisation de bannières, de tambours… . Sous la dynastie Ming, des plans de dispositifs de combat et de campements furent dressés, et de nombreux fascicules décrivent en illustration les différentes postures à la monte et à la descente du cheval. Ces écrits ont néanmoins eu un mérite, celui de créer des manuels à l’usage des jeunes soldats et officiers sans expériences du combat, qui pouvaient en user comme manuel de formation et se forger au fil du temps une opinion quant aux affaires militaires.

c) La fabrication d’armes :

Beaucoup de travaux sur l’art militaire sous la dynastie Ming s’intéressèrent à la fabrication de l’armement. La plupart d’entre eux comportaient des esquisses d’armes et outre la façon de les utiliser, décrivaient la façon de les fabriquer. Wang Heming[19] par exemple, s’intéressa aux mousquets et à la poudre, aux ingrédients de la poudre à canon et la façon de les obtenir et de les mélanger. Les discussions sur les systèmes d’armes dans les publications militaires sous la dynastie Ming sont liées également à des circonstances historiques particulières. En effet, depuis le début du XVIème siècle, les contacts entre l’Europe et la Chine sont croissants. Les armes occidentales commencent à être introduites dans l’Empire par les frontières maritimes du sud, notamment par les comptoirs de Hong-Kong et Macao. Les études portent donc sur des comparaisons de capacité entre les mousquets occidentaux, les mousquets japonais et les roquettes traditionnelles chinoises.

Bien que les armes à feu n’étaient que très occasionnellement utilisées dans l’armée impériale sous la dynastie Ming, aucun stratège n’avait analysé l’impact de telles armes sur la stratégie globale et la conduite de la guerre. En fait, les théories classiques de la stratégie avaient atteint un tel niveau de sublimation intellectuel dans la conscience de l’élite impériale qu’elles ne pouvaient être remises en cause. La prééminence des armes traditionnelles qu’étaient l’arbalète, la lance, la fourche, le fléau et bien d’autres armes en bois ou faiblement métallisées était indiscutée, et même QI Jiguang ne perçu pas complètement le niveau de changement que les armes à feu introduisaient dans la conduite d’un combat et bien au-delà, à tel point qu’il privilégia pour l’équipement de ses troupes, les armes traditionnelles. Les armes à feu étaient pourtant présentes, mais représentaient en quelque sorte un épiphénomène.

d) Le Yin, leYang et la superstition :

Alors qu’aucun stratège classique ne mentionne sérieusement la superstition comme stratégie circonstancielle, toutes les références à de tels travaux sont datées de la dynastie Tang et surtout avec l ‘apparition du Taoïsme. En effet, de nombreux travaux sur la stratégie font mention du ciel, de la terre, des astres, de la nature, de l’opportunité, de l’univers et de bien d’autres termes métaphysiques. On ne peut pas nier dans une certaine mesure que les théories militaires représentent une part de la culture nationale et ont leur racine en elle. De ce fait la stratégie militaire de cette époque ne pouvait pas s’affranchir du courant majeur dans lequel était baigné la culture nationale. La théorie du Yin et du Yang et de la divination, bien qu’interdite dès la fin de la dynastie Han, avait pénétré très profondément la conscience collective et encore sous les Ming, de nombreux lettrés, tout confucianistes qu’ils étaient, portaient en eux une part d’irrationnel et qui influençait la conduite globale des affaires de l’Empire, dont la conduite de la guerre était.  

II.2-Ses écrits militaires

         2.1-Ji Xiao Xin Shu (théorie complète sur l’art de diriger l’Armée)

a) Sélection des soldats, formation des troupes, enseignement sur l’utilisation des armes et leur fabrication :

Combattre ce n’est pas se bagarrer et faire la guerre n’est pas se battre : Le rassemblement de quelques personnes pour batailler, n’équivaut pas au rassemblement d’une armée. Pour former une armée digne de ce nom, il faut  des règles bien précises : comment la composer; comment sélectionner les soldats selon leur origine, comment les former et comment les commander. Chaque dynastie, chaque génération ont leurs propres règles selon leurs besoins propres. La Dynastie des Ming a été établie suite à des révoltes  paysannes. Par conséquent, ses armées sont essentiellement composées de gens d’origine paysanne. Depuis sa fondation, les premiers empereurs se sont efforcés de garder toujours un œil sur l’armée, et sur les éventuelles réformes possibles  pour l’améliorer. Il a été établi le dispositif de garnison (WEI SOU =siège) et on pratique le système héréditaire des simples soldats aux officiers supérieurs, à l’exception des généraux. En effet, le fils d’un soldat sera soldat, et le fils d’un officier sera officier. Un proverbe chinois dit :  « le dragon  génère le dragon ; le phénix met au monde un phénix et le fils du rat sait faire le trou, mais pas le chat ». Toutefois, dès le début des années de Jia Qing, ce système est presque entièrement paralysé. Les fils des soldats même incapables sont soldats malgré eux, les héritiers des officiers paient souvent pour éviter d’être engagés dans l’armée. La conséquence, est que lorsqu’il se produit des attaques  wokou, neuf fois sur dix les troupes de Ming perdent le combat. QI Jiguang a bien cerné le problème et est fermement décidé à le résoudre là où il se trouve. Il a décidé alors de former une nouvelle armée, son armée qui sera différente des autres armées de garnison. Pour cela, il a établi tout une théorie complète de l’entraînement et du commandement, puis l’a mise en application. Selon les expériences, il complète son corpus théorique et sa théorie est devenue une partie essentielle du fond  théorique stratégique militaire chinois.

-Sélection des soldats-

Chaque dynastie a ses propres critères dans la sélection de ses soldats. Dès l’époque  des Printemps et Automne (de 722 à 453 avant J.C.), les guerres sont très fréquentes, et le besoin de soldats est prégnant, alors, la sélection se fait moins rigoureuse, et de façon très large. Que ce soit du point de vue de la qualité des hommes  ou du point de vue de la provenance géographique, c’est la quantité qui prime. Pour les Ming, un empire uni, les guerres et les combats sont moins fréquents. C’est plutôt la qualité des soldats qui prime. La qualité c’est tout d’abord attacher une grande importance à l’origine des soldats. QI Jiguang sélectionne de préférence les paysans et les mineurs, proches de la terre ainsi que les gens habitués aux combats de toute nature. Par contre, les citadins astucieux des bourgs et des villes ainsi que les gens rusés sont à éviter dans la sélection. Ensuite, entre en ligne de compte la nature. On ne se contente pas de voir s’il a l’air « fertile et grandiose », ni s’il sait oui ou non manipuler l’arme ou encore s’il est fort ou adroit, ce qui compte le plus, le critère essentiel du recrutement c’est le courage. C’est à dire que l’accent est mis sur le courage, et les autres qualités n’interviennent qu’ensuite. « L’esprit saint et l’aspect courage se combinent »[20] . En 1559, lors du recrutement effectué par QI Jiguang à Yiwou, c’est précisément selon ces critères que les soldats sont sélectionnés. Cette troupe est devenue, après un entraînement intensif, une troupe d’élite nommée et connue sous l’appellation : « troupe de la Famille de QI ».

Si QI Jiguang met l’accent sur le courage des hommes dans le recrutement de ses troupes, c’est en effet pour répondre à une réelle carence. Car selon QI Jiguang, si les troupes de Ming, perdent dans la lutte qui les oppose aux wokou, c’est essentiellement du au fait que les hommes qui les composent manquent de courage et ne veulent pas combattre. Quand les ennemis sont loin, ils arrivent à se défendre avec les armes à feu mais dès qu’ils  s’approchent, les soldats s’enfuient en une véritable débandade afin de sauver leur propre vie en abandonnant tout leur équipement. Le problème ainsi identifié appelle ce remède approprié. C’est ainsi que le courage de l’homme devient le critère N°1 dans le recrutement. Cette méthode est assez spécifique et se distingue des méthodes de recrutement des autres hauts fonctionnaires militaires. Car, à la même époque, les autres fonctionnaires militaires recrutent selon des critères plus classiques. Par exemple :

– Tan Len préfère les jeunes de bonnes familles et capables de soulever plus de 200 jin  soit environ 100 kilogrammes.

– Quant à Yu Da Yu,  il sélectionne les hommes  entre 20 et 30 ans

dotés d’un regard perçant, capables de soulever un sac contenant des pierres d’un poids d’environ 200 jin (=100 kilogrammes environ).

– Xu Qi Guang a mis la barrière plus haute, car pour lui,

il faut que les futurs soldats possèdent les 4 qualités essentielles que sont le courage ; la force ; la vitesse ; et la maîtrise de l’art du combat (arts martiaux).

En comparant avec les critères de QI Jiguang, les uns mettent trop l’accent sur la force physiques et les autres, sont trop exigeants sur la qualité car bien peu de personnes peuvent répondre en même temps à ces 4 critères. Ce qui explique qu’ils ont du mal à recruter et à obtenir des troupes aussi combatives que celles de QI Jiguang. En ce qui concerne la réalisation de son recrutement, QI Jiguang a préféré que la hiérarchie supérieure choisisse la hiérarchie inférieure, le chef de troupe sélectionne les officiers, les officiers choisissent les sous-officiers et ces derniers choisissent les simples soldats. Ainsi d’une part, les soldats sont choisis par les chefs qui les connaissent et qui croient en eux pour remplir correctement les fonctions et les tâches qu’ils auront à leur confier plus tard. D’autre part, si les gens sélectionnés manquent de rigueur dans leur travail et leur comportement, sa hiérarchie supérieure est directement concernée et mise en cause. Par conséquent, les hiérarchies sont doublement liées entre elles. Elles sont unies et agissent comme une seule personne, que ce soit tant dans la vie quotidienne qu’au combat.

– La formation des troupes–

Bien sélectionner ses soldats tel est le principe de base pour la constitution de la troupe, mais, ce n’est qu’un début. L’étape suivante concerne justement la formation de la troupe. Sur ce point, Tan Len, Yu Da Yu et QI Jiguang partagent le même point de vue, c’est à dire que le contrôle des troupes doit accompagner fermement la formation, il s’agit presque d’un préalable. Selon QI Jiguang, « les troupes sans contrôle ne font guère une armée »[21]. Le contrôle issu de la formation des troupes signifie concrètement que l’organisation des rapports entre les soldats et les officiers est basée sur une différenciation par le grade : chef de bataillons, chef de compagnie, chef de section et chef d’escouade. La hiérarchie supérieure a le contrôle total et réel de celle qui lui est inférieure et c’est ainsi du haut vers le bas dans toute l’armée. Ce système garanti l’efficacité des ordres donnés.

Une autre idée directrice prévaut dans la formation des troupes. Il s’agit de faire correspondre cette formation aux futurs combats à mener et de maintenir continuellement une mise à niveau de celle-ci. Par exemple, l’une des formations essentielles et réellement efficace dans la lutte contre les wokou est la « formation du canard mandarin = Yuan Jang Zheng». Ainsi, lors de la formation des troupes, on doit en tenir compte et faire en sorte de la rendre facilement réalisable et adaptable. Dans ce but l’escouade (12 soldats) est l’unité de base pour l’engagement des troupes, car c’est également l’unité de base pour la réalisation de « la formation du canard mandarin » lors des combats. L’escouade permet aussi les adaptations de « la formation du canard mandarin » qui sont « San Cai Zhen = la formation à trois talents et Liang Yi Zhen = la formation à deux prestances ». Par contre, pour les troupes qu’il formera plus tard au nord de la Chine pour la lutte contre les cavaliers mongols, l’unité de base sera le bataillon. Car, les bataillons de chariots seront les formations de combat les plus utilisées, et qui  s’adapteront le mieux aux impératifs des combats. Cette logique d’adaptation a plusieurs avantages : simplifier la gestion et faciliter les entraînements afin de créer une harmonisation globale à l’intérieur de l’armée. Dans la vie quotidienne, les hommes d’une escouade vivent et s’entraînent toujours ensemble, le chef connaît ses soldats et  les soldats se connaissent entre eux. Lors des combats, ils coordonnent leurs efforts et sont solidaires en formant une unité fortement soudée. C’est une façon efficace de transformer le combat, en leur combat.

Cette organisation explique bien la différence des formations entre les troupes communes des Ming et celles de QI Jiguang. Lors de la lutte contre les wokou, au sud de la Chine, il forme des escouades composées de 12 soldats. 4 escouades forment une section, 4 sections une compagnie, 4 compagnies un bataillon. Chacune des formations est en mesure d’exécuter « la formation du canard mandarin » : une tête , deux ailes, et une queue. Cette formation est différente de celle appliquée dans l’armée des Ming, car en effet :

– il n’y a pas de corrélation entre la formation à l’entraînement des troupes et celle qu’elles adoptent au combat ;

– la formation des troupes des Ming est plutôt un système quinternaire ou déca ternaire. Par exemple, 10 petits drapeaux forment un cent-poste. 10 cent-poste forment un mille-poste et 5 mille-poste forment un WEI, équivalent d’un régiment. Dans 1 petit drapeau, il y a 11 soldats. Mais, QI Jiguang  n’a pas tout modifié, car dans 1 petit drapeau des troupes de Ming il y a 11 soldats. QI Jiguang dans ses propres troupes  a ajouté 1 chef cuisinier ce qui fait en total une escouade composée de 12 soldats.

Un proverbe chinois dit que « Avec l’indigo on fait le bleu qui est plus foncé que l’indigo ». C’est ce que fait expressément QI Jiguang. Car après avoir étudié le système militaire des troupes des Ming, QI Jiguang essaie de l’améliorer et de l’adapter plus au combat. Dans le chapitre intitulé « Contrôle des troupes » du Tome n°18 de Ji Xiao Xin Shu, il a également fait remarqué que « les règles viennent des lois mais ne doivent pas en toute circonstance être suivies à la lettre ».

– Equipement des troupes–

La troisième étape après avoir recruté les soldats, formé une armée et équipé les hommes : on ne peut pas faire de combats sans être armé. La question est comment les armer. Selon QI Jiguang, « les armes à long manche et celles à petit manche se mélangent ; les armes d’attaque et celles de défense se combinent[22] ». Il a également écrit dans le Chapitre n° 3 « les mains et les pieds » Tome n°14- Ji Xiao Xin Shu que :

–         si l’on a beaucoup de soldats pour l’attaque à distance et peu de soldats pour la défense proche, on perd lors des luttes au corps à corps ;

–         s’il y a peu de monde pour l’attaque à distance et beaucoup dans la défense proche, on peut perdre le combat dès le début sans même avoir eu le temps de se défendre ;

–         si le nombre des soldats disposés pour l’attaque à distance et pour la défense rapprochée ne s’harmonise pas, même si l’on est plus nombreux, c’est comme si l’on était très peu nombreux.

Ce qui montre que l’armement d’une armée n’est pas une affaire à prendre à la légère, il faut suivre un certain nombre de règles pour obtenir un juste équilibre. Ces règles sont le mélange des armes de différents effets et la combinaison des armes selon leur fonction et leur portée. L’équipement de l’escouade dans « la formation du canard mandarin » est un bon exemple du respect de cet équilibre : devant il a placé 2 boucliers en rotin suivis de deux Lang Xian = bâton avec les dents de loup, après, 4 arbalètes et à la fin, c’est 2 Tang Ba = armes à petits manches. Ainsi les deux boucliers et les bâtons avec les dents de loup servent à se protéger contre les flèches et coups de cimeterre, donc ce sont des armes de défense. Les deux Tang Ba, armes à petit manche sont placées juste derrière les arbalètes et ferment  la formation. Ainsi les arbalètes, armes décisives, sont protégées devant par les bâtons et boucliers et derrière par les Tang Ba afin que les ennemis ne puissent pas s’en emparer. L’association de ces types d’armes avec des fonctions et des portées différentes peuvent ainsi accroire la capacité d’une unité d’attaque. Les soldats d’une même escouade avancent, se défendent ou encore attaquent tous ensemble en formant un ensemble homogène et dont la puissance est optimisée par cette formation. Les victoires remportées par QI Jiguang sont les meilleures preuves de cette association bien réussie.

QI Jiguang essaie non seulement de bien associer les armes entre elles, mais aussi les hommes avec les armes. En effet, «les armes différentes sont attribuées aux hommes selon leur nature et leur force[23]». Cela veut dire concrètement que les soldats d’âges, de capacité physique, et de nature différente ne doivent pas utiliser les mêmes armes. Bien au contraire, ils doivent avoir des armes qui correspondent à leur propre état. C’est ainsi que l’on arrive à optimiser à la fois la puissance de l’arme et la capacité de l’homme. Par exemple, dans « la formation du canard mandarin », les personnes les plus calmes et en possession d’une grande force sont sélectionnées pour utiliser les arbalètes. Quant aux plus jeunes et plus rapides, ils manipulent plus facilement et efficacement les boucliers en rotin. Les plus robustes et expérimentés se voient attribués les bâtons avec les dents de loup. « A chacun de déployer ses talents » et « A chaque arme de fournir le maximum de ses capacités».

– Fabrication des armes–

Maintenant que l’on possède des hommes organisés et formés prêts à manipuler une arme adaptée à leur capacité. Quel choix d’arme opérer ? Les ancêtres ont dit « permettre aux soldats d’utiliser des armes non efficaces, c’est donner la vie de ces soldats aux ennemis». Car les armes non efficaces exposent la vie des soldats inutilement. C’est pour cette raison précise que QI Jiguang est très exigeant au niveau des armes. Il indique que, « c’est  vain d’avoir des soldats d’élite si ils ne sont pas équipés par des armes de pointe[24] ». Il  explique même le procédé de  fabrication des armes à feu dans son livre au chapitre 3- Les mains et les pieds- tome n°14 : « Pour avoir de bonnes armes à feu, il faut travailler le fer lorsqu’il est chaud, on enveloppe les deux côtés tout d’abord et après, on le tape sur une enclume et on réalise un long évidement dans le tube d’acier ainsi obtenu. Le trou doit être assez petit pour avoir une meilleure précision… ». QI Jiguang a aussi précisé la fabrication des autres armes. Il tient également à ce que ses armes soient fabriquées dans les meilleures manufactures, et non comme cela se passe encore trop fréquemment, par des artisans qui viennent fabriquer sur place dans les casernes et de manière rudimentaire. Car il a la certitude que les armes fabriquées en manufacture ont une qualité meilleure. Il tient également à ce que les chefs militaires s’investissent eux-mêmes dans la surveillance de la fabrication au lieu de confier tout simplement la commande à un service et attendre la livraison, car sans la participation directe des hommes qui vont utiliser ces armes. La fabrication non « motivée » ne peut pas être de la meilleure qualité. Aussi, si il y a des problèmes de fonctionnement, ce sera trop tard pour les corriger au moment de la livraison. D’ailleurs, la conception et la fabrication des 44 bateaux de combat commandés pour la marine, engagée dans la lutte contre les wokou, ont été suivies par QI Jiguang lui même. En résumé, Pour la fabrication des armes, il faut utiliser les meilleures techniques et les meilleurs artisans et les faire travailler dans les meilleures conditions. Il convient en plus, de faire exercer par les chefs militaires, une surveillance constante tout au long du processus de fabrication. Tel est, selon QI Jiguang,  le secret pour avoir les meilleures armes.

QI Jiguang insistent non seulement sur le fait qu’il faut avoir des armes de bonne qualité, mais en plus il veut que ces armes soient supérieures en tout point à celles des wokou. Il dit « Quelles sont les armes utilisées par l’ennemi ? Nous devons exiger que les nôtres soient bien meilleures. De la sorte, avant même que les  armes ennemies n’arrivent à nous toucher, nous ripostons et  l’atteignons ». Ainsi les armes ennemies, même miraculeuses, ne servent plus à rien car elles sont moins performantes que celles des Ming[25]. Il a aussi précisé « En ce qui concerne les affaires d’armes, les performances des unes ne peuvent pas compenser les défauts  des autres, c’est la raison pour laquelle chacune de nos armes doit être meilleure que celles des wokou. Par exemple, s’ils ont des  arcs et des flèches performantes, alors avec quoi allons nous pouvoir les surpasser. Si ils ont de très bonnes armes blanches, alors avec quoi allons nous pouvoir les vaincre. Si ils attaquent avec des chevaux et des chariots par milliers, alors, avec quoi pourrons-nous nous défendre ». Cette énumération met en évidence qu’aucun système d’armes ne doit être négligé et que pour chacun d’eux, les troupes de QI Jiguang doivent  en être mieux dotés. Mais, quand QI Jiguang parle de supériorité d’une arme, il faut comprendre quelque chose de parfois plus global et qui ne se limite pas uniquement à la qualité, mais englobe des notions telles que la quantité et la combinaison dans le combat. Par exemple, les wokou sont très habiles dans le maniement des arbalètes et ces armes sont en général de bonne qualité. Alors, les troupes de QI Jiguang doivent  utiliser la combinaison de plusieurs sortes d’armes pour les surpasser : le bouclier, l’arme à feu, le bâton à long manche…. Les envahisseurs mongols sont redoutables au niveau de l’utilisation des arcs et des lances, pour les vaincre, QI Jiguang a en priorité fait équiper ses troupes avec des armes à feu et des canons qui lancent des cailloux. De cette façon les armes ou bien la combinaison des armes sont choisies pour que les armées des Ming soient toujours en mesure de se défendre ou de défendre une position, laissant à l’adversaire  nul avantage dans aucun domaine pour qu’il puisse  triompher.

Pour y arriver, il faut sans cesse améliorer, réformer et créer de nouvelles armes ainsi que de nouveaux équipements de campagne. QI Jiguang aimait à dire :« les armes usées doivent être remplacées, les armes détériorées doivent être réparées, quant à celles qui n’existent pas, on doit les inventer ».C’est ce qu’il a fait. Lorsqu’il est au sud de la Chine, ce n’est pas lui qui a inventé le bâton de dents de loup (Lang Xian), mais, c’est bien lui qui à grande échelle, a commencé à équiper les troupes avec cette arme. Il a de même, créer le bateau Tong Jiao. Pendant ses exploits au nord de la Chine, il a amélioré le canon de tigre assis (Hou Dui Pao) et inventé deux autres types de canon. En un mot, au sud comme au nord, QI Jiguang cherche toujours à améliorer l’équipement de ses troupes c’est pour cette raison que son armée est réellement mieux équipée que ses adversaires, un autre secret de ses victoires.

Des soldats de haute qualité intégrés dans une organisation rigoureuse et équipés d’armes performantes suffisent-ils pour gagner une guerre ou même un combat ? La réponse que formule QI Jiguang  est négative, car, les troupes ainsi constituées doivent être entraînées pour pouvoir combattre.

b)Entraînement aux ordres, à l’art du combat, à la formation des troupes et au courage :

En chine aujourd’hui, les livres ou les  films, qui ont pour thème les guerres de  l’ancien temps, mettent souvent en avant un commandant des troupes très héroïque qui charge seul  les soldats adverses et qui en abat tellement en si peu de temps, que ses propres troupes ne servent que de décor pour l’ordre de bataille, et se contentent  de suivre leur chef  en criant très fort pour le seconder. La réalité fut tout autre chose. Selon QI Jiguang « les chefs doivent vraiment être très courageux, mais, eux seuls  ne peuvent attaquer plusieurs ennemis à la fois, encore moins plusieurs dizaines et sûrement pas plusieurs milliers. Pour gagner un combat, il faut compter sur les soldats ».

De tout temps, les soldats ont toujours été la masse principale de la guerre. Même les chefs militaires les plus brillants, sans des soldats courageux, bien entraînés et qui ne sont pas saisis d’effroi au moindre  bruit de l’ennemi, ne peuvent espérer obtenir une victoire. C’est la raison pour laquelle, QI Jiguang insiste sur l’entraînement des soldats. « Etre bien entraînés, c’est le travail des soldats[26] »..Il a également dit :« La guerre doit commencer par l’entraînement des soldats » (Ming Jing Shi Wei Bian). Mais également, « on doit s’entraîner à l’attaque, mais aussi à la défense » (Tome 4 = Les paroles à Deng Xie =Deng Xie Kou Shao de « Les notes diverses de Lian Bing Ji Shi = Lian Bing Ji Shi Za Ji).

– Entraînement à l’obéissance et aux ordres–

Selon QI Jiguang « les ordres, les drapeaux et les tambours sont les gestes les plus importants pour  maîtriser une armée une fois que celle-ci est formée en rangs » (Tome 2 = Les ordres, dans Ji XiaoXin Shu et Er Mu Pian du Tome 3 de Lian Bing Shi Ji). Si les soldats ne connaissent même pas les ordres, comment peut–on parler de l’entraînement? Dans l’ancien temps, les ordres sont donnés par des drapeaux et des tambours comme indiqué dans le chapitre « la guerre » de « Sun Zi Bing Fa » « pour les combats de nuit, on utilise le plus souvent les gongs et les tambours ; pour ceux de jour, les drapeaux ». Sans les moyens modernes de transmission des ordres, on fait retentir les tambours pour faire avancer les soldats et les gongs pour les faire arrêter ou reculer. Il faut toujours suivre la direction indiquée par les drapeaux. Pour entraîner ses soldats à obéir aux ordres donnés par le chef, QI Jiguang a procédé de la façon suivante :

# Retenir les codes par cœur.

En effet, il a établi une convention complète des ordres transmis au moyen des drapeaux, des gongs et des tambours. Il fait imprimer cette convention sous forme de livrets et les distribue aux soldats. Chaque escouade doit se rassembler pour les étudier code par code. Les soldats qui savent lire les lisent aux autres. Après la lecture, c’est la compréhension. Les soldats discutent ensemble afin que  tout le  monde ait bien compris chaque ordre, chaque code.

Pour QI Jiguang, la compréhension ne suffit pas, « il faut surtout  retenir par cœur chaque code et sa signification ». Lors des examens et des contrôles du savoir tactique : Un article oublié par un soldat se solde par un coup de bâton. En revanche, si un soldat commet une faute sans gravité, et s’il arrive à réciter la plus grande partie de l’article, il peut éviter les coups de bâton.

# Obéissance aux ordres et aux codes et application absolue.

« Lors de tout entraînement ou tout combat contre les adversaires, les ordres et les codes doivent être appliqués au mot à mot ». Par exemple, quand les tambours sonnent, les soldats doivent avancer, peu importe qu’il y ait de l’eau ou du feu devant eux, ils doivent avancer si les tambours n’arrêtent pas. Quand les gongs sonnent, les soldats doivent arrêter, peu importe qu’il y ait des montagnes d’or et d’argent. S’ils ne se sont pas arrêtés au moment des gongs et continuent à avancer, ils doivent reculer jusqu’où ils devaient s’arrêter[27].. Afin que les soldats obéissent de façon absolue aux ordres, QI Jiguang a également mis en place les mesures nécessaires à l’obéissance. Ces mesures sont très simples, ce sont les punitions. « Si quelqu’un n’obéit pas aux ordres reçus, mais que cela n’a pas occasionné de conséquences graves, l’attacher et le frapper suffira à le punir. A contrario, si quelqu’un n’obéit pas aux ordres reçus, et de ce fait génère de graves conséquences, on doit lui appliquer la punition militaire, qui peut aller jusqu’à la mort[28]». On peut dire que QI Jiguang a rédigé des instructions disciplinaires très sévères, car même l’auteur d’une désobéissance ou d’une mauvaise compréhension des ordres qui ne  génère aucun conséquence, doit  aussi être attaché et frappé. C’est de cette façon que le général QI Jiguang est toujours parvenu à faire obéir sans exception l’ensemble de ses soldats aux ordres.

La transmission des ordres par les drapeaux, les tambours et les gong est un art du commandement militaire, mais faire obéir les soldats à ces ordres donnés en est un autre. Nombreux sont les stratèges classiques qui ont eu l’occasion de s’exprimer sur le 1er point.  Sun Zi dans son livre « Sun Zi Bing Fa » ou encore Cao Cao dans « les commentaires de Sun Zi Bing Fa ». Selon Sun Zi « Commander une armée, c’est comme commander une petite troupe, la différence se trouve dans les moyens de transmission des ordres ». Mais sur le second point, c’est à dire comment s’assurer de la parfaite obéissance aux ordres, aucun « classique » n’a donné plus de précision et démontré autant d’intérêt que le général QI Jiguang. Il a justement rempli ce vide, car il a traité de ce sujet dans les détails.

Entraînement à l’art du combat

L’art du combat c’est la technique d’utilisation des armes à feu ou des armes blanches, donc l’art d’anéantir les ennemis. « Si l’on fait combattre des soldats n’ayant pas la maîtrise des armes, cela équivaut à les envoyer se faire tuer par les ennemis »(Chapitre 10-Commentaires sur les armes à long manche et à court manche= Chang Ping Tuan Ping Shuo Pian – Tome 18 Ji Xiao Xin Shu). Plus d’un tome sur les 18 tomes de son livre traitent de l’art et des techniques de manipulation des différentes armes. QI Jiguang a vraiment mis l’accent sur ce sujet pour deux raisons : l’une parce qu’il est convaincu que l’art du combat est primordial pour un soldat ; l’autre raison est pour renverser la mode de l’époque. Il existe deux écoles dans cet art, l’une consiste à faire de l’art pour l’art, c’est l’art du combat pour la démonstration. Très varié dans la formation, il est très impressionnant à voir, QI Jiguang l’appelle « l’art fantaisiste ». Quant à la 2ème école, elle est plus réaliste mais les postures sont  peu variées, QI Jiguang l’appelle « l’art vrai ». car chaque attaque est dirigée vers un point précis et mortel. QI Jiguang explique dans ses livres qu’il faut surtout éviter la 1ère école car lors d’un combat c’est une question de vie ou de mort, on ne peut pas se permettre de commettre la moindre erreur. « En ce qui concerne l’art du combat, il faut l’apprendre comme un vrai art pour attaquer les ennemis ou encore pour lutter contre eux, il est interdit d’apprendre « l’art fantaisiste ». « Chaque jour d’entraînement doit avoir son effet.  Maîtriser une arme, c’est s’assurer un avantage pour gagner »    ( Le préambule de « Les questions sur Ji Xiao » = Ji Xiao Hou Wen, de « Ji Xiao Xin Shu »).

Alors comment faire pour que les soldats arrivent à maîtriser cet art ?. Tel est le procédé appliqué par QI Jiguang :

1/ Initier la propre conscience des soldats

Il explique clairement aux soldats dans le Chapitre 4 -Les ordres d’interdiction importants et conseillés aux soldats = Yu Ping Jin Yao Jin Ling Pian du Tome 18 de Ji Xiao Xin Shu. QI Jiguang s’exprime ainsi : « En ce qui concerne l’art du combat, ce n’est pas un service que tu as promis de rendre aux officiers, mais un moyen  qui doit te permettre de te défendre, d’acquérir les mérites, de tuer les ennemis et de sauver ta propre vie. Si tu le maîtrises bien, tu arrivera à anéantir ton adversaire, alors, comment peut-il te tuer ? Si tu le maîtrises moins bien que ton adversaire, il te tuera. Celui qui ne veut pas s’entraîner est un idiot qui ne vaut pas sa vie ». Dans le même tome de ce livre, dans le Chapitre intitulé « La récompense et la punition des concours de l’art du combat = Bi Jiao Wu Yi Shang Fa Pian, il indique « il faut que tout soldat connaisse l’avantage et le plaisir de l’entraînement et de la maîtrise de l’art du combat de façon qu’il ne veuille plus s’arrêter de s’entraîner, car ce n’est pas pour remplir un service qu’il le fait ». Il tient vraiment à ce que tout le monde comprenne cette évidence : s’entraîner,  pour soi-même, et non pas pour les autres.

2/Enseigner.

Les chefs militaires doivent expliquer aux soldats les fonctions, ainsi que les techniques propres au maniement de chaque arme. Quant aux arts martiaux, il faut les enseigner position par position jusqu’à une réelle maîtrise.

