Chapitre III : Analyse de la prise de décision

Comme les chapitres précédents  consacrés à la prise de décision, nous faisons ressortir des faits une série de variables qui influencent de manière décisive la prise de décision.

3.1. Structure formelle [1]

Nixon applique une structure décisionnelle formelle qui à l’origine ressemble fortement à celle d’Eisenhower où l’organe principal est le C.N.S.. En reprenant le schéma du C.N.S. (cfr.supra) nous avons a priori un système ouvert auquel participent les différents départements.  En pratique, Kissinger parvient à travers le C.N.S. à neutraliser tous les autres départements. En reproduisant un autre schéma du C.N.S., nous voyons que Kissinger est présent à tous les niveaux.

Aussi, comme commente B. Mazlish : « Kissinger accorda le Conseil national de sécurité de façon à en faire un instrument exquis pour les soli qu’il voulait jouer, et sans doute aussi pour ceux de Nixon. »[2] Par conséquent, Kissinger et Nixon ne faisant confiance qu’à Kissinger et Nixon, nous sommes devant un système de décision qui se caractérise par une dyarchie où tout avis, conseil ou renseignement contraire est totalement ignoré. Aussi, plusieurs décisions sont prises sans aucunes consultations sérieuses. Cela entraîne bien sûr une relation tendue  avec les membres du C.N.S. et les différents départements. La majorité du temps ces derniers ignorent la teneur des décisions prises, ayant comme conséquence une mauvaise exécution de la décision. Ainsi, Kissinger déclare au Washington Post en juillet 1970 : « the outsider believes a Presidential order is consistently followed out. Nonsense. I have to spend considerable time seeing that it is carried out and in the spirit the president intended. »[3]

Par conséquent, Kissinger prend également part à l’exécution des décisions, afin de voir qu’elles soient exécutées selon les consignes.

3.2. la variable du rôle

La performance de Bundy et Rostow paraît modeste à côté de celle de Kissinger, qui exerce une autorité inégalée parmi les Conseillers à la sécurité nationale dans le processus de prise de décision. Personne auparavant dans le domaine des affaires étrangères était parvenu à monopoliser de façon si efficace toute une série de fonctions : formulation des stratégies, supervision de la bureaucratie, relations avec la presse, négociations secrètes,….  (cfr. tableau reproduit en annexe).

3.3. La variable d’ordre individuel

Contrairement aux autres présidents, la variable d’ordre individuel joue un rôle essentiel, fondamental. Le pragmatisme de Nixon, sa connaissance de l’histoire, son expérience, ses nombreux voyages et son réalisme influencent sa prise de décision en politique étrangère. 

N’aimant pas la confrontation, il formule sa politique entouré d’un nombre très limité de conseillers. Faire face à ceux qui ne l’approuvent pas est chez Nixon presque une impossibilité physique. Il fuit l’effort de convaincre ses subordonnés. Avec le temps, il prend ses décisions  à l’intérieur du cocon qu’il a tissé autour de lui, évitant ceux qui le contredisent.

Tableau :

Evolution de la prise de décision

DATE

OPERERATIONS

EQUIPE DECISIONNELLE

 Janvier 1969 Etude du N.S.S.M.- 1  Conseillers + Départements+ Nixon
Mars 1969 Opération MENU  Conseillers + Nixon
Février 1970 Laos Division au sein des conseillers
Mars 1970 Cambodge exclusion Rogers
Début 1972 Lam Son 719 exclusion Rogers et Laird
Mai 1972 Minage des ports  Nixon

 

Cette façon de mener la politique entraîne un dysfonctionnement entre la prise de décision et l’exécution de la décision. « C’était-là », comme l’explique H.Kissinger, « le paradoxe d’un Président fort dans ses décisions, vague dans le commandement. »[4] Contrairement à l’administration Kennedy et Johnson, l’esprit d’équipe et la cohésion au sein des conseillers est absente, les conseillers du président  (Laird, Rogers) n’hésitant pas à se soustraire aux directives. 

Pour Nixon un président est élu pour diriger et commander. Aussi prendre les décisions par consensus n’est pas un signe de leadership, mais un signe de faiblesse. Ainsi, il déclare : «  A case might be made for government by consensus in domestic policy. It will not work in foreign policy. A president is elected to lead. Government by consensus is no Leadership ; it is followship, designed to produce outcomes not that are right but that most people will support. The problem is that sometimes the right decision is the least popular. »[5]  Si on ne peut pas totalement donner tort à Nixon sur ce point, il faut toutefois que les mesures impopulaires demeurent exceptionnelles. Ce qui n’est pas le cas avec Nixon.

3.4. La variable systémique[6]

Nixon a un grand avantage par rapport à ses prédécesseurs. Il perçoit très vite que le monde bipolaire a changé. Mais plus important,  il réalise que l’Union soviétique et la Chine ne forment pas un bloc monolithique. Nixon constate que le monde bipolaire se substitue en un monde tripolaire, avec l’apparition de nouveaux centres (Europe, Japon)  Par conséquent, Nixon se lance dans une politique de détente à l’égard de l’Union soviétique et d’une politique d’ouverture à l’égard de la Chine. Cette politique permet d’opposer la Chine à l’Union soviétique 

Sous Nixon les relations internationales ne sont pas analysées sous l’angle idéologique, mais bien sous l’angle géopolitique et géostratégique (= Realpolitik). Vu sous cet angle le Viêt-nam perd tout intérêt. Aussi il n’importe plus de gagner le conflit ou de protéger le Viêt-nam du Sud, mais bien de finir la guerre de manière honorable, sans que le prestige soit atteint.

3.5. Conclusion

Tout comme nous l’avons fait pour les présidents précédents, il y a moyens à partir des faits et de l’importance de certaines variables d’adapter le modèle Sui Generis à la prise de décision sous Nixon. 

            Nixon a la volonté dans sa prise de décision de se rapprocher du modèle rationnel.  Cette approche réussit fort bien jusqu’en mai 1970 ( = attaque sur le Cambodge) A partir de cette date-là, malgré une opinion publique et un Congrès s’opposant à la politique menée, il va non seulement persévérer dans cette voie, mais plus grave il exclut tous les acteurs qui s’opposent à sa politique. Aussi sa présidence se caractérise bien par ce que A. Schlesinger appelle la présidence impériale. Une présidence impériale poussée à un tel point, qu’elle mènera au Watergate et à la chute de Nixon.


 


[1] cfr. également le point 1.2. sur l’équipe décisionnelle.

[2] B. MAZLISH, Kissinger, portrait psychologique et diplomatique, Bruxelles, éd. Complexe, 1977, p. 275.

[3] M. DESTLER, « Can one man do ? », Foreign Policy, 5-8, n° 2046, p. 32.

[4] H. KISSINGER, A la Maison  Blanche, 1968-1973(tomeI), op.cit., p. 498.

[5] R. NIXON, In the Arena : A memoir of Victory, Defeat and Renewal, NY, Pocket Books, Simon&Schuster, 1991, p. 338.

[6] Cfr. le point sur la politique triangulaire.

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Chapitre II : La politique vietnamienne

2.1. Désaméricanisation du conflit.

2.1.1. Le N.S.S.M-1

En janvier 1969, Kissinger charge les responsables américains à Washington et à Saigon de donner leur opinion sur l’avenir du Viêt-nam. La Maison Blanche demande aux différents départements et services de répondre à une série de questions. (28 questions principales et 50 questions secondaires) Le rapport (N.S.S.S.M-1) qui suit est diffusé le 14 mars auprès des membres du Groupe d’études du C.N.S.. Il se caractérise par une grande divergence de points de vue, ce qui est, comme nous allons le voir, le but poursuivi.[1]

D’un côté, il y a les optimistes, représentés par E. Bunker, les chefs d’Etat-major, le général Abrams et l’amiral McCain. Ce groupe pense que si les Nord-viêtnamiens ont accepté d’engager des pourparlers de paix, c’est parce qu’ils sont conscients de leur infériorité sur le plan militaire. Dès lors ce groupe est convaincu que les zones pacifiées, après l’offensive du Têt, le resteront. Cependant, le général Abrams exprime des doutes sur la capacité de l’armée sud-viêtnamienne à prendre le dessus dans le cas d’une attaque conventionnelle, frontale de la part du Nord et du Viêt-cong.