3/La récompense ou la punition suite au contrôle

Le niveau de chaque soldat doit être contrôlé régulièrement. Lors d’examen, on mesure le niveau réel de chacun face aux ennemis. Pour les armes à feu, on installe des cibles, et pour les armes blanches, on fait s’affronter les soldats entre eux. On classe à la suite des examens les soldats en 3 classes : supérieure, moyenne, inférieure. Chaque classe est divisée en 3 niveaux. Dès le 1er examen , on attribue une note à un soldat qui pourrait être par exemple, «niveau de la classe moyenne », cette note est enregistrée. Lors de l’examen suivant, « celui qui avance d’un niveau sera récompensé d’un Feng d’argent ( le Feng est une unité de mesure de poids), celui qui réussit à avancer de 2 niveaux, 2 Feng d’argent, celui qui accède au niveau supérieur, 5 Feng d’argent. Par contre pour ceux qui restent au même niveau sans aucune progression  et si c’est la 1ère fois qu’ils stagnent, ils n’encourent pas de punition, en revanche si c’est la 2ème fois, ils doivent être corrigés de 5 coups de bâton, la 3ème fois, c’est 10 coups de bâton. Plus de 5 fois, sans progression :40 coups de bâton ou encore, ils sont affectés à des tâches non guerrières et pas forcément moins pénibles[29]». La punition ne se limite pas aux soldats contrôlés mais s’applique également à leurs sous-officiers et officiers responsables de leurs escouades. Autrement dit les responsables hiérarchiques sont liés aux  résultats obtenus par leurs soldats et auront les récompenses ou à l’inverse, les punitions méritées suite aux examens. Si le résultat global est supérieur au plus bas niveau de la classe supérieure, ils seront récompensés. Si ce résultat est inférieur au plus bas niveau de la classe moyenne, ils seront punis selon la gradation suivante: chef du bataillon, 10 coups de bâton ; chef de compagnie, 20 coups bâton, chef de section, 30 coups de bâton. Si le résultat est franchement médiocre, les punitions seront très lourdes. Les responsables des unités qui obtiennent de tels résultats seront dégradés et pour ceux qui ont les plus mauvais résultats, il y aura  destitution ou ils ne recevront que la moitié de leur solde jusqu’aux prochains examens. Face à une telle pression, l’entraînement dans l’art du combat n’est plus une affaire personnelle, mais collective : les intérêts de chaque individu sont liés entre eux. Non seulement les soldats doivent bien s’entraîner mais aussi leurs chefs doivent tout faire pour les y encourager.

L’entraînement des soldats à l’art du combat est assez courant dans les armées de la Dynastie des Ming. Toutefois, aucun écrit ne le détaillait, et il dépendait pour beaucoup de la plus ou moins bonne inspiration des généraux locaux. QI Jiguang, a non seulement mis l’accent sur la nécessité de l’entraînement, mais également sur l’art qu’il faut enseigner aux soldats (l’art réel). Il a fondé une organisation complète pour que cet entraînement soit efficace mais pas un devoir à remplir pour la bonne conscience des officiers. L’aspect le plus novateur dans sa démarche a été de lier les intérêts des uns avec les autres, les soldats avec leur chef hiérarchique. Il est parti de l’idée que dans le combat, la préservation de leur vie est liée à la performance de chacun d’entre eux, par conséquent, dans la vie quotidienne, notamment lors de l’entraînement leurs intérêts doivent également être liés afin de créer une unité solidaire et harmonieuse.

–Entraînement aux formations de combat–

La formation de combat c’est la position et le contribution de chaque soldat lors des combats. Tous les stratèges de l’ancien temps parle de la formation de combat. Sous la période Ming, il existe deux tendances : l’une consiste à rechercher la perfection, la formation est ainsi devenue tellement complexe qu’on a de plus en plus de mal à la réaliser sur le terrain. L’autre consiste à nier  la nécessité des formations de combat pour mener les combats. L’un des mandarins de Ming, Cai Kuan se moque de son prédécesseur, le mandarin Yang Yi Qing qui est fervent adepte de tels entraînements, en écrivant les phases suivantes : « les intellectuels sans courage ni stratagème entraînent et répètent tous les jours des formations de combat, ce qui est tristement risible ». Pour lui, des soldats courageux et des chefs décidés suffisent pour gagner un combat. Quand les ennemis sont repérés, les chefs donnent l’ordre d’avancer et ces derniers ne font qu’avancer sans reculer, à quoi peut donc servir les formations de combat ?. On mesure la portée de ce point de vue, si  un haut fonctionnaire pense ainsi, que peut-t-on attendre des simples chefs militaires ?.

QI, quant à lui ne veut suivre aucune des deux tendances, et pense que les formations de combat sont des outils pour gagner un combat donc, elles ont  leur place dans la stratégie militaire, mais encore faut-il les adapter. Il a inventé la « formation du canard mandarin », la « formation d’une tête, deux ailes et une queue », la « formation des chariots/fantassins /cavaliers » etc. Il a dit :« maintenant que les soldats connaissent les ordres, les règles d’obtention des récompenses et de d’application des punitions, ils doivent être entraînés sur les champs de bataille afin d’apprendre les règles d’attaque, de défense et de repli, et surtout les formations de combat qui seront appliquées lors des batailles» (Tome 8 – l’entraînement des formations de combat avec les drapeaux et les tambours- Cao Lian Ying Zhen Qi Gu Pian- chap.10 de Ji Xiao Xin Shu). Ici, encore comme pour l’art du combat, il insiste pour que les soldats s’entraînent à réaliser des formations pratiques et faciles  donc efficaces, mais pas celles qui sont compliquées et jolies à voir, aussi faciles à briser pour l’ennemi. Car « les armes combinées ainsi que l’art du combat et les formations de combat, servent à tuer les ennemis, pour cela il est inutile d’être agréable au regard. » (les questions et réponses de Ji Xiao-Ji Xiao Xin Shu Hou Wen), donc, « lorsque l’on s’entraîne  au quotidien, on doit exécuter les mêmes gestes que ceux appliqués lors des véritables combats. ainsi lors des vrais combats, on n’a juste qu’à appliquer ce que l’on a répété au quotidien ».

Les grands stratèges organisent eux aussi leurs troupes selon des formations différentes et les utilisent lors des combats. Dans « Wu Zi », lorsque la formation est en cercle, on la transforme en carré ; lorsqu’elle est en avance, on l’arrête ; lorsqu’elle est divisée, on la regroupe ; lorsqu’elle est unie, on la divise. Il faut étudier chaque changement, chaque transformation et après, les enseigner aux soldats. » Mais, malheureusement, il n’a porté aucune précision sur la façon d’entraîner les soldats pour qu’ils arrivent à transformer une formation initiale en une autre formation. QI Jiguang a pu apporter d’importantes contributions dans les deux domaines suivants :

1/ La progression par étape.

Tout d’abord, chaque soldat doit s’entraîner à maîtriser l’arme, (graphique 8) qu’il utilise et l’art du combat. Une fois que le contrôle est passé, et que l’on a la certitude que chaque soldat a des acquis suffisants, alors, on démarre l’entraînement pour la formation de combat. L’entraînement commence par escouade, et une fois que les escouades connaissent chacune leur propre position, on les rassemble quatre par quatre, donc on commence l’entraînement par section. Après, on rassemble les quatre sections pour former la compagnie, ainsi de suite pour les bataillons et pour l’armée.

2/ La combinaison des entraînements au camps et sur le terrain

QI Jiguang ne pense pas qu’il faut se contenter de l’entraînement aux formations  dans les camps. Car selon lui « une fois que les exercices sur les champs de manœuvre sont finis et maîtrisés, il faut sortir du camps et aller dans les villages et les campagnes pour pouvoir s’entraîner sur les véritables terrains de combat, ainsi, lors de combat, on ne commettra plus d’erreur. Sinon, les soldats entraînés uniquement dans les terrains d’exercice sans jamais connaître les campagnes, auront des problèmes de coordination au cœur de la bataille. Mais, si au contraire, les troupes ne sont pas entraînées dans les camps, étape par étape, mais directement engagées dans les campagnes, les soldats agiront sans connaître les règles et  seront vulnérables[30] ». Même quand il entraîne ses soldats sur les terrains d’exercice, il essaie toujours d’adapter l’entraînement en rapport avec les campagnes environnantes là où auront lieu les combats. Par exemple, lors des entraînements anti-embuscade, il fait dessiner des chemins tortueux sur le terrain et avec des panneaux en bois, il indique la position des maisons, des champs et des puits …. Ces entraînements seront suivis d’ exercices en terrain libre. Cela ressemble beaucoup à ce que l’on fait actuellement, mais, la différence est que QI Jiguang l’a fait 400 ans auparavant et de sa propre initiative.

– Entraînement pour avoir du courage–

L’entraînement au courage, c’est pour que les soldats considèrent la mort comme un retour chez soi, autrement dit, les soldats se battent contre les ennemis courageusement sans se soucier de la mort éventuelle. D’après un terme plus moderne c’est un entraînement philologique afin de lutter contre la peur. D’après QI Jiguang, « la grande puissance d’une armée vient de l’esprit des hommes qui la compose[31] »  et encore « Ce qui détermine la victoire ou l’échec lors des combats, c’est l’esprit des soldats ». Pour lui, l’esprit des soldats est le pivot d’une armée et la clef de l’issue de la guerre. L’entraînement au courage est en effet l’entraînement le plus essentiel et principal de l’armée. Alors, une question s’impose : d’où vient le courage des soldats ? Pour QI Jiguang, ce courage vient du cœur. « l’esprit manifesté vis à vis des évènements extérieurs provient du cœur », « Le cœur, c’est l’esprit de l’intérieur ; l’esprit, c’est le cœur de l’extérieur ». En d’autres termes, l’attitude courageuse n’est qu’une extériorisation des idées intérieures d’un être humain. C’est le cœur de chacun qui définit si l’on est vraiment courageux ou non. Ainsi l’esprit qui vient du cœur est le vrai esprit et si cet esprit est le courage, alors ce courage est un réel courage. Si le courage n’est pas venu du cœur, alors, ce n’est pas du vrai courage et en cas de revers, il se défait très rapidement. Il n’y a que le réel courage, le courage qui vient du fond du cœur qui puisse traverser toutes les épreuves sans défaites. C’est pourquoi, quand on parle de l’entraînement de l’esprit, c’est en effet, celui du cœur, car « en entraînant le cœur, l’esprit courageux vient tout naturellement[32] ». Le général QI jiguang en déduit qu’un chef valeureux ne peut réussir dans l’entraînement de ses hommes qu’en se montrant en exemple. Le chef doit inculquer le sens de la loyauté et de la fidélité, devancer ses soldats dans tous les exploits, les conquérir par la sincérité (Tome.2 « l’esprit courageux » de Lian Bing Shi Ji ). Voilà les principes de QI Jiguang :

1/La force de l’exemple

2/Inculquer le sens de la loyauté et de la fidélité

3/Conquérir les soldats par la sincérité

1/ Se donner en exemple

Ce qui importe, ce ne sont pas les longs discours mais l’exemple montré par les responsables militaires. La force de l’exemple n’a pas de limite. L’exemple des chefs est un enseignement et une influence sans nom qui sera suivi naturellement par les soldats. Les beaux discours ne peuvent non seulement pas produire d’effets, mais en plus risquent de provoquer la rancœur des soldats.

2/Inculquer le sens de la loyauté et de la fidélité

Mais, il n’y pas que l’exemple du chef, il met également l’accent sur l’enseignement oral. C’est ce qu’il appelle « inculquer le sens de la loyauté et de la fidélité ». Il y a plusieurs sortes de loyauté, par exemple, la loyauté envers son pays, envers son peuple, envers ses parents et aussi envers ses chefs. Celle qui importe QI Jiguang est la loyauté envers le peuple. « Vous vous rassemblez pour conquérir les mérites et servir le pays. Les soldats servent à tuer les ennemis alors que ces derniers viennent tuer les gens du peuple. Les gens du peuple ne souhaitent-ils pas que les armées de Ming  tuent les ennemis ? Si vous voulez bien tuer les ennemis, respecter les préceptes militaires[33] ». « Dès le jour de votre engagement dans l’armée, vous vous croisez les bras et restez indifférents au temps, qu’il pleut, qu’il vente, vous avez vos 3 Feng (rétribution journalière), vous avez votre solde tous les jours. Ces soldes proviennent des impôts que l’Etat a récolté auprès des paysans, là même d’où vous venez. Souvenez-vous de la peine et de la souffrance pour payer les impôts lorsque vous travailliez encore la terre, vous vous rendez ainsi mieux compte de la facilité avec laquelle vous toucher votre solde d’aujourd’hui. Sans labourer ni racler la terre, on vous prend en charge pendant un an, et tout ce que l’on vous demande, c’est de gagner un ou deux combats. Si vous ne voulez même pas les défendre en tuant les ennemis, à quoi cela peut servir de vous nourrir ? ». Avec des paroles simples et l’exemple donné par son comportement ainsi que celui de ses officiers, QI Jiguang essaie d’inculquer une certitude : la raison d’être de l’armée est « de protéger la vie du peuple ; défendre la terre du pays ». Voici la devise de QI Jiguang. C’est ce qu’il dit et également ce qu’il fait tout au long de sa lutte contre les wokou. Il a toujours mis la priorité sur la libération des gens emprisonnés par les wokou avant la victoire elle-même.

3/Conquérir les soldats par la sincérité

D’après Sun Zi « pour commander une armée, il faut user de ruses ». Mais pour QI Jiguang, les ruses c’est pour les ennemis, on ne doit pas appliquer les ruses contre ses propre soldats. Au contraire, il faut les conquérir avec la sincérité. Il faut traiter les soldats comme ses enfants : « connaître leurs habitudes, les soutenir et les secourir pendant leurs maladies, partager leur sort dans les difficultés et épreuves, prendre part à leurs joies et à leurs douleurs » et aussi « le faire sans attendre que leurs cœurs en fassent la demande, et que leurs bouches parlent.» (Tome 2 L’esprit courageux = Tan Qi Pian, de Lian Bing Shi Ji ). Concrètement, il faut aimer et protéger les soldats de façon sincère, comme un père envers son fils, sur les terrains d’entraînement, il faut être juste, si quelqu’un a transgressé une règle, on ne doit pas le couvrir avec partialité même si c’est quelqu’un de très proche. « Touchés par l’affection qu’on leur porte, les soldats aimeront l’empereur, les généraux, et leur  propre vie sera moins précieuse. Emus par la sincérité, ils ne supporteront pas d’être derrière l’empereur, les généraux, ils se soucieront d’eux avant de prendre soin de leur propre personne. Convaincus par les discours sur le bonheur et le malheur, ils ne se sentiront plus effrayés par les infortunes et seront bien déterminés à prouver leur loyauté. Imprégnés par les discours incantatoires, qu’il y ait du feu, de l’eau, ou que leur vie soit menacée, plus rien ne pourra avoir d’emprise sur leur cœur. L’affection se cumule dans la vie quotidienne et se délivre au moment des besoins » (Tome 2 – L’esprit courageux = Tan Qi Pian ).

Alors les étapes 1/ 2/ 3/ ne forment qu’une 1ère partie de l’entraînement de l’esprit courageux, et l’autre partie, consiste en « l’application de la bienveillance et de la loyauté qui doivent être associées à des récompenses occasionnelles et des punitions ». En d’autres termes, QI Jiguang pense que la punition et la récompense sont des moyens très importants non seulement au moment des combats, mais aussi pendant l’entraînement, et non seulement pour l’entraînement de l’art du combat, mais aussi pour celui de l’esprit. Et pour que cet entraînement soit efficace, il faut être très juste. Quand il faut punir même si ceux sont des personnes avec des liens de parenté il ne faut pas hésiter. Cela est aussi vrai quand il faut récompenser, même s’il s’agit de soldats qui ne sont pas toujours appréciés. Ainsi, on peut toucher le cœur du plus grand nombre de soldats : récompenser un soldat sert à encourager dix mille soldats, en punir un sert à faire obéir cent mille soldats.

L’entraînement de l’esprit ne se limite pas aux terrains d’exercice. L’art de commander les soldats ne se limite pas seulement à faire des exercices avec des drapeaux et à s’entraîner à l’art du combat. Le repos, et les distractions par les jeux font aussi partie de l’entraînement. Celui qui est habile à l’entraînement essaie toujours d’avoir une ambiance pleine d’entrain, si l’entraînement est monotone, il faut distraire les soldats. Si l’entraînement est fatiguant, il faut accorder du repos aux soldats. Il n’y a pas de règles fixes, il faut observer leurs attitudes, leurs comportements afin de mieux les encadrer. QI Jiguang fait remarquer qu’il est plus facile d’entraîner « les mains et les pieds », que l’esprit et le cœur, également, qu’il est plus facile de réaliser les entraînements quand ils portent sur des situations concrètes (il parle de formes en chinois), plutôt qu’abstraites (Les questions sur Ji Xiao = Jin Xiao Hou Wen, préambule Ji Xiao Xin Shu).

On peut dire que la théorie de QI Jiguang sur l’entraînement de l’esprit courageux est assez nouveau et original pour l’époque. Car, les autres chefs militaires de la  même époque, notamment Yu Da Yu et Heliang Zhen, parlent eux aussi de l’entraînement du courage, mais à des degrés différents :

1/ Ils n’ont pas fait la liaison entre le courage et le cœur, donc, l’entraînement au courage passe selon eux, soit  uniquement par l’enseignement de la discipline ou encore, par le jeu des récompenses et des punitions. Cette approche est moins élaborée.

2/ Comme la connaissance sur « la provenance » du courage est différente, les moyens utilisés pour l’obtenir sont aussi différents. Yu Da Yu dit que « l’entraînement au courage passe tout d’abord par celui de l’art du combat, la maîtrise de celui-ci fait du courage, et le courage renforce les soldats. » (Les méthodes d’entraînement des troupes en chariot du Bourg de Da Tong = Da Tong Zhen Bing Che Cao Fa, Chapitre 11 –Recueil du Palais de l’intégrité morale = Zheng Qi Tang). Pour He Liangchen, « Celui qui connaît l’entraînement à l’art des combats passe forcément par les formations de combat, c’est pourquoi les  formations de combat sont les leviers principaux de l’entraînement à l’art du combat, et l’art du combat est l’origine du courage ». En effet, ils pensent tous que l’entraînement au courage passe toujours par l’entraînement de l’art du combat, car avec une bonne maîtrise de l’art du combat, le courage naît naturellement. QI Jiguang quant à lui pense que l’entraînement au courage passe par l’entraînement du cœur et il a même expliqué dans son livre les différentes étapes de cet entraînement, ce qui prouve à quel point il reste convaincu de sa théorie. De nos jours, on peut être en accord ou non avec sa théorie, mais, néanmoins, il a eu le mérite de fonder une réflexion  complète et logique, différente de ce qui existait avant lui.

c) Entraînement des vertus, des talents, des connaissances et de l’art du combat :

Tous les grands stratèges chinois ont pris en considération le rôle des officiers généraux. Pour Sun Zi, les officiers généraux qui savent commander les troupes sont ceux qui tiennent en mains la vie ou la mort du peuple, et ceux qui maîtrisent la sécurité  du pays. (Chapitre sur les guerres, Sun Zi Bing Fa). Il dit également que « les officiers généraux sont les assistants de l’empereur, s’ils l’assistent bien, le pays sera puissant, s’ils l’assistent avec défaut, le pays sera affaibli » (La stratégie d’attaque de Sun Zi Bing Fa). Il faut préciser qu’à l’époque de Sun Zi, la distinction entre les fonctions civiles et militaires n’était pas très apparente. Les fonctionnaires remplissaient le rôle de chef militaire et commandaient les troupes au moment des guerres puis après, dès leur retour au Palais impérial, ils redevenaient fonctionnaires civils. Sous la dynastie de Ming, ces deux aspects du rôle des fonctionnaires se distinguaient très bien. L’empereur fondateur de la Dynastie de Ming, Zhu Yuan Zhan, appliqua une politique selon laquelle les fonctionnaires civils dirigeaient les fonctionnaires militaires et le rôle de ces derniers étaient relativement moins important par rapport à celui tenu par les fonctionnaires civils.

QI Jiguang s’inscrit en faux avec cette pensée et soutien que le rôle des mandarins militaires n’est pas négligeable, que se soit pour la sécurité du pays ou que se soit pour la vie des soldats. « Car, lorsque les ennemis attaquent, si l’on n’arrive pas à défendre les villes, les villages ou les campagnes, elles seront détruites. Si on utilise un chef militaire bien entraîné à l’art du commandement des troupes et si celui-ci arrive à chasser les envahisseurs, à sauver de nombreuses vies du feu et des tracasseries de la guerre, comment peut-on dire que cela est une petite affaire ?[34] ». Et aussi « Etre commandant des troupes, c’est être lié à la sécurité des frontières et à la vie ou à la mort des soldats ». (Tome 6-L’entraînement des chefs militaires =Lian Jiang Pian, de Lian Bing Shi Ji ). Pour lui, les victoires guerrières, la sécurité des populations, la vie des soldats dépendent toutes de la qualité des officiers généraux. C’est une façon de faire ressortir qu’une partie essentielle de l’entraînement de la troupe concerne  l’entraînement des officiers généraux. De bons officiers commandent de bons soldats. « Si l’on ne se préoccupe pas de la formation des bons officiers dans la vie quotidienne, alors le jour où ils doivent être engagés dans le combat, comment peut-on s’étonner du manque de talent! » .

Concrètement que doit recouvrir l’entraînement des officiers? Pour y donner une réponse il faut réfléchir sur la question « qu’est ce qu’un bon officier » ? Selon QI Jiguang, le bon officier est celui qui a de la vertu, du talent, des connaissances, et la maîtrise de l’art du combat. Donc, le but de l’entraînement est de former les officiers afin qu’ils possèdent toutes ces qualités.

La vertu : c’est le moral d’acier;

Le talent : c’est la compétence dans le commandement ;

Les connaissances : c’est le savoir-faire et la capacité d’analyse des situations ennemies;

L’art du combat : C’est le niveau de maîtrise des techniques militaires.

 

Parmi ces 4 critères, QI Jiguang met surtout l’accent sur la vertu. Il pense qu’il ne faut nommer que les chefs qui ont un moral d’acier, sinon, même avec les talents de Zhang Liang et Chen Ping (ce sont  deux généraux très connus dans la chine classique pour leur sagacité), il peut être inutile de les engager dans un combat. Les critères de la haute vertu sont « l’esprit honnête et fidèle, la rectitude de l’esprit et la droiture du cœur, méditer pour rester fidèle à l’empereur pour défendre son pays, pour respecter les autres, renforcer sa force militaire, aimer ses soldats et mépriser ses ennemis[35] ». « défendre la population doit être leur seule volonté » et « considérer les soldats et les chevaux comme des outils pour défendre la population et le pays ». En plus de cela, il faut aussi qu’ils se montrent magnanimes, incorruptibles, c’est à dire ne pas se laisser séduire par les intérêts financiers et les tentations sexuelles ; ne pas se montrer jaloux devant les capacités des autres ; si quelqu’un a réussi dans un domaine, il faut prendre son exemple et s’efforcer  d’en faire de même ; ne pas être obséquieux auprès de la hiérarchie supérieure. Au cours des comptes-rendus aux supérieurs, il faut annoncer les faits réels, il ne faut pas non plus être obstiné, mais, écouter les opinions des autres ; aimer et protéger les soldats, ne pas rechercher les récompenses  mais servir son pays… etc.

QI Jiguang demande aussi à ses officiers d’apprendre l’art militaires. Car un chef militaire n’est pas un savant qui connaît tout, alors, pour comprendre la tactique, il faut passer par l’apprentissage. C’est comme un médecin, s’il n’a jamais appris la médecine, il n’arrivera pas à prescrire. Un chef militaire, sans aucune connaissance de la tactique militaire, aura beaucoup de difficulté à bien commander ses soldats sauf de rares exceptions.

Alors, que faut-il apprendre?

-Selon QI Jiguang, il faut tout d’abord apprendre les classiques par les œuvres de Sun Zi et de Wu Qi. Car « si l’on ne fait que comparer nos stratégies avec les leurs au lieu d’appliquer ce qu’il y a de meilleur dans ces dernières, on n’aura plus de maîtres à suivre.» (Annexe du Chapitre 14 de L’article sur l’entraînement des chefs militaires = Lian Jiang Pian et Les questions – réponses sur l’entraînement des chefs militaires = Lian Jing Hou Wen, préambule Ji Xiao Xin Shu).

-Il faut étudier et appliquer les classiques, mais il faut aussi et surtout les adapter aux situations réelles et actuelles. « maîtriser les principes, mais sans s’en tenir strictement à la lettre ». (Tome 6, L’article sur l’entraînement des chefs militaires = Lian Jiang Pian). Autrement dit, il faut comprendre le sens essentiel mais pas simplement copier les anciens concepts.

-QI Jiguang ne partage pas le point de vue qui dit que les chefs servent à commander et que de ce fait il n’est pas nécessaire d’apprendre l’art du combat. Pour QI Jiguang, il est vrai que le travail essentiel des chefs est de commander l’action des drapeaux et des tambours, mais, pour connaître les formations ennemies ainsi que leur puissance, il faut se rendre sur place et se mettre devant les rangs. Sans la parfaite maîtrise de l’art du combat, le chef militaire ne peut se rendre parfaitement compte de sa force et de ses faiblesses. De plus, les chefs doivent enseigner l’art du combat aux soldats, s’ils ne le maîtrise pas eux-mêmes qui va pouvoir former les soldats ? Les instructeurs professionnels extérieurs à l’armée ne sont souvent motivés que par l’argent et  ne connaissent souvent pas non plus les situations rencontrées au cours des combats, donc ils n’enseignent que des techniques plaisantes à voir sur un terrain d’entraînement, mais peu efficaces au combat, ce qui peut entraîner pour les soldats la perte de vie. Si l’on exige des chefs qu’ils donnent l’exemple aux autres, alors, sans exception, dans l’entraînement des techniques de combat, ils doivent également devancer les autres. La maîtrise de chaque arme est le travail du soldat, mais la combinaison des armes, les formations des troupes, les connaissances des fonctions des différentes armes sont de la responsabilité des chefs. Comme indique QI Jiguang « Si l’on veut être un chef omniprésent, il faut connaître toutes les armes et les techniques de combat mais on n’est pas obligé de tout maîtriser. Sur cette base, il faut sélectionner une ou deux armes et s’en faire une spécialité et l’exercer jusqu’à la perfection car cela servira comme art de combat. Quant aux connaissances, elles servent à l’entraînement des soldats ».

En résumé pour QI Jiguang, la formation des chefs militaires doit se faire en deux étapes :

1/ l’études de la théorie

2/ la pratique

1/ Pour l’étude de la théorie, il faut lire les œuvres classiques. Il y a plusieurs sortes de lectures qui sont recommandées par QI Jiguang.

–         A/ celles qui concernent la culture de la morale, par exemple : « Traité de la piété filiale = Xiao Jing », « Traité du dévouement = Zhong Jing», « Meng Zi », « Da Sui », « Le juste milieu = Zhong Yong » etc.

–         B/ celles qui concernent les connaissances militaires, par exemple : « Les sept œuvres classiques de traité militaire = Wu Jing Qi Shu », « La Bibliographie des cents généraux = Bai Jing Zhuan ».

–         C/ celles qui concernent la culture générale : « La bibliographie de la Dynastie  Printemps et été = Chun Qiu Zhou Zhuan », « Zi Zhi Tong Jian ».

Pour certaines de ces œuvres, il ne faut pas seulement les lire, il faut y réfléchir, les réciter et les retenir par cœur. Par exemple, pour « La bibliographie des cent généraux », après la lecture, il faut se demander qui sont les généraux exemplaires et qui ne le sont pas ; qui a réussi à accroître sa réputation et comment ou qui au contraire, l’a noirci par sa propre conduite ; et également, si l’on se trouve dans les mêmes situations de décision qu’eux, quelle va t’être notre façon d’agir? Le but des lectures est d’établir des principes de discernement et de renforcer la détermination. QI Jiguang ajoute :« Quand l’on a la détermination dans le cœur, on n’est plus en proie au mal ni à la peur. On ne recherche pas les récompenses et on n’évite pas les punitions, enfin on garde son esprit éveillé en permanence » (Lian Pian Ji Shi Za Ji , Xu Lian Tong Luen p.145). Un chef militaire ne peut préserver son « état d’esprit » que s’il se voue tout entier à son pays. Il ne peut bien combattre que s’il contrôle tous ses désirs et ses passions égoïstes. Sans désir personnel, le courage est un vrai courage, celui qui aime la fortune a obligatoirement peur de la mort, ce qui le rend inévitablement peureux. Sans désir égoïste, l’esprit sera dégagé, et  perspicace. Avec les généraux courageux et perspicaces, on peut obtenir les victoires. Quand QI Jiguang parle d’étouffer les désirs, ceux ne sont pas tous les désirs, mais ceux qui ne correspondent pas aux critères de l’intégrité morale : courir après les titres, les récompenses, les avantages et la fortune. Mais, ici, il fait la distinction entre ceux qui les reçoivent naturellement suite à des actions d’éclat et ceux qui les recherchent à dessein.

Afin de réaliser toutes ces lectures, il demande à ses officiers d’étudier sans relâche tous les jours après le dîner et avant de dormir et surtout d’adopter un comportement autodidacte. Ceux qui savent lire doivent étudier tout seul et les autres, écouter les lectures.

Après la lecture, c’est la pratique qui doit prévaloir. La tactique ne peut être efficace que si elle est applicable aux situations des batailles menées par nos propres troupes, aux dispositions du terrain et aux réactions  ennemies. Donc, ceux qui ont l’expérience des combats doivent l’améliorer en étudiant les grandes œuvres classiques ; ceux qui ont beaucoup étudié selon les œuvres doivent les compléter par de véritables expériences au combat. Les chefs formés de cette façon seront imbattables.

 

Le début de la formation des militaires (les soldats et les chefs) remonte à la dynastie de Shang Zhou. A partir des dynasties des Song et des Ming, il existe « une école de pensée militaire », qui s’intéresse à la formation des officiers généraux. Mais, cette école de pensée s’évertue surtout à fournir les indications sur la sélection et la nomination des généraux sans s’intéresser à leur entraînement. QI Jiguang a eu le mérite de compléter cette école de pensée en traitant de l’étape aval qui concerne la formation des officiers après les avoir recrutés et nommés.

d) Les divers éléments dans le contrôle des troupes ainsi que leurs inter-relations :

QI Jiguang ne s’intéresse pas uniquement à la sélection des soldats, à l’enseignement des techniques militaires, à l’entraînement des soldats et des officiers généraux, mais en plus il étudie les principaux éléments qui composent l’armée : l’homme, l’arme, les soldats, les chefs ainsi que leurs interrelations.

– L’homme et l’arme–

Dans le Tome 4 intitulé « Les pieds et les mains » (= Shou Zu Pian, Tome 4 de Lian Bing Shi Ji et 14 de Ji Xiao Xin Shu), QI Jiguang a indiqué que « Si on possède de très bonnes armes mais que l’on n’a pas de bons soldats, ce sont des dépenses inutiles ; Si il y a de bons soldats mais qui sont dotés de mauvaises armes, c’est peine perdue ». Ce que veut nous faire comprendre le général QI Jiguang est que pour une armée, il faut de bons soldats mais également de bonnes armes, l’un ne pourra pas être efficace sans l’autre. Parmi ces deux conditions, la condition de la valeur de l’homme est déterminante, car l’arme n’est qu’un outil qui ne peut qu’être utilisé par l’homme et non le contraire donc il s’agit pour lui d’une condition secondaire. Quand les soldats sont motivés et courageux, ils arrivent à vaincre l’ennemi même avec des armes non sophistiquées.

– L’entraînement des soldats et des chefs militaires–

Tous les membres de l’armée, qu’ils soit en soldats ou généraux, tous doivent être entraînés. On ne peut obtenir de victoires qu’avec de bons soldats et de bons généraux. On ne doit pas mettre l’accent sur l’un en négligeant l’autre, car les deux sont aussi importants. Si l’on doit comparer ces deux catégories, c’est l’entraînement des chefs militaires qui est encore plus déterminant. QI Jiguang dit :« il faut tout d’abord prendre en considération l’entraînement des officiers généraux, ensuite, celui des soldats ». Quand l’on arrive à avoir de bons officiers, on aura ensuite de bons soldats. Lorsque l’on forme des chefs, c’est comme traiter le principal. Si le principal est mal maîtrisé et que l’accessoire est bien pris en compte, rien ne peut se dérouler harmonieusement ». (Tome 6, L’entraînement des chefs militaires = Lian Jiang Pian, de Lian Bing Shi Ji et Tome 8 de Ji Xiao Xin Shu). En d’autres termes, sans de bons généraux, il ne peut y avoir de bons soldats (dans le sens d’efficacité d’ensemble), l’entraînement des généraux est la base de toute la formation et de l’entraînement militaire. Des chefs mal formés, ne peuvent pas bien entraîner  les  soldats, car les soldats doivent suivre l’exemple des chefs.

– Les vertus et les talents des chefs militaires–

Selon QI Jiguang, les chefs doivent avoir les qualités suivantes :la vertu, le talent, les connaissances, l’art du combat. Contrairement à la pensée de l’époque qui considère que le talent est la qualité essentielle pour un officier, QI Jiguang pense que c’est la vertu qui est  plus importante. « C’est bien d’avoir du talent et de maîtriser l’art du combat, mais, encore faut-il avoir l’esprit fidèle, ainsi il devient un exemple de vertu[36] ». Si le chef a l’esprit loyal, il ne se passe pas une seule journée sans qu’il ne pense aux affaires de l’Etat. Avoir le talent du commandement mais sans la conviction, c’est être un chef sans vertu donc, à la  renommée imméritée. Si l’on ne tient pas compte de ce précepte et qu’un tel chef est choisi pour diriger les troupes, alors, il se comportera en chef opposé, fier et égoïste. Comment peut-on compter sur de tels chefs pour protéger la population et défendre le pays ? c’est pourquoi l’entraînement des généraux et extrêmement important, et est basé sur l’entraînement de l’état d’esprit.

– L’entraînement de l’esprit courageux et de l’art du combat–

Dans l’entraînement des soldats, il y a l’entraînement de l’esprit courageux et celui de l’art du combat. Parmi ces deux domaines, c’est le 1er qui est plus important, car l’esprit courageux couvre toutes les qualités foncières du soldat. QI Jiguang dit : « l’entraînement au courage est essentiel » et  « le contrôle de l’esprit est le pivot du commandement[37] ». Il n’approuve pas le point de vue de Yu Da Yu qui pense que le soldat aura le courage que si il possède la bonne maîtrise de l’art du combat ; il ne partage pas non plus l’avis de He Da Liang, qui dit que « l’art est à l’origine du courage ». En effet, pour QI Jiguang, l’art du combat ne peut rendre les soldats plus courageux qu’ils ne le sont. Mais pour ceux qui ne le sont pas, le fait de maîtriser quelques notions de l’art du combat ne suffisent pas à elles seules à les rendre courageux, il faut en plus et surtout former la nature psychologique des soldats afin d’améliorer leur esprit courageux.

– Le cœur et l’esprit–

Pour QI Jiguang,  « l’esprit courageux  a une apparence visible sur les individus, mais sa racine est dans le cœur de l’homme». En effet, le courage peut n’être que le  reflet de la bonne formation de la nature psychologie du soldat. Alors que le courage qui provient essentiellement du cœur est un vrai courage donc, il est durable et ne recule devant aucun obstacle. L’esprit et le cœur sont à la fois différents et intimement liés. Pour obtenir un résultat visible de l’extérieur, il faut travailler son intérieur.

– Le vrai et le faux esprit courageux–

Selon le général QI Jiguang, il existe deux sortes de courage : le vrai et le faux courage. Le vrai courage vient du cœur, et le faux, vient d’ailleurs que le cœur, par exemple, le courage basé sur la maîtrise de l’art du combat, l’exaltation,  l’entraînement militaire. Mais, ce genre de courage ne peut pas durer car, il s’estompe bien souvent aux premières rencontres d’ obstacles. Il n’y a que le vrai courage qui est indémontable et qui peut traverser les « cent preuves » sans aucune défaillance. Parfois, quand bien même ce courage subirait quelques baisses d’intensité, par le biais de l’entraînement du cœur, on arrive à le recharger. Ce qui rend encore plus nécessaire cet entraînement, même pour les gens naturellement courageux.

– La bonté et l’autorité–

Pour que l’entraînement soit efficace, on doit utiliser à la fois la récompense et la punition, la bonté et la prestance. Car, l’utilisation uniquement de l’affection, de la récompense et des faveurs ne suffisent pas, il faut en plus les compléter par la punition, la menace et l’autorité, on ne peut pas réussir pleinement l’entraînement si l’un de ces deux aspects manquent. Selon QI Jiguang, « la grâce est comme l’apparence et l’autorité, son ombre. Quand la forme est en mouvement, son ombre la suit. La forme, c’est l’apparence, et quand elle est en immobile, son ombre l’est aussi. Si la forme est grande, l’ombre l’est également, son contraire est aussi vrai ». QI Jiguang pose le problème de la manière suivante : « Comment peut-on accorder des faveurs si l’on a supprimé l’autorité, c’est un peu comme avoir un objet sans son ombre. Comment peut-on l’emporter si l’on ne démontre que de l’autorité sans bonté, c’est comme avoir une ombre errante. Si l’on prend comme exemple un bateau, la bonté représente la coque du bateau, et l’autorité, le gouvernail » (œuvre complémentaire de QI, « Zhi Zhi Tang » . de Yu Yu Gao ).

– L’art du combat régulier et l’art du combat fantaisiste–

QI Jiguang, en accord avec le contexte réel de l’époque et ses propres expériences, distingue deux sortes d’art du combat : le vrai et celui qu’il qualifie de « fantaisiste ». Pour lui, les soldats doivent apprendre et s’entraîner selon les règles de l’art du combat régulier et utile, c’est à dire, l’art que l’on peut appliquer concrètement quand l’on affronte l’ennemi. Chaque formation, chaque position doit correspondre le plus possible à des situations réelles ; chaque jour passé à l’entraînement doit prouver son efficacité lors du combat. Chaque arme doit démontrer son utilité dans la formation de combat. A l’opposé, il est tout à fait contre l’idée d’entraîner les soldats avec un genre d’art du combat, qui selon lui, n’est utile que pour la démonstration artistique. C’est art est souvent très sophistiqué et esthétique, mais aussi inefficace pour causer des dommages à l’adversaire, que pour assurer sa propre défense. Le général QI Jiguang  interdit formellement l’usage de cet art du combat fantaisiste, car il estime que ce genre d’art de combat non seulement fait perdre beaucoup de temps lors de l’entraînement et en plus peut causer de très graves torts

En résumant tout ce que l’on a vu ci-dessus, on peut dire que parmi toutes les œuvres de QI Jiguang, la théorie sur l’entraînement de l’armée est l’une des plus complètes, innovatrices et sophistiquées. Car, dans cette théorie, il ne s’agit pas uniquement de donner un canevas pour conduire l’entraînement, mais en plus, il exprime ses points de vue sur :      

  • §    les facteurs à prendre en compte;
    • §        les relations entre ces facteurs ;
    • §        les bases les plus importantes les unes rapports aux autres ;

Cette théorie a encore plus de valeur, parce qu’elle est logique, et s’approfondissant par palier :

–         le 1er palier stipule que pour l’entraînement de l’armée, il faut s’y prendre par les deux bouts : les hommes et les armes

–         le 2ème palier : explicite les catégories d’hommes qui composent une armée, ils sont soient  soldats (officiers, sous-officiers et militaires du rang), soient généraux. Pour ce qui concerne les armes, il explique qu’elles sont de différentes sortes et utilités.

–         dans le 3ème palier, il continue à détailler les éléments qui concernent les généraux et les soldats ;

Ainsi de suite, il dévoile étape par étape, palier par palier et bien concrètement comment arrive-t-on non seulement à former l’armée mais aussi et surtout à entraîner cette armée jusqu’à ce qu’elle devienne une armée invincible.

En plus de cela, il nous indique aussi que pour arriver à un but, il faut que tous les éléments forment un ensemble bien harmonieux : l’on commence toujours par la vision globale et entière puis, on entre au fur et à mesure dans les détails, mais pas le contraire ; et que aucun élément ne doit être négligé et aucun ne doit exister isolément.

Avant QI Jiguang, aucun stratège n’avait encore établi une théorie aussi complète sur l’entraînement et l’application concrète des grands principes. Sans avoir une armée bien formée, aucune victoire ne peut être possible. C’est bien cette pensée et son prolongement concret qui est à l’origine de toutes les victoires remportées par l’armée du vieux général. Telle est toute la valeur de la stratégie du général QI Jiguang.

2.2- Une stratégie combinée d’attaque et de défense

a) Projeter un bon plan avant de faire la guerre :

Pour engager une bataille surtout une grande bataille dans laquelle seront commis des milliers, des dizaines de milliers voire des centaines de milliers de soldats, la clef décidant de l’issue de celle-ci réside dans l’échafaudage d’un bon plan. Sun Zi disait qu’avant la guerre, si les projets (planification d’aujourd’hui) de la cour impériale pouvaient vaincre l’ennemi en raison de leurs caractéristiques très complètes, les conditions de la victoire étaient remplies. Si les projets à l’inverse n’obtenaient pas le succès escompté sur l’ennemi, c’était parce que ces derniers se révélaient être trop imparfaits (incomplets) et les conditions de succès non satisfaites. Quand les projets sont complets, les chances de victoire sont entières. Les ennemis peuvent être vaincus. Si les projets ne sont pas complets, les conditions de victoire ne sont pas suffisantes et les ennemis ne peuvent pas être vaincus. Il est inconcevable de ne pas avoir de solides projets lorsque l’on rentre en conflit, car cela signifierait l’inexistence des conditions de victoire. Par ces observations simples, il est possible de prévoir l’issue d’une bataille voire d’une guerre. Dans une guerre, il faut non seulement planifier un plan global élaboré par les mandarins de la cour impériale pour obtenir un résultat précis, mais aussi que les généraux  préparent leurs projets avant chaque bataille pour en déterminer l’issue. QI Jiguang disait : « Il existe trois types de grandes batailles ;

         -une bataille bien projetée (planifiée)

         -une bataille de grand courage

         -une bataille d’idiot ».

Une bataille bien projetée est ce qu’il y a de plus calculé. Une bataille de courage est une façon de donner son cœur à sa patrie en attaquant les ennemis, mais sans savoir exploiter au mieux les affaires militaires dans la vie quotidienne. Une bataille d’idiot se caractérise par une méconnaissance des ennemis et de soi-même[38]. QI Jiguang est tout disposé à donner son cœur à la cour, mais il ne préconise pas une bataille de courage et surtout pas une bataille d’idiot. En revanche, il préconise de toujours mener des batailles bien projetées.  Il se montre plus précis en affirmant qu’il faut calculer la victoire totale dans tous ses détails avant le commencement de la bataille[39]. Il disait également que :  « dans les affaires militaires, il ne faut pas prendre le court pour le long et qu’il faut toujours être plus fort que l’adversaire. S’il a de bons arcs et flèches, que possédons-nous pour vaincre les arcs et les flèches ; s’il a de bons sabres que possédons-nous pour vaincre ses sabres ; s’il a des dizaines de milliers de chevaux, que possédons-nous contre ses chevaux ?. Il faut rendre l’adversaire moins fort que soi à tous les niveaux ». Toutefois il est inévitable de commettre des fautes de dernier instant même si tout est bien planifié. Mais on ne peut pas dépendre de la chance (QI Jiguang dans « une lettre au supérieur pour exposer l’administration militaire » chapitre 350 du recueil des textes de l’administration de Ming). En juin 1570, QI Jiguang convoque tous ses généraux de Jizhou à sa résidence dite « zhi zhi tang » dans la région de San Tun Ying. Il leur exposa son analyse complète de la guerre à mener contre les tartares venant du nord. Il démontre que  la défense de Jizhou est différente des villes telles que xuanfu, Datong, et shan-xi …Il prévoyait qu’une attaque des tartares comprendrait plusieurs centaines de milliers d’hommes. Que les armes utilisées par les tartares dans la profondeur seraient de très forts arcs et de puissantes flèches. Que pour les combats rapprochés, les tartares utiliseront des cavaliers aux sabres courts, la puissance des chevaux est inégalable et un soldat pourra avoir plusieurs chevaux, de ce fait ils pourront mener plusieurs combats à la suite ou indépendants. De plus, les tartares affichent une parfaite motivation. QI fit le constat que même si les armées des Ming ripostaient à de telles attaques avec les mêmes moyens, armes et équipements, les formations Ming ne seraient pas aussi fortes que celles des ennemis. Il rapporte de plus, que même si les troupes Ming n’appliquent que le combat d’infanterie sans appui de la cavalerie, les armures des troupes sont trop anciennes et usées pour parfaitement les protéger contre les assauts de la cavalerie tartare. Même si les armées Ming possèdent des armes à feu, elles comportent encore beaucoup de points faibles tels que la qualité de leurs hommes et leurs méthodes de manipulation des armes. Ces principales faiblesses suffisent à gêner l’arrêt du déferlement des cavaliers tartares qui est semblable à une montagne qui s’éboule ou la terre qui se fend. Enfin, les soldats Ming sont pour la plupart âgés et physiquement peu entraînés, la cohésion des formations est quasi inexistante (mépris des officiers envers le reste de la troupe). Dans de telles conditions, il conclu qu’il est impossible de gagner la guerre.

Selon la théorie des « projets de la cour impériale », la thèse que soutien QI Jiguang sur ce sujet est perçue par les autorités comme un constat final. Mais pour QI, c’est seulement un commencement. L’inventaire des conditions de réussite ou d’échec dans un affrontement avec les tatares  n’a pas pour but de justifier à priori l’impossibilité de vaincre les mongols, mais bien de créer le sursaut nécessaire pour changer cette réalité.

L’exemple de la bataille de Jizhou (ville de Jixian aujourd’hui, et de la passe de Xifengkou, voir graphique 9) nous donne un aperçu commenté du développement de la potentialité positive que l’on doit s’appliquer à soi et la création des conditions pour vaincre les ennemis que QI Jiguang propose de développer. Il dit que : « les ennemis arrivent toujours à plusieurs centaines de milliers de combattants et face à eux les soldats de Jizhou ne sont que 100.000 ». Par ailleurs, à partir de 10.000 soldats, il n’est pas possible d’utiliser la méthode d’attaque qu’il qualifie de « clandestine » (le mot guérilla n’était pas du vocabulaire de l’époque). Il faut alors faire ouvertement face aux ennemis et remporter une victoire totale sans essuyer le moindre fléchissement ou accepter la moindre perte de terrain[40]. Il ne faut donc pas utiliser les mêmes armes que l’ennemi, il faut utiliser des armes plus performantes que celles utilisées par les armées ennemies afin que l’on puisse gagner dès l’échange des premiers coups. Comment créer les conditions favorables pour vaincre l’ennemi?. Selon la pensée militaire de QI, la première chose est de faire attention aux généraux. Il a convoqué de ce fait tous ses généraux à sa résidence de Zhi zhi Tang en demandant un changement radical dans leur comportement vis à vis de la troupe, de relancer l’esprit de défense et la volonté de victoire dans l’ensemble de la ville. Il dit à ce propos :  « si vous pouvez montrer la vrai volonté pour aimer nos armées, entraîner nos soldats et combattre, penser toujours aux meilleurs moyens de vaincre les ennemis, de bien fabriquer les armes, de bien sensibiliser les troupes sur la vie en campagne. D’assurer les tours de garde en faisant en sorte d’alterner les jours de permanence et les jours de repos, mais également de bien informer les familles sur le risque et la disponibilité que requiert notre métier. Il est important que les soldats sachent que faire la guerre c’est comme mourir, et c’est à ce prix que les batailles seront gagnées ». Il est important que selon les croyances populaires, le soldat se comporte comme un mort qui traverse une route pour vivre, sans cette considération, la fin du soldat sera la mort par l’ennemi ou par le non respect de la loi militaire.

Ce qui est important pour QI, c’est que s’opère un véritable changement de mentalité pour les soldats qui montent au combat, seule alternative pour ne pas s’engager sur « une route de mort sans libération ». L’autre aspect fondamental, est de bien diriger les généraux, qui sont la clé de voûte de son système. En effet, les généraux sont en première ligne pour entraîner concrètement les soldats, ce sont eux qui surveillent la fabrication des armes, et ce sont eux qui aiguisent la volonté de la troupe. Pour diriger les généraux, QI sait que la chose la plus importante est de diriger leur pensée. Si il réussit cela, alors toutes les conditions seront réunies pour obtenir les meilleurs résultats dans la défense de la ville de Jizhou.

Cependant, alors qu’il tentait de changer les mentalités, plus concrètement, QI faisait pourvoir à la restauration des murs frontaliers de la grande muraille, réaménageait l’articulation des armées, faisait améliorer les armes à feu et les équipements individuels de protection des combattants, tout cela afin que les troupes des Ming regagnent un avantage psychologique sur l’envahisseur et acquièrent une position supérieure digne d ‘assurer la victoire.

Toutefois, entre Sun Zi et QI Jiguang, l’interprétation de la notion de « projets de la cour impériale » est fort différente. En effet, alors que Sun Zi considère les projets de la cour impériale comme un moyen de prévoir le résultat d’une guerre[41], QI en revanche n’exclu pas cette interprétation mais ajoute que ces projets doivent être vécus comme des moyens de se préparer à la guerre. Grâce aux projets de la cour il est possible de déterminer les points faibles qui ne permettent pas d’assurer la supériorité immédiate des troupes des Ming sur l’ennemi. Néanmoins QI Jiguang apporte une précision sur l’amélioration des points faibles en ajoutant « qu’il faut le faire selon une logique globale affinée, c’est à dire du plus essentiel au plus anodin[42] ».

La méthode de « la bataille bien projetée » de QI montre non seulement qu’il faut être dans une position dominante au moment du déclenchement de la guerre, mais aussi que l’on doit l’être dans la phase de préparation de la guerre. Pour la bataille de la ville de Jizhou, QI analyse les possibilités d’attaque de la part des tartares.

         1-les ennemis  rassemblent leur force pour opérer l’attaque sur un front. Dans ce cas, QI estime qu’il peut organiser la résistance de la ville, et garder le pays de toute invasion par la passe de Xifengkou.

         2-les tartares attaquent par deux directions, l’une à l’extrême est, l’autre à l’extrême ouest, mais les colonnes sont d’inégales importance. Alors, dans ce cas il sera plus judicieux de protéger la partie exposée à la colonne la moins forte, afin d’obtenir une victoire rapide puis de basculer les forces sur la seconde colonne plus forte.

Dans les deux possibilités d’attaque, QI trouve la parade militaire ce qui fait de lui un stratège respecté, de plus il connaît bien les tartares et sait qu’ils ne joueront pas des deux possibilités en même temps. De ce fait QI prévoit deux projets de défense, l’un qui envisage une sortie en force de la ville pour surprendre et désorganiser les forces ennemies en marche sur la ville, l’autre qui n’est qu’un projet de défense des murs en plusieurs étapes (en série, traduction chinoise).

   En premier lieu, dès l’annonce de l’approche de l’ennemi, il envoie des soldats en embuscade ou en évidence pour attaquer,  pour ralentir la progression des ennemis et pour toujours les tromper quant aux véritables intentions des défenseurs de la ville. Cette tactique permet par ailleurs de bien organiser en arrière les lignes de défense.

   En second lieu, lorsque l’ennemi arrive aux pieds des fortifications de la ville, il faut le harceler afin de lui causer le plus de pertes.

   En troisième lieu, si les ennemis pénètrent dans la ville, il faut immédiatement colmater et repousser vigoureusement la pénétration en engageant de fortes troupes. Enfin, lorsque l’ennemi se repli, il faut continuer de le harceler par des embuscades de fantassins et des charges de cavalerie. Il faut poursuivre l’ennemi au plus loin, même au cœur de ses camps, QI se propose de diriger personnellement avec des troupes d’élite, ces missions. Car ce qui importe le plus c’est de mettre fin à la guerre en ayant obtenu les résultats escomptés, qui sont la destruction irrémédiable de l’ennemi (dans le vol. 350 du recueil des textes sur l’administration du monde des Ming – rapport au gouvernement pour poursuivre l’ennemi). Ainsi, QI insiste sur le fait que toutes les situations de guerre doivent être prévues, notamment dans les configurations positives pour les troupes Ming. Cet état de fait doit mettre dès le début des combats, l’ennemi dans une posture négative.

Le projet de guerre est très important , mais alors comment préparer un bon projet ?. QI dit que « la réussite des projets établis par la cour impériale avant la guerre est liée à la bonne anticipation (compter en chinois, la notion de décompte) ». Cette notion de décompte, ou d’anticipation est certainement l’essentiel de la stratégie militaire de l’époque. Mais, il est au préalable sage de connaître l’état de ses propres forces et celui de l’ennemi. Car, si on ne détient pas suffisamment de renseignement sur l ‘ état de préparation des forces ennemies il est difficile de rédiger et de mettre en application les « projets de la cour impériale ». Appréhender le plus précisément possible la situation de l’ennemi est une condition indispensable et préliminaire pour établir les « projets de la cour impériale ». Pour bien connaître la situation de l’ennemi, il faut espionner.  QI rappelait qu’au cours de toutes les époques seuls les généraux prudents et jugés particulièrement bons étaient affectés à la surveillance des frontières et que ceux-ci avaient toujours tirés avantage des tours de vigie égrenées le long de la grande muraille et lancés des patrouilles sur longue distance afin de reconnaître et de ramener des renseignements sur les mouvements de l’ennemi. QI de rajouter que « les patrouilles et l’observation d’en haut sont les premiers gestes de l’administration militaire » (dans « les dispositions juridiques pour augmenter les patrouilles » vol.3 du recueil sur l’entraînement militaire et dans « les conventions de la route Din-Fu »). Ainsi, QI reconnaît que le renseignement sur la situation de l’ennemi est une des choses les plus importantes de la stratégie et de la tactique militaire, tant pour les opérations offensives que défensives.

Si la situation de l’ennemi n’est pas bien connue avant l ‘élaboration des projets de la cour impériale, ceux-ci seront de facto peu pertinents et par voie de conséquence la conduite de la guerre sera hasardeuse. Pour reprendre l’exemple de la préparation de la bataille de la ville de Jizhou, QI afin d’anticiper l’attaque envoya massivement des éclaireurs et des espions rechercher le moindre détail sur le comportement de l’ennemi (on avance un chiffre de 5000 hommes). QI ne fait que reproduire ce qu’il faisait déjà dans le sud au cours de sa campagne contre les Wokou, où il envoyait de nombreux éclaireurs afin de connaître à tout moment les intentions des pirates et leur environnement topographique et maritime. Avant chaque attaque, QI envoyait des éclaireurs proches d’une valeur de 100 à 200 soldats qui étaient chargés de se fondre chez l’ennemi et autour, et de rapporter tout les évènements qui touchent l’ennemi (sorties de camp, entrées, effectifs, parcours de reconnaissances…). Ainsi l’ennemi se dévoile à son insu et à partir de ces informations QI dresse soit des maquettes, soit des cartes avec des couleurs rouge et noire pour illustrer clairement la situation de l’ennemi[43]. Puisque tous les officiers des troupes de QI connaissent les positions et les intentions ennemies, ils ne peuvent que positionner au mieux leurs soldats et s’assurer de la victoire. C’est pour cette raison que QI a remporté ses nombreuses victoires dans le sud de la Chine.

A ce stade de la réflexion stratégique de QI Jiguang  « d’une guerre bien projetée », on peut résumer sa pensée de la façon suivante :

         1-avant la guerre, il faut observer et estimer le plus objectivement possible la puissance de l’ennemi (qualité des soldats et des équipements) et fournir les efforts nécessaires à l’entretien d’une ambiance favorable pour écraser l’ennemi.

         2-avant la guerre, il faut également juger les mesures et moyens pris par l’ennemi pour s’assurer de la victoire et les contrer un à un afin de ne pas compromettre nos chances de victoire.

         3-pour bien préparer les deux points observés ci-dessus la clé de voûte est la connaissance de la situation ennemie basée sur l’effort de reconnaissance et la stratégie qui en découle.

La pensée de QI Jiguang sur « la guerre bien projetée » montre une règle générale et fondamentale dans l’histoire de la guerre en Chine comme à travers le monde. Cette règle est  qu’une bonne préparation de la guerre fonde solidement les chances de succès à venir.    

b) Transformation selon les situations ennemies et préparer la victoire en accord  avec les situations ‘du moment’ :

Un pays, ou un peuple à une période donnée peuvent devoir affronter des ennemis de natures différentes. L’exemple de QI Jiguang en offre une assertion vérifiée, il a affronté au long de sa carrière les pirates japonais, il a réprimé les révoltes paysannes du centre de la chine (les brigands de montagne), enfin il a combattu les tartares sur la frontière nord de la chine. Pour faire face à autant de diversité, il aura fallu élaborer et appliquer des stratégies et des tactiques souvent variées. En effet, les Wokou agissaient par subterfuges visant à attirer les troupes impériales dans de véritables embuscades, il n’existe pas un moyen unique pour répondre à toutes les formes de combats. QI Jiguang le sait et il considère qu’un chef militaire qui sait diriger ses hommes au combat est capable de faire face à chacune des nouvelles situations ennemies[44]. Il disait également que « seul l’aspect tactique pouvait prévaloir lors d’un combat car cet aspect ne pouvait être appréhendé en temps réel par l’ennemi »(la traduction dit : que la forme ne peut être aperçue, dans le rapport de QI Jiguang sur l’administration de Guangdong – chapitre 346 du recueil de textes sur l’administration du monde des Ming). S’adapter selon la situation de l’ennemi est également une règle de portée générale que QI n’a de cesse d’asséner à ses généraux. Sun Zi a dit :  « la forme des armées est semblable à l’eau ; l’eau coule naturellement vers le bas et en suivant la topographie. Aussi, les armées doivent éviter les pleins et attaquer les vides », c’est à dire s’adapter sans cesse aux nouvelles configurations de l’ennemi. En effet, à la guerre, la puissance n’est  pas constante comme l’eau qui revêt en permanence des formes différentes, aussi celui qui veut gagner la guerre doit profiter des situations de l’ennemi, c’est ce que Sun Zi appelle le « génie » (dans l’art de la guerre – chapitre des vides et des pleins). C’est à l’origine des écrits de QI sur la transformation des armées selon les situations de l’ennemi. Toutefois, tant dans le discours que la pratique, QI Jiguang donne une interprétation de ce principe plus riche. Globalement, il existe deux points distincts :

         -Premièrement, en fonction des différentes variétés d’ennemis il est nécessaire d’utiliser différentes stratégies et tactiques. C’est autant pour s’assurer une supériorité de tous les instants que pour faire face aussi aux différentes postures et stratégies ennemies. Par exemple, pour faire face aux envahisseurs du sud (les Wokou) et du nord (les tartares), les stratégies adoptées par les empereurs Ming ont été toutes les deux défensives. Pourtant QI Jiguang  a estimé plus adapté d’appliquer une stratégie offensive vis à vis des pirates japonais en lançant des attaques, qui ont été baptisées attaques défensives et répressives pour ne pas froisser la pensée impériale. En revanche, face aux tartares du nord, la stratégie du général QI Jiguang a bien été une stratégie défensive, c’est à dire basée sur une protection poussée des passes tout au long de la grande muraille. Bien entendu, il a également combiné, chaque fois que de nécessité l’offensive et la défensive. Du point de vue tactique, QI Jiguang utilisait pendant la guerre contre les envahisseurs du sud les postures du « canard mandarin » et « d’une tête, deux ailes et une queue ». Il disait que la posture du canard mandarin était adaptée à la topographie du Zhejiang et aux manœuvres des bandes de pirates. Mais au nord de la chine, la topographie était bien différente. Il y a la présence de grandes plaines. Les tartares attaquent toujours à plusieurs dizaines de milliers de cavaliers, ce qui rend la manœuvre trop rapide pour adopter la position du canard mandarin. Au nord, QI utilise majoritairement les bataillons de chars, l’infanterie et la cavalerie.

         -Deuxièmement, au cours des combats, il est également nécessaire d’adopter différentes postures en fonction des réactions et des initiatives ennemies. Par exemple, lorsque l’on attaque l’ennemi en l’encerclant, il faut toujours laisser un côté vide (Sun Zi dans l’art de la guerre – chapitre sur la lutte militaire). QI Jiguang va plus loin en spécifiant que « la conduite d’un encerclement n’est pas unique et qu’elle dépend avant tout de la situation dans laquelle se trouve l’ennemi » (dans ji xiao xin shu – Tome.8). QI dit que « si l’ennemi exerce sur les armées Ming une poussée trop forte en raison du nombre plus important de sa troupe et d’une topographie qui peut être défavorable aux armées Ming, il est dans ce cas préférable de laisser un côté plus faible pour permettre le retrait de l’ennemi tout en essayant de le gêner par le montage d’embuscades. En revanche, si l’ennemi se révèle plus faible et que les armées de Ming le surclasse en nombre et que le terrain est globalement favorable, alors il est impératif d’encercler de toute part l’ennemi sans lui laisser la moindre chance de retraite ». Une fois de plus il faut se fier à l’observation en temps réel de la situation. Sun Zi dit qu’il ne faut pas croire à la défaite fictive, c’est à dire qu’il ne faut pas poursuivre l’ennemi quand l’impression que l’on peut se faire de sa défaite et de sa retraite paraît infondée. Sun Zi a raison reconnaît QI Jiguang, mais comment savoir concrètement si la défaite ou la retraite de l’ennemi sont fictives. QI Jiguang explique qu’il ne faut poursuivre l’ennemi que lorsque nous gagnons la guerre et sans précipitation  mais seulement centaine de mètre par centaine de mètre. Il faut prendre soin de se ré-articuler en permanence afin d’éviter d’être surpris par une réaction de l’ennemi. Ces ré-articulations sont ordonnées par les commandants des troupes engagées dans la poursuite de l’ennemi et non pas par le commandement suprême des opérations. La poursuite de l’ennemi doit s’effectuer sans répit et l’ennemi ne doit avoir de ce fait aucune opportunité de contre-attaque.  D’autre part il est tout aussi important dans une opération de poursuite, de mener des reconnaissances auprès de toutes les anfractuosités du terrain (collines, forêts…) et au plus près des fuyards afin d’éviter les conséquences de la défaite fictive de l’ennemi. En effet, celui-ci pourrait se mettre en embuscade et tenter d’encercler à nouveau les troupes des Ming. Par ailleurs, ce processus de reconnaissance couplée avec la ré-articulation constante du gros de la troupe Ming lancée en poursuite doit permettre de juger avec exactitude de la défaite réelle ou fictive de l’ennemi. Ainsi, si l’ennemi est en position d’échec avéré, QI Jiguang dit que « les troupes peuvent avancer sans hésitation et surtout sans laisser aucun échappatoire à l’ennemi ». Ces prescriptions concrètes permettent donc de ne pas tomber dans le piège de la défaite fictive et de laminer l’ennemi. QI Jiguang indiquait en plus, qu’en cas de nécessité tous les chefs de formations doivent donner des ordres pour diriger leurs batailles avec le plus de mobilité possible, sans attendre les ordres du commandement en chef. Le maître mot est bien la capacité de changer de méthodes de combat selon les circonstances imposées par l’ennemi afin d’être en posture pour l’anéantir (notion d’initiative).

c) Arranger la victoire selon la topographie :

La topographie des champs de bataille est une donnée extrêmement variable. Il y a des plaines, des montagnes, des vallées, des rivières, des rizières irriguées dans le sud de la chine et non irriguées dans le nord etc… . QI Jiguang considère que puisque la topographie est différente, les méthodes pour obtenir la victoire sur le champ de bataille sont aussi différentes (exposé sur l’entraînement dans « recueil de textes sur l’administration du monde des Ming » chapitre 347 et ji xiao xin shu chap. 8). Il prend pour exemple la tactique d’attaque du canard mandarin qui est bien adaptée aux conditions de manœuvre de l’ennemi dans le sud de la chine, mais plus particulièrement en raison de la topographie régionale du Zhejiang. En effet, cette région se caractérise par une forte présence de petites collines et de nombreuses rivières laissant le terrain très marécageux et peu propice aux grands mouvements d’ensemble et à l’engagement de moyens  de combat lourds. Mais, lorsque le terrain se fait plus ouvert, la position du canard mandarin devient la position des trois talents. De même, QI Jiguang fait remarquer que les classiques ont toujours affirmé que le combat dans les collines ne doit pas se faire vers le haut (Zhu ge lian – chap. 9 de l’administration militaire). Cela veut dire qu’il faut éviter d’avoir à attaquer des positions ennemies situées en hauteur. Face à cette assertion, QI s’inscrit en faux, car pour lui, des postures telles que le canard mandarin permet de mener des attaques victorieuses tant vers le haut que le bas des collines. En 1561 le combat de Shang Feng est un bon exemple à mettre au crédit de QI Jiguang : il s’exprima ainsi « j’étais autrefois au sud et les japonais que je combattais possédaient leurs bases dans les grandes montagnes, dans les forêts denses ou dans les vallées profondes, mais nos armées les ont vaincus au cours de combats du haut vers le bas comme du bas vers le haut ».