Le point de vue opposé – non-amélioration de la situation- reflète celui des civils, de la CIA et en partie du département de la Défense.

Les divisions au sein de la bureaucratie, illustrées par le rapport laissent les mains libres à Nixon et la possibilité d’agir sans se référer aux bureaucraties des différents départements. Aussi, c’est le compte-rendu de la visite au Viêt-nam du Sud de M. Laird en mars 1969, qui sert de fil conducteur à la politique américaine au Viêt-nam.

2.1.2. Le rapport Laird et la Vietnamisation

Au début du mois de mars, et donc avant que toutes les conclusions du rapport N.S.S.M-1 soient analysées, M.Laird se rend au Viêt-nam du Sud. Dans son rapport, il constate les progrès sur le terrain et préconise une augmentation de la fourniture d’équipements divers à l’A.R.V.N.(avions, tanks, fusils,…) Le 15 mars, Nixon approuve le programme de Laird, qui reçoit le nom de Vietnamization.[2] A en croire un proche de Laird, R. Pursley, Laird est très sensible aux opinions au sein du Congrès et du publique. Par conséquent, après sa visite au Viêt-nam, il considère une victoire comme impossible et un soutien de l’opinion publique et du Congrès improbable dans les circonstances actuelles. Seul un Viêt-nam du Sud militairement, économiquement et socialement fort a une chance de survivre.[3] Cette politique de vietnamisation est officialisée dans le document N.S.S.M 36, mais rendue publique qu’ en juillet 1969.

Entre 1969 et 1972 l’armée sud-viêtnamienne reçoit un million d’armes légères, 46 000 véhicules de toutes sortes, 1 100 avions et hélicoptères et 12 000 officiers sont formés aux Etats-Unis.[4]

Le niveau des effectifs américains en 1968 est de 549 500 hommes. Le 1er janvier 1970 il est de 344 000 hommes, le premier mai, le nouveau plafond est de 284 000 hommes. L’armée sud-viêtnamienne quant à elle s’élèvera à 1.1 million en 1973.

Le Sud est donc supposé supporter le fardeau du contingent d’hommes, l’objectif étant de former une armée indépendante, forte, capable de résister par elle-même aux communistes. Mais cette politique exige, comme nous l’analysons dans le prochain point, des interventions américaines au Cambodge pour s’attaquer aux sanctuaires nord-viêtnamiens et repousser l’influence et l’invasion nord-viêtnamienne au Cambodge.

2.1.3. L’opération Menu

Au Cambodge, durant le conflit vietnamien, le prince Norodom Sihanouk essaie de préserver la fragile neutralité de son pays. Mais petit à petit il permet au Nord d’installer des bases et d’utiliser des routes de ravitaillement dans la zone frontalière cambodgienne proche du Sud Viêt-nam.

Le prince Sihanouk estime que la Chine empêchera le Nord de violer sa souveraineté. Mais fin 1967, après la Révolution Culturelle, la Chine plonge dans l’isolationnisme. Aussi Sihanouk fait appel aux Américains et leur accorde le droit de poursuite du Viêt-cong et de l’armée nord-viêtnamienne au Cambodge, à la condition que le Cambodge n’en souffre pas.

En mars 1969, la situation au Cambodge se détériore, à cause d’une présence massive nord-viêtnamienne. C’est alors que l’administration envisage sérieusement de bombarder les bases nord-viêtnamiennes au Cambodge. A ce propos, nous rejoignons le point de vue de Kissinger, qui dénonce les révisionnistes, accusant le gouvernement Nixon d’avoir agressé un pays neutre. Ces accusations passent sous silence le fait qu’il s’agissait d’un territoire dont on ne pouvait pratiquement plus dire qu’il était cambodgien. Pas moins de quatre divisions nord-viêtnamiennes opéraient sur le sol cambodgien.[5]

Le 17 mars 1969 l’armée de l’air américaine effectue des bombardements en sol cambodgien(Opération Menu). Nixon ayant exigé le secret total sur l’opération Menu, aucune des commissions à qui la loi confie le soin d’informer le Congrès – lequel est seul habilité à déclarer la guerre et à voter les crédits qu’elle implique – n’est informée que le président a décidé d’étendre la guerre à un pays tiers[6]. Quant aux rapports des missions ceux-ci sont falsifiés, afin de montrer que des bombardements au Cambodge n’ont pas lieu. La plupart des hauts fonctionnaires ne sont d’ailleurs pas mis au courant. Comme le déclare William Shawcross, qui paraphrase D.Rusk : « cette campagne a été connue du président, de deux membres du Conseil National de Sécurité, d’une poignée de fonctionnaires du département d’Etat et de trois cents colonels du Pentagone. »[7] La raison principale du secret est domestique. La découverte des bombardements aurait été une provocation à l’égard de l’opinion publique et du Congrès et aurait également contredit l’image d’un retrait gradué.

Pendant les 14 mois qui suivent, les B-52 effectuent 3630 raids dans différentes régions bordant la frontière cambodgienne. Quant à Sihanouk, non seulement il ne proteste pas, mais il considère les bombardements comme quelque chose qui ne le concerne pas, puisque les bombardements ont lieu dans des zones occupées par les troupes nord-viêtnamiennes.

Si officiellement la politique américaine au Viêt-nam se caractérise donc par la vietnamisation et l’ouverture des négociations, elle se caractérise également dès mars 1969 par une intensification des bombardements au Cambodge. D’un point de vue décisionnel, l’objectif est de satisfaire les colombes et les faucons, ces derniers étant toujours très présents au sein de l’armée et de l’administration. Ainsi, l’administration Nixon laisse les faucons faire la guerre et les colombes les négociations. Kissinger et Nixon sont persuadés que cette double approche, non-envisagée par Johnson, permettrait d’obtenir une paix dans l’honneur. Toutefois, cette double approche n ‘a une chance de réussir que si elle est rapidement couronnée de succès, car la polarisation faucons-colombes au sein de l’administration entraînerait rapidement un schisme au sein de celle-ci. Comme l’explique F.Schurmann : « In the first period of the Nixon administration, the chief goal- to end the war- was never clearly defined, and two diametrically opposed approaches to achieve it were tried, moving in different directions. One sought to force capitulation through an all-out air effort against North Vietnam. The other sought to bring peace by signing an agreement with the North Vietnamese. Neither could work except under conditions of surrender or acceptance of defeat by North Vietnam, which was very unlikely. »[8] Aussi Nixon doit attendre une opportunité, qui est le conflit sino-soviétique de 1969 pour tenter d’affaiblir le Nord. Si le conflit en tant que tel est mineur, l’impact est mondial. Cette guerre aura son plus grand impact sur l’équilibre des forces, car elle entraîne un rééquilibrage des forces.

Avant d’aborder ce nouvel équilibre dans les relations internationales, il est intéressant de revenir sur le discours du 25 juillet 1969, qui annonce officiellement la politique de vietnamisation et la nécessité de modifier les doctrines en vigueur.

2.1.4. La doctrine Nixon

La doctrine Nixon est promulguée le 25 juillet 1969. Elle se caractérise par plusieurs points :[9]

· respect des engagements pris dans les traités.

· fournir un bouclier, si une puissance nucléaire menace la liberté d’une nation alliée ou d’une nation dont ils estiment la survie vital pour leur sécurité

· si agression non nucléaire, les Etats-Unis demandent aux nations menacées d ‘assumer leurs responsabilités.

· indispensable que les Etats-Unis conservent un rôle important dans le monde.

· la modification des rapports stratégiques exige de nouvelles doctrines.

· le polycentrisme du monde communiste qui se fait jour actuellement exige une reformulation des attitudes.[10]

Par cette doctrine, Nixon estime qu’il parviendrait à conserver la confiance des pays étrangers et le soutien de la population américaine. (intérêt de réputation)

Plusieurs éléments influencent la genèse de cette doctrine.

En premier lieu, elle est élaborée à un moment où l’engagement américain dans la guerre du Viêt-nam est de plus en plus controversé et exige un coût de plus en plus insupportable.