Mais, la topographie de la région de la ville de Jizhou (graphique 10) est très différente de celle du sud. QI Jiguang  montre que la région de Jizhou peut être partagée en trois compartiments. Une vaste plaine fait face à la ville, l’approche de ses remparts met en relief de petites zones assez escarpées, enfin de part et d’autre de la ville il y de grandes vallées et des montagnes. La différence de topographie rend nécessaire l’adaptation par la diversité des méthodes de combat.

Lorsque les tartares attaquent par la plaine, il faut utiliser une tactique mettant en œuvre les chars de combat, si ils s’en prennent aux premiers murs de fortification, il faut donner la cavalerie, enfin à l’intérieur de l’enceinte c’est le combat d’infanterie qui doit s’appliquer. C’est pour cette raison que QI Jiguang disposait toujours des trois forces au sein de ses garnisons.

Les classiques ont dit que l’avantage du « moment » (notion de temps) n’était pas plus important que celui de la position géographique. La prise d’une position avantageuse peut révéler l’intelligence d’un commandant mais celui qui tire avantage d’un environnement topographique pour vaincre l’ennemi est encore meilleur. QI Jiguang a montré que sans un terrain favorable au déploiement en sûreté des troupes Ming, tels que marais, rivières, collines, pitons…, ce qu’il appelle « des fosses à eau », les armées doivent donc occuper l’ensemble du terrain pour attendre l’ennemi et effectuer l’attaque dès que l’ennemi se présente. Dans le cas contraire, si l’ennemi ne rentre pas sur ce compartiment de terrain, il devient nécessaire de feindre une retraite afin de l’attirer dans les fosses à eau et de monter des embuscades afin de le détruire. Ainsi, connaître et s’adapter à la situation ennemie et tirer partie de la topographie avant et pendant les batailles, sont deux règles de portée générale qu’il convient de pratiquer si l’on veut obtenir le plus de succès au combat. QI Jiguang utilise l’expression suivante :  « bien sues comme mettre ses chaussures », pour bien nous en faire sentir l’aspect incontournable mais également naturel.

d) De grandes souffrances et détruire l’ennemi une fois pour toute :

QI Jiguang préconise l’attaque volontariste à l’encontre de l’ennemi afin d’arrêter son invasion. Il dit que pour faire face aux envahisseurs japonais, la seule façon de les dissuader de continuer inlassablement leurs raids, est de leur infliger de grandes souffrances et de les détruire complètement. Quand aux tartares du nord, il faut leur livrer une bataille décisive dont le succès est calculé à coup sûr (QI Jiguang in chap.2 du « livre sur l’entraînement des troupes », en ces termes- pour achever l’objectif une fois pour toujours).

Pour atteindre cet objectif, il est contre une division des moyens mais au contraire pour  une concentration de la force militaire. Il disait :  « les envahisseurs japonais ont des soldats bien entraînés. Nous devons leur opposer de très fortes et nombreuses armées, assurer un rapport de force équivalent à 5 soldats de Ming contre 1 wokou afin de s’assurer la victoire ». QI s’assure avant chaque bataille que ses troupes soient plus nombreuses et mieux équipées que l’ennemi. Lorsqu’il était commandant en chef à Taizhou dans le Zhejiang, il commandait une garnison de 4000 hommes. En temps de paix, il les divisait en deux pour assurer la surveillance simultanée de Sanmen et Lipu. Quand les japonais attaquaient, il ne divisait plus ses forces pour tenter de contrôler tous les points de débarquement des wokou, mais rassemblait toutes ses troupes en un ensemble compact et puissant pour s’attaquer successivement à chacune des escouades ennemies, toujours moins nombreuse et moins puissante que les troupes de QI Jiguang. Ainsi, il utilisait ses forces pour un seul but, réduire tour à tour chacune des formations ennemies avec comme objectif final de les défaire toutes totalement. Une autre façon d’illustrer ces propos peut être trouvée dans la bataille de Shan Feng Lin[45], au cours de laquelle QI Jiguang ne dispose que de 1000 hommes contre une troupe de 2000 wokou. Mais ces derniers sont étirés sur plus de vingt kilomètres, alors QI Jiguang applique « la position du long serpent », en concentrant ses forces pour attaquer le milieu du dispositif ennemi. Cette bataille partielle remportée, QI jiguang réussit à mettre l’ennemi en déroute puis à le réduire petits groupes par petits groupes grâce à la quantité rassemblée de ses troupes.

Quand QI s’estimait être dans une position défavorable, il se gardait bien de lancer une attaque brutale. Il s’attachait au préalable à diminuer les désavantages de sa position. Ainsi, en juin 1563, 10.000 wokou attaquent la ville de Fuzhou (dans le Fujian), QI Jiguang ne dispose sur place que de 6000 hommes pour empêcher les wokou de prendre cette ville. QI Jiguang demande des renforts de l’armée du Zhejiang et va à leur rencontre personnellement. Peu de temps ne s’écoule avant l’arrivée des renforts, ces derniers permettent à QI de disposer en tout d’une force de 10.000 hommes, soit autant que l’ennemi. Au moment où les wokou attaquent la ville de Fuzhou, chaque porte est prise d’assaut par des forces de 2000 hommes environ. Face à cela QI, concentre ses forces sur le défense d’un seul côté de la ville ce qui lui permet de briser l’élan ennemi de ce côté-ci puis il profite de ce succès pour défaire un à un les assauts ennemis sur les portes sud, est et nord. La ville ne sera pas prise et l’ennemi battu.

Au nord de la Chine, il préconise aussi de concentrer les forces pour la défense de la frontière. Il pense que la ville de Jizhou à une ligne défensive trop longue et que si on installe des soldats sur toute la longueur de cette ligne, il n’y aura certes, aucun endroit sans surveillance, mais également il n’y aura aucun endroit où la présence de soldat sera en nombre suffisant pour empêcher l’attaque ennemie. Il y a lieu donc de considérer plus précisément les postes d’observation nécessaires, les lieux qui doivent être impérativement gardés afin de concentrer les forces et de calculer le temps qu’il est exigé pour acheminer des renforts en tout point de la ligne de défense. Concrètement, d’une part QI répartissait ses soldats aux points névralgiques des murs de défense de la ville, d’autre part, il divisait son armée en trois groupes, afin de pouvoir la concentrer pour, premièrement renforcer la défense des murs de la ville, deuxièmement, si les murs tombaient à l’ennemi, la concentration des forces devait empêcher les tartares d’entrer dans la ville.

Attaquer là où la surprise est la plus totale, telle est la meilleure stratégie selon QI. Il l’utilisait très souvent afin d’atteindre l’objectif d’infliger de grandes souffrances à l’ennemi et de le détruire. Il utilisait beaucoup les tactiques de l’embuscade et de l’attaque de nuit, de la rapidité et de la mobilité dans la manœuvre, de la déception afin de cacher sa véritable force positive. Lors de la bataille de Hua-Jie (dans le Zhejiang) en avril 1561, les troupes de QI se déplacent à marche forcée jour et nuit de Ninghai à Taizhou afin de surprendre les wokou, ce qu’ils réussissent à faire, et lancent l’attaque aussi brutalement. La victoire est rapidement obtenue. C’est la surprise de cet assaut dans les rangs ennemis qui causa leur perte. Au cours du combat de Shan-Feng-Lin, QI mit en avant de ses troupes ses soldats d’embuscade dans les montagnes autour de la ville. Quand les éléments avancés de l’ennemi passèrent les cols, les hommes de QI attaquèrent si soudainement et violemment le milieu de la troupe wokou, la portion la plus faible de la longue colonne, que ceux-ci furent mis en déroute et réduits aisément. De même, en mai 1561, la bataille de Sansha (dans le Zhejiang) fut conduite de nuit à la totale surprise de l’ennemi qui fut massacré sans avoir pu répondre. En septembre 1562, QI fit courir le bruit dans les rangs ennemis, que ses troupes étaient fatiguées par un long déplacement et n’étaient pas disposées à attaquer les wokou avant plusieurs jours. Or, c’est la nuit même de leur arrivée sur zone que QI lança l’offensive, qui se solda par une mise en coupe réglée des forces ennemies. « Attaquer au moment où l’ennemi s’y attend le moins et par surprise. », ce précepte maintes fois répété de Sun zi était fort difficile à réaliser. Pourtant le général QI y avait réussit mais en plus il y avait ajouté la grande souffrance infligée à l’ennemi et la destruction de ce dernier.  

QI Jiguang se plaisait à répéter à ses officiers : « si nous voulons faire trembler de frayeur nos ennemis, il faut s’en prendre à leur spécialité » (commentaire dans « textes sur l’entraînement militaire » Tome.8). Cela veut dire, qu’il faut attaquer l’ennemi là où il croit avoir un avantage certain, avantage tant de terrain, que de tactique, que d’équipement… .

QI Jiguang montra que la spécialité des tartares était d’attaquer avec une cavalerie forte de dizaines de milliers avançant en même temps, affichant une puissance semblable à une montagne s’écroulant ou un fleuve se déversant par une brèche que l’on ne peut colmater. Alors, attaquer la spécialité des tartares c’était résister à leur cavalerie et même la vaincre. La méthode proposée par le général QI Jiguang est simple, il faut résister à une force de plusieurs dizaines de milliers de cavaliers par une force équivalente en nombre et ne pas craindre d’engager le combat au corps à corps pour vaincre l’ennemi. Pour cela, il faut également utiliser conjointement des chars, de la cavalerie et l’infanterie. QI entraînait très durement une force semblable à Jizhou, afin de pouvoir mettre en œuvre cette idée de combat dès le moment venu. La suite lui a donné raison, non à l’occasion d’un combat mais par le simple fait que de maintenir en état une pareille force n’engageât pas les tartares à attaquer Jizhou, ce qui porta à croire que l’objectif de faire trembler de frayeur l’ennemi fut atteint.

Dans l’art de la guerre, Sun Zi a dit : « l’armée doit être semblable à l’eau, comme l’eau elle évite les hauteurs et se précipite dans les creux, l’armée évite les pleins et attaque les creux » (chap. 6 – du vide et du plein). Autrement dit, l’armée évite les points forts de l’ennemi et attaque ses parties faibles. Ce principe largement accepté s’est trouvé enrichi par une extension que QI à développé, l’attaque de la spécialité de l’ennemi. En revanche, comme ce n’est certainement pas le point faible de l’ennemi cette attaque se révélera plus difficile mais aussi plus payante. En effet, il peut être aisé de s’en prendre aux points faibles de l’ennemi, mais il faudra à un moment élargir les attaques et le coup fatal sera plus long et difficile à porter. Il est contrairement très difficile de s’en prendre directement à la spécialité au combat de l’ennemi, mais si ce combat est gagné alors l’ennemi ne peut que courir à sa perte. QI Jiguang a donc raison de considérer cette méthode comme véritablement novatrice. Cependant, QI reconnaît que pour s’attaquer à la spécialité de l’ennemi, il faut particulièrement bien préparer le combat. Ainsi sa pensée s’enchaîne de la manière suivante, qui veut vaincre rapidement et complètement l’ennemi doit s’attaquer  à sa spécialité, la réalisation de ce principe implique qu’il faut bien préparer la manœuvre qui permettra d’atteindre ce but. QI Jiguang résume donc sa pensée sur l’application d’une grande souffrance à l’ennemi, par une concentration de la force militaire, l’attaque surprise et l’attaque de la spécialité ennemie.

Le général QI Jiguang fait bien comprendre à ses officiers qu’il n’existe pas de modèle fixe de combat, qu’il n’y a que des principes issus de l’expérience pratique et que la pensée stratégique et tactique du chef doit s’adapter sans cesse.

e) La position du canard mandarin et la position d’une tête et deux ailes :

C’est à l’époque où QI Jiguang luttait contre les envahisseurs japonais au sud de la Chine qu’il développa les positions de combat du canard mandarin, la position d’une tête, deux ailes et une queue, ainsi que les positions des deux manières et des trois talents. Ces postures sont issues du combat d’embuscade et de contre embuscade. Ces modèles sont fondamentaux dans les écrits tactiques de QI Jiguang.

-Les positions du canard mandarin, des deux manières et des trois talents.

La position du canard mandarin est la tactique de base du combat de QI Jiguang contre les wokou. Cette position de combat est composée de 11 soldats, un capitaine en tête et le reste de la troupe répartie en deux groupes. Les premiers éléments portent des boucliers en rotin, les deux soldats suivant  mettent en œuvre des arbalètes puis les quatre sur les côtés sont armés de longues lances, enfin les deux derniers sont équipés de courtes lances.

-l’installation d’embuscade et la contre embuscade sont également deux tactiques majeures employées lors des combats menés par QI Jiguang contre les envahisseurs japonais. Pour l’installation d’une embuscade il y a deux façons de procéder : soit la monter avant l’attaque générale de l’ennemi, soit après, lors de sa retraite.

Pour le premier cas, il faut disposer les soldats d’embuscade aux points de passage obligés de l’ennemi. Le combat devant se dérouler après son passage, sur ses arrières de sorte qu’il se retrouve face à deux fronts.

Pour le second cas, il s’agit de disposer des embuscades le gênant  tant dans sa retraite que dans ses tentatives de poursuite de nos troupes, après la confrontation majeure. En mai 1561, lors de la bataille de Shan Feng Lin, cette méthode fut utilisée. Le général QI Jiguang commanda à ses troupes d’installer l’embuscade à Shan Feng Lin (colline de Shan Feng) avant  l’arrivée de l’ennemi. Ces soldats d’embuscade lancèrent leur assaut en plein milieu du franchissement de cette colline par l’ennemi, ce qui le désorganisa et conduisit à sa défaite. Ce fut un exemple important pour la théorie militaire de QI , puisque avec 1000 hommes seulement il remporta cette victoire sur un ennemi qui en comptait plus de 2000.

Si le montage des embuscades préoccupait le général, il s’attacha également aux techniques de contre embuscade. Les wokou sont maîtres dans l’art de monter des embuscades, même en cas de défaite, ce qui nuit à l’efficacité des troupes Ming. Pour cette dernière raison, QI s’est penché sur l’étude de la contre embuscade et son entraînement. L’essentiel de sa réflexion porte sur l’étude de toutes les parties du terrain favorables à la mise en œuvre de ces contre embuscades (bois, vallons, zones habitées, marécages, champs avec herbes hautes…).  La méthode consiste à disposer des troupes le long des axes de repli potentiels de l’ennemi, et en même temps d’engager des escouades pour fouiller directement les endroits susceptibles d’embuscades. En cas de mouvement, des éléments de reconnaissance sont chargés de débusquer les wokou et d’empêcher toute action d’embuscade de leur part. Dans la stratégie de QI, l’embuscade sert à détruire l’ennemi, et la contre embuscade a pour objectif de conserver les armées Ming.

Les postures fondamentales de combat que préconise QI Jiguang dans la lutte contre les wokou sont une combinaison d’actions offensives et défensives[46]. La position du « canard mandarin » possède ces deux attitudes. Dans la posture de « une tête, deux ailes et une queue » la combinaison de l’attaque et de la défense, par la tête (attaque), et les deux ailes (défense). Ces postures qui associent la défense et l’attaque ont pour but de se mettre dans une situation qui doit éviter de perdre une bataille, c’est le côté protection du dispositif et des hommes, mais également il doit permettre aux forces Ming de battre l’ennemi, c’est l’aspect offensif.

2.3- La reconnaissance en profondeur et la défense entrée / sortie.

Pour empêcher l’invasion mongole au nord, la stratégie de défense de la dynastie Ming a été très différente en fonction des périodes considérées. Sous le règne de Yung-le (1403-1425), les ordres étaient d’attaquer sans cesse les insoumis du nord, ce qui fut fait à cinq reprises jusqu’aux portes de la capitale des  « barbares ». C’était une stratégie militaire très offensive. Mais, dès l’époque de Chen-tung (1436-1450), la puissance militaire des Ming déclina et il devint impossible de maintenir une politique offensive. Les directives militaires furent de protéger l’empire par une orientation défensive des moyens militaires. Des murs frontaliers et des fortins furent édifiés. Ces constructions protégeaient quelque peu mais n’étaient pas assorties de missions de surveillance actives. En effet, les officiers lançaient des attaques contenues uniquement contre de petits éléments ennemis, mais étaient dans l’incapacité de porter de sérieux coups à la cavalerie tartare, en raison de leur faible puissance militaire. Au début,  de l’ère Cheng-De (1506-1522), le général Yang-yi Qin proposa pour défendre la frontière nord, d’envoyer des renforts de troupe pendant les périodes où les tartares étaient susceptibles d’agir. Cette idée ne fut pas suivie par bon nombre de chefs militaires qui continuaient à attendre l’attaque tartare pour réagir, souvent trop tard lorsque l’ennemi avait déjà franchi les murs de défense. C’est à l’époque Jia Qing (1522-1567), l’intendant Dung-wan da insista pour relancer la construction et la fortification de la grande muraille ainsi que pour la mise en œuvre de détachements de surveillance sur tout son long en permanence. En effet, il identifie le danger en affirmant que les tartares ne doivent en aucun cas occuper des positions stratégiques le long de cette muraille, ce qui aurait pour effet de leur permettre de lancer en sûreté des raids dévastateurs, et il ajoute que l’importance des murs de défense est liée à la présence des troupes Ming dessus. Ces murs fortifiés sont dressés aux principaux carrefours (humains, commerciaux, caravaniers) de la frontière nord. Ces positionnements stratégiques les rendent incontournables à toute action militaire.

QI Jiguang, contemporain de cette époque a bien assimilé la pensée stratégique de l’intendant et des classiques en particulier. Aux réflexions de l’intendant, il confère une illustration en volume de force à appliquer sur la frontière. Sa pensée revêt deux aspects, tout d’abord l’implantation d’une importante armée permanente sur la frontière, d’autre part le durcissement du dispositif de défense constitué par les murs fortifiés. Ce dernier point est important car, ce dispositif doit empêcher l’ennemi d’accéder au territoire impérial mais également pour gêner leur retrait si d’aventure les tartares passaient. En effet, QI expose que les tartares devront être pris dans une nasse composée d’un côté par les armées des fortifications et de l’autre par les armées venues en renfort de l’intérieur du pays. Il insiste sur cette combinaison dans la bataille, il l’appelle même « coopération organique ». Cette tactique très dynamique appliquée à la défense de la frontière est innovante et met en exergue la capacité à actionner une ligne de défense en deux dimensions contrairement à la tactique ancienne qui ne s’appuie que sur une ligne de défense (la muraille).

QI a participé activement aux travaux de durcissement des murs de la ville de Jizhou. Il fit utiliser des pierres et des briques ce qui renforça considérablement leur résistance. Toutefois, QI ne mésestime pas la capacité offensive de l’ennemi et sait que si il attaque avec grande virulence à la fois à l’est et à l’ouest de la ville, il s’offrira la possibilité de créer une brèche. Cependant QI Jiguang préconise dans ce cas de lancer chars, cavalerie et infanterie sur cette brèche pour mener les combats majeurs, pendant que l’armée de défense des murs continue de protéger l’enceinte non encore perforée sans fuir. Cette tactique, que QI Jiguang nomme « frapper le chien derrière les portes closes » permet de prendre en tenaille l’ennemi dans la ville et de le détruire. Ainsi, cette tactique permet d’utiliser les murs de protection pour éviter l’entrée et la sortie de l’ennemi. Mais le général QI Jiguang a également consacré beaucoup de son temps à mettre sur pied cette grande armée qui doit protéger l’intérieur de la ville. Ce concept repose sur l’engagement coordonné d’une division de chars, de cavalerie et d’infanterie. Ces trois moyens sont complémentaires et se renforcent mutuellement. La division de chars revêt un fort caractère défensif avec une grande puissance de frappe et de feu, c’est à elle seule un corps combiné d’attaque et de défense. QI Jiguang décrit ainsi comment dans la pratique le combat doit se dérouler et l’effet que doit produire sa division de chars. Si la cavalerie ennemie nous charge, nous devons faire feu sans cesser de toutes nos armes, arcs, armes à feu et missiles-fusées. Les chevaux tartares seront effrayés et ralentiront leur allure jusqu’à parvenir au contact. Alors les soldats des chars sortiront en lançant des fusées et se disposeront en posture du canard mandarin afin de couper les pieds des chevaux pour mettre à bas les cavaliers ennemis, qui une fois à terre seront neutralisés. L’infanterie est postée derrière les chars et est chargée de les protéger en cas de débordement de l’ennemi. La cavalerie est plus spécialement chargée de poursuivre l’ennemi en déroute de semer la panique et de l’exterminer.

   -Les armes à feu : QI Jiguang  préconise l’emploi de ces armes par l’infanterie et la cavalerie, en plusieurs vagues. D’abord des tirs au canon en ligne à plusieurs reprises pour freiner l’ennemi, puis les bataillons d’infanterie se préparent aux tirs de contact. La cavalerie est toujours en réserve d’attaque pour surprendre l’ennemi, au besoin avec des armes à feu. Mais, QI Jiguang, tout en préconisant l’emploi des armes à feu, au pouvoir dévastateur, n’a pas articulé ses postures et sa tactique autour de ces nouveaux genres d’armes, qui pourtant peuvent véritablement modifier la tournure d’une bataille. La raison majeure vient du fait qu’à l’époque la technique n’était pas encore parfaitement maîtrisée et de nombreux soldats se défiaient de telles armes. Mais aussi, elles ne paraissaient pas nobles aux yeux de nombreux généraux, et QI était l’un d’eux. En tant que stratège, il ne pouvait pas ignorer, et encore moins ne pas utiliser de tels moyens, mais il ne l’affectionnait pas.

Par la suite, le général QI entraîna pas moins de 12 divisions chars-cavalerie-infanterie, on parlerait aujourd’hui de divisions interarmes. Cela représenta 40.000 hommes, mais QI se garda bien de donner l’effectif réel et parla toujours de 100.000 hommes sachant que les tartares ne pouvaient excéder un effectif de 50 à 60.000 hommes pour une grande attaque. Ainsi, les tartares n’osèrent pas commettre de raids de grandes envergures car la crainte les rendait hésitants. La frontière était bien gardée, excepté quelques légères escarmouches qui tournèrent à l’avantage des troupes de QI. Ce qu’il faut retenir, c’est cette organisation supérieure des troupes de QI Jiguang en combinant les chars, la cavalerie et l’infanterie contre une forme unique de combat ennemi, la charge, ou le déferlement de la cavalerie. Telle est la raison prépondérante qui endigua la pénétration des tartares au nord. Le double avantage d’une armée lourde comme QI Jiguang la confectionna, était d’une part d’empêcher toute pénétration ennemie, mais d’autre part de pouvoir le poursuivre dans sa déroute sans dégarnir les troupes chargées de la défense de la muraille.

Dans Ji Xiao Xin Shu, Tome 13, QI dit que « ce qu’il faut avoir à la fois, c’est la capacité d’attaquer mais également de se défendre. Qu’il doit y avoir de la défense dans l ‘attaque et de l’attaque dans la défense ». C’est le fil conducteur de l’ensemble de sa pensée stratégique. Cantonner une grande armée à proximité de la muraille pour dissuader l’ennemi (c’est l’offensif), bien faire garder en permanence la ligne de défense que constitue la grande muraille pour éviter les incursions mêmes très légères de l’ennemi (c’est le défensif). Les bataillons de chars sont la défense dans l’attaque et les fortifications sont l’attaque dans la défense. En effet, cela peut paraître paradoxal, mais dans la vision du général QI Jiguang, les chars entourent l’infanterie et la cavalerie pour les protéger des projectiles (flèches, lances…), ils forment un obstacle difficile à franchir pour les cavaliers tartares. C’est plutôt défensif puisqu’ils coupent le passage à l’ennemi. L’infanterie et la cavalerie dépendent des chars pour attaquer l’ennemi. Donc, dans cette méthode de combat, il existe bien de la défense dans l’attaque et du combat dans la défense, c’est un corps associé d’attaque et de défense.

En revanche, les murs des fortifications, sont évidemment défensifs, mais servent aussi de base de départ pour l’envoi de troupes au-delà des murs pour fomenter des embuscades ou pour attirer ou tromper l’ennemi. C’est également un moyen pour briser l ‘élan de l’ennemi et de lancer des troupes sur lui lorsqu’il se repli. Alors, les murs de fortification sont non seulement pour la défense mais aussi pour l’attaque dans la défense.

QI Jiguang aimait à répéter « qu’un spécialiste de la guerre pense d’abord qu’il n’est pas possible de gagner le combat puis ensuite pense comment gagner la guerre ». QI a associé l’attaque et la défense dans un corps intégral de pensée stratégique. L’objectif de la guerre pour QI est de conserver la puissance de l’empire Ming et d’exterminer les ennemis ( le terme est volontairement fort). La force de sa pensée stratégique a été de fonder cet objectif sur des bases concrètes, qui englobent la préparation à la guerre jusqu’à sa conduite. C’est la transformation de la stratégie en un art tout fait d’exécution qui positionne l’armée Ming dans tous les cas de figure, afin de ne pas perdre son combat.


[1] Fan Zhong yi« Mémoires et commentaires de Qi jiguang » – p.43-66

[2] Fan Zhong yi « Mémoires et commentaires de Qi jiguang » – p.122-143.

[3] Hucker in « système de censure » p.34-35

[4] Da Ming Huidian p.129.23 et 152.14

[5] Xie et Ning in  « Qi Jiguang » p.116

[6] Xie et Ning in  « Qi Jiguang » p.124

[7] Qi in « Lianbing Shiji » p.258-261

[8] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.15 §24-25

[9] Qi in « Lianbing Shiji » p.103

[10] Qi in « Lianbing Shiji » p.99-100

[11] Xie et Ning in « Qi Jiguang » p.127

[12] voir biographie de Altan dans le dictionnaire (Goodrich, Carrington et Fang).

[13] Qi in « Lianbing Shiji (de l’entraînement des troupes)» p.251

[14] Lu Dajie in « an introduction to books on art of war of all ages of china » Hong-Kong – éditions Zhongson 1969

[15] Lei Bailun in « chinese culture and the chinese soldier » Taipei – éditions Wannianging 1971.

[16] He Liangchen in « a note of formation (Zhenji) » p.67-68, 87-88collection of chinese books on the art of war – éditions Li Yuri – Taïpei 1957

[17] Niquet Valérie in « les fondements de la stratégie chinoise » p.27-43

[18] Mao Yingbai in « an introduction to the arts of war of sun zi and sunbin » p.20 Hong-Kong  éditions Yinhua  1979 et Niquet Valérie in « deux commentaires de Sun zi ».

[19] Wang Heming in « Bingfa Baizhanjing » the collection of chinese books on the art of war, éditions Li Yuri Taïpei 1957

[20] Chapitre Shu Wu- Tome N°1 de Ji Xiao Xin Shu

[21] (Chapitre ‘entraînement des commandants d’unité’ – Tome n°14 de Ji Xiao Xin Shu ; et Tome n°9 de Lian Bing Ji Shi dans le chapitre intitulé « entraînement des commandants d’unité » .

[22] QI in Ji Xiao Xin Shu – Tome.1 « contrôle d’armée » chap.18

[23] Tome.1, chap.18 – Ji Xiao Xin Shu

[24] Tome.3, « Les règles militaires » in Ji Xiao Xin Shu – Tome.4 « Lian Bing Shi Ji »

[25] Tome.6 –« les comparaisons », chap.14  in Ji Xiao Xin Shu

[26] Tome n°3 -« La discussion sur l’entraînement des soldats de la province du Zhejiang » Nouveaux recueils des commentaires des points essentiels de l’ensemble des livres sur l’entraînement des soldats. =Zhong Ding Pi Dian Lei Ji Lian Bing Zhou Shu.

[27] Tome 2, 8 et 16 =Les règlements simplifiés des codes et ordres importants dans les combats = Jin Yao Cao Di Hao Ling Jian Ming Tiao Ling Pian de Ji Xiao Xin Shu

[28] Chapitre 2 « L’entraînement à la transmission des ordres = Lian Chu Ling »- Tome 16 Ji Xiao Xin Shu.

[29] Tome 6 intitulé « La récompense et la punition des contrôles de l’art du combat = Bi Jiao Wu Yi Shang Hang Fa Pian – Ji Xiao Xin Shu. C’est également la notion de comparaison des résultats par rapport à une attente.

[30] Tome.7 et 9 – Les formations des soldats lors des combats – chap.10 et14 de Ji Xiao Xin Shu.

[31] Tome.2- l’esprit courageux- de Lian Bing Shi Ji.

[32] Tome.2 – l’esprit courageux- in Lian Bing Shi Ji.

[33] Tome.4 = les ordres et les interdits les plus importants pour les soldats – Yu Ping Jin Yao Jin Ling Pian – Ji Xiao Xin Shu.

[34] Tome.6-L’entraînement des chefs militaires =Lian Jiang Pian, in Lian Bing Shi Ji.

[35] Tome.6 « L’entraînement des généraux = Lian Jing Pian », in Lian Bing Shi Ji.

[36] Tome 6, L’entraînement des chefs militaires = Lian Jiang Pian, in Lian Bing Shi Ji.

[37] Chapitre 11 L’esprit courageux, Tome 14, Ji Xiao Xin Shu.

[38] QI in « Lianbing Shiji » Tome 1 -chap.IV, recueil des discours oraux.

[39] QI in « Lianbing Shiji » Tome 1 -chap.IV, recueil des discours oraux.

[40] QI in « Lianbing Shiji » Tome 1 -chap.IV, recueil des discours oraux.

[41] Niquet Valérie in « deux commentaires de Sun zi » – Economica 1994.

[42] Fan Zhong yi« Mémoires et commentaires de Qi jiguang » – p.153-161

[43] QI in « Ji Xiao Xin Shu » chap. préliminaire

[44] Fan Zhong yi« Mémoires et commentaires de Qi jiguang » – p.162-164 , extraits du Tome.8 de Ji xiao xin shu

[45] Fan Zhong yi in « Mémoires et commentaires de Qi jiguang » – p.164-165.

[46] Fan Zhong yi« Mémoires et commentaires de Qi jiguang » – p.168-173

Publié dans Uncategorized | Commentaires fermés sur Chapitre II – Ses responsabilités de stratège

Chapitre I – La biographie de QI Jiguang

I.1-Le contexte de « guerre » sur la côte orientale Chinoise au XVIème siècle :

Durant les décennies 1520 et 1530, de petites bandes de pirates exécutaient leurs méfaits tout au long de la côte  sud-est, du ZHEJIANG au GUANGDONG. Ces raids étaient menés par des groupes aux chefs différents et qui se combattaient entre eux autant que contre les milices de défense locales. Ces bandes de pirates étaient composées de gens communs qui s’étaient mis hors la loi pour des raisons très diverses et qui n’avaient aucune aspirations personnelles. Lorsqu’ils pouvaient subvenir à leurs besoins par le commerce, ils le faisaient ou agissaient pour le compte d’autres marchands  et pirates ; lorsqu’ils ne pouvaient pas commercer, ils pillaient ; mais le plus souvent, ils faisaient les deux à la fois. Pour endiguer ces actions hors la loi, la cour promulguait de façon répétée des édits d’interdiction de commerce outre-mer. Mais de tels édits n’étaient pas facile à faire respecter par les autorités locales civiles et militaires, qui , par ailleurs étaient souvent impliquées dans la conduite de ce commerce illicite.

La discipline dans les garnisons côtières s’était détériorée et la plupart des officiers (qui détenaient leur charge militaire par hérédité) n’avaient pas d’expérience au combat. Les autorités militaires qui étaient supposées supprimer le commerce illicite outre-mer, étaient souvent les intermédiaires entre les pirates, les commerçants locaux et étrangers. En 1529, plusieurs commandeurs à Wenzhou dans le FUJIAN furent exilés pour avoir été mêlés à ces trafics[1]. Par ailleurs, l’Empereur avait donné instructions aux autorités locales de saisir et de détruire les navires et embarcations qui servaient à commercer au profit des familles influentes de la région. Les groupes d’intérêts locaux refusèrent en grande partie de coopérer. Une large frange de la société locale étaient en rapport de diverses manières avec ce commerce illicite. Les familles aisées fournissaient les capitaux pour la construction des navires (qui étaient le plus souvent armés de canons) et les marchandises ; les  officiels militaires servaient d’intermédiaires pour les échanges. La population locale servait comme personnel de ces flottes et vendait les marchandises qu’elle pouvait grappiller à l’intérieur du pays.

Le commerce d’outre-mer représentait une part importante des moyens de subsistance de nombreuses familles et il y avait donc aucun intérêt à le stopper.

Les autorités locales avaient tout simplement ignoré  les édits impériaux. En 1532, le gouverneur du GUANGDONG fut rappelé à l’Empereur car il avait échoué à éradiquer la piraterie locale qui agissaient depuis plus d’une décennie. En 1533, le ministère de la guerre se plaignait que l’interdiction de commercer outre-mer n’était pas respectée et que des flottes armées pillaient encore tout le long de la frange côtière de la Chine.

Un pirate capturé en 1534 avait plus de 50 navires de différents tonnages sous son commandement. Il pillait depuis plusieurs années les côtes du ZHEJIANG et fut finalement pris à l’issue d’une bataille sanglante au cours de laquelle de nombreuses troupes impériales périrent. Les autorités judiciaires locales prononcèrent à son encontre une peine légère que l’Empereur demanda de réviser et dépêcha une cour spéciale pour la révision. Elle prononça la mort pour toutes les personnes impliquées dans de telles actions. Le pouvoir local fut bien averti qu’il ne s’agirait plus dorénavant, en matière de piraterie, de cas d’offense mineur vis à vis du pouvoir.

A partir de 1540, les groupes disparates de pirates et de commerçants s’organisèrent mieux. Ils se rencontraient sur des îles au large des côtes du ZHEJIANG et du FUJIAN où ils rassemblaient d’importantes flottilles afin de pourvoir au commerce d’outre-mer . Leur principal point d’appui au ZHEJIANG était au large de la préfecture de Ningbo, sur des îles . Dans ces ports sécurisés, ils pouvaient décharger les navires et distribuer les marchandises, rencontrer les marchands étrangers, stocker les armes et fournitures ainsi que faciliter l’achat et la vente de marchandises sur la côte. Un tel commerce outre-mer fut organisé en premier lieu dans les mouillages de Daishan proche de Ningbo, qui servait comme enclave commerciale depuis au moins 1525. En 1539, des marchands portugais (qui étaient interdits de commerce à Canton depuis 1522) furent conduits dans cette enclave et en 1545, les flottes de commerce japonaises s’y introduirent pour la première fois.

         L’arrivée des japonais en 1545 a tout changé. Avant cela , il n’y avait pas une tendance marquée à commercer outre-mer avec les japonais. Bien que les marchands du FUJIAN s’étaient déjà établis dans le port de Hakata dès 1537 et des bandes de pirates japonais avaient commis quelques raids, mais de manière marginale, sur les côtes chinoises depuis le début du XVIème ; la plupart des contacts s’établirent dans un cadre bien déterminé (le tribut). Ce cadre était favorable aux japonais jusqu’à la fin du XVème siècle. Mais en 1496, les envoyés  du tribut japonais sur leur chemin de retour de Pékin tuèrent plusieurs personnes, ce qui fit prendre des mesures limitatives à l’encontre des délégations, de 100 envoyés, elles seraient désormais de 50. Pendant cette période, trois puissantes familles ( les Ise, les Hosokawa et les Ouchi) avaient déjà commencé une compétition effrénée pour le contrôle du commerce avec la Chine. Depuis  qu’une seule mission  de 50 envoyés était autorisée à commercer avec Pékin, la lutte était encore plus féroce entre ces familles pour obtenir cette autorisation. En 1510 et 1511 deux missions mandatées (le tribut) arrivèrent à Pékin et devant chaque instance les représentants de la famille Ouchi menacèrent d’avoir recours à la piraterie si sa famille se voyait refuser la permission de commercer.

1.1-Politique de la cour envers le commerce outre-mer

         En 1523, deux missions commerciales arrivèrent encore à Ningbo, l’une représentait la famille Hosokawa, l’autre la famille Ouchi. Les Hosokawa étaient les premiers arrivés. Les Ouchi, soudoyèrent les eunuques en charge des affaires maritimes de Ning-po afin de bénéficier d’un traitement préférentiel. Lorsque les Hosokawa l’apprirent , ils attaquèrent la mission Ouchi[2]….

Dans la suite de cet incident, plusieurs officiels de la cour critiquèrent l’action des autorités locales, lesquelles furent accusées de mauvaise gestion et de laxisme dans l’exécution de leur devoir. L’eunuque en charge des affaires maritimes pour le ZHEJIANG fut accusé de corruption et d’avoir causé les troubles à l’ordre. Cependant, rien fut fait. En 1525 le même eunuque était à nouveau en charge de coordonner les autorités des affaires maritimes et celles de la défense des côtes. Cet état provient du fait que les autorités qui avaient fustigé ce même eunuque quelques années auparavant, étaient également opposées au respect des règles rituelles impériales, notamment en matière de commerce. Aucune action en profondeur fut engagée au ZHEJIANG jusqu’en 1527, lorsque l’eunuque en charge des affaires maritimes fut démis de ses fonctions, dans un vaste mouvement de purges des eunuques liés à l’ancien règne.

L’intendance au commerce maritime fut abolie en 1529, pour le motif qu’il n’était nécessaire au ZHEJIANG  que d’un eunuque pour gérer les affaires maritimes. Aussi, la responsabilité des affaires maritimes fut transférée à l’eunuque intendant militaire, qui était en général responsable de la sécurité de la région. Le problème de la piraterie côtière était encore largement sous estimé à la cour impériale.

En 1527, le tribut japonais fut à nouveau autorisé à commercer pour la décade à venir, avec la restriction d’une délégation de 100 envoyés au maximum, sans guerriers parmi eux, et trois navires. Cependant, les familles qui au début avaient organisé de telles délégations officielles n’étaient plus assez puissantes pour monopoliser le commerce avec la Chine. Pendant les années 30 et 40, de petites flottes marchandes japonaises établirent des contacts avec les commerçants chinois et ceux-ci installèrent des points de commerce au large (offshore) afin de faciliter ces échanges. Peu de commerce se réalisa après 1523, dans le cadre organisé du tribut, puis l’intendance pour le commerce maritime au ZHEJIANG fut fermée en 1529, les autorités impériales avaient de ce fait encore moins le contrôle qu’avant sur le commerce d’outre-mer.

Des propositions furent faites pour appointer un gouverneur investi de pouvoirs particuliers sur toutes les affaires de défense côtières, en 1524, après l’incident de Ningbo. Les promoteurs de cette politique  argumentèrent que les japonais représentaient une menace aussi prégnante que les hordes mongoles et que les dispositions administratives appliquées le long de la frontière nord du pays devraient s’appliquer de la même manière aux côtes . Un mandarin de haut rang avec l’autorité de promulguer  des lois sur sa propre initiative fut affecté au ZHEJIANG afin de nommer, de coordonner et d’encadrer les responsables locaux. L’eunuque en charge des affaires maritimes pour le ZHEJIANG se proposa en 1525 d’être investi d’une fonction similaire. En 1526, les autorités de la cour firent d’autre propositions, mettant en cause la mauvaise gestion des affaires par les eunuques et encore insistèrent pour que soit appointé un officiel civil. Bien que l’eunuque en charge des affaires maritimes fût finalement rappelé en 1527, aucun officiel civil ne fut appointé dans ce poste, et l’affaire fut entendue.

En 1529, après le soulèvement d’une garnison côtière qui rejoignit les rangs d’une bande de pirates, Xia Yen(qui devint secrétaire principal en 1537) remit la question à l’ordre du jour. Un censeur fut envoyé pour inspecter les défenses côtières, pour coordonner la lutte contre la piraterie, et pour punir les fomenteurs des soulèvements. Cependant, aucune des autorités envoyées pour résoudre les désordres ne fut capable de stopper le commerce outre-mer et les actes de piraterie.  En 1531, le censeur en charge de la défense côtière  fut muté et non remplacé. La situation restait comme avant. Le grand secrétaire Zhang Cung (qui provenait d’une préfecture côtière du ZHEJIANG) opposa aucune action contre les pillages et exactions ainsi que la prohibition du commerce outre-mer jusqu’à son départ en 1535. Pendant la décennie 1530, les inspecteurs de la cour n’avaient de cesse de se plaindre de la complaisance des autorités locales en faveur du commerce outre-mer, du refus de celles-ci de faire respecter les édits impériaux et d’ignorer les exactions des pirates. En conséquence, rien n’avait été entrepris pour résoudre cette situation au cours de ces seize dernières années.

Pendant cet intermède, le système  du tribut au commerce s’estompa complètement. En 1539, lorsque les premières missions commerciales japonaises depuis 1523 à Ningbo, réapparurent, les autorités locales confisquèrent les armes des émissaires et les encadrèrent fermement. Ils n’eurent aucune chance de commercer avec les commerçants chinois et ne tirèrent aucun bénéfice de cette mission. En 1544, quand une autre mission arriva pour commercer, les officiels chinois refusèrent de la rencontrer sous le prétexte que cette mission était prévue arriver en 1549, ainsi, les émissaires japonais commercèrent avec les commerçants chinois, hors de la filière officielle. L’un d’entre eux, Wang Zhi, rentra au japon avec la délégation. En 1545, il conduisit une mission privée de commerce sur les rivages de Dinghai. Dans la lignée de cette première mission privée, de nombreuses autres suivirent et cela devint commun jusqu’à ce que la taille des flottilles japonaises croisant dans ce but s’agrandit d’année en année.

         En même temps que se développait le commerce entre les deux rives les actes de violence associés aussi. En de nombreuses occasions de violentes altercations survinrent en raison de la non volonté des familles aisées impliquées dans le commerce illégal de payer leurs dettes aux groupes commerciaux d’outre-mer. Dans certains cas ces familles usèrent d’intimidation en menaçant de jouer d’influence auprès des autorités locales pour qu’elles agissent contre leurs créditeurs. Les commerçants se vengèrent en pillant et brûlant les propriétés de ces familles aisées.

         En 1547, un censeur consignait que la piraterie était hors de contrôle tout le long de la côte sud-est. Il recommandait qu’un haut officiel investi de l’autorité d’agir à sa guise devait être envoyé dans cette région  pour plusieurs années afin d’éradiquer les causes de la piraterie liées au commerce outre-mer. En juillet 1547 Zhu Wan (1547-1550), qui avait été chargé de supprimer la piraterie le long des côtes du JIANGSU et du FUJIAN depuis 1546, fut chargé d’organiser la défense côtière du ZHEJIANG et du FUJIAN.

Chu pris ses fonctions en novembre 1547 et installa son quartier général Zhangzhou, le principal centre du commerce outre-mer dans le FUJIAN. Les autorités officielles locales refusèrent de coopérer avec lui dans la lutte contre le commerce outre-mer, ainsi il recruta sa propre équipe. Immédiatement il parcouru les défenses côtières du nord de sa zone de responsabilité. En février 1548, il réitéra ses remarques quant au non respect de l’interdiction du commerce outre-mer, peu de temps après la diffusion de cette recommandation, plusieurs bandes de pirates s’abattirent sur les côtes des préfectures  de Ningbo et Taïzhou (Linhai, aujourd’hui) dans le ZHEJIANG, tuant, brûlant et pillant sans rencontrer la moindre opposition de la part des forces armées impériales.  Ce fut jusqu’à lors le raid le plus meurtrier et destructeur que connu cette province. Il devenait urgent dès lors, d’écraser ces bandes de pirates. Cependant, en février 1548, le grand secrétaire Xia Yen, qui avait appuyé la nomination de Zhu et lui avait donné les moyens d’agir, fut démis de ses fonctions mandarinales et condamné à mort pour trahison. Aussi, lorsque Zhu regagna Ningbo en avril 1548, il n’avait plus d’allié de poids à la cour. Peu de temps après, il échafauda des plans pour attaquer les enclaves commerciales à Dinghai et Dongsha, qui étaient les principales places de commerce outre-mer le long des côtes du ZHEJIANG. L’attaque de Dinghai se déroula de nuit et pendant une tempête ce qui permit à de nombreuses embarcations de s’échapper et de se regrouper le long de petites îles plus au sud. Consécutivement à ce nouveau regroupements de ces flottes marchandes, un nouveau chef de bande émergeât, en la personne de Wang Zhi. Wang avait rejoint le groupe de Dinghai en 1544, il fut également le premier marchant à avoir commercer avec la japon en 1545. Il pris progressivement le contrôle du restant de la flottille de commerce , en tuant son ancien leader par surprise. Le commerce outre-mer continuait donc.

Wang organisa le commerce entre les côtes chinoises du sud et le japon, de 1549 à 1550. Dinghai était remplacée par d’autres petits ports  abrités sur des îles au larges des côtes du ZHEJIANG et du FUJIAN.

Mais, les pouvoirs que Zhu détenait en matière de lutte contre le commerce outre-mer illicite ne le laissa pas sans réponse. Il fit exécuter toutes les personnes ayant participés aux raids de 1548, malgré les protestations des autorités locales, l’un des truands était l’oncle du juge préfectoral de Ningbo, ce juge était l’une des nombreuses personnalités qui voulaient empêcher Zhu de réaliser son mandat d’éradication du commerce outre-mer et de la piraterie dans le ZHEJIANG  et le FUJIAN. En août 1548 les pouvoirs de Zhu furent réduits. En effet, un censeur du FUJIAN fit remarquer qu’une autorité ne pouvait pas posséder autant de pouvoir juridictionnel. Zhu, néanmoins continua de faire respecter la loi d’interdiction du commerce d’outre-mer en concentrant ses troupes  et sa flotte de chasse le long des côtes sud du ZHEJIANG. En mars 1549, il attaqua une importante flotte marchande stationnée au large du FUJIAN, de nombreux pirates furent capturés et 96 d’entre eux furent exécutés sommairement sous son autorité. Juste au moment ou sa campagne de lutte semblait être couronnée de succès , il fut démis de ses fonctions. Un censeur l’accusait d’avoir commis des crimes sans en être dûment autorisé. Il n’obtint pas la grâce de Pékin, car la procédure resta au niveau des autorités locales, dont le censeur en chef était natif de Ningbo. Lâché de tous il se suicida en janvier 1550. Toute son organisation fut démantelée, sa flotte de défense côtière dispersée et les autorités locales rétablirent le commerce outre-mer[3].

1.2-Le commerce et la piraterie pendant la décennie 1550

         Ce fut dans de telles conditions que des marchands chinois comme Wang Zhi cherchèrent à influencer la politique de la cour envers le commerce outre-mer. Wang Zhi avait pendant tout ce temps organisé un véritable consortium commercial et était à la tête d’une flotte bien armée servi par des hommes entraînés au combat et défendant cette organisation. Wang Zhi et quelques autres avaient l’avantage d’être les pionniers dans cette voie. Afin de mieux préserver leurs intérêts respectifs, il tombait sous le sens qu’ils allaient s’appliquer à contrôler la piraterie en limitant ses incidences le long des côtes, notamment en forçant les flottes pirates à se joindre au consortium, au risque de se faire détruire autrement.

Entre 1549 et 1552 Wang coopérait avec les intendants militaires locaux à plusieurs reprises, au point même de capturer et de livrer des chefs pirates. En retour, il attendait de la part des autorités locales la levée de l’interdiction de commercer outre-mer. Mais l’effet inverse s’instaura. En 1551, même les bateaux de pêche furent interdits de prendre la haute mer. Tout le commerce outre-mer était hors la loi. Ayant échoué à atteindre ses objectifs par le compromis, Wang décida d’user de la force. Les raids après 1551 furent plus nombreux et particulièrement bien organisés contre les établissements officiels ; greniers à grains, préfectures, et les trésoreries de district, parfois aussi, dans la campagne environnante, qui était pillée en coupe réglée.

         Les raids à grande échelle conduits entre 1552 et 1556 faisaient suite aux calamités naturelles (sécheresse dans le bassin du Yangzi jiang en 1546  et 1547, famines dans le ZHEJIANG en 1543 et 1544)  et aux mouvements de rébellions paysannes. Les milliers de personnes qui avaient tout perdu et qui erraient à la recherche de moyens de subsistance, étaient des recrues idéales pour les bandes de pillards et gangs de pirates. A partir de 1550, la piraterie était si répandue le long des côtes du ZHEJIANG que les villes et villages érigeaient des palissades pour se protéger. Au début des raids, les pirates effectuaient des attaques souples avec replis immédiat sur leurs navires. Puis à partir du printemps 1552, les raids étaient menés par plusieurs centaines d’hommes le long de la côte du ZHEJIANG. Pendant l’été 1553, Wang rassembla une flotte de plusieurs centaines de navires est mena une succession de raids le long de la façade maritime du ZHEJIANG. Plusieurs garnisons furent prisent aux forces impériales  et d’autres assiégées. Après cette campagne de raids, il apparu aisé pour les pirates d’établir des bases terrestres le long de la côte. Dès le début de 1554, des bases fortifiées furent établies le long de la côte du ZHEJIANG. A partir d’elles d’importants raids de marins, de pirates, de guerriers japonais, d’aventuriers étrangers et de bandits chinois partirent en direction de l’intérieur des terres. En 1555, ces raids atteignirent les grandes villes de Hangzhou, Suzhou et Nankin, au point qu’à partir de l’année 1556, toute la région du sud de Nankin à Hangzhou était hors de contrôle des forces impériales.

1.3-Tentatives de suppression de la piraterie et du brigandage 

En 1552, Wang-yu (1507-60), le gouverneur du SHANDONG, fut nommé responsable des affaires militaires au ZHEJIANG et dans les préfectures du FUJIAN (Cette fonction était vacante depuis la relève de Zhu Wan en 1549). Wang remis immédiatement en liberté les commandeurs qui avaient servi sous les ordres de Chu afin de reconstituer une armée. Cette armée impériale reconstituée subit défaites sur défaites de 1553 à 1554. Les pirates et bandes armées investirent encore 20 citées administratives et garnisons. En mars 1554, la ville de Sung-chiang fut attaquée, en mai la ville de Chia-hsing tombait, T’ung-chou était assiégée, et l’île de Chungming occupée. Wang n’eu qu’une suggestion utile, il recommanda l’édification de murs de protection autour des villes saccagées[4]. En novembre 1554 Zhang shing, le ministre de la guerre de Nankin fut investi du commandement des armées du sud-est, doté de pouvoirs discrétionnaires et chargé personnellement de la suppression de la piraterie. Cependant, les pirates n’étaient pas resté inactifs, et avaient établis de nombreuses bases fortifiées autour de villes et édifiés des fortins sur la côte du ZHEJIANG, abritant une force hétéroclites de 20.000 hommes. Le premier objectif de Zhang était de reprendre les villes fortifiées et de détruire les fortins. Pour cela, il lui fallait une armée plus nombreuse, à cet effet, il mobilisa 11.000 soldats aborigènes provenant du JIANGXI et du HUNAN pour suppléer aux forces impériales déjà engagées au ZHEJIANG. Toutefois ces renforts n’arrivèrent pas avant le printemps 1555, et pendant ce laps de temps les armées impériales tinrent uniquement les villes fortifiées et les dépôts à grains, laissant le reste au pillage. En effet, Zhang shing refusait de livrer combat aux forces pirates tant que le renfort des troupes aborigènes nécessaire ne serait à pied d’œuvre au ZHEJIANG.

En mars 1555, la situation au ZHEJIANG ne s’était guère améliorée et l’empereur dépêcha un censeur du nom de Zhao Wen-Hua pour s’enquérir de la situation militaire. Les bandes de pirates menaçaient les tombes impériales au nord de Nankin et s’en prenaient aux barges à grains transitant par le delta du Yangzi jiang. Le censeur  impérial exhorta Zhang shing à réagir sans délai à ces attaques, celui-ci en pris ombrage du fait de sa différence de rang, plus élevé dans la hiérarchie et de son peu de loyauté envers le régime impérial qu’il servait. Ces différends furent rapportés à l’Empereur, avec une légère déformation consistant à accuser Zhang d’avoir détourné  les fonds destinés à sa mission et d’avoir donc échoué dans sa défense de la région, celui-ci fit arrêté Zhang .

Dans le même temps, en mai 1555, les Armées combinées de Zhang obtinrent une victoire éclatante sur les forces pirates à Chia-hsing (plus de 2000 têtes), c’était la première du genre en faveur des forces impériales. Cela ne sauva pas la tête de Zhang qui fut décapité peu de temps après, le bénéfice de cette victoire ayant été indûment attribué à l’action mobilisatrice du censeur Zhao Wen-Hua.

Zhao Wen-Hua (qui était de Ningbo), n’était pourtant pas favorable à l’interdiction du  commerce outre-mer. En 1549, il avait tenté de corrompre Zhu Wan au moyen d’une promotion afin de le faire quitter le ZHEJIANG, mais l’offre lui fut décliné. Aussi, bien que l’empereur promulgua une loi de pardon et de pacification concernant ce commerce, en 1554, Zhao était déterminé à obtenir malgré tout et par ce biais la reddition du chef des pirates Wang Zhi, lui accordant de ce fait le monopole du contrôle de ce commerce. Il gagna à sa cause le Censeur-général Hu zung-xian, qui allait être muté au ZHEJIANG, et qui provenait du district de Wang Zhi dans l’ANHUI.

1.4-Hu zung-xian et Xu hai 

En 1554, lorsqu’il débuta sa coopération avec Zhao, Hu zung-xian était censeur en charge des affaires militaires pour le ZHEJIANG. En 1556, il était la plus puissante autorité civile et militaire dans tout le sud-est de l’Empire. Durant ces trois années, il travailla à faire aboutir les plans de Zhao, affrontant des protestations ouvertes de la part de ses subordonnés, n’ayant de cesse de rappeler la stratégie impériale de pardon et d’apaisement  à l’encontre des acteurs du commerce outre-mer. En mai 1555, Hu obtint la permission d’envoyer une délégation à la cour du roi du Japon afin de solliciter son assistance dans la lutte contre la piraterie  et plus particulièrement d’obtenir la reddition du pirate Wang Zhi, cette démarche était en contradiction avec les édits impériaux.

Au cours du printemps 1556, Wang Zhi manifesta son intention de mettre un  terme aux actes de piraterie sur les côtes du ZHEJIANG en contrepartie d’un pardon et d’une autorisation de commercer légalement avec l’outre-mer. Il assorti son geste d’une mise en garde contre un de ses lieutenants, Xu hai qui projetait  un raid d’envergure le long des côtes et contre lequel il ne pouvait malheureusement plus rien faire. Cet avertissement compliqua les plans de Zhao, qui se retrouvait à présent face à une menace militaire sérieuse.

En avril 1556, Hu zung-xian fut nommé commandant suprême des forces armées des régions sud, ZHEJIANG et FUJIAN. Les armées impériales avaient été sérieusement défaites tout au long de l’année 1555 dans les combats qui les avaient opposé aux forces rebelles. La situation militaire s’était détériorée et les raids continuaient. Hu zung-xian, passa les premiers mois de l’année à trouver un arrangement avec Xu hai afin de le dissuader de lancer ses raids sur le ZHEJIANG. Ceux-ci débutèrent le 19 avril 1556.

         Xu hai commença sa carrière comme moine bouddhiste, mais en 1551 il quitta son temple à Hangzhou et se mit au service de son oncle, marchand appartenant au consortium de Zhi. Entre 1551 et 1554 fait partie de toutes les expéditions maritime en direction du japon et accumula de la sorte une petite fortune. Mais en 1555, lorsque son oncle échoua dans la conduite d’un raid au GUANGDONG, le seigneur Osumi (qui était le patron et le créditeur de son oncle) ordonna à Xu hai de rembourser les dettes de son oncle en menant à son tour un raid de large envergure sur le ZHEJIANG. Sa flotte pris la mer au début de l’année 1556. L’objectif de cette campagne était de piller les villes de Hangzhou, Suzhou et de Nankin. Conscient de son incapacité à gagner la bataille décisive contre les forces de Xu hai, Hu zung-xian essaya de négocier sa reddition. Pour cette raison, il refusa de s’engager et de donner ordre à ses hommes d’attaquer. Toutes les forces disponibles furent stationnées dans la garnison d’Hangzhou, lieu d’implantation du quartier général de Hu zung-xian. Cependant, Juang O (1509-67), le nouveau gouverneur du ZHEJIANG, décida d’attaquer sur sa propre initiative. Il fut lourdement défait et forcé de se retrancher dans la ville assiégée de Tong-xiang, il ne reçu aucune aide militaire mais servit à Hu zung-xian comme monnaie de négociation avec Xu hai, qui dès lors leva le siège après plus d’un mois, en signe de bonne volonté et dans le but d’obtenir le « pardon » des autorités. 

         Au même moment, à la cour de l’Empereur, la lutte contre la piraterie et la mise en œuvre d’une politique agressive d’éradication devenaient les maîtres mots de toute la stratégie à appliquer aux incursions telles que celle que venait de conduire Xu hai, le temps du pardon n’était plus à l’ordre du jour.

         Toutefois, les contacts entre le représentant de l’autorité impériale et le chef des pirates Xu hai se renforçaient et visaient au démantèlement organisé et coordonné des bandes de pirates sévissant dans cette région,  mécontentant un certains nombres d’autres chefs de bandes. Ces derniers continuèrent à piller et à poser des problèmes pour l’autorité. Les leaders de ces bandes éparses n’affichaient aucune confiance dans la parole des autorités concernant le « pardon à l’issue » de leur reddition. Un arrangement fut conclu entre Hu et Xu hai, et consista à accorder aux ralliés le bénéfice de leurs navires pour rentrer au Japon ou l’octroi de charges militaires pour ceux qui souhaitaient rester en Chine. Pendant ce temps les hommes de Xu hai continuaient de débarrasser la région, comprise entre les bords de la rivière de Wu-song entre Suzhou et la mer, des pirates, en attaquant également leurs points d’appuis le long de la côte. La stratégie de Hu semblait bien fonctionner. Les commerçants d’outre-mer faisaient ce que les troupes impériales étaient dans l’impossibilité de faire. Cependant, Xu hai souhaitait désengager ses troupes dans la mesure ou il aurait bientôt assez d ‘argent pour ne plus être l’obligé du seigneur OSUMI, Hu se posait en intermédiaire. Tout changea dès l’arrivée de Zhao Wen-Hua en août 1556.

         Peu de temps après son arrivée au ZHEJIANG, Zhao Wen-Hua réfuta ouvertement la politique d ‘apaisement menée par Hu zung-xian, tout en se gardant de suggérer la manière de résoudre cette crise. Hu compris qu’il n’avait d’autres choix que de faciliter le repli des bandes de pirates ou de précipiter les luttes fratricides, en accord avec Xu hai, qui finalement se rendit à Hu zung-xian en septembre 1556. Zhao Wen-Hua, voulu obtenir la mort de ce chef pirate et dirigea la campagne finale d’éradication des bandes pirates affiliées à Xu hai, qui fut découvert mort étouffé[5].

1.5-La reddition de Wang zhi

La politique de lutte contre la piraterie menée par Zhao Wen-Hua était issue de trois observations. La première était d’accorder le pardon aux personnes engagées dans le commerce d’outre-mer, la seconde était de réussir à les engager dans la lutte à leur tour contre la piraterie, enfin, de leur permettre de s’assurer malgré tout d’une condition d’existence décente, cela afin de retourner la tendance envers la piraterie. La volonté également de recruter Wang zhi, de l’intégrer dans la hiérarchie militaire et de le convertir dans la lutte à son tour pour la suppression de  la piraterie.

En octobre 1557, Wang zhi accosta avec une flotte nombreuse sur l’île de Shenjiamen au large des côtes du ZHEJIANG. Il dépêcha immédiatement des envoyés au quartier général de Hu pour annoncer sa reddition et sa volonté de continuer son commerce outre-mer. Hu accepta et reçu la reddition de Wang zhi, ce dernier fut mis en prison et y resta jusqu’en décembre 1559, date de son exécution, sur ordre de l’ Empereur. Le lieutenants de Wang se sentirent trahis et se replièrent sur l’île de Shenjiamen à partir de laquelle ils lancèrent dès avril 1558 à nouveau des raids sur les villes côtières du ZHEJIANG et au nord du FUJIAN. Fin juillet 1558, l’Empereur releva de leur commandement les principaux commandeurs de l’armée de Hu zung-xian, notamment QI Jiguang et Yu Da-Yu et leur confia la mission de supprimer définitivement la piraterie en l’espace d’un mois, assortie d’une peine de mort en cas d ‘échec exécutée à Pékin. Hu zung-xian s’était fixé lui même ce délai pour venir à bout des dernières résistances pirates le long de la côte et sur le port fortifié de Shenjiamen. En revanche, il échoua et essuya de nombreuses pertes en tentant d’occuper l’île de Shenjiamen en décembre 1558. Toutefois l’Empereur fit preuve de mansuétude à son encontre en raison des succès obtenus à terre. Hu n’eut pas le même comportement à l’égard de ses commandeurs dont Yu Da-Yu qui fut arrêté sur ses ordres en avril 1559, pour n’avoir pas réussi à reprendre l’île de Shenjiamen. Malgré cela les pirates décrochèrent de cette île fortifiée pour se réfugier en partie au FUJIAN.