En deuxième lieu, elle s’explique par les nouvelles priorités de la politique intérieure. Nixon hérite d’un budget fédéral en déficit. Il y a donc de nouvelles priorités qui s’imposent. (dilemme du beurre et du canon)

Enfin, une politique plus pragmatique s’impose. Le talon d’Achille de la politique américaine d’après-guerre réside, selon Nixon dans les erreurs d’évaluation des différentes parties du monde et des intérêts américains.

Aussi, Nixon a une approche globale concernant le Viêt-nam, afin de sortir les Etats-Unis du bourbier. Lui et Kissinger étudient le problème sur base de l’équilibre international.L’accent est mis sur l’action des Etats comme composantes du système international et sur la manière dont l’interaction entre les Etats structure et guide ce système. L’objectif est assez clair : il s’agit d ‘éviter que le désengagement américain du Viêt-nam prenne l’aspect d’un retrait. Par conséquent, l’administration va tenter de l’incorporer dans une stratégie plus vaste, ayant des applications non seulement en Indochine, mais aussi dans tout le reste de l’Extrême-Orient. Cela se caractérise par la politique triangulaire et le linkage[11].
2.1.5. La politique triangulaire

Le conflit entre la Chine et l’U.R.S.S. en mars 1969 forme le fondement de la politique étrangère américaine sous Nixon. Toute la stratégie américaine a été basée sur le principe d’un bloc communiste (Chine et U.R.S.S.) bénéficiant d’une supériorité tactique due à l’immense supériorité des armées chinoises et soviétiques. Aussi, le schisme offre de nouvelles possibilités aux Etats-Unis, e.a . concernant le Viêt-nam, les dépenses militaires,… En parvenant à établir un dialogue avec la Chine et l’U.R.S.S., les Etats-Unis augmenteraient la possibilité d’une meilleure entente avec chacun d’eux.

La politique d’endiguement convient parfaitement aux réalités pour lesquelles elle a été conçue, mais en 1969 les conditions changent. Les Soviétiques deviennent plus puissants sur le plan militaire, mais ils connaissent de graves difficultés économiques et des tensions avec leurs alliés : Chine,(Ussuri) Tchécoslovaquie,…. Pour la Chine depuis le schisme sino-soviétique des années 60, l’URSS se substitue aux Etats-Unis comme ennemi principal.

Il y a donc désormais des divisions profondes au sein du monde communiste, que les Etats-Unis peuvent exploiter à leur profit. C’est dans ce contexte que se développe la politique triangulaire.
2.1.5.1. L’approche théorique

La tripolarité ne nécessite pas seulement la présence de trois unités politiques de poids approximativement égal, mais aussi la confrontation de trois puissances susceptibles de se faire la guerre. Dès lors, l’ennemi mortel de la stabilité d’un système tripolaire est l’émergence d’un alignement bipolaire contre soi-même : ni la contre-alliance, ni la compensation interne ne permettent à C d’égaler A + B. Désigner le danger, c’est déjà définir les stratégies de stabilité propres à la tripolarité. Si, en tripolarité, le premier danger est donc l’alliance de deux acteurs contre le troisième (A + B > C), le second danger est celui de l’élimination de B par A ; soit une situation qui laisserait C face à un acteur (A) n’ayant plus rien à craindre sur ses flancs d’une tierce partie. Bref, une sorte de théorie du risque à l’envers. C’est la raison pour laquelle les Etats-Unis signifient à l’URSS qu’ils ne peuvent pas assister passivement à l’éradication par l’URSS de la force nucléaire embryonnaire de Pékin par une frappe préventive. [12]

2.1.5.1.1. Raisons du rapprochement entre la Chine et les Etats-Unis

En premier lieu, l’isolement de la Chine peut s’avérer à terme plus dangereux que son engagement progressif dans la diplomatie mondiale, d’autant que la Chine possède l’arme nucléaire.

Ensuite, les Américains peuvent obtenir le soutien chinois dans la stabilité en Asie, vu la réduction de la présence américaine dans la région.

Enfin, le différend sino-soviétique permet aux Américains de ne plus prévoir deux guerres simultanées et de remplacer donc la stratégie 2,5 par une stratégie 1,5[13]. De plus les chinois peuvent se concentrer sur une stratégie principalement tournée vers l’U.R.S.S. Cette situation amène à son tour l’U.R.S.S. à se rapprocher des Etats-Unis contre la Chine.

2.1.5.1.2. Raisons du rapprochement entre les Etats-Unis et l’U.R.S.S. [14]

Les Etats-Unis perdent leur supériorité nucléaire et se retrouvent même à égalité avec les Russes. A cause de la guerre du Viêt-nam, les Américains perdent également leur monopole économique.

Quant à l’Union soviétique la course aux armements lui coûte cher, elle craint de plus en plus la Chine et s’intéresse de plus en plus à la technologie occidentale. En outre, son aide massive au Nord épuise une partie de ses ressources. Enfin, le conflit ruine l’espoir des Soviétiques d’améliorer leurs relations avec les Etats-Unis.

Ce sont donc les Etats-Unis qui ont le rôle central et qui peuvent jouer le rôle de balancier.

2.1.5.2. Echec de la première tentative

L’objectif de Nixon est de réduire le conflit vietnamien à une guerre qu’il peut, façon de parler se permettre de perdre et que les communistes peuvent se permettre de concéder. Si la bipolarité entraîne les Etats-Unis dans le bourbier vietnamien, l’évolution du monde bipolaire vers un monde multipolaire devrait les sortir de cette situation de manière honorable. Cela, c’est la théorie.

En pratique, cela ne va pas se faire de manière si aisée. Si le schisme sino-soviétique pose en effet de gros problèmes au Viêt-nam du Nord, ceux-ci vont être de courte durée. Après la mort de Ho-chi-Minh, le 3 septembre 1969, un certain rapprochement va se faire entre la Chine et l’Union soviétique. Le 18 décembre 1969, la Russie, la Chine, la Mongolie la Corée du Nord et Viêt-nam du Nord concluent un traité comme quoi l’Union soviétique et la Chine continueront à supporter le Nord et cela malgré leurs discordances.[15] Ce fait remet en cause non seulement la Doctrine Nixon, mais également la politique de one-and-a-half , celle-ci supposant une rupture entre la Chine et l’Union soviétique.

Fin 1969, début 1970 les options sont donc plutôt limitées. En conséquence, Nixon se retrouve dans la même situation que ses prédécesseurs. Des négociations qui n’avancent pas et une armée nord-viêtnamienne reconstruisant petit à petit ses forces afin de s’attaquer au régime du Sud. Aussi, la seule réponse possible, vu le retrait des troupes américaines est de ralentir l’avancée des troupes nord-viêtnamiennes, jusqu’à ce que l’A.R.V.N. puisse prendre la relève.
2.2. Extension géographique du conflit[16]

Fin 1969, les négociations et la politique triangulaire, dans le contexte vietnamien, étant au point mort, l’administration tente de comprendre ce qui se déroule au Viêt-nam. A cette fin une commission interministérielle,(= le groupe d’études spéciales sur le Viêt-nam), est constitué.

2.2.1. Le groupe d’études spéciales sur le Viêt-nam

Cette commission se réunit pour la première fois mi-octobre. Y participent des membres de la CIA, du département de la Défense, de l’Etat-major,…. Au sein de cette commission, un groupe de travail entreprend une étude poussée de 12 des 44 provinces. Malgré des conclusions relativement positives, Kissinger exprime ses doutes quant à ces dernières. Il estime qu’il est impossible qu’après 25 ans de guerre, le Nord déclare forfait sans se lancer dans un autre effort de guerre. De plus, il estime qu’il n’y a aucune preuve d’une amélioration de l’A.R.V.N.. Pour ces raisons Kissinger, avec l’accord de Nixon, envoie A. Haig, accompagné d’une équipe d’analystes faire le tour du Viêt-nam du Sud. Ceux-ci confirment les résultats du groupe de travail, tout en estimant que l’ennemi n’abandonnera pas ses objectifs. La CIA, de son côté arrive aux mêmes conclusions.