         Le général QI Jiguang fut également démis de ses fonctions durant l’été 1559, mais ordre lui fut donné de constituer une armée, de l’entraîner et de recouvrer son honneur en combattant à nouveau les pirates. Le général recruta 3.000 hommes de la province sud de Hangzhou (une région connue pour les révoltes paysannes), les entraîna tout particulièrement et selon de nouvelles méthodes de combats propres à vaincre les guerriers japonais, que QI considérait comme des combattants hors pairs. Cette armée, qui plus tard se rendit célèbre par son appellation « d’armée du général QI », prouva sa valeur et fut engagée avec succès dans la suppression des bandes de pirates et des autres formes de banditisme jusqu’en 1567.

1.6-La piraterie après 1567

         Après que les restes de la flotte de Wang zhi eut abandonné l’île de Shenjiamen en 1559, seulement de petites bandes de pirates continuèrent à causer des troubles dans la région du delta du Yangzi jiang, en particulier autour de la préfecture de Yangzhou, sur la berge nord du Yangzi. Ces bandes furent graduellement réduites durant l’été 1559 et les plus sérieux troubles dès lors, ne se manifestèrent plus qu’au moment du désengagement des troupes recrutées pour éradiquer cette piraterie en 1560. A présent les zones les plus exposées au brigandage et aux raids de pirates étaient limitées au FUJIAN, au GUANGDONG et au sud du JIANGXI (graphique 1).

         Entre 1560 et 1563, les bandes de pirates restantes se réunissaient au large des côtes du FUJIAN, notamment sur l’île de Zhi-men (l’île actuelle de Quemoy). Les raids les plus dévastateurs étaient conduits au sud du FUJIAN et au nord du GUANGDONG. En décembre 1562, la préfecture de Xing-hua et ses environs furent pris par les pirates après un long siège. Les inspecteurs de la cour rapportèrent que la situation dans la région était hors de contrôle. Dès le début de l’année 1563, le général QI Jiguang et son armée furent envoyés au FUJIAN. En renfort des forces armées locales il repris la préfecture de Xing-hua et vers le mois de mai de la même année ils avaient détruit les principales bases pirates le long des côtes du FUJIAN. Les bandes de pirates ayant réussis à se déplacer ou à s’échapper furent peu à peu détruites  ou capturées au cours des nombreuses campagnes menées entre 1564 et 1566. Durant ces mêmes campagnes  d’importants territoires et populations (les régions montagneuses comprises entre le GUANGDONG, le FUJIAN et le sud du JIANGXI) qui étaient depuis fort longtemps sous la férules des pirates furent rendus à la gouvernance de l’Empereur.

A partir de 1567, la piraterie n’était plus un problème sérieux le long des côtes du sud-est de l’Empire. Le problème qui subsistait était lié à la politique de la cour envers le commerce outre-mer, qui n’avait pas changé d’orientation et qui s’obstinait à l’interdire. Cependant, sur les recommandations avisées du gouverneur du FUJIAN, en 1567, l’interdiction du commerce outre-mer fut levée et encadrée par la création d’un office central des douanes maritimes. Aussi, cela mettait un terme au débat au sein de la cour sur la politique à adopter quant au commerce d’outre-mer commencé depuis bientôt quatre décennies. A cette même période les côtes du sud-est de l’Empire furent ouvertes aux échanges avec les commerçants espagnols, implantés aux Philippines depuis 1565, idéalement positionné pour pouvoir accéder au commerce avec la chine. Le commandant de la première flotte espagnole aux Philippines écrivait :  « Nous devons accéder au commerce chinois, pourvoyeur de soie, de porcelaine, de benjoin, de musc et bien d’autres richesses ». Ce commerce commença dans les faits, à partir de 1573, et permit d’instituer une route maritime commerciale, entre la Chine et les Amériques.  

I.2-La stratégie et la pensée militaire MING au XVIème siècle :

Ces raids étaient la contrepartie extrême orientale de la piraterie contemporaine portugaise, anglaise, française qui florissait le long des routes maritimes commerciales de l’autre côté du monde. Pour les chinois, c’était une nouvelle forme d’agression transposée du nord mais par voie maritime, qui visait au pillage sans véritable conquête territoriale. La réponse chinoise tout au long de la décennie 50 fut plus défensive qu’elle ne l’avait été jusqu’ici le long de la grande muraille au nord. La solution n’était pas en la création d’une puissance navale, une contre force en mer, mais plutôt dans la réalisation de postes de gardes, de fortins, de lignes de défense le long du rivage défendus par de petites mais nombreuses garnisons, soutenues par un corps de forces spéciales intervenant dans la profondeur du territoire sur les bandes de pirates, mais souvent après que celles-ci aient occasionnées de sérieux dommages.

La principale structure d’organisation des Ming était les colonies militaires (wei) reposant sur la charge héréditaire, indépendantes de l’administration locale. Quelques 500 wei étaient enregistrées soit comme garnisons attachées à une ville ou un village, soit comme colonie dédiée à la défense des frontières. Ainsi , il régnait une grande hétérogénéité parmi ces formations. La pensée militaire émanait de ces regroupements armés, en terme d’organisation et de commandement. A titre d’exemple, on comprend ainsi mieux que toute la campagne de suppression des incursions armées de la part des pirates entre 1555 et 1567 fut largement influencée par les écrits du général QI Jiguang, un des principaux protagonistes.

2.1- La voie chinoise dans la conduite de la guerre

         La plupart des expériences militaires chinoises sont directement comparables aux autres aventures militaires de par le monde. Que ce soient les incursions mongoles en chine, les Huns en occident, la bataille de Poitiers au cours da laquelle les francs, sous le commandement de Charles Martel en 732, défirent l’invasion arabe d’Abd-el-Rahman, la bataille de Talas en 731, pendant laquelle les arabes vainquirent les troupes d’invasion chinoises de la dynastie Tang, dans le Turkestan et qui étaient placées sous le commandement du général coréen Kao Hsien-Chih ; le non moins important et pas toujours bien visualisé, flux multidirectionnel de technologies militaires entre l’Extrême-Orient, le Moyen-Orient et l’Europe, portant sur la technique des chariots, de l’arbalète, l’étrier, la poudre à fusils, les armes à feu, en particulier, la technique médiévale de siège répandue dans toute l’Eurasie, mais aussi, la rencontre entre la machine de guerre mongole et la société sédentaire chinoise, Perse, Russe, sans oublier le contrôle militaire des places fortes, sous les empires chinois, byzantin, et ottoman, incluant les troupes particulières qu’étaient, les captifs, les mamelouks, les janissaires, les « wokou » ou les vikings, finalement, chaque observateur attentif à l’histoire militaire peut ainsi établir sa liste opportune de comparaison. Alors, si toutes ces études comparatives auraient tendance à prouver qu’il n’existe pas de manière particulièrement chinoise de conduire l’engagement, il faut néanmoins reconnaître qu’il existe de par l’empreinte géographique et historique chinoise des habitudes de pensée et d’action spécifiques, telles que nous pouvons ainsi les décrire[6].

         1-Une tendance à n’accorder aucune estime à l’héroïsme et à la violence, et à préférer les attitudes non violentes pour surmonter un adversaire et parvenir à un but politique. La force militaire  étant dans cette perspective, seulement un moyen parmi de nombreux autres de soumettre ou maîtriser un ennemi, et non une fin en soi. Le commandement militaire ne doit en aucun cas revenir exclusivement aux militaires, et c’est ainsi que l’autorité de décision échappe en majeur partie à l’intelligentsia militaire.

         2- Une tradition continentale de combat qui préfère la défensive à l’offensive, visant à l’épuisement d’un attaquant, ou à une pacification des rebelles, stratégie moins coûteuse que l’extermination de l’adversaire. Cette stratégie vaut également pour la force militaire navale[7], qui sous les Ming appliquait aux marines adverses le concept de lutte développé par les stratèges terriens, qui s’exprimait par un regroupement des forces, des vivres et autres ressources au sein de bastions côtiers ou de villes fortifiées en vue de priver de tout ravitaillement l’agresseur, espérant ainsi l’affamer et le pousser au retrait. Cette stratégie a prévalu tout au long de l’époque du général QI Jiguang, mettant à mal plusieurs régions et ne portant que très partiellement ses fruits.

 

         3- Une union entre la bureaucratie et le militarisme plutôt qu’entre le militarisme et l’expansion commerciale, au moins pour tout ce qui a touché le commerce outre-mer. Au contraire des grandes expéditions européennes, les autorités impériales n’éprouvent que mépris pour le commerce et ses revenus. Les revenus de l’Empire sont essentiellement intérieurs, la terre, la taxe sur le sel et la corvée. Les profits personnels des élites impériales proviennent de multiples malversations bureaucratiques au détriment des plus pauvres. Cela valait autant pour la classe civile que militaire. Aussi, cette façon de faire développa les guerres punitives et les pillages au profit des généraux qui dirigeaient de telles expéditions. C’était une façon d’entretenir l’émulation militaire et de faire régner l’ordre intérieur pour les classes civiles dirigeantes.

2.2- La nature du problème militaire 

La stratégie traditionnelle de réponse aux menaces militaires s’articule autour de trois invariants majeurs guidant l’action militaire :

–         Les troubles domestiques fomentés par des sujets mécontents qui sont souvent très violents et à l’origine de nombreuses succession de règne.

–         Les raids incursifs ou les invasions occasionnelles massives de la part des hordes nomades du nord de la chine

–         La résistance permanente des peuples aborigènes du sud et sud-est à l’implantation forcées des colonies de peuplement chinoises et de leur mode d’organisation politico-sociale.

Contre toutes ces menaces, les gouvernants chinois ont toujours compté avec la plus grande confiance sur leur réseau administratif et bureaucratique, qu’ils tenaient pour supérieur à tout autre organisation, et capable de solutionner tout problème majeur. Mais derrière cette façade morale et rigoureuse, il y toujours eu des armées nombreuses, bien encasernées, que ce soit le long de la grande muraille au nord, ou à proximité de routes et points d’eau stratégiques plus à l’intérieur des terres. Afin de s’accommoder de tous les dangers, l’attitude impériale oscillait entre deux types d’action : l’initiative purement militaire pour briser toute association belligène et s’octroyer un espace naturel de protection, ou bien garder l’ennemi dans l’incertitude par un affichage de puissance, par des initiatives diplomatiques, des menaces, des tentatives de séduction, par la confusion et bien d’autres subterfuges. Lorsque des hostilités faisaient éruption, le gouvernement considérait traditionnellement deux possibilités de réponses ; une réponse directement militaire, souvent qualifiée ‘’d’exterminatrice’’ (zhao, mie), ou plutôt une solution indirecte, politico-économique, appelée ‘’pacificatrice’’ (zhao-an, zhao-fu). Dans une vision pragmatique, les gouvernants chinois dédaignaient le recourt à la solution militariste, ultime et dernière réponse en cas de menaces patentes de chute de la dynastie, ils étaient généralement plus enclins à préférer la pacification de l’adversaire, cette préférence reflétait le penchant confucianiste naturel pour que tout s’arrange à l’intérieur de la communauté et souvent à n’importe quel prix, par la médiation, le compromis, gardant bien soin de sauver la face et de ne point porter atteinte à la susceptibilité de chaque partie.  

2.3- Le défi sans précédent des raids en profondeur japonais 

         Les japonais furent les premiers à faire peser une menace pour la sécurité de l’Empire, qui ne provenait pas d’un territoire parfaitement attenant[8]. A l’origine ces raids ont commencé à sévir au cours du XIIIème siècle le long des côtes coréennes, ce qui déclencha la volonté d’invasion de l’île de Kyushu par Kubilai Khan en 1274 et 1281, qui se solda par un échec. Ces raids, par la suite s’élargirent vers les côtes de chine. Dès le début de la dynastie Ming, d’importants contacts s’établirent.

De significatifs efforts diplomatiques et défensifs ont été déployés par les premiers empereurs de la dynastie Ming et qui ont eu pour effet de diminuer sensiblement l’impact de ces raids et d’instaurer des relations sino-japonaises sous le régime des ‘’missions de tribut’’, qui étaient ressenties comme un comportement acceptable et admis de la part des étrangers. Mais en 1548, faisant suite à de nombreuses anicroches au système du tribut, ces relations formelles furent rompues. Mais bien avant, les campagnes de raids côtiers avaient reprises en ampleur et atteignirent leur point culminant au cours de la décennie 50. Les efforts chinois pour endiguer cette vague de raids étaient rendus complexes par plusieurs facteurs.

         1- Ils s’agissait en premier lieu de la difficulté pratique de mettre en place et de maintenir un dispositif efficace de défense tout au long de la grande façade maritime chinoise. Les autorités Ming, tentèrent de créer une ligne de défense côtière équivalente à la grande muraille. Pour ce faire, ils établirent un dispositif de citées fortifiées, de fortins, de tours de guet, d’obstacles et de digues le long de la côte, de la Corée à l’Annam.  En même temps, ils entretinrent une flotte de guerre importante qui était supposée patrouiller dans les estuaires, autour des îlots, des petits archipels qui abondaient au sud du delta du Yangzi jiang. La marine de guerre Ming comportait des navires biens supérieurs à ceux utilisés par les pirates et étaient en temps normal victorieux en combat naval au large ; les autorités Ming avaient réalisés qu’il était préférable de s’attaquer aux Wokou (pirates japonais) en pleine mer plutôt que de les maîtriser une fois débarqués à terre. Malgré tout, il y avait encore dans beaucoup d’esprit une assez faible confiance absolue dans la capacité de la flotte à elle seule de défendre correctement les côtes.

Poursuivre les maraudeurs en pleine mer est une chose, empêcher leur débarquement sur les côtes en est une autre. Alors, bien que très défendue, la côte chinoise était extraordinairement vulnérable aux attaques de la piraterie.

         2- Interdire aux maraudeurs l’implantation de bases à terre et le bénéfice des places protégées en mer à proximité de la côte, exigeait la conquête de la part des armées impériales et le contrôle des îles au large du Zhejiang, de Taïwan, et jusqu’à une certaine partie du japon lui-même. Les capacités pour mener de telles actions ont existé au début de la dynastie MING mais aucun Empereur a été assez hardi pour donner l’ordre de le faire, d’autre part la menace ressentie comme principale par la cour Impériale venait du nord et a donc laissé peu à peu s’instaurer le déclin de ses moyens et forces maritimes pour se concentrer sur ses forces terrestres et aucun conseiller en 1550 se sentait le courage et l’opportunité nécessaire pour suggérer à l’Empereur de défendre ses côtes par la conquête d’un espace tampon. En effet, au moment où les attaques de pirates atteignaient leur paroxysme, toute l’attention de la cour était focalisée sur la frontière nord, au-delà de laquelle le chef mongol Altan Khan revitalisait ses troupes et représentait la menace militaire la plus prégnante, engageant de ce fait d’importantes dépenses pour l’Empire afin de renforcer les installations de défense au nord. Le temps n’était pas à l’engagement dans une aventure risquée de quelque sorte que ce soit ailleurs.

         3- Par ailleurs, le maraudage côtier n’était uniquement qu’un problème de relations internationales. Les maraudeurs étaient généralement appelés « Wokou » (pirates japonais), car c’était bien les japonais les premiers à avoir commis des raids sur les côtes chinoises. Mais les Wokou étaient les agents d’aucune organisation gouvernementale et au milieu du XVIème siècle, les aventuriers japonais ne représentaient plus qu’un faible pourcentage de guerriers à l’intérieur de ces bandes organisées.  D’ailleurs, à la vérité la plupart de ces bandes étaient dirigées par des renégats chinois, des insulaires, des personnes déshéritées de l’intérieur des terres  à la recherche d’une condition de vie meilleure et quelquefois apparemment des portugais et leur hommes de mains malais. Ceux qui étaient donc qualifiés de Wokou en 1550 représentaient une communauté de contrebandiers qui agissaient sur mer et dans les terres avec la connivence de sommités locales et influentes dans bien des cas. Les pirates connaissaient bien les conditions de vie dans les régions attaquées, avaient d’excellents contacts à l’intérieur des villes et villages et ceux qui leur assuraient ce soutien étaient souvent les mêmes qui prêtaient aide aux troupes impériales lors de leur déploiement sur le terrain. Il était ainsi, très difficile de trier l’ivraie du bon grain et d’appliquer une simple solution militaire à ce lancinant problème.

         4- La richesse et la difficulté d’accessibilité à la zone convoitée et menacée compliquaient singulièrement les données du problème. La zone privilégiée des attaques pirates Wokou était contenue entre les régions traditionnellement appelées Zhuan-nan (sud de la rivière), Dong-nan (sud-est), incluant également Shanghaï-Suzhou dans le Jiangsu et Hangzhou-Ningbo dans le Zhejiang, qui ont de tout temps été d’une importance stratégique à la fois dans les relations intra régionales à la chine et également internationales. De la dynastie Tang à la dynastie Ming, les villes de Ningbo et de Hangzhou furent des centres de commerce outre-mer très actifs. Aussi, cette région du sud-est chinois était une cible toute désignée, et naturelle pour les maraudeurs. Son accès était aisé par mer à cause de la permanence de vents orientés du large vers la terre, de ports bien abrités. Enfin, cette région était densément peuplée, intensément cultivée et très productive tant dans le secteur agricole que manufacturier. La population y avait un niveau de vie bien plus enviable que dans l’intérieur des terres. C’était en outre, le grenier de Beijing, grâce au réseau de canaux permettant d’acheminer les grains des taxes impériales.

2.4- La défense militaire dans le sud-est à l’abord de la décennie 1550

         L’ensemble de la région n’a cessé de subir les incursions des pirates tout au long de la décennie précédente, ce qui décida le renforcement  progressif du dispositif de protection des côtes. Ce renforcement pris surtout la forme d’un remaniement dans l’organisation du commandement militaire de la région. En 1547, un grand coordonnateur fut  investi de pouvoirs militaires spéciaux et responsable de la défense côtière pour la province du Zhejiang et le sud du Fujian. De même, fut créé le poste de commandeur suprême pour les forces engagées le long des côtes du sud-est (provinces du Fujian, Zhejiang, et Anhui). Parallèlement, de nouvelles troupes du nord furent acheminées en renfort et les villes du littoral renforcées par des barricades et des murs d’enceinte, pour la première fois de leur histoire[9].

I.3-Le milieu familial du « général »

3.1-L’enfance de QI Jiguang

Le 12 novembre 1528 dans le bourg de Lu Qiao, à 60 Li                             ( un Li = 0,5 km ) au Sud-Est  de Ji Ning (aujourd’hui Ville de Wu Lin), à l’aube du petit matin, les pleurs d’un nouveau né sortent d’une petite maison en paille. Le maître (chef de famille) de cette maison est le Général QI Jing Tong. Nous nous situons à la 7ème Année sous la règne de l’Empereur Jia Qing, de la Dynastie des Ming. Le nouveau né est son fils aîné, celui là même qui deviendra l’un des généraux les plus accomplis et reconnus aux quatre coins (traduction littérale : aux quatre mers) du pays, le général QI Jiguang.

Les ancêtres de la famille QI sont d’origine du Wei Hui Fu (aujourd’hui Qi Xian), province du HUNAN. Pendant les dernières années de la dynastie de Yun, les guerres civiles sont nombreuses. L’aïeul de QI Jiguang (6 générations précédentes) fut QI Xiang. Afin d’éviter le chaos de la guerre, il s’exile et s’installe dans un village de la Province du ANHUI. Mais il  comprend rapidement que la vie dans l’Anhui n’est pas meilleure qu’ailleurs, et en 1352, il se joint aux mouvements de sédition dirigés par Zhu Yuan Zhang. QI Xiang a suivi ce dernier dans toutes ses campagnes militaires et lui a toujours été d’une grande loyauté. En 1367, Zhu Yuan Zhang fonde la dynastie Ming et devient le premier des empereurs de cette nouvelle dynastie. Quant à QI Xiang, il est nommé Bei Hu Guan (chef d’escouade de cent hommes). QI Xiang meurt en 1381, au cours d’une campagne de conquête. L’empereur, afin de récompenser le dévouement de QI Xiang, nomme son fils héritier QI Bin « Général Ming Wei » du département de Deng Zhou de la province du Shandong, un titre héréditaire qui désormais peut être transmis de père en fils. Dès lors, la famille QI intègre les familles militaires héréditaires et va se destiner à honorer cette fonction.

L’arrière grand-père de QI Jiguang se prénomme QI Jian. Il a deux fils :     

– l’aîné : QI Xuan qui n’aura pas d’enfant.

– le cadet : QI Ning qui n’aura qu’un fils, QI Jing Tong.

QI Ning, le grand père de QI Jiguang est décédé très jeune laissant son fils orphelin de père dès l’âge de 6 ans.

Le grand oncle, QI Xuan a pu adopter son neveu comme fils et lui a laissé la charge héréditaire de la famille QI après sa mort[10]. Ainsi, QI Jing Tong, le père de QI, est devenu à son tour, chef militaire du département DENG ZHOU. Il travaille sans relâche et est apprécié par tous. Il monte très rapidement en grade et devient un haut fonctionnaire militaire.

QI Jiguang voit le jour alors que son père est déjà âgé de 56 ans. La naissance d’un fils héritier apporte le plus grand bonheur à toute la famille QI. Le père du nouveau né prénomme son fils « JI GUANG » 

JI = succéder, continuer, hériter.

GUANG = la lumière, le splendeur, la gloire.

afin de symboliser la continuité de la prospérité et de la gloire de la famille.

De génération en génération, la famille QI a assumé la tâche de  fonctionnaire militaire, on pourrait croire qu’elle soit parvenue à constituer et transmettre un important  patrimoine familial et à bénéficier d’une vie aisée. Mais, ce n’est pourtant pas le cas. Fonctionnaire intègre et honnête, la famille est pauvre et incorruptible. Pendant plusieurs dizaines d’années où QI Jing Tong rempli sa fonction de Général du département Deng Zhou, il n’entretient sa famille qu’avec ses faibles émoluments en refusant le bénéfice  de tout avantage et faveur. De ce fait, la Cour Impériale le prénomme « Le Fidèle et Intègre Général ». C’est aussi dans cet état d’esprit que QI Jing Tong éduque et influence son fils sans jamais lui accorder le moindre privilège.

A l’âge de 10 ans, la mère naturelle de QI décède. Ce drame le rend plus mature en comparaison des enfants de cet âge et il commence déjà à réfléchir sur son avenir.

Deux évènements d’enfance le marquent profondément:

1) L’installation des fenêtres en bois sculpté en 1539.

Cette année, le père de QI Jiguang, âgé de 67 ans est souffrant et se voit accorder un congé pour se reposer à la maison. Il a alors décidé d’entreprendre des travaux de réparation de la maison de famille qui est dans un très mauvais état de par son manque d’entretien. A cette occasion, quatre fenêtres en bois sculpté ont été changées pour améliorer l’éclairage intérieur. QI, âgé de 12 ans, séduit par la belle allure de ces nouvelles fenêtres, a formulé une demande auprès de son père afin de changer toutes les fenêtres de la maison malgré le coût très élevé : « nous sommes de haut fonctionnaire d’Etat, nous devons avoir des fenêtres de cette allure pour montrer notre rang… ».

Son père, choqué par l’esprit vaniteux de QI Jiguang n’a pas pu s’empêcher d’entrer dans une grande colère. QI, voyant rarement son père, n’a encore jamais vu une telle réaction de la part de ce dernier.

2)     Les chaussures en soie : 1540

Dès sa naissance et jusqu’à l’âge de 13 ans, QI Jiguang n’a jamais eu une paire de chaussures en soie. A l’occasion de ses fiançailles, le belle famille de QI lui en offre une paire. QI, ravi, les a porté le jour de la fête sans attendre. Le père de QI, voyant les chaussures de QI, lui a demandé de les enlever immédiatement devant tous les invités.

Ces deux évènements d’enfance n’ont jamais été oublié par QI Jiguang, et qui dès lors,  a compris que la vanité et la recherche de la satisfaction matérielle sont des maux auxquels il convient d’échapper autant que d’une maladie contagieuse.

En effet, le père de QI Jiguang essaya en toute occasion de lui  inculquer la ligne de conduite de la famille QI, respectée par tous ses membres:

n    servir l’Empire sans restriction

n    la probité et l’honnêteté absolues envers les administrés ;

n    le désintéressement quant aux envies matérielles.

C’est au sein d’un environnement familial aussi stricte que QI Jiguang, l’un des futurs grands généraux de la Chine des Ming fut élevé.

Entre-temps, il apprit à lire et à écrire ainsi que l’initiation aux arts martiaux. Tous les matins, il se levait dès l’aurore pour s’entraîner physiquement et suivre des leçons de culture générale.

Mais, les jeux préférés de QI restaient les jeux de guerre. En imitant les scènes de guerre des pièces de théâtre, il forme et entraîne ses officiers et ses soldats de bois peints de couleurs différentes : il trouve une stratégie pour une troupe attaquante et invente immédiatement une autre stratégie pour la troupe adverse. Il était tellement passionné par ces jeux qu’il ne voulait pas aller au lit avant d’avoir pu trouver une stratégie en mesure de contrecarrer la précédente.

Dès la retraite de son père, il n’eu plus beaucoup de temps pour jouer avec ses petits soldats de bois car, son père se chargea de lui enseigner les arts littéraires classiques et l’art du commandement militaire afin de le préparer pour prendre sa suite et assurer la charge militaire héréditaire. A l’âge de 15 ans, il est devenu fort et connu dans la région de Deng Zhou pour sa maîtrise du maniement de l’épée

  3.2-L’adolescence de QI Jiguang

Eté 1544, QI Jing Tong, gravement malade, ne peut plus se lever. Il se rend compte qu’il ne peut plus servir l’Etat et décide de transmettre sa charge à son fils QI Jiguang. Il  fit appeler son fils à son chevet et l’informa de sa décision: « Mon fils, je ne peux plus servir efficacement  notre pays, c’est à toi de reprendre le flambeau et de diriger les troupes contre les ennemis. Tu as 17 ans et tu es capable de participer aux affaires tant militaires que civiles. Ainsi la famille QI ne manquera pas de successeur et les œuvres inachevées seront accomplies par toi»[11].

Dès le lendemain, QI part pour Jing-Chi (Pékin), la capitale des Ming, pour accomplir les formalités officielles propres à ce  transfert de charge. Afin de faire ses adieux à son fils, QI Jing Tong s’efforça de se lever et revêtit son costume de guerre. Il suivit de ses yeux l’ombre de son fils du plus longtemps qu’il pu jusqu’à sa disparition de l’horizon. QI n’a jamais songé que c’était la dernière fois qu’il voyait son père, car, le voyage  dura plus de trois mois et entre-temps, la maladie de QI Jing Tong s’aggrava, au point qu’il  mourut sans pouvoir attendre le retour de son fils.

Sa nomination officielle, le décès de son père, sont autant d’événements en moins d’un an qui ont fait mûrir QI, il  franchi d’un seul coup le seuil qui sépare l’adolescence de l’âge adulte. Sur ses jeunes épaules, il supportait  toute la charge familiale, c’est à dire, une mère, un frère et une sœur.

QI Jiguang se marie dès l’année suivante avec l’une des filles de la famille WANG, une famille de militaire de haut rang. Son épouse, laborieuse et organisée devint très vite une aide indispensable pour lui, car en prenant à sa charge toutes les tâches domestiques, elle lui permis de se concentrer uniquement sur son travail. Dès le début de sa carrière, il se montre très brillant.

Au seuil de la 25ème année de Jia Qing (1546), il occupa une fonction qui consistait à organiser la culture des terres par les militaires. En effet, depuis la fondation de la dynastie Ming par son fondateur, Zhu Yuan Zhang, les soldats des Ming ont toujours eu pour  tradition de cultiver la terre par leurs propres moyens pour se nourrir afin d’alléger les charges d’Etat. Des lois définissaient précisément la composition des troupes (système de poste de garde) et la proportion des soldes de garde par rapport à ceux qui devaient travailler la terre (système de culture des terres). Selon la loi, pour un régiment de gardes de l’intérieur comprenant 5600 soldats, 20% étaient dévolus aux tâches purement militaires et les 80% autres, cultivaient la terre. Pour les troupes de gardes des côtes et frontières, le pourcentage était de 30% et de 70%.

La garnison de Deng Zhou (aujourd’hui ville de Penglai dans la province du Shandong) est une garnison côtière car elle se situe au bord de la mer de Chine. Par conséquent, 70% des soldats se voient chargés de la culture de la terre pour subvenir aux besoins de toute la garnison. QI Jiguang doit justement encadrer ces derniers. C’est donc une tâche assez lourde pour un jeune officier. En plus de cela, de mauvaises habitudes se sont installées dans la troupe : la corruption, l’indiscipline, la paresse et la passivité.

Dès sa prise de fonction, QI Jiguang a décidé de lutter contre :

1) la cupidité

2) le désorganisation

3) la paresse

afin d’instaurer une ambiance pure et honorable parmi la troupe.

Il a compris depuis toujours que le moyen le plus efficace pour se faire respecter des hommes est de se donner en exemple : Quand un poste de secrétaire se libéra, un sous-officier, croyant bien faire, lui offrit de l’argent afin d’obtenir un traitement de faveur. QI Jiguang le lui  retourna sans même y toucher et infligea une punition très lourde au sous-officier délictueux. Après cela, il choisi quelqu’un d’autre qui possédait un très bon profil pour occuper ce poste. La personne choisie par QI, après avoir appris l’histoire du sous-officier, fut très émue et pour exprimer sa gratitude, offrit des cadeaux à QI. Ce dernier, furieux, le convoqua immédiatement pour lui expliquer que s’il avait ce poste, ce n’était pas parce qu’il l’apprécia plus que quiconque d’autre mais que c’était tout simplement parce qu’il correspondait le mieux pour ce poste et qu’il était déçu par sa réaction.

Pendant les quatre années où il occupa ce poste, il ne toucha que son salaire sans jamais prélever un denier ou une graine de blé de plus. Son honnêteté et son intégrité sont légendaires et appréciées de toute la garnison. En plus de cela, il rédige des règlements intérieurs très précis, contenant des chapitres entiers sur les barèmes de récompenses et de punitions. Il a aussi précisé les différentes tâches et devoirs de chacune des catégories : officiers, sous-officiers et soldats.

Grâce à son propre exemple et à toutes ces initiatives, il a réussi à mettre de l’ordre et de la discipline et à faire changer complètement le moral et l’état d’esprit des troupes. Jeune officier, il a ainsi obtenu le respect de ses proches et l’estime de ses chefs.

Mais, le rêve de QI Jiguang n’était pas de rester dans une petite garnison et de s’assurer de la parfaite culture des terres confiées à l’armée, mais plutôt de conduire ses troupes et de prendre une part active à la défense de l’Empire par la rencontre avec ses ennemis. Cette occasion se présenta enfin en 1548 (27ème année de Jia Qing). Car, cette année-là, il reçu l’ordre de conduire une partie des troupes du SHANDONG jusqu’à Jizhou (= Jixian à 120km au nord-est de Pékin, la capitale des Ming) afin de renforcer la défense de la capitale. En effet, les clans Mongols, installés le long de la frontière nord de l’empire, pénétraient régulièrement en Chine pour razzier et leurs attaques avaient généralement lieu au printemps et en automne.

QI, se réjouit de cette nomination, mais est aussi très conscient de sa conséquence éventuelle. Alors, il  prépara avec beaucoup de dignité les cérémonies funéraires de sa mère et  maria son jeune frère. Ainsi, prêt à sacrifier sa vie pour l’Empire, à l’âge de 21 ans, il parti avec ses troupes à Jizhou.