Cependant aucune étude ne parvient à résoudre le problème majeur auquel les Etats-Unis sont confrontés, c’est-à-dire un ennemi décidé à mener une guerre prolongée qui n’acceptera de faire des compromis que s’il se trouve face à des obstacles insurmontables sur le terrain.

Aussi, les Etats-Unis vont essayer de gagner du temps afin de former l’A.R.V.N. et de réduire à néant tous les efforts de Hanoi pour contrecarrer ce développement. Afin d’atteindre ces objectifs Haig et le Pentagone développent une série de plans d’escalade du conflit. Ces plans consistent à bombarder le Nord et miner le port de Haiphong. Par une fuite, ces projets seront connus du Congrès, de Laird et de Rogers qui s’y opposeront farouchement. Par conséquent, le projet sera abandonné au grand dam de Nixon.

Toutefois, afin de réaliser son projet, l’administration va se concentrer sur le Laos et le Cambodge.

2.2.2. Le Laos

A la conférence de Genève en juillet 1962, quinze nations signent un accord par lequel les détenteurs de forces militaires au Laos s’engagent à les retirer et toutes s’accordent pour cesser leur assistance paramilitaire. Tous ces pays respectent l’accord, sauf un, le Viêt-nam du Nord. Sept milles hommes restent au Laos. Ils seront entre 40 000 et 50 000 en 1964. Aussi, les Etats-Unis aident discrètement le Laos afin d’empêcher les Nord-viêtnamiens de s’emparer du Sud par la piste Ho-chi-Minh.

Début 1970, une offensive nord-viêtnamienne menace d’invasion le Nord du Laos. Le Nord envoie 13 000 hommes et une grande quantité de matériel dans la plaine des Jarres, fief du Pathet Lao (communistes). Annexe Carte :

Analysant la situation, l’ambassadeur américain au Laos, G.McMurtrie Godley, requiert des attaques de B-52 le 23 janvier 1970. Quelques jours après, Kissinger convoque une réunion du groupe d’actions spéciales de Washington (W.S.A.G.)A cette réunion Laird et Wheeler consentent pour lancer les B-52, Rogers s’y oppose.

Cependant, il faut attendre les faits du 12 février afin que l’administration Nixon prenne une décision. A cette date-là, les Nord-viêtnamiens lancent une offensive contre la plaine des Jarres. A la demande du prince Souvanna Phouma, Nixon ordonne le 16 février le bombardement par les B-52 des sanctuaires communistes. Les réactions au sein du Congrès(McCarthy,F.Church, M.Mansfield,…) et des médias(New York Times, Washington Post,…) ne se font pas attendre, accusant le gouvernement d’escalader le conflit.

On en était arrivé au point culminant d’une campagne menée par les médias et le Sénat pour faire la lumière sur le Laos ; non pas pour obtenir des informations sur la politique au Laos, mais bien pour voir cette politique confirmée publiquement par le gouvernement.

Cette situation pousse l’administration à éclairer les intentions américaines au Laos et à expliquer sa politique à l’égard du Laos depuis 1962. Cependant, aucun des départements ne veut prendre ses responsabilités, rejetant la responsabilité de la politique américaine au Laos sur les autres départements. Les différents départements proposent alors de divulguer les informations révélées à la sous-commission Symington concernant le Laos quelques mois auparavant. Cela aurait un double avantage : satisfaire le Congrès et l’opinion publique. Kissinger estime au contraire, que cette révélation poserait une série de problèmes. Par ce biais, le Viêt-nam du Nord pourrait accuser Washington de violer les accords de Genève, sans reconnaître que lui-même les viole .Cela risquerait également d’ouvrir la boîte de Pandore (révéler les points délicats dans d’autres pays).

Pour finir c’est le C.N.S., qui prend ses responsabilités. La déclaration, rédigée par le C.N.S. sur base des données rapportées par les départements est rendue public le 6 mars et est un compte-rendu complet de l’engagement américain au Laos.

Cependant, la déclaration soulève une controverse, qui reflète à merveille les querelles bureaucratiques. La plupart des départements et agences omettent de fournir à Kissinger et son équipe une série d’informations afin de ne pas se compromettre. La controverse concerne le nombre de morts américains au Laos. Dans la déclaration, il est stipulé qu’aucun américain a perdu la vie au Laos, à l’exception des équipes de reconnaissance qui essayaient d’enrayer les infiltrations de la piste Ho Chi Minh.

Toutefois, des révélations venant de certains départements ont lieu, qui démontrent qu’un petit nombre d’Américains non-combattants a perdu la vie au Laos. L’enquête menée pour découvrir l’origine de ces erreurs, révèle une série de malentendus et un manque de communication entre le C.N.S. et les différents départements. Aussi minime que soit l’erreur, elle va avoir un impact sur la crédibilité de l’administration Nixon. La presse et le Congrès en font tout un plat.[17] Comme le déclare un journaliste couvrant la guerre au Laos : « After years of being overlooked, the secret war in Laos exploded in the U.S. media….Instead of shedding light, the emerging information, often fragmentary and distorted, bred doubt and fueled the growing domestic voice against the war in Southeast Asia. »[18]

A cause de la politique menée au Laos, la scission entre le gouvernement et les autres instances s’aggrave, tout comme les relations entre les différents protagonistes du gouvernement. Nixon se sent trahi. Aussi, Nixon s’isole de plus en plus, ne faisant plus confiance qu’au C.N.S., ce qui ne manque pas d’exacerber les autres départements. Cette situation va évidemment se refléter dans la prise de décision. Dorénavant, les décisions sont prises par un groupe très restreint de conseillers. Cependant, si le secrétaire d’Etat et partiellement de la Défense sont exclus de la prise de décision, Nixon leur donne l’impression d’y participer. Le meilleur exemple est l’intervention américaine au Cambodge en avril 1970.

2.2.3. Le Cambodge

2.2.3.1. Analyse de la prise de décision au niveau des faits.

Le 18 mars 1970, le prince Sihanouk est renversé. Le coup d’Etat orchestré probablement par la CIA, marque le début (de manière active) de l’entrée en guerre du Cambodge dans le conflit. L’équipe qui prend le pouvoir est dirigée par le maréchal Lon Nol, 56 ans et pro-américain. Très vite ce dernier est confronté aux Khmers Rouges soutenus par le Viêt-nam du Nord. Le 22 mars Sihanouk de l’étranger fait une déclaration dans laquelle il promet de former une armée de libération. Au même moment, Hanoi annonce qu’elle soutiendra le peuple cambodgien contre l’impérialisme américain.

Début avril les forces nord-viêtnamiennes concrétisent le soutien promis. Aussi durant tout le mois d’avril la situation se dégrade et plusieurs appels sont lancés par le gouvernement cambodgien pour obtenir une aide militaire. La première aide américaine est décidée durant une réunion du W.S.A.G. le 16 avril. Celle-ci consiste en une aide financière et matérielle indirecte. Le 20 avril, dans une allocution télévisée, Nixon annonce un retrait de 150 000 troupes pour l’année à venir. Il parle également de la situation au Viêt-nam du Sud et des derniers développements au Cambodge.

Le moment du discours n’est pas innocent, l’objectif étant de réaffirmer la politique de vietnamisation et de préparer l’opinion publique à une intervention américaine possible au Cambodge. (cfr. l’annonce de la suspension des bombardements en mai 1965) Le lendemain, les forces communistes attaquent une série de villes afin d’encercler Phnom Penh. Aussi, Nixon décide de réunir une réunion du C.N.S. A la réunion du C.N.S., le 22, trois options sont présentées (N.S.S.M-99)[19]:

1. ne rien faire (département de la Défense et d’Etat) ;

2. attaquer les sanctuaires avec uniquement des forces sud-viêtnamiennes (Kissinger) ;

3. utiliser les forces nécessaires à neutraliser la totalité des bases, y compris les forces américaines (Bunker et l’Etat-major).

A cette réunion, la décision est prise d’attaquer les sanctuaires et cela malgré une forte opposition de la part de Rogers et Laird. Il est également décidé que l’utilisation de troupes américaines n’est pas à exclure.

Le 24 avril à une nouvelle réunion dont sont exclus Laird et Rogers, il est discuté des modalités de l’ intervention. La situation mérite de s’y attarder brièvement. Si au niveau du président et de ses proches collaborateurs (Kissinger, Helms et certains militaires)la décision d’une participation américaine est prise le 24, ceux qui doivent partiellement exécuter la décision ne sont pas mis au courant. Pour sauver les apparences d’un système décisionnel ouvert, une réunion du C.N.S. est organisé le 26 où sont conviés à côté de Wheeler, Kissinger et Helms, Laird et Rogers. Les décisions prises antérieurement y sont confirmées, malgré que la plupart des départements y sont totalement opposés. Le général Bruce Palmer déclarera plus tard : « the JCS played a minimal rôle in the Cambodian operation, which was conceived in the White House and planned and executed in the theater of operations. Both Secretaries Laird and W. Rogers generally were opposed to such operations, especially if US troops were employed, but Nixon was determined to make the move…. In Vietnam the orders to invade Cambodia hit US field commanders with little warning and little timed, to plan. »[20]

De plus, afin que les ordres de Nixon soient exécutés au sein des différents départements, le président signe l’ordonnance engageant les troupes américaines, d’une paraphe et ensuite de sa signature entière.[21] Ni la Commission des Affaires Etrangères, ni le Congrès ne sont mis au courant de manière explicite d’une intervention effective au Cambodge, débutant le 30 avril.

Le 30 avril, la 1èreDivision Aéromobile pénètre au Cambodge (opération Duck Hook). L’objectif officiel est de détruire les sanctuaires proches de la frontière, de repousser le Viêt-cong à l’intérieur du pays et de sauver le gouvernement de Lon Nol. Mais l’intervention au Cambodge apparaît surtout comme le seul moyen de préserver la vietnamisation dans le Sud et de donner à l’armée de Saigon suffisamment de répit pour lui permettre de prendre le contrôle de territoires importants : la région de Saigon et le Delta du Mékong. Le soir même dans un discours Nixon précise que l’intrusion au Cambodge n’est pas une invasion, mais simplement une extension tactique du conflit vietnamien.[22]Il y justifie la non mise au courant du Congrès pour des raisons de sécurité. (cfr.annexe). Il y précise également que : « I shall meet my responsibility as Commander in Chief of our armed forces to take the action necessary to defend the security of our american men. » Comme le déclarera plus tard un des auteurs des discours de Nixon, W.Safire : « Nixon had done what only Nixon could do – made a courageous decision and wrapped it in a pious and divisive speech. Appealing effectively to the « silent majority »[23] the President had galvanized the previous November, its tone at the same time outraged the anti-war movement and above all repelled a great many in the large segment of centrist informed opinion that had up to then been giving Nixon support for his announced Vietnam policy. »[24]

2.2.3.2. Réaction du Congrès

La position du Congrès est claire et sans équivoque. Le lendemain de l’invasion, la Commission Sénatoriale des Affaires Etrangères approuve un projet de loi visant à abroger la Résolution du Tonkin. La Commission accuse le président d’usurper les pouvoirs du Congrès en matière de déclaration de guerre, puisqu’il a omis de le consulter avant l’invasion et déclare que le président mène en Indochine une guerre illégale. Les juristes de la Maison Blanche estiment que Nixon agit en tant que commandant en chef de l’armée.[25] Nixon estime que la justification législative est le droit du président des Etats-Unis de protéger la vie des militaires américains et qu’en tant que commandant en Chef, il n‘a le choix que de défendre ces hommes. Il n’hésite d’ailleurs pas à comparer l’invasion du Cambodge avec la crise de Cuba. A ce propos, nous pouvons nous demander, comme l’a fait entre autres A.Schlesinger,si la crise de Cuba est comparable à l’intervention au Cambodge ; comparable dans leur menace contre la sécurité des Etats-Unis, comparable dans leur besoin du secret, comparable dans le manque de temps pour consulter le Congrès,…

Finalement un amendement, l’amendement Cooper-Church est voté au Sénat. Celui-ci proscrit tout envoi de soldats au Cambodge après le 30 juin interdisant la présence de conseillers américains auprès des forces cambodgiennes, ainsi que toute opération aérienne. Pour la première fois, le Sénat vote une loi destinée à restreindre les pouvoirs du président. A la Chambre des représentants, l’amendement n’est pas accueilli avec beaucoup d’enthousiasme ni par les Démocrates, ni par les Républicains et cela sous la pression de l’administration Nixon. Celle-ci parvient à postposer le vote final de l’amendement à début janvier 1971 et sous une forme différente que celle votée par le Sénat le 30 juin. (Cfr. Infra)

2.2.3.3. Réaction de l’opinion publique

L’opinion publique dans un premier temps approuve l’intervention de Nixon, le soutien public passant de 53% en mars à 59% fin mai. La réaction au sein des jeunes et des médias est totalement différente. Ce sont surtout les faits du 4 mai 1970 qui vont marquer l’opinion publique. Durant une intervention de la garde nationale, quatre étudiants perdent la vie, tués par balles à la Kent State University. Le 8 mai dans une conférence de presse Nixon, sous la pression des contestataires, annonce que l’intervention ne durera que six à huit semaines et que les troupes américaines se retireront pour le 30 juin. L’intervention au Cambodge du 30 avril 1970 revigore le mouvement contre la guerre et fait chuter Nixon dans les sondages. En fait, l’opinion publique de la même façon que sous Johnson est enthousiaste au moment d’une nouvelle intervention, mais se décourage très vite et cela de manière plus importante que s’il n’y avait pas eu de nouvelle intervention ou escalade.

2.2.3.4. Intervention réussie ?

Le 30 juin, pour marquer le retrait des troupes américaines du Cambodge, Nixon fait un compte-rendu enthousiaste à la télévision des brillants succès obtenus grâce à l’invasion. Il énumère les quantités considérables d’armes et de munitions dont les Américains se sont emparés. (Cfr. Annexe) Dans son rapport à la nation, Nixon déclare également : « La destruction par les forces alliées des bases viêt-cong et nord-viêtnamiennes le long de la frontière Cambodge – Sud-Viêt-nam :

n sauvera à l’avenir des vies américaines et alliées

n assurera selon le calendrier prévu le retrait des troupes américaines du Sud-Viêt-nam

n permettra la poursuite de notre programme de vietnamisation à la cadence actuelle

n devrait renforcer les perspectives d’une juste paix. »[26]
Si pour Nixon cette opération est le plus grand succès de la guerre du Viêt-nam, puisqu’elle atteint les objectifs mentionnés ci-dessus, l’opération en réalité connaît un succès mitigé. Selon une grande partie des officiers américains le succès est très relatif et cela pour plusieurs raisons :
A. la destruction des sanctuaires au Cambodge, force le Nord a utilisé la piste Ho-Chi-Minh, difficilement attaquable
B. Nixon élargit le théâtre des opérations alors qu’il vient de réduire de 136 000 hommes la capacité du corps expéditionnaire américain, rendant les forces américaines plus vulnérables. [27]
C. le moral des troupes américaines est au plus bas. Pourquoi se faire tuer pour un pays, alors qu’on s’en retire et qu’on l’abandonne. Comme le déclare C. Isakson : « For a nation to lure its warriors into battle under a pretext of morality, and then abandon them utterly, is perhaps the greatest breach of justice imaginable. »[28]
D. les pertes sud-viêtnamiennes seront assez importantes, à cause de leur incompétence.
E. cette opération a des conséquences néfastes aux Etats-Unis et plus particulièrement au sein du Congrès. (cfr.supra)
F. cela va également renforcer le mouvement anti-guerre. Cette incursion provoque de grandes protestations sur les campus américains. (cfr.supra)
G. la Maison Blanche ne tient pas compte de l’impact politique de l’invasion à l’étranger, qui va porter un coup sérieux au prestige américain.