Une fois caserné à Jizhou, QI Jiguang ne  perd pas une seule minute et commence immédiatement l’entraînement de ses hommes avec méthode

n    il continue à faire régner l’ordre et la discipline et ne tolère pas une seule entrave à leur application.

n    ne connaissant pas le secteur, il commence par envoyer des soldats pour effectuer les reconnaissances nécessaires de la région.

n    ne connaissant pas les techniques spécifiques à la défense des plaines, il recherche et trouve un professeur local spécialiste des steppes et des grandes étendues.

Le fait d’être dans un nouvel environnement et de diriger ses troupes pour une contre-attaque lui fait prendre conscience de son insuffisance tant au niveau des connaissances qu’au niveau de la pratique, alors, il se replonge avec acharnement dans l’étude de tous les récits et ouvrages militaires : il lit jour et nuit les livres de stratégie, il prend des notes et essaie de les adapter aux situations concrètes qu’il rencontre au quotidien. Il soumet même un  projet de défense contre les attaques des Mongols à l’Empereur (graphique 2). Malgré le fait que ses conseils ne sont pas appliqués, il a su faire remarquer son talent de jeune officier par la Cour et les hauts responsables du Bureau de la défense.

En 1553,il a été nommé responsable de la grande ville de Ningbo afin de diriger trois régiments composés de vingt cinq compagnies. Désormais commence la longue et non moins fameuse histoire de la lutte contre les «Wokou ».

         3.3-Ses premières réflexions militaires

Mais la faiblesse de la chine fit la force du japon. Tout en manquant d’unité au sommet, les japonais firent la démonstration d’une remarquable capacité d’organisation sur le champ de bataille. Cela indiquait qu’une certaine solidarité guerrière existait dans leur ordre social, avec des racines profondes contrairement à la chine. Les écrivains chinois furent unanimement impressionnés par la discipline stricte que les envahisseurs pouvaient imposer à leurs combattants dans l’action comme au campement[12]. Les pirates plus que les mercenaires recrutés à titre temporaire se distinguaient par l’uniformité de leur habileté militaire. A l’inverse de ce qui se passait lors des soulèvements de paysans chinois, ils infligeaient de fréquentes défaites aux forces gouvernementales dont la supériorité en nombre était écrasante.

L’invincibilité des japonais reposait sur leur habileté dans le maniement d ‘armes de combat rapproché et un travail d’équipe dans de petite unités n’excédant pas une section ou une escouade. En particulier, ils brandissaient leurs deux épées avec une telle dextérité que les spectateurs ne pouvaient voir que le flamboiement des lames, pas celui qui les maniait. Les commandants d ‘escouades donnaient leurs ordres au moyen d’éventails pliants. En général, ils ordonnaient aux soldats armés d’épées de tenir leurs armes pointées vers le haut ; dès que l’attention de l’ennemi faiblissait, ils ordonnaient d’abaisser les lames qui étaient plus fines que celles que fabriquaient les chinois. Comme chaque soldat pouvait couvrir un diamètre de 18 pieds, cela donnait l’avantage aux envahisseurs dans le combat rapproché. Les observateurs chinois notèrent aussi que les japonais se servaient d’arcs de 8 pieds de long et de flèches dont la pointe 2 pouces de large et que leurs javelots partaient avant qu’on les ait vus. Les pirates n’avaient jamais considérés que les armes à feu étaient d’une importance vitale. QI Jiguang lui-même mentionnait que les japonais avaient introduit l’arquebuse en chine, mais rien ne montre qu’ils l’utilisaient régulièrement. Dans la première phase de la campagne, les fonctionnaires chinois négligèrent avec persistance l’importance du travail d’équipe. Comme on reconnaissait que les japonais étaient de meilleurs soldats, un effort fut fait par ces fonctionnaires pour recruter des chinois capables de performances acrobatiques, y compris des entraîneurs de boxe, des moines bouddhistes, des hommes qui faisaient la contrebande du sel et des indigènes du sud-ouest pour répondre à ce défi. Ce n’est qu’après que les troupes soient tombées dans de nombreuses embuscades et aient été taillées en pièces par l’ennemi que les organisateurs de la défense parvinrent à la conclusion que le problème était plus fondamental qu’ils l’avaient cru. Bien que les japonais entrassent généralement sur le champ de bataille en groupes qui n’excédaient pas trente hommes, ces sections étaient bien coordonnées, même quand elles fonctionnaient à distance l’une de l’autre. Les signaux étaient donnés en soufflant dans des conques. Les envahisseurs étaient rompus à l’utilisation des guides indigènes, à l’envoi de patrouilles, aux déploiements en profondeur, à l’usage de supercheries, à l’utilisation des réfugiés comme protection pour harceler et confondre l’ennemi[13]. L’ironie du sort voulait que les forces gouvernementales ne fussent pas versées dans ces tactiques de base. Au mieux, les plus résolus se ruaient sans protection au devant de l’ennemi et étaient immanquablement les victimes des pirates les mieux entraînés qui commençaient alors à encercler puis à supprimer ce qui restait des troupes gouvernementales. Les nombreuses rivières, criques et lac du territoire étaient la cause d’autres sujets d’affliction pour les unités en déroute. Une fois que les hommes commençaient à fuir, beaucoup mouraient noyés. Ayant l’avantage, les pirates assuraient généralement des positions défensives s’ils avaient le choix. Ils préféraient attendre les erreurs des chinois.

         QI Jiguang fit l’observation suivante :

« Les nombreuses batailles que j’ai livré ces dernières années me donnent l’impression que les pirates s’arrangent toujours pour s’installer sur des hauteurs pour nous attendre. Ils tiennent généralement jusqu’au soir au moment où nos soldats se fatiguent, et alors ils s’élancent. Ou bien, quand nous, nous retirons, ils nous surprennent, quand le pas est rompu, et lancent leur contre-attaque. Il semble qu’ils parviennent toujours à utiliser leurs unités quand elles sont fraîches et fougueuses. Ils ornent leurs casques de cordons de couleurs, de cornes d’animaux aux couleurs métalliques et aux formes effrayantes pour faire peur à nos soldats. Beaucoup portent des miroirs. Leurs lances et leurs épées étincellent au soleil tant elles sont polies. Nos soldats vivent donc dans la terreur pendant les heures qui précèdent le contact[14] ».

         Ainsi, malgré ce que les milieux officiels appelaient « la campagne des forces gouvernementales pour venir à bout des pirates », sur le plan de l ‘exactitude militaire, cette phrase pouvait induire en erreur. Au moins jusqu’au moment où QI Jiguang perfectionna sa tactique de commandement, on aurait décrit plus justement cet engagement comme une lutte entre des professionnels japonais et des amateurs chinois.

En organisant son commandement, QI Jiguang tourna le dos aux familles héréditaires et aux colonies militaires. Ses volontaires furent recrutés dans les districts de l’intérieur du Zhejiang. Cela était possible parce que le gouvernement, devant une campagne qui traînait en longueur, avait autorisé pour la financer une surtaxe sur toutes les recettes qui existaient[15]. QI exhortait ainsi ses soldats :

« Tant que vous êtes dans l ‘armée, chaque jour, qu’il vente ou qu’il pleuve et que vous restiez les bras croisés, personne ne peut vous enlever les trois pièces d’argent qui vous sont dues. Mais cet argent vient entièrement de l’impôt payé par toute la population, une partie vient de votre lieu d’origine. Là-bas, vous êtes fermiers. Lequel d’entrevous ne l’est pas ? Vous devez maintenant penser au labeur et aux soucis des travaux des champs pour parvenir à rassembler l’argent de l’impôt et vous réjouir d’avoir maintenant la facilité de recevoir des paiements en argent. Les contribuables vous nourrissent une armée entière sans vous demander de travailler. Tout ce qu’ils espèrent, c’est que vous les débarrassiez des pirates, en une ou deux batailles. Si vous n’essayez même pas de tuer les pirates pour apporter à ces gens une protection, alors pourquoi vous nourrissent-ils ? Vous pourriez passer en cour martiale, mais même alors le ciel laisserait le soin à quelqu’un, quelque part, de vous mettre à mort[16] ».

         Avec ce mélange de persuasion morale et les menaces de religion populaire, QI instaura une discipline de combat parmi ses recrues. Il déclara qu’il exécuterait un officier si son unité entière fuyait devant l’ennemi ou ses commandants en second si la débandade se produisait et si l’officier périssait en s’efforçant d’arrêter la retraite. Si un commandant d’escouade mourait sans recevoir le soutien de ses hommes, la peine de mort serait appliquée à tous les soldats de l’escouade[17]. Bien que des mesures aussi extrêmes ne pussent devenir effectives que dans quelques cas précis, son effet d’intimidation fit mouche et il devint difficile de battre en brèche le commandement de QI.  Pour maintenir ces conditions, il devait fréquemment invoquer cet article. Il faisait ressortir que même au milieu d’une défaite désastreuse il devait y avoir des individus méritants dont la valeur devait être reconnue. Réciproquement, même après une victoire écrasante, les quelques officiers et soldats qui avaient manqué à l’exercice de leur devoir ne devaient en aucun cas échapper au châtiment[18] . Dans un mémoire adressé à l’empereur, QI racontait la bataille de 1562 où ses troupes essayèrent de reprendre aux japonais un pont de pierre. La première tentative échoua et les trente-six hommes de la section moururent. La deuxième section qui arrivait sur ses talons perdit la moitié de ses effectifs. A ce moment, les survivants commencèrent à battre en retraite. QI, qui se trouvait sur place, abattit lui-même le chef de section qui s’enfuyait et fit renouveler l’attaque. Pour finir l’ennemi fut dépassé et la bataille se termina par une des victoires les plus satisfaisantes de la carrière de QI[19].

         La discipline appliquée pas QI avait parfois de quoi terrifier. Il laissa de nombreuses instructions pour couper les oreilles de ses soldats pour nombre de fautes[20]. On disait, sans que cela fût confirmé, qu’il alla jusqu’à ordonner l’exécution de son second fils. Seulement, brutal ou pas, grâce à son obstination et sa supervision personnelle constante, il organisa une armée vraiment invincible. Il pouvait rassembler une division entière sous la pluie ; elle restait là trempée, pendant des heures, sans qu’un seul essayât de s’esquiver.

         La discipline, et surtout la discipline dans le combat, allaient de pair cependant avec la fierté et la confiance en soi qui ne peuvent se passer de talent ni de capacité. QI Jiguang eut beaucoup à faire avec ses hommes sur le terrain d’entraînement. Comme les japonais, il concentra son attention sur les armes de combat rapproché. C’était une technique de base, insistait-il, celle qui consiste à apprendre à manier un simple bâton de bois, qui menait à la maîtrise de toutes ces armes[21]. QI tenait les techniques d’hommes qui les lui avaient transmises par tradition orale ; certains étaient instructeurs de l’armée. Yu Da Yu s’était bien efforcé de rédiger ces techniques, mais ce fut QI qui rassembla les instructions sous forme de manuel technique. Le principe fondamental consistait, pourrait-on dire, en une « approche dialectique » de l’art du combat[22]. A chaque position correspondait une position opposée : les aspects statiques, les aspects cinétiques, les parties du corps gardées et celles qui ne l’étaient pas, l’alignement frontal et l’alignement latéral, les potentiels défensifs ou offensifs – en fait l’art du Yin et du Yang. On pouvait aussi manœuvrer ces armes en suivant les techniques utilisées pour la danse et la boxe puisque chaque mouvement comprenait trois phases : le départ, la pause, ou le changement et la continuation jusqu’à l’arrêt. Pour que cet art soit parfaitement maîtrisé dans la recherche de l’efficacité ou de la grâce, il fallait trouver le bon rythme, ou régler convenablement l’adaptation du Yin et du Yang. Le général insistait beaucoup auprès de ses officiers et soldats pour qu’ils se rappelassent que dans un combat corps à corps, la règle primordiale était d’amener l’adversaire à faire un faux mouvement avant de lui asséner  le coup fatal[23]. Dans une analyse plus détaillée, il donnait des dénominations fantaisistes aux différentes poses et aux divers mouvements comme par exemple « chevaucher le tigre », « un ermite à la pêche », l’aiguille à broder de la jeune fille », « un buffle de fer labourant la terre » etc… . Chaque situation était l’étude d’un mouvement à l’instant de l’équilibre qui précède le changement.

         La part la plus créatrice de sa tactique concernait le travail en équipe dont l’idée essentielle était que chaque escouade d’infanterie doit coordonner l’utilisation des armes courtes et longues, offensives et défensives. Dans la lutte contre les pirates, l’arme la plus efficace était la lance, qui avait une longueur totale de douze pieds ou même davantage. Idéale pour faire des mouvements qui trompaient l’ennemi, elle devait toutefois être manipulée à une certaine distance. Une fois que le lancier avait manqué son but et se trouvait à une distance d’où son adversaire pouvait le frapper de son épée, il était pratiquement désarmé[24]. Pour fournir aux quatre lanciers de l’escouade un écran protecteur, QI plaça devant eux quatre soldats l’un portant un bouclier à cinq côtés sur la droite et l’autre portant un petit bouclier rond sur la gauche, suivis de deux soldats portant des bambous entiers avec leurs branches supérieures. Derrière les lanciers venaient deux soldats d’arrière-garde avec des armes en forme de fourche à trois pointes d’où l’on pouvait aussi faire partir des flèches en allumant des fusées. Une escouade était composée de douze hommes et comprenait un caporal et un cuisinier[25]. La symétrie de l’escouade lui valut le nom de « formation de canards mandarins ». Cependant, bien que les deux soldats porteurs de boucliers fussent armés d’épées, celui de droite qui portait le long bouclier était chargé de maintenir la position avancée de l’escouade. L’homme de gauche au bouclier rond devait lancer des javelines, ramper sur le sol jusqu’à ce qu’il atteignît l’ennemi qu’il devait amener par ruse à découvert. Cela fait, les porteurs de bambous maintenaient les adversaires à une distance qui permettait aux lanciers d’agir plus facilement. Les deux derniers soldats gardaient les flancs et l’arrière et, quand c’était nécessaire, il fournissaient une seconde ligne de frappe. Leurs armes en forme de fourches ne pouvaient pas toutefois être manœuvrées de façon à tromper l’ennemi[26]. 

         Il est clair que le succès de cette opération dépendait de la coopération des soldats ; peu de place était laissée à l’héroïsme individuel. QI Jiguang donnait fréquemment des instructions pour que les soldats d’une même escouade fussent récompensés ou punis collectivement et qu’en aucune circonstance, les lanciers ne fussent séparés de leur écran protecteur. Mais quand c’était justifié par le terrain et la position de l’ennemi, l’escouade pouvait se scinder en deux parties identiques et avancer de front ; ou bien, laissant derrière les porteurs de fourches, elle pouvait aligner les huit soldats en une ligne de front continue, les lanciers alternants avec les porteurs de boucliers et de bambous[27]. L’utilisation de boucliers de rotin, de fourches et de bambous comme armes courantes montre bien que QI ne reniait pas ses origines paysannes. Plus tard le bambou fut remplacé dans certaines circonstances par une arme métallique en forme d’andouillers, mais elle avait toujours pour fonction de gêner les mouvements de l’ennemi plutôt que de lui infliger des blessures. Sa tactique qui faisait faire à deux soldats le travail d’un seul, ne pouvait selon les normes objectives, parvenir à une grande efficacité.

         Que QI jiguang n’ait pas eu conscience de la signification des armes à feu serait inexplicable. Il les utilisa de façon satisfaisante dans des engagements, fit à ses officiers et soldats des conférences sur leur importance et les signala à l’attention de l’empereur. Il n’abandonna pourtant pas la formation et les méthodes de combat de son escouade d’infanterie, qui, comparées aux utilisations contemporaines des armes, semblaient avoir cent ans de retard. Cette contradiction avait des raisons très complexes. La proposition d’une modernisation complète de la conduite de la guerre avait été faite auparavant. Yu Da Yu qui avait souvent battu les japonais sur mer, avait fait ressortir que les soi-disant pirates, très forts quand ils se battaient en campagne, manquaient d’expérience dans la guerre maritime. Il n’avait pas cessé de plaider en faveur de l’équipement d’un plus grand nombre de bateaux de guerre en artillerie lourde ; il était aussi favorable à l’interception des intrus avant leur arrivée sur les côtes. « dans une bataille navale, disait-il, il n’y a pas de ruse spéciale. Les grands bateaux l’emportent sur les plus petits, les gros canons sur les petits canons. Le côté qui a le plus de bateaux l’emporte sur celui qui en a le moins. Le côté qui à le plus de canons l’emporte sur celui qui en a moins ». Dans un message adressé au gouverneur général, il déclarait nettement que si la moitié des fonds qui soutenaient les forces terrestres avait été détournée au profit d’opérations maritimes, le problème des pirates aurait été réglé. Pourtant, malgré son prestige et ses actions d’éclat, tout ce que put faire Yu ne parvint pas à changer le cours de la guerre ni la politique du gouvernement vis-à-vis de l’équipement.

         QI Jiguang pris son commandement en 1559 avec 3000 hommes. Deux ans plus tard, on doubla les forces qui lui étaient accordées. En 1562, elles atteignirent 10.000 hommes[28]. Mais QI n’eut jamais d’officiers d’intendance, d’intendant général d’armée, ni de service central responsable dans le gouvernement civil avec lequel il put traiter. Comme l’entretien de ses troupes était assuré par plusieurs sous-préfectures ou préfectures, on ne créa jamais d’usines unifiées ou permanente capable de produire des modèles d’armes avancées[29]. La procédure normale nécessitait la fixation des contingents aux districts locaux par les fonctionnaires provinciaux. En tant que général commandant, QI fournissait les modèles des armes ; les fonctionnaires locaux les faisaient recopier en se servant des moyens dont ils disposaient. Les arquebuses ainsi fabriquées avaient tendance à exploser selon ce que rapportait QI. Les soldats n’osaient donc pas les tenir des deux mains pour ajuster leur tir. Souvent il arrivait que la grenaille de plomb ne soit pas adaptée au canon des fusils pour lesquels elle était faîte, les amorces ne s’allumaient pas[30]. Etant donné le temps qu’il fallait pour charger les arquebuses, QI Jiguang ne put moins faire que de limiter leur utilisation. Même dans les dernières années de sa carrière, il n’autorisa que deux arquebuses pour chaque escouade d’infanterie et maintint que chaque  compagnie d’arquebusiers fût accompagnée d’une compagnie de soldats portant des armes de combat rapproché. Favoriser les armes à feu serait irréaliste et mettait en danger l’ensemble de l’armée[31].

         La composition de l’escouade d’infanterie de QI reflétait aussi les influences sociales. Dans son recrutement, il rejetait délibérément les volontaires venus de la ville et n’acceptait que les paysans. Un préjugé lui faisait classer les premiers dans la catégorie des coquins rusés. Il n’était pas logique qu’un homme ayant en ville une position stable s’enrôlât dans l’armée comme soldat pour une maigre solde et sans promesse de possibilité d’avancement. Par conséquent, le recrutement n’attirait généralement que des citadins inadaptés qui considéraient leur engagement comme une solution temporaire à leur problème de nourriture et de logement jusqu’à ce que se présenta une autre occasion. Ces indésirables que QI choisissait de refuser étaient des hommes « dont la physionomie était plaisante, les yeux brillants et les mouvements légers et agiles ». Son armée n’avait-elle pas de quoi utiliser l’agilité ? L’expérience lui avait appris qu’un homme répondant à cette description « quand il se trouvait devant l’ennemi, imaginerait une méthode d’auto-conversion et, au moment critique, non seulement déserterait mais aussi inciterait les autres à en faire autant pour avoir une couverture ». Tout bien considéré, QI Jiguang devait chercher dans la population rurale son contingent de soldats dont les caractéristiques étaient « la vigueur et la solidité[32] ». En conséquence, sa tactique avait été en partie élaborée suivant les caractéristiques de ses recrues. Les deux soldats qui portaient les bambous par exemple, devaient nécessairement être musclés, on n’attendait pas d’eux qu’ils se livrent à des manœuvres. Il était reconnu que l’utilisation des arbres comme armes rendait les soldats plus hardis. A l’inverse de Yu Da Yu qui continua à lutter pour moderniser l’équipement et élever le niveau des forces armées, ce qu’on réalisait en entretenant un soldat avec les allocations de deux. QI Jiguang se contentait d’accepter la situation telle qu’elle était. En raison du milieu social, la proposition d’élever la qualité de l ‘armée avec moins de soldats d’un meilleur niveau avait un côté irréaliste. Fondamentalement l’armée impériale était une armée à vocations multiples ; en tant qu’institution permanente, elle devait être appariée aux autres institutions d’Etat et, par dessus tout, être intégrée dans la société chinoise. Parmi ses nombreuses missions dans le pays, la plus importante était d’écraser les rebellions paysannes et quelquefois de maîtriser les minorités des régions montagnardes. La surpopulation locale, le chômage rural, les fléaux naturels et la mauvaise administration était souvent à l’origine de tels soulèvements, dont la nature mouvante et imprévisible dépassait les possibilités des forces mobiles de répression. Souvent les rebelles parvenaient à contraindre des contingents de l’armée impériales à poursuivre leurs opérations en partageant les conditions de vie des zones rurales.

         S’alignant sur la politique traditionnelle et l’importance qu’elle attachait à la paysannerie, QI Jiguang forma son corps de volontaires. Ses hommes se battaient parfois côte à côte avec des soldats de familles héréditaires. Ils étaient payés au tarif des journaliers ; mais ils recevaient en plus pour les encourager des « récompenses » après les campagnes, dont le taux était fixé à trente onces d ‘argent par tête d’ennemi coupée et rapportée[33].

         Le récit du commandement tactique de QI atteste que, depuis le commencement en 1559, il avait attaqué des positions fortement défendues, été au-devant des engagements, délivré des villes assiégées et poursuivi les pirates jusque sur des îles au large des côtes sans perdre une bataille. QI ne fit jamais de tentative trop ambitieuse, il ne fut même pas vraiment novateur ; mais quand il se lançait dans un projet, il en envisageait tous les aspects. Il avait noté dans son carnet d’infimes détails pratiques à savoir qu’au cours d’une marche il prévoyait que des soldats se serviraient du besoin d’uriner comme excuse pour abandonner leur unité, et aussi qu’au cours d’une attaque ennemi « le visage de certains soldats deviendrait jaune et leur gorge sèche », et qu’ils « oublieraient tout ce qu’ils avaient appris sur le combat ». Il prédisait le pourcentage des armes à feu qui ne partiraient pas, le nombre de coups qui seraient tirés sans causer de dégâts à l’ennemi. Sur le champ de bataille , signalait-il avec candeur , peu nombreux étaient ceux qui pouvaient mettre en œuvre plus de vingt pour cent de leur habileté. « quiconque pourrait utiliser cinquante pour cent de son savoir-faire serait inégalable[34] ». Il ne s’agissait pas pour autant d’évaluations pessimistes. Ces sombres réalités nécessitaient un entraînement d’autant plus intensif et une organisation d’autant plus réfléchie avant le contact avec l’ennemi. Deux ou trois jours avant une bataille QI Jiguang se faisait communiquer toutes les deux heures les derniers renseignements des services secrets. Il gardait sous son commandement une compagnie de reconnaissance. Des cartes dessinées à l’encre rouge et à l’encre noire étaient préparées pour faire à ses officiers des comptes rendus de la situation, chaque fois que c’était possible avec des maquettes d’argile pour représenter le terrain[35]. Ses unités portaient des tableaux indiquant les heures du lever et du coucher de soleil certains jours de l’année. Sept cent quarante perles enfilées en chapelet servaient de pendule. Comptées en synchronisation avec un pas de marche ordinaire. De cette façon, QI Jiguang  envisageait tous les facteurs possibles en préparant un engagement, avant l’attaque à laquelle il prenait souvent part personnellement[36]. Comme commandant en chef QI, qui connaissait ses hommes, les connaissait à fond. Bien des années plus tard, il pouvait encore dire d’un trait le nom des hommes qui avaient lancé les premières vagues d’assaut de ses batailles, petites ou grandes.

         En 1563, QI Jiguang devint commandant en chef de la province du Fujian. Même alors, il ne fit entrer qu’une faible part d’organisation stratégique dans ses opérations. Son corps de volontaires demeura essentiellement tactique. Avec des armes à feu qui ne jouaient pas un rôle important au combat, et des charges de cavalerie que les rizières du sud rendaient impossibles, il n’y avait aucune chance de donner libre cours à l’utilisation combinée des diverses armes dans le combat. Les manœuvres sur le terrain étaient généralement limitées. La tactique favorite de QI était de prendre d’assaut les forteresses de lignes ennemies. Le risque qu’il y avait à attaquer la portion la plus substantielle des retranchements de l’adversaire était en grande partie réduit par le choix de voies d’arrivée inattendues et la grande vitesse à laquelle le coup était porté[37]. Les hommes de QI étaient assez entraînés pour supporter les rigueurs d’un terrain accidenté de façon à pouvoir faire jouer l’élément de surprise. Ils tendaient des embuscades chaque fois que c’était possible. Leur équipement très simple favorisait la vivacité de leurs mouvements. A maintes reprises, le commandant en chef ne craignit pas en livrant bataille d’assumer la perte du début d’un combat. L’expérience avait convaincu QI que, lorsque la partie la plus dure d’une bataille était passée, les lignes tenues par les pirates se désintégraient. Nombre de leur partisans, surtout les chinois, abandonnaient la volonté de résister et déposaient leurs armes. Un succès continu établit la réputation que le commandement de QI pouvait en l’espace de quelques heures annihiler des divisions de pirates que d’autres troupes gouvernementales n’avaient pu soumettre pendant des mois. Dans ces opérations, QI avait généralement recours à la supériorité numérique, pour mener à bien ses victoires rapides et totales, avec toutefois une exception notoire pendant l’hiver 1563-1564 où il fut nettement dépassé par le nombre et où la bataille se prolongea pendant cinquante jours[38].

         Pourtant quand le siège de Xian Yu[39] fut levé au printemps 1564, la campagne contre les pirates changea de caractère. Les japonais, voyant que les raids armés sur la côte n’étaient plus profitables, se dégagèrent progressivement de l’aventure. Ceux qui restèrent, étaient en majorité composés de bandes chinoises qui prirent la direction de la province de Canton, loin de la région où le commerce sino-japonais avait jadis été florissant. Sans déclaration officielle, l’empire avait atteint son objectif militaire. Les pirates amphibies pouvaient dorénavant être traités comme des insurgés de l’intérieur. Au cours de ces évènements, QI Jiguang s’était imposé comme le général Ming le plus éminent. S’il n’était pas le plus inventif, il était celui qui savait le mieux s’adapter. En tant que tel, il voyait la guerre d’abord comme un  conflit de volonté et ensuite, comme une application de la science et de la technologie militaires. Pour une nation agricole, dirigée par une bureaucratie civile dont l’objet était de s ‘opposer au commerce international, l’utilisation de la technologie ne devrait jamais pouvoir renverser la constitution de l’Empire ni par conséquent, s’opposer à son but.

         3.4-Sa maturité dans l’art militaire et la fin de sa carrière

Après les victoires obtenues le long du littoral au sud-est de la Chine, les Wokou, ayant de plus en plus de mal à piller ces régions côtières, se sont  dispersés pour ne plus représenter qu’un épiphénomène. Depuis 1566, il y a de moins en moins d’alerte : les crises des Wokou se sont apaisées. A cette époque, QI ne s’occupe plus uniquement des provinces du Zhejiang et du Fujian mais aussi des provinces du Guangdong et du Jiangxi. De ce fait, il s’est orienté vers la lutte contre les bandits de montagne. Mais, pour l’Empereur de Chine, les bandits de montagne, bien que nombreux ne causent pas de menaces sérieuses pour le trône. En revanche, les tartares, les mongols situés le long de la frontière  nord de la Chine qui manifestent de plus en plus d’agressivité envers l’Empire, deviennent le souci principal. En octobre de l’année 1566, QI a reçu l’ordre de quitter son état-major provincial pour Pékin, la capitale de la Dynastie de MING. Le nord de la Chine n’est pas inconnu pour QI, car il y a déjà été en poste pendant les 5 premières années de sa carrière militaire : il est chargé de la défense de JI MEN.

Dès son arrivée, compte tenu de sa connaissance du Nord de la Chine, de la situation qu’il découvre et des opinions des  responsables civils et militaires qu’il côtoie, il a tout de suite présenté son avis à la Cour. Dans cet avis, il commence par une analyse de la situation : pour lui, la lutte contre les tartares (Da Dan, en chinois) est très différente de celle menée contre les Wokou:

1/ les tartares sont souvent beaucoup plus nombreux, ils attaquent la plupart du temps à plusieurs centaines de milliers;

2/ les tartares ne sont pas des fantassins, mais des cavaliers très agressifs et rapides ;

3/ les tartares ne sont pas limités dans leurs actions  par la succession des saisons comme l’étaient les Wokou ;

4/ l’existence d’une frontière très étendue entre le territoire mongol et la chine, implique par conséquent, pour les chinois le maintien d’une ligne de défense cohérente très difficile. Lorsque les tartares se rassemblent pour attaquer en un point choisi, les soldats de l’empire Ming, faute de pouvoir se regrouper et converger dans de très courts délais sont souvent en nombre insuffisant pour empêcher le franchissement de cette frontière.

5/ malgré le fait que les troupes des Ming possèdent des armes à feu, ils se trouvent souvent contre le vent, ce qui rend l’utilisation de ces armes moins efficace.

Compte tenu de cette analyse, QI Jiguang exprime son souhait de former une nouvelle armée de 100. 000 hommes dont la grande moitié sera composée de cavaliers afin de pouvoir lutter contre les envahisseurs d’une façon efficace. Il a ajouté que s’il ne pouvait pas obtenir 100.000 hommes, alors il se contenterait avec 50.000 hommes. Ainsi, même s’il n’arrive pas à tuer tous les tartares, au moins il arriverait à défendre les frontières. S’il ne peut même pas avoir 50.000 hommes, alors 30.000 c’est le minimum, sans pouvoir garantir qu’il réussira à chasser les tartares, ce format au moins lui permettra de renforcer les postes de garde et de  remplacer les soldats âgés. Il a également expliqué son point de vue sur la provenance des soldats ainsi que la procédure de recrutement ; la réquisition des ravitaillements des troupes ; la fabrication des armes et des chariots ; l’entraînement des troupes avec la règle des récompenses et des punitions bien définie.

Mais ses avis n’ont pas été pris en considérations immédiatement, car au lieu d’être chargé de l’entraînement des soldats, il a été nommé à un poste de vice conseiller en stratégie dans un état-major de la Capitale, bien éloigné des frontières et des soldats. Il est très déçu et ne peut rien faire d’autre qu’attendre son heure.

Ce n’est qu’en mai 1568 (=2ème année de Long Qing) et grâce à Tan Lun qu’il réussi enfin à se faire nommer responsable de l’entraînement des soldats de Yuchang et de Paoding (aux environs de Pékin). Il croyait enfin  réaliser son projet, mais la réalité était bien différente. Au lieu d’avoir 100.000 ou 50.000 soldats, comme il l’avait demandé, il n’obtint que 30.000 hommes. Au lieu d’avoir de nouvelles recrues, il n’eut que les soldats déjà en poste et réaffectés sous ses ordres. Pourquoi ? Deux raisons essentielles ont conduit à ce résultat :

1/l’Empereur ne peut pas se permettre d’autoriser à qui que ce soit de posséder une grande armée dans des régions si proche de la capitale comme Yuchang et Paoding;

         2/la trésorerie de la Cour n’étant pas très approvisionnée, toutes demandes d’augmentations de budget ne peuvent être satisfaites.

C’est pour cela qu’il écrit  dans un article concernant la défense des frontières : « que la solution ne se trouve pas dans les frontières lointaines mais à l’intérieur de la Cour et que le problème essentiel ne provient pas des fonctionnaires civils ou militaires mais des discussions incessantes et les entraves qu’elles provoquent ».

Mais malgré tous ces obstacles, QI Jiguang a quand même commencé son entraînement et va créer par la suite tout un système de défense contre les tartares.

1/ La création d’un régiment de chariots et de cavaliers ;

2/ La restauration des tours de guets, des murailles et des poste de contrôles

3/ L’amélioration des équipements et des armes

4/ La conception d’un système de défense complexe et complémentaire

Pendant les 15 années que le général a passé à Jizhou (de 1568 à 1583) il a rempli avec grand succès sa mission : défendre la population, chasser les envahisseurs. Il a eu quelques affrontements avec les tartares, mais ces derniers n’ont jamais réussi à franchir la ligne de défense et à piller les terres Chinoises comme ils le faisaient auparavant. Il a peut être moins de victoires, mais il a gagné la plus grande et la plus irréalisable : la paix, 15 ans de paix ! Il a en effet accompli ce qui est le but suprême de tout stratège : vaincre sans combattre.

3.5- La fin de vie du général

  • ·        En 1575, l’un de ses soutiens politiques, Wang Dao Kui a quitté ses fonctions pour prendre une retraite loin des affaires.
  • ·        Printemps 1577, il tombe malade suite à des années de travail sans relâche.
  • ·        Avril 1577, son autre soutien politique et également ami de confiance  Tan Lun décède des suites d’une longue maladie.
  • ·        En 1578, c’est le départ en retraite et le décès soudain de son autre ami Yu Da Yu
  • ·        En 1582, une autre mauvaise nouvelle encore plus grave lui parvient, le décès de Zhang Juzheng. Ce premier ministre nommé depuis 1567 a conduit une série de réforme et a toujours soutenu les mesures prises par QI Jiguang en matière de défense des frontières.
  • ·        En 1583, la mutation de QI au sud, et la fin de sa carrière militaire au Nord de la Chine. Ce retour vers le sud pacifié et ne subissant plus d’attaque des Wokou sonne comme  une relégation.
  • ·        Pendant presque plus d’un an, au lieu de se morfondre, il met à profit ce temps pour rédiger et recorriger toutes ses œuvres
  • ·        En 1585, au mois d’octobre, il pu enfin rentrer chez lui, à Penglai dans le Shandong, son pays natal.
  • ·        Le 17 janvier 1588, QI Jiguang décède de la tuberculose, épuisé et abandonné de tous.

Toute sa vie, pour mieux gagner l’affection de ses soldats, il n’a jamais hésité à donner de ses deniers pour les aider. Ce qui explique qu’il n’a jamais récolté de fortune pour lui ni pour sa famille : il n’a même pas de quoi à payer ses médicaments pour guérir sa maladie.

Mais avant de mourir, QI achève la collection de ses œuvres littéraires intitulées Zhi Zhi Tang Ji[40].

         Le diplôme de licence militaire de QI n’était pas de nature à impressionner les fonctionnaires civils. Par ailleurs sa poésie ne révélait pas de grandes qualités littéraires. Elle ne produisait ni cette sorte d’impression  intrigante qui émerge d’un choc émotionnel profond, ni le naturalisme sec qu’engendrent des rythmes syncopés et leur répétition inévitable ; deux techniques importantes où excellaient la plupart des poètes chinois. En qualité d’artiste, QI Jiguang devait encore apprendre l’exercice de la réserve pour gagner en subtilité ; mais il se souciait trop de l’aspect formel de l’art pour être vraiment lui-même. Il est heureux que ses publications n’aient jamais été jugées sur le plan du seul mérite littéraire. Son habileté à manier le pinceau le distinguait déjà tellement des autres généraux. Parce qu’il pouvait citer les classiques confucéens et émailler  sa conversation avec ses collègues civils d’allusions aux évènements historiques, QI Jiguang put d’abord dissiper la crainte où ils étaient qu’il fût du genre à mettre à sac la capitale ; et à mesure que grandissaient sa réputation et ses bonnes relations avec les bureaucrates il fut accepté par eux comme leur pair, partageait leurs libres propos et échangeait des poèmes et des compliments. Il s’est lié d’amitié avec Wang Shizen, historien, poète et surtout le plus grand prosateur du siècle. Wang écrivit des vœux d’anniversaire louant la vertu de QI et composa aussi les introductions pour Jixiao Xinshu et Zhi Zhi Tang Ji.

         Peu de gens à son époque pouvaient même espérer accomplir ce que QI avait accompli. Il n’avait jamais rien fait qui semblât impossible, mais dans les limites de ce qui était possible, il réussissait généralement. Ce qu’il décidait était rarement ce qu’il y aurait eu de mieux en tout état de cause, mais c’était ce qu’il y avait de mieux dans les circonstances données. Il avait obtenu tous les honneurs dus à un officier excepté le titre de comte. Ce fut seulement à cause des coutumes en vigueur dans cette dynastie qu’il ne put aller plus loin dans sa carrière. Le général QI Jiguang avait atteint le plus haut échelon en devenant commandant en chef d’un district de défense. Mais peu de temps après la mort de son protecteur, Zhang Juzheng, QI fut affecté à Canton comme commandant en chef  et fut ainsi privé de l’honneur et du prestige de garder les portes de la capitale avec les formations de combat les plus redoutables de tout l’empire. Quelque temps plus tard, en mauvaise santé et découragé, QI présenta sa démission. On ne lui fit même pas la grâce de le laisser partir en toute quiétude, en marge de la vague de purge concernant les associés et fidèles du grand secrétaire défunt. Officiellement, le décret de Pékin confirmait qu’il avait été censuré et démis de ses fonctions par le trône[41].


[1] Twitchet and Fairbank « The Cambridge history-the Ming dynasty 1368-1644 » – p.502-527.

[2] Twitchet and Fairbank « The Cambridge history-the Ming dynasty 1368-1644 » – p.502-527.

[3] Roland L. Higgins, “Piracy and coastal defense in the Ming period, governmental response to coastal disturbances”, p.1523 to p.1549 ( Ann Arbor 1981)

[4] Merrilyn Fitzpatrick, « Local administration in northern Chekiang and response to the pirate invasions of 1553-1556 » in Australian National University , 1976 – p.122-175.

[5] Charles O. Hucker, « Hu Tsung-hsien’s campaign against Hsü Hai, 1556 » in Chinese ways in warfare éd. Frank A. Kierman and John K. Fairbank (Cambridge, Mass. 1974 ) pp. 273-307.

[6] Tien Chen-ya in « chinese military theory » – p.25-35

[7]Joseph Needham in « science and civilisation in China  » vol.4 – civil engineering and nautics p.476-484 – Cambridge University press 1971

[8] Kierman and Fairbank in « chinese ways in warfare » p.54-67

[9] Wu Yu-nien in « Ming-tai Wo-k’ou shih-chi chih-mu » reprinted in 1968 – vol. 6 pp.231-252 – édition Pao Tsung-p’eng – Taipei  student Book Co, 1968.

[10] Tong Lai xi in « Qi jiguang »p.47-83

[11] Tong Lai xi in « Qi jiguang »p.47-83

[12] Qi jiguang in « Jixiao Xinshu », notes préliminaires p.10

[13] Tong Lai xi in « Qi jiguang »p.167

[14] Qi Jiguang in « Jixiao Xinshu » en notes préliminaires p.10

[15] Huang, in « Taxations et finances gouvernementales » p.134-135 et « dépenses militaires » p.48-51.

[16] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.4 §7

[17] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.3 §3-5

[18] Qi in « Jixiao Xinshu » préliminaires p.28

[19] Xu in « Huang Ming Jingshi Wenbian » p.347.7

[20] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.3 §6 et Tome.4 §2

[21] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.12 §2

[22] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.10 §2 et 21, Tome.1 §2

[23] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.12 §23

[24] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.10 §1 et Tome.12 §1

[25] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.1 §6

[26] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.6 §5 et Tome.12 §3

[27] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.2 §6

[28] Xie et Ning in « Qi Jiguang » p.58-63

[29] Qi in « Jixiao Xinshu » en préliminaire 17

[30] Xie et Ning in « Qi Jiguang » p.142

[31] Qi in « Lianbing Shiji » §.23 et 275

[32] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.1

[33] Qi in « Jixiao Xinshu » Tome.3 §1-2

[34] Qi in « Lianbing Shiji » p.116, 179, 199

[35] Qi in « Jixiao Xinshu » préliminaires 27

[36] Xie et Ning in « Qi Jiguang » p.23, 36 et 37

[37]Xie et Ning in « Qi Jiguang » p.60-61

[38]Xie et Ning in « Qi Jiguang » p.74

[39] Huang Ray in « 1587, a year of no significance »- p.170-176

[40] Goodrich, Carrington and Fang in « Dictionnary of Ming biography » p.223

[41] Xie et Ning in « Qi Jiguang » p.148

Publié dans Uncategorized | Commentaires fermés sur Chapitre I – La biographie de QI Jiguang

Introduction

Le XVIème siècle en Chine fut marqué pour l’historien militaire de deux fers. Le premier marque le fait que la dynastie MING n’a jamais été aussi sûre d’elle-même, pour bien des aspects, confiance parfois excessive, en son organisation administrative, en la valeur de son corps de représentants civils de hauts rangs et en sa capacité à fédérer l’ensemble de son territoire. Le second fer, c’est la qualité des officiers généraux qui ont servi la dynastie tout au long de ce siècle, que ce soit Yu Da Yu, Tang Ke Kuan, Lu Tang, Liu Xian ou QI jiguang[1], aucun n’ont démérité et ont toujours été d’un dévouement extrême envers l’empire, pourtant chacun pour ce qui le concerne a eu à subir la vindicte impériale, de la part de l’empereur lui même ou de membres influents de sa cour, chacun d’entre eux a eu à souffrir de tracasseries plus ou moins pesantes, mais toujours bien réelles.

         Les expériences malheureuses de ces généraux n’étaient pas de pure coïncidence. Il y avait des incompatibilités fondamentales entre les opérations militaires et le style de gouvernement bureaucratique de la dynastie. L’armée devait faire face à une situation issue d’un déséquilibre. Les guerres et les batailles résultaient d’une poussée inégale des forces socio-économiques qui avaient dépassé le point où on pouvait les réconcilier politiquement. Parfois aussi un conflit armé était nécessaire à cause d’une situation particulière et extrêmement affligeante qu’on ne pouvait soulager dans l’immédiat par les moyens pacifiques habituels. Ces solutions militaires étaient un défi au but principal de la bureaucratie de l’empire qui tenait à sauvegarder la stabilité et l’équilibre.

         Dans l’esprit des bureaucrates, la force n’était pas le pouvoir. Il fallait minimiser les intérêts régionaux plutôt que les soutenir largement ; il n’existait aucune détresse qui ne pût être soulagée par un esprit de partage[2]. Bien que dans la pratique, on transigeât souvent avec les objectifs moraux du gouvernement cette approche présentait un handicap technique sérieux pour les forces armées. Les commandants militaires, pour être victorieux, devaient s’habituer à garder une vision sélective et accepter de prendre des mesures extrêmes. Face à l’ennemi ils devaient porter des coups concentrés et mortels ; quand ils étaient sur la défensive, ils ne devaient s’occuper que des points vitaux, n’échangeant des vies humaines que contre de l’espace et du temps ; et quand ils étaient victorieux, ils ne devaient épargner aucun effort pour élargir la voie du succès.

         Aucune de ces stratégies n’auraient emporté l’approbation des fonctionnaires civils préoccupés par les dogmes de retenue et de modération et dont le sens de l’histoire, qui était virtuellement hors du temps, ne les portait pas à admettre les mérites d’une action radicale s’appuyant sur la force physique dont le bénéfice était limité dans le temps et l’espace.

         Même l’entretien des installations de l’armée en temps de paix était en conflit, dans une certaine mesure avec le style d’administration civile particulier à la dynastie. Un système logistique indépendant qui aurait échappé au contrôle de la bureaucratie civile n’était pas à envisager. Or l’organisation d’un réseau de dépôts d’intendance en des points stratégiques et selon un choix géographique allait aussi à l’encontre d’un développement homogène que le service civil était déterminé à encourager. La présence de militaires n’était jamais vue d’un bon œil par l’ensemble d’une population agricole gouvernée dans un esprit de simplicité, car leur recrutement comme leur congé avait tendance à créer des problèmes sociaux. Dans bien des cas un soldat enrôlé était un travailleur agricole qui quittait le domaine de la force productive. Et son retour au village ajoutait généralement un élément indésirable à la communauté locale, car ses compétences récemment acquises et ses habitudes de vie lui permettaient rarement de reprendre aisément et confortablement son ancienne vie. Quand il s’agissait d’officiers, les problèmes se multipliaient. A l’inverse d’autres sociétés où un officiers à la retraite pouvait reparaître comme quelqu’un dont les capacités étaient démontrées et qui avait le droit de jouer un  rôle de chef dans la communauté locale ou de devenir un administrateur civil auréolé de prestige et plein d’expérience, l’empire n’offrait pas ce genre d’avantages à un officier qui avait eu un commandement dans les forces armées. Habitué à faire preuve de précision technique, il n’allait pas tarder à découvrir qu’ailleurs on estimait surtout la sérénité, le talent littéraire, les facultés de persuasion morale et l’habilité à manœuvrer avec subtilité – toutes qualités diamétralement opposées à ses talents personnels.

         Ces incompatibilités fondamentales étaient trop profondes pour ne pas être négligées. Non seulement les fonctionnaires civils réagissaient envers les officiers avec dédain ou un sentiment de rivalité, mais ils ne pouvaient aussi pour des problèmes de commandement supérieur, soulever des questions concernant la sagesse des officiers de l’armée. Toute affaire pouvait donner matière à controverse : un hors la loi aurait dû être persuadé de déposer les armes plutôt que de combattre ; un autre, en revanche, aurait dû subir des coups incessants  qui auraient eu raison de lui plutôt que de se voir laisser le temps de se reprendre et de poursuivre son avance. Les problèmes logistiques pouvaient aussi ajouter d’autres complexités. Un commandant  pouvait naturellement être puni quand ses soldats se mutinaient ou se livraient au pillage. Mais il y avait une cause permanente de soulèvement ; elle était due au retard dans le paiement de la solde et pouvait échapper entièrement au contrôle de l’officier commandant.

         Le service civil de la dynastie avait acquis de la maturité, en gros, au cours des cent ans qui séparent le milieu du quinzième siècle et le milieu du seizième. Pendant la même période le prestige des officiers était tombé au niveau le plus bas, même selon nos propres critères. Comme cause de ce déclin, il ne faut pas négliger la difficulté technique qu’il y avait à se procurer des fonds suffisants pour entretenir les unités militaires. Mais d’un autre côté, la structure unitaire du gouvernement, qui insistait sur la cohésion idéologique, n’aurait jamais pu atteindre cette phase finale de développement si elle n’avait pas progressé constamment aux dépens des forces armées. Les différences qui séparaient les deux branches du service du pays étaient trop grandes pour coexister à égalité. Mais avant même que se dessinât une lutte pour l’hégémonie, la bureaucratie militaire était vouée à la défaite. Dans un empire établi comme l’était l’Empire chinois, les mérites du plus vaillant général devaient être limités dans l’espace et le temps. Il est évident, de plus, que les officiers ne pouvaient espérer égaler les fonctionnaires civils dans l’utilisation de la rhétorique pour gagner de l’influence. 

         En 1555, quand QI Jiguang, fut muté au ZHEJIANG, la province côtière qui subissait les attaques de pirates japonais, sur la frontière nord, la chef mongol, Altan Khan, bousculait les lignes de défense chinoises, et en partant emmenait la population captive et tous ses biens meubles. Le déclin du pouvoir militaire de la dynastie ne fut pas une surprise, ce qui surprit, ce fut son étendue. Tandis que le désespoir et la confusion régnaient sur la côte orientale, une bande de pirates estimée à soixante-dix hommes, était assez hardie pour se livrer à ses activités de pillage sur un trajet qui encerclait la capitale du sud, laquelle se vantait sur ses états d’avoir une garnison de 12.000 hommes[3].

         On pourrait tirer la conclusion générale que les installations de défense de l’empire ainsi que leur encadrement logistique avaient cessé d’exister. La contribution de QI Jiguang ne fut pas seulement de venir à bout des pirates. Avant de pouvoir en finir effectivement avec les pirates, il dut en réalité organiser une nouvelle armée. Son livre « JI JIAO XIN SHU[4] » révèle que QI lui même établit un procédé de recrutement, décida de l’échelle des soldes, mit au point les règles générales concernant l’affectation des personnels, normalisa l’organisation des formations de combat, choisi les armes, souligna les devoirs des soldats et de leurs officiers, dessina ses bannières et ses signaux de coordination, inventa des tactiques et des plans de manœuvres, prescrivit une éthique militaire et publia une réglementation personnelle de la cour martiale fondée sur la responsabilité du groupe. Elle forçait officiers et soldats à garantir mutuellement leur action au cours du combat sous la menace de la peine de mort. Il alla jusqu’à distribuer une recette pour faire des rations de campagne. Mais d’autres aspects de la logistique demeurèrent sous le contrôle des fonctionnaires civils. Le fait que QI avait dû prendre ces détails sous sa responsabilité révélait que, jusque-là, l’empire avait failli à l’institutionnalisation de la fondation de l’armée. Il n’existait pas de manuel du soldat, ni de manuel de campagne, pas d’écoles spécialisées dans les techniques du combat, ni même de département centralisé responsable de la production des armes. S’il existait des tableaux relatifs à l’organisation, des états relatifs à la logistique et des articles concernant la discipline militaire, ils étaient inopérants depuis longtemps.

         Ces réalités historiques donnaient à la remarquable création de QI Jiguang une autorité tout à fait personnelle. Quelles qu’aient pu être ses intentions. Il est tout à fait significatif que trente ans plus tard, son autorité apparue plus personnelle qu’institutionnelle. En fait, à beaucoup de fonctionnaires civils soucieux de stabilité, elle apparaissait davantage comme une menace que comme une sauvegarde de la dynastie.

         Il était extrêmement paradoxal qu’au milieu du XVIè siècle, les japonais pussent violer la sécurité de la chine sur la côte orientale. Sur bien des points, il semblait que l’invasion eût dû être inversée. Non seulement le japon était beaucoup plus petit et beaucoup moins peuplé que la chine, mais aussi depuis des décennies, ses îles étaient livrées à l’anarchie. L’ordre et la loi s’étaient effondrés ; les seigneurs qui se partageaient le territoire se livraient des guerres très confuses parsemées des trahisons de leurs lieutenants qui prenaient leur place. La chine quand à elle, était gouvernée par une bureaucratie civile complètement intégrée. Les ordres de l’Empereur parvenaient aux coins les plus reculés du pays. De plus, cet état centralisé était censé entretenir la plus vaste armée du monde, soutenue par près de deux millions de foyers militaires dont chacun devait selon la loi fournir à n’importe quel moment un soldat pour le service actif[5].

         Mais un abîme séparait la théorie de la pratique, et dans le cas de la chine des MING, la réalité de l’idéal projeté. L’enregistrement des familles militaires héréditaires n’avait pas, même à la fondation de la dynastie, été faite sur une base solide, bien qu’il eût été prévu pour protéger l’ensemble de la population des ennuis de la conscription. Au tout début, de très nombreuses familles furent enrôlées de force, les désertions et les fuites se produisirent dès que les colonies militaires furent organisées. Une mobilité accrue de la population avait rendu inapplicable le plan conçu à l’origine. Il n’était pas rare de voir une colonie réduite à son squelette, dans quelques cas extrêmes à une fraction minuscule de ce qu’elle avait été, deux ou trois pour cent des forces enregistrées à l’origine. A mesure que le capital main-d‘œuvre s’amenuisait et ne pouvait être utilisé avantageusement, les soldats avaient plus de chances d’être employés par leurs commandants comme maçons et porteurs et non moins souvent comme domestiques[6].

         Le système d’intendance était lui aussi responsable. La logistique faisait partie intégrante de l’administration civile qui fonctionnait sur le principe de la transmission latérale des fournitures au niveau le plus bas[7]. Le ministère des finances était en réalité un énorme service de comptabilité qui supervisait les livraisons prévues et automatiques des services chargés de collecter les recettes directement aux services de paiement correspondants. Les fournitures n’étaient absolument pas groupées et dirigées sur des dépôts intermédiaires. Elles étaient réparties en un réseau très serré qui couvrait tout le territoire d’un quadrillage de lignes de subsistances. Le résultat était que le nombre des services intermédiaires avait sûrement été réduit de beaucoup. La fonction civile du dernier échelon, celle de magistrat de sous-préfecture pouvait être tenue de faire des livraisons à une vingtaine d’agences de paiement. Ce système privait de façon permanente l’échelon supérieur de la possibilité de développer une capacité logistique capable de s’adapter à une situation fluctuante et en même temps garantir une protection contre la pénurie dans toutes les unités puisqu’il pouvait se produire une défaillance dans l’une ou l’autre des agences sans que les autres fussent capables ou tenue de compenser cette défaillance. Cette façon de gérer l’intendance, avec une direction centralisée mais une application décentralisée avait des effets plus profond qu’on le comprenait généralement, c’est en partie une des causes du piètre niveau d’équipement et de soutien de l’armée en campagne, qui différait assez peu d’une vaste force de milice.

         De plus, les officiers, haut commandement compris, n’étaient pas forcément de profonds penseurs. On appréciait beaucoup plus leur courage. Liu Ting, qui devait mourir à Liaodong (dans le Liaoning), était célèbre pour l’épée à longue poignée qu’il brandissait et qui ne pesait pas moins de quatre-vingt livres[8]. Du Son, un autre général qui perdit la vie dans la même campagne, était encore plus bestial et ignorant. Ne manquant jamais de se jeter sur l ‘ennemi quand il était à la tête de ses troupes, dans les périodes de défaites et d’humiliation, il n’hésitait pas à détruire ses propres armes, son armure et sa selle, à menacer de se suicider ou de se raser le crâne, déclarant qu’il était moine bouddhiste[9].

         Presque tous les officiers tenaient leurs charges de leurs ancêtres[10]. Par une procédure compliquée, les officiers d’un rang subalterne recevaient leur charge sans qu’elle soit réduite ; mais les descendants de généraux héritaient de grades moins élevés. L’examen d’entrée dans l’armée qui devait permettre à tous les candidats qualifiés d’obtenir une charge d’officier n’atteignait pas ce but, étant donné que les officiers extérieurs aux milieux héréditaires étaient rares. L’examen même mettait l’accent sur le tir à l’arc et l’équitation. La partie écrite proposée par les fonctionnaires civils n’avait aucun  rapport avec la science militaire. La soi-disant école militaire offrait un programme qui laissait la prépondérance aux classiques confucéens. Son principal souci était en outre d’apprendre au élèves officiers à écrire 100 caractères par jour[11].

         Dans le but de compenser les insuffisances tactiques des généraux, la cour de Pékin donna tout pouvoir aux gouverneurs et aux gouverneurs généraux pour donner des ordres aux commandants d’armées. Sous leur égide, des censeurs nommés commissaires militaires de région virent leur pouvoir de surveillance étendu jusqu’à la responsabilité complète des opérations[12]. Cet arrangement était adapté à la structure bureaucratique du gouvernement, puisque la logistique et les communications devaient être couvertes par l’autorité civile. Il fallait renforcer sur le contrôle territorial. Après tout l’armée était organisée dans le but principal de pacifier les districts provinciaux, non d’affronter ou de lancer des invasions d’envergure. Ceci était particulièrement vrai dans les provinces du sud dont la ligne côtière était considérée comme une barrière isolante.

         Mais les fonctionnaires civils manquaient d’intérêt intrinsèque ou professionnel pour les questions militaires. Dans ces territoires où les colonies militaires étaient en plein déclin, ils les laissèrent s’enfoncer dans une inaction encore plus poussée. Ce fut l’invasion japonaise du milieu du XVIème siècle qui modifia ce tableau : elle fit apparaître les risques dramatiques d’une côte sans défense et démontra que, pour redresser la situation, des généraux devaient être sélectionnés dans des groupes où l’on trouvait individuellement des qualités plus sophistiquées que celles qu’on pouvait s’attendre à trouver chez les meilleurs sergents ou les meilleurs commandants d’escouades. Les brigands qui se livraient à des excès sur la côte orientale au XVIè siècle n’étaient pas exactement des pirates. Ils construisaient sur le continent des bases d’appui et assiégeaient les villes fortifiées. Leurs raids incessants durèrent au moins vingt ans. Ils n’étaient pas non plus exclusivement japonais. La plupart du temps, ils coopéraient avec des bandes de chinois dont le nombre prédomina en bien des occasions. Leurs chefs furent souvent des aventuriers chinois. Mais dans la bataille, les indigènes ne jouaient qu’un rôle auxiliaire. L’invasion  était préparée au japon et les japonais fournissaient tout l’équipement militaire et se chargeaient de la conduite des opérations[13]. Le problème de la piraterie était inséparable du commerce outre-mer qui, bien que proscrit par la loi, était depuis longtemps florissant sur la côte orientale ; on y trouvait des aventuriers de différentes nationalités. Les jonques les plus impressionnantes mesuraient 100 pieds de long et 30 pieds de large ;les bateaux de guerre  du gouvernement n’étaient pas de taille à lutter avec elles. On rapporte que certains jours, au plus fort de la saison, jusqu’à 1200 bateaux gros ou petits longeaient la côte chinoise ; leurs routes maritimes formaient un immense arc qui allait des îles du japon au golfe du Siam. Des ports d’escale étaient désignés sur les îles désolés, au large des côtes, qui n’étaient pas couvertes par des patrouilles officielles. En l’absence d’un système judiciaire pour faire appliquer les obligations contractuelles et régler les cas d’endettements, une vingtaine de capitaines de vaisseaux, dont la plupart étaient chinois jouaient un rôle d’arbitre en armes pour tenter de combler le vide laissé par la loi. Ils devinrent parfois chefs de bandes de pirates.

         Ainsi, une puissance maritime, même embryonnaire ; menaçait en théorie comme en pratique la dynastie dont les bases reposaient sur une société agricole. Quand se produisit l’affrontement la faiblesse du gouvernement impérial ne put être ignorée. Ses forces redoutables n’existaient que sur le papier. Dans le haut commandement on n’avait aucune idée du nombre de soldats, pas plus que du nombre de bateaux en service. Les commandants régionaux exigeaient de la population d’être payés en argent liquide avant de commencer à faire leur travail. Les soldats s ‘enfuyaient dès qu’ils apercevaient l’ennemi. Il y avait si longtemps que les unités de combat n’avaient pas exécutés de manœuvre sur le terrain qu’elles progressaient  en formation serrée. Quand un homme tombait, dix mille s’enfuyaient, cette situation affligeante devint bientôt générale. La résistance la plus héroïque opposée aux invasions de pirates fut composée de milices organisées à la hâte par des civils sur les remparts des villes.

C’est dans un contexte militaire aussi désolant que le général QI Jiguang allait donner libre cours à son génie d’homme d’action mais également de penseur militaire. Quoique fortement imprégné de toutes les théories stratégiques mûries par les « classiques » de la chine impériale, c’est à dire plus de 300 ans avant le commencement de l’ère chrétienne, il n’en montra pas moins une certaine liberté de pensée résolument initiée par ses nombreuses expériences au combat, mais aussi et surtout, nées de ses observations de soldat investi très tôt de hautes responsabilités. C’est pourquoi, il apparaît aujourd’hui intéressant de s’attarder sur cet homme au parcours aussi exemplaire qu’exceptionnel et sans prétention aucune, de tenter d’exhumer une partie de son œuvre afin de démontrer que dans une phase de déclin relatif de la dynastie Ming, des hommes tels que lui ont été capables d’une régénération de la pensée militaire stratégique aux succès indiscutables. La première partie de ce travail s’attachera à présenter la vie de ce général, au milieu d’un contexte de guerre sur la côte orientale chinoise et sous la domination de la pensée militaire stratégique de l’époque. La seconde partie exposera ses responsabilités de stratège à travers son œuvre écrite sur le sujet.


[1] Mingshi, 212. 2463-64

[2] Franck A. Kierman et John K. Fairbank in « Chinese ways in warfare » P.11-14.

[3] Evénement fort connu qui apparaît dans le livre de Edwin O. Reischauer and John K. Fairbank « L’Asie orientale, la Grande Tradition » p.332

[4] Première impression en 1562 – traduction : Les nouveaux écrits militaires (voir annexe 11)

[5] Taizong Shilu, 0589 ;  Xiaozong Shilu 3322.

[6] Hucker « l’organisation gouvernementale de la dynastie Ming » p.61.

[7] Huang Ray « taxation et finances gouvernementales » p.45 et 131.

[8] Mingshi, 247 .2806

[9] A. W. Hummel in « Eminents chinois de la période Qing » et également in Mingshi, 239 .2727

[10] Hucker in « Organisation gouvernementale » p.19

[11] Mingshi, 70 .727-728

[12] Hucker in « Organisation gouvernementale » p.41-54

[13] Mingshi, 205 .2380

Publié dans Uncategorized | Commentaires fermés sur Introduction

Qi Jiguang, un stratège de la dynastie Ming (1528 – 1587)

Jean-Marie Gontier

Introduction

Chapitre 1 – La biographie du général Qi Jiguang

I-1 Le contexte de guerre sur la côte orientale chinoise au XVIème siècle      

1.1-Politique de la cour envers le commerce outre-mer      

1.2-Le commerce et la piraterie pendant la décennie 1550       

1.3-Tentatives de suppression de la piraterie et du brigandage     

1.4-Hu Zung-Xian et Xu hai     

1.5-La reddition de Wang Zhi               

1.6-La piraterie après 1567       

I-2 La stratégie et la pensée militaire au XVIème siècle, sous les Ming  

2.1-La voie chinoise dans la conduite de la guerre     

2.2-La nature du problème militaire           

2.3-Le défi sans précédent des raids en profondeur japonais

2.4- La défense militaire dans le sud-est à l’abord de la décennie 1550

I-3 Le milieu familial du général Qi Jiguang 

3.1-L’enfance de Qi Jiguang  

3.2-L’adolescence de Qi Jiguang    

3.3-Ses premières réflexions militaires 

3.4-Sa maturité dans l’art de la guerre et la fin de sa carrière 

3.5-La fin de la vie du général

Chapitre 2 – Les responsabilités du général en tant que stratège

II-1  La base de ses écrits                                                

1.1-Ses campagnes militaires      

a)le combat à Ping Hai 

b)la victoire à Taizhou 

1.2-Son expérience sur la frontière nord de l’empire 

1.3-Ses libres propos sur la stratégie chinoise de son époque    

a)du dispositif des troupes                                                  

b)l’accent sur le développement technique     

c)la fabrication des armes  

d)le yin, le yang et la superstition

II-2 Ses écrits militaires 

2.1- Ji Xiao Xin Shu

a)sélection des soldats, formation des troupes, enseignement sur l’utilisation des armes et leur fabrication

b)entraînement aux ordres, à l’art du combat, à la formation des troupes et au courage 

c)entraînement des vertus, des talents, des connaissances et de l’art du combat  

d)les divers éléments dans le contrôle des troupes ainsi que leurs inter-relations

2.2- Stratégie combinée d’attaque et de défense                       

a)projeter un bon plan avant de faire la guerre                                         

b)transformation selon les situations ennemies et préparer la victoire en accord avec les situations actuelles

c)arranger la victoire selon la topographie

d)de grandes souffrances et détruire l’ennemi une fois pour toute          

e)la position du canard mandarin et d’une tête, deux ailes                   

2.3- Reconnaissance en profondeur et la défense « entrée et sortie »       

Conclusion

Bibliographie

Annexes

Publié dans Uncategorized | Commentaires fermés sur Qi Jiguang, un stratège de la dynastie Ming (1528 – 1587)