2.2.3.5. Analyse de la prise de décision

Il est intéressant de revenir au processus décisionnel qui mène à cette intervention au Cambodge. Elle reflète merveilleusement le système nixonien. Pour cela nous nous basons partiellement sur l’analyse de Ch-P David qui explique que :[29]

a) Kissinger et Nixon ignorent tout avis contraire à une intervention, il n’y a pas de reconsidération sérieuse de l’option militaire ;

b) volonté de conformisme en éliminant toute personne ayant un avis contraire des discussions ;

c) dissimulation de certaines informations ;

d) peur des fonctionnaires de donner un avis contraire. Ainsi, Helms, directeur des services de renseignements, exige de la CIA de réévaluer un rapport qui déclare qu’une intervention au Cambodge, ne changerait rien à la volonté nord-viêtnamienne de poursuivre la lutte (cfr. McCone sous Kennedy) ;

e) non existence d’un avocat du diable (Laird et surtout Rogers ne parviennent pas à remplir ce rôle)

2.2.4. Lam Son 719

Malgré le semi-échec de l’intervention au Cambodge, l’administration va persévérer dans cette voie. Il est évident pour Kissinger et Nixon que le Sud va subir une nouvelle épreuve de force fin 1971 ou début 72. Par conséquent, il faut à tout prix empêcher l’ennemi de s’emparer du Cambodge et du Laos, afin de mener à bien la vietnamisation et d’interrompre l’ accumulation de forces nord-viêtnamiennes aux différentes frontières.

2.2.4.1. Le compromis entre l’Exécutif et le Congrès

Dès septembre 1970, Washington et ses alliés envisagent différentes tactiques, afin de neutraliser les efforts logistiques des communistes.

Etant sous la pression du Congrès et ayant promis de ne plus envoyer de troupes au Cambodge, l’administration doit trouver une nouvelle méthode pour soutenir le régime de Lon Nol, c’est-à-dire par une aide financière (250 millions de dollars). Pour obtenir cette aide financière débute un marchandage entre l’administration Nixon et le Congrès. Ce marchandage dure jusqu’au début de 1971. Ici encore, c’est à travers une série d’astuces que l’administration va atteindre ses objectifs. L’aide financière de 250 millions de dollars est présentée dans un seul projet de loi simultanément avec l’aide financière de 500 millions de dollars, promise à Israël et soutenue par le Congrès. Le projet passe par 344 voix contre 21 à la Chambre. Au Sénat, la Commission des Affaires étrangères est dirigée par les sénateurs Fullbright et Mansfield, tous deux opposés à la guerre en Indochine. Ils parviennent à obtenir un compromis : le vote de l’aide financière, contre le vote de l’amendement Cooper-Church. (Cfr. le point 2.2.4.3)Ainsi, début janvier sont votés les deux projets, plus une révocation de la Résolution du Tonkin.[30]

2.2.4.2. La mission Haig

L’intervention américaine ne va pas se limiter à une aide financière. Durant cette période (entre septembre et janvier) Kissinger envoie Al Haig et une équipe du C.N.S. au Viêt-nam, afin de prendre la température de la situation. A leur retour et après consultation sur place avec l’ambassadeur Bunker, le général Abrams et Thieu, Haig et son équipe préconisent d’attaquer le système logistique nord-viêtnamien au niveau de la zone démilitarisée, en territoire laotien. (Annexe) L’incursion au Laos aurait un double objectif :

1. accélérer le retrait américain

2. sauvegarder Saigon d’une défaite

Contrairement à la prise de décision précédente concernant l’intervention au Cambodge, les membres les plus importants du Cabinet sont cette fois invités à participer aux débats devant menés à une décision. Nixon veut se protéger des critiques, qui ont déjà fortement affaibli la prise de décision au sein de son administration.

Si en apparence le système décisionnel va être plus ouvert, Nixon donnant à nouveau l’impression de faire participer Laird, Rogers et d’autres dans la prise de décision, dans les faits rien dans la prise de décision ne change, au contraire. Tout comme avant, ce sont Nixon et le C.N.S. de Kissinger qui prennent les décisions.

Alors que la décision est déjà prise, Nixon va parvenir à manoeuvrer Laird de telle façon qu’il donne l’impression à ce dernier de proposer lui-même une intervention au Laos. Ainsi à chaque réunion c’est Laird qui présente le projet de l’intervention. En fait, il y aura plusieurs réunions. A chacune de ces réunions le cercle s’élargit d’une personne dont Nixon ne connaît pas ou peu la position. Au cas où la personne est opposée au projet, il y adhère tout de même. Comme l’explique H. Kissinger : « cette tactique se fondait sur l’hypothèse qu’un récalcitrant se joindrait plus facilement à un consensus préparé à l’avance, que si chacun était libre de tirer à hue et à dia. »[31] Aussi, tous les conseillers du président adhèrent au plan. Ce système entraîne deux aspects négatifs :

1. pas d’avocat du diable

2. l’adhésion d’un récalcitrant peu affaiblir le projet initial, à cause des modifications apportées au projet. (ne semble pas être le cas dans cette situation)

En février, les troupes sud-viêtnamiennes lancent donc leur offensive, Lam Son 719, soutenues par les B-52 américains. Les résultats de Lam Son 719 sont mitigés, la campagne mettant en évidence les lacunes de l’armée sud-viêtnamienne. De plus, l’offensive n’empêche pas Hanoi de lancer un assaut en 1972, contrairement à ce que Washington espérait. Avant d’aller plus loin et d’aborder l’offensive de printemps 1972 une parenthèse s’impose concernant l’amendement Cooper-Churh.

2.2.4.3. L’amendement Cooper-Church est-il d ‘application ?

L’amendement Cooper-Church, contrairement à beaucoup d’auteurs qui prétendent le contraire, n’interdit nullement les bombardements des sanctuaires pour protéger les vies américaines. Comme l’explique W. Shawcross, il est exact que l’administration avant le vote trompe le Congrès.: « La Maison Blanche essayait d’éviter que le Congrès ne soit amené à interdire l’usage de l’aviation et des conseillers militaires au Cambodge. Pendant que l’amendement Cooper-Church était en discussion, elle minimisa les chiffres et buts véritables des bombardements. Mais lorsque fin 1970, l’amendement prit force de loi on ne s’embarrassa plus de tant de précautions. Le Pentagone reconnut ouvertement qu’il allait utiliser le maximum de sa puissance aérienne au Cambodge étant donné que tout ennemi sur place pouvait en dernière analyse menacer les forces américaines au Viêt-nam. ».[32] Cependant, il est également clair, en se basant sur les mémoires de Haldeman, que l’article interdisant les bombardements a été retiré avant que la loi soit votée. Ainsi, Haldeman déclare concernant l’amendement Cooper-Church : « In this case, Cooper-Church, the words and the intent are clear. The prohibition on use of air power waw specifically removed from Cooper-Church before it was passed, and it’s absolutely clear that the intent of the Congress, as well as the word of the law, the letter of the law, is that there is no limitation on the use of air power. »[33]L’administration va donc justifier les bombardements par la nécessité de protéger les vies américaines au Viêt-nam. Si cette théorie est défendable, il faut constater que les bombardements ne servent pas à défendre de manière directe les troupes américaines, puisqu’au moment de l’assaut aucunes troupes américaines sont présentes au Laos.

2.2.5. L’offensive du printemps 1972 : coup de maître de l’administration Nixon

Le 30 mars 1972, les unités nord-viêtnamiennes lancent une offensive décisive sur des bases au Sud. Celle-ci se conclut par échec grâce à Kissinger, mais surtout grâce à Nixon.

2.2.5.1. Les faits

Dès fin janvier, Washington met en pratique sa politique triangulaire. Washington prend contact avec Pékin et Moscou une première fois le 26 janvier en les prévenant que si Hanoi riposte par une nouvelle offensive militaire, les Etats-Unis n’hésiteraient pas à réagir par la force. Les Etats-Unis obtiennent l’effet escompté. L’U.R.S.S. et la Chine, craignant que Hanoi aille trop loin et fasse échouer d’importants desseins avec les Etats-Unis, vont tenter de tempérer les ardeurs de Hanoi. Cependant, Hanoi n’en tient pas compte et lance son offensive le 30 mars.

Le 4 avril les Etats-Unis accusent Pékin et Moscou, cette dernière publiquement, de soutenir Hanoi et que ce soutien remettra en cause la politique américaine respectivement à l’égard de la Chine et de l’U.R.S.S.. Parallèlement à ces accusations les Etats-Unis mettent tout en œuvre sur le terrain diplomatique pour séparer Hanoi de ses alliés. Le meilleur exemple est la visite de Kissinger à Moscou du 20 au 24 avril 1972, visite ayant comme objet la préparation du sommet entre Nixon et Brejnev. Concernant la question vietnamienne Kissinger, dans un câble adressé à Nixon le 24 avril, estime avoir obtenu certains indices du fossé qui se forme entre Hanoi et Moscou[34] :

a) Moscou accepte de le recevoir alors que les bombardiers américains, bombardent le Nord ;

b) les Soviétiques acceptent de transmettre à Hanoi une proposition importante et ferme ;

c) les Soviétiques reconnaissent le sérieux des exigences américaines sur le Viêt-nam et que tout le reste en dépend. (politique du linkage)

Le même jour le Viêt-nam du Nord lance une nouvelle offensive, voulant affaiblir les positions militaires sud-viêtnamiennes avant la reprise des négociations, supposées reprendre le 2 mai. La reprise des négociations le 2 mai se caractérisant par un échec, l’administration Nixon décide une fois pour toute de mettre fin au conflit et de ramener Hanoi à la table des négociations. Comme Hanoi ne comprend que l’usage de la force, Washington décide de miner les ports nord-viêtnamiens. Cette politique n’est pas sans danger, puisque cela risque de remettre en question le sommet Nixon-Brejnev. D’ailleurs une partie des conseillers de Kissinger s’y oppose estimant que le minage des ports annulerait le sommet. Pour d’autres, telles mesures permettraient de renforcer le moral du Sud et de renverser l’avantage de Hanoi, pour qui le temps tourne en sa faveur.

Le 8 mai dans un discours adressé au peuple américain, Nixon annonce une série de mesures, dont le minage des ports et les conditions pour reprendre les négociations. Plus intéressant d’un point de vue décisionnel, est la manière dont il s’adresse à Brejnev à travers son discours: « Ces derniers mois, nos deux nations ont fait des progrès considérables dans les négociations, et la signature d’importants accords sur la limitation des armements stratégiques, sur nos échanges commerciaux et sur une foule d’autres questions est imminente. Ne retombons pas dans la période noire que nous avons précédemment connue. Nous ne vous demandons pas de sacrifier vos principes ou encore vos amis ; mais vous ne devriez pas non plus laisser l’intransigeance de Hanoi gâcher les perspectives que nous avons ensemble si patiemment préparées.(…) Nous sommes prêts à continuer à construire ces relations. Si vous refusez de vous y associer, vous en porterez les responsabilités. »[35] Une lettre avec le même contenu est adressé à Chou En-lai.

Les réactions de la part des Communistes au minage de Haiphong et au discours sont très modérées et cela certainement par rapport aux médias américains, qui condamnent de manière unanime le discours de Nixon.

Entre-temps sur le terrain le conflit continue. Les stratèges nord-viêtnamiens espèrent donner le coup de grâce au Sud, étant persuadés que dans une année d’élection, le président Nixon se retrouverait sous la pression du Congrès et des électeurs pour ne pas intervenir. La réponse de Nixon va surprendre tout le monde. Il va lancer la campagne de bombardements Linebacker I. Linebacker I, 10 mai – 23 octobre 1972, a plusieurs objectifs[36] :

n détruire les approvisionnements au Nord (Hanoi, Haiphong) ;

n isoler le Viêt-cong des bases d’approvisionnements ;

n détruire les routes d’approvisionnements ;

n forcer les Nord-viêtnamiens à conclure un traité avant les élections de novembre 1972.

D’un point de vue opérationnel, deux choses sont différentes par rapport à Rolling Thunder :

n l’Etat-major a plus au moins carte blanche pour sélectionner les objectifs et pour déterminer les tactiques et armes à utiliser ;

n utilisation pour la première fois de technologies modernes : laser-guided-bombs, long-range electronic navigation (LORAN),… Ce qui permet une meilleure précision, évitant les dommages collatéraux.

Par rapport à Rolling Thunder, Linebacker I est également un grand succès et cela pour quatre raisons.[37] :

n Le président Nixon n’hésite pas à utiliser la puissance aérienne de manière plus décisive que Johnson. Ce dernier est freiné par une possible intervention chinoise ou soviétique et craint une réaction de l’opinion publique. Nixon, par le biais de Kissinger parvient à exploiter le schisme sino-soviétique et une intervention chinoise ou soviétique est devenue peu probable. Quant à l’opinion publique ou les démocrates, pour Nixon seul compte le soutien de la droite républicaine ;

n Les troupes nord-viêtnamiennes sont devenues des troupes conventionnelles, lourdement équipées, cibles idéales pour les chasseurs et bombardiers américains ;

n Les deux raisons abordées dans le point précédent : les nouvelles technologies et la liberté de l’ Etat-major.

Durant cette période, les objectifs politiques de Nixon sont clairs. Comme il le dit dans ses mémoires : « Defeat was not an option ».

Dans l’arène de la politique des grandes puissances, Nixon se sent obligé de montrer aux leaders politiques soviétiques et chinois, que ceux-ci n’ont pas le champ libre pour influencer les événements dans le Tiers monde.(= intérêt de réputation) De plus, le président américain est persuadé que tout signe de faiblesse est un signal envoyé aux soviétiques et chinois pour accroître l’aide militaire au Nord.

Aussi, durant cette crise, Nixon parvient à améliorer ses relations avec l’Union soviétique et la Chine, à prévenir l’effondrement militaire du Viêt-nam du Sud et à creuser le fossé entre Hanoi et ses partenaires.

2.2.5.2. Remarques sur la prise de décision

Si finalement seul Nixon prend la décision des bombardements, la semaine précédant les bombardements, des discussions et réunions ont lieu sur l’utilité éventuelle de ces bombardements. Il fait appel à la W.S.A.G., afin d’étudier la faisabilité des bombardements sur Hanoi et Haiphong et l’instauration d’un blocus naval devant les ports nord-viêtnamiens. Durant cette semaine de début mai différentes réunions ont lieu entre Kissinger,Rogers, Laird, Helms (CIA), l’amiral Moorer (chef de l’Etat-major) et d’autres. Elles n’aboutissent pas à grand chose car comme l’expliquent certains participants aux réunions de la W.S.A.G., Nixon avait déjà pris sa décision. Un membre du département de l’Etat déclarera : « The president was showing the cold fury which only makes him more determined » Un autre proclamera que « You could tell the old man had made up his mind he won’t be screwed. »[38] Ici encore Nixon donne l’impression de prendre ses décisions démocratiquement alors que c’est tout sauf le cas.

Avant d’analyser le système décisionnel et afin d’être le plus complet possible dans notre étude sur la guerre du Viêt-nam, le point suivant analyse brièvement les négociations et leurs conséquences.

2.3. Les négociations [39]

Les pourparlers sont à l’image de cette guerre, longs et entrecoupés de bombardements.
2.3.1. La formule San Antonio[40]

Dès le printemps 1965, donc deux mois après le début des bombardements et un mois après le débarquement des premiers marines à Da Nang, le président Johnson propose dans un discours prononcé à Baltimore le 7 avril, l’ouverture de négociations « sans conditions » Hanoi y répond en imposant certaines conditions, comme le retrait pur et simple des troupes américaines, un cessez-le-feu, la libération des prisonniers et le règlement des affaires du Viêt-nam suivant le programme du F.N.L.[41]

Après avoir suspendu ses bombardements sur le Nord fin décembre 1965, le 27 janvier 1966, Johnson propose une déclaration de quatorze points. Dans cette déclaration l’administration Johnson estime que les quatre points de Hanoi pourraient être discutés ; qu’une fois la paix rétablie, l’administration ne souhaitait pas conserver de bases ni au Viêt-nam, ni dans le reste de l’Asie du Sud-Est ; que les accords de Genève de 1954 et 1962 pourraient servir de base aux discussions,….[42] La réponse de Ho Chi Minh est négative.

Ensuite, il faut attendre la conférence de Manille[43], les 24 et 25 octobre 1966 pour qu’une des trois déclarations faites à cette conférence concerne une proposition de paix : « (les troupes) seront retirées, après consultation étroite, à mesure que l’autre côté rappellera ses forces du Nord, mettra fin aux infiltrations et que, de la sorte, le niveau de violence s’abaissera. Le retrait interviendra dès que possible et six mois après que les conditions ci – dessus auront été remplies. »[44] Cependant, pour Hanoi les négociations ne peuvent avoir lieu sans un arrêt total et inconditionnel des bombardements.

Un échange de lettre entre Johnson et Ho Chi Minh au début de 1967, ne modifie rien, Hanoi ne voulant pas prendre distance de ces conditions imposées en avril 1965.

Dans un important discours prononcé à San Antonio le 29 septembre 1967, Johnson propose d’arrêter les bombardements sur le Viêt-nam du Nord, non plus à la condition que le Nord cesse ses actions contre le Sud, mais seulement si elle donne l’assurance aux Etats-Unis qu’une telle initiative serait suivie de négociations fructueuses. Ainsi, les Etats-Unis abandonnent tout bombardement, à la condition que d’une part cela puisse entraîner des pourparlers fructueux et d’autre part que le Viêt-nam du Nord n’en tire aucun avantage sur le terrain. Ces premières négociations n’aboutissent pas.

2.3.2. Les Accords de Paris

Après les déboires de l’offensive du Têt, les premières négociations s’ouvrent à Paris, le 13 mai 1968 entre la délégation américaine dirigée par A Harriman et la délégation nord – vietnamienne dirigée par Xuan Thuy.

Tandis que les combats se poursuivent, les conversations ont comme objectif d’établir les conditions dans lesquelles pourraient s’engager les véritables négociations. Durant cette période les parties présentes leurs positions. La position vietnamienne se base sur quatre points, rendus publics en avril 1965. (cfr. annexe G.Geipel), Washington a comme point de départ les quatorze points rendus publics le 27 janvier 1966. (cfr Annexe)

Grâce à l’interruption des bombardements au Nord en novembre 1968, les pourparlers officiels débutent le 25 janvier 1969. Durant la période qui suit plusieurs propositions sont faites de part et d’autre. Mais, il faut attendre la proposition de Hanoi du 17 septembre 1970 pour obtenir une certaine évolution dans les négociations. Hanoi propose un retrait des troupes américaines en neuf mois à partir du 30 juin 1971 ( plus de retrait immédiat) et l’écartement de trois personnes du gouvernement de Thieu et non plus le gouvernement tout entier. Une contre-proposition est annoncée par Nixon le 7 octobre, mais elle ne suscite aucune réaction de la part du Nord.

La proposition américaine du 7 octobre n’ayant soulevé aucune réaction de la part de Hanoi, elle est suivie d’une rupture des négociations qui dure plus de six mois. Les négociations reprennent le 19 juillet 1972 entre Kissinger et Le Duc Tho.

Si fin octobre rien ne semble empêcher la conclusion d’un accord, ce n’est sans compter l’opposition de Thieu à l’accord. Thieu mis au courant des termes de cet accord le 19 octobre, le dénonce en bloc et refuse de le signer, malgré l’insistance de Kissinger. Aussi, au nom de Saigon, Kissinger propose 69 modifications à l’accord. En réaction les Nord-viêtnamiens reviennent sur les décisions prises antérieurement. C’est à nouveau la suspension des discussions fin novembre, suivie de bombardements, Linebacker II.

Le 8 janvier 1973, Le Duc Tho rencontre à nouveau Kissinger pour une série de conversations qui vont rapidement déboucher sur un accord. Le 23 janvier, Kissinger et Le Duc Tho concluent l’accord entre les deux gouvernements. Le 27 janvier le traité de paix est officiellement signé à Paris. L’accord comporte une partie militaire et une partie politique. La partie militaire reprend quatre éléments ; un cessez-le-feu sur place ; un retrait complet des troupes américaines ; un retour des prisonniers de guerre endéans les deux mois ; un maintien des troupes nord-viêtnamiennes dans le Sud. La partie politique, entérine la création d’un organisme provisoire, appelé le « Conseil national de réconciliation et de concorde », chargé de préparer des élections libres. (dont sortirait un nouveau gouvernement pour le Sud) ; la mise sur pied d’une Conférence internationale ; le retrait généralisé des forces étrangères du Laos et du Cambodge ; l’établissement de nouvelles relations entre Washington et Hanoi ; réaffirmation de la souveraineté du Sud Viêt-nam( = coexistence pacifique des deux Viêt-nam.)

Les Accords de Paris ne disent rien concernant la présence de troupes nord-viêtnamiennes au Sud. L’accord stipule le retrait des troupes américaines, mais pas les 140 000 Nord-viêtnamiens. D’une certaine façon, il est compréhensible que l’administration Nixon ait signé un accord ne stipulant pas un retrait de ces troupes : aucun accord sur papier ne pouvait accomplir ce que les forces américaines n’étaient pas parvenues à atteindre sur le terrain durant huit ans. En acceptant cela, Nixon et Kissinger savaient que ces accords ne seraient que provisoires et qu’ils ne formaient qu’une interruption dans une guerre que Hanoi gagnerait de toute façon. Comme le déclare D.Rusk dans son livre, As I saw it : « the accords were in effect a surrender. Any agreement that left North Vietnamese troops in South Vietnam meant the eventual takeover of South Vietnam »[45]

2.3.3. Les conséquences des Accords de Paris

Les Etats-Unis parviennent donc à obtenir un retrait honorable. Mais sur le terrain, le Nord continue à être armé par l’U.R.S.S. et la Chine. Les deux pays veulent maintenir leur influence au sein de Hanoi (même après les accords de Paris). Les Soviétiques veulent prendre en sandwich les Chinois afin de les limiter dans leur autonomie et les Chinois veulent garder une mainmise sur les Vietnamiens, afin que ceux-ci ne puissent exercer un rôle important dans le Pacifique. La conséquence pour le Nord Viêt-nam est la livraison d’armements de la part des Chinois et des Russes.

Le Congrès américain par contre vote une série de lois interdisant toute aide militaire au Sud. Un exemple : fin juin 1973, un amendement interdisant tout pourvoi de fond pour des opérations militaires au Cambodge, Laos, Nord et Sud Viêt-nam est approuvé par le Congrès.

Le 7 novembre 1973, le Congrès par le War Power Resolution(WPR) précise les pouvoirs respectifs de la présidence et du Congrès en matière de déclaration de guerre. Le WPR représente une tentative du Congrès de faire quelque chose que les Pères Fondateurs n’étaient pas parvenus à faire, à savoir : tracer une ligne entre les pouvoirs constitutionnels du Congrès et ceux du président en matière de guerre. Que dit le WPR :

« Before American troops are introduced into hostilities or into situations where imminent involvement in hostilities is clearly indicated by the circumstances, the President is to consult with Congress in every possible instance. After troops are so introduced, in the absence of a déclaration of war, the President is to submit a report to Congress within forty-eight hours . Then sixty days – or in special circumstances ninety days- after that, the involvement of the troops is to be terminated, unless Congress has taken affirmative action in the meantime to approve it. Congress can also terminate the involvement before sixty days had elapsed by passing a concurrent resolution (which does not require the President’s signature and is therefore not subject to veto.) »[46]

Mais ce qui paraît être, une limite au pouvoir présidentiel, ne l’est pas vraiment. Selon un nombre important de membres du Congrès, cette résolution au contraire donne carte blanche au président. »This is an historic tragedy. It gives the president and all of his successsors in futuro a predated 60 day unilateral war-making authority. » Nous partageons ce point de vue.

[1] G. GEIPEL,The Nixon Administration and Vietnam : A Case Sudy in Negotiation and War Termination, Washington, Georgetown University, 1993, p. 7.

[2] Une remarque importante s’impose. S’il est vrai que Nixon appliquera la Vietnamisation, son auteur en est le secrétaire à la Défense, C.M. Clifford. Celui-ci dans un article du Foreign Affairs, en juillet 1968, déclarait que le Sud-Viêt-nam devrait reprendre le fardeau et que les troupes américaines devraient se retirer du Viêt-nam. D’une certaine façon l’administration Nixon ne fera qu’appliquer les directives de C.M. Clifford.

[3] W. BUNDY,op.cit., pp. 64-65.

[4] J. PORTES, op.cit., p. 215.

[5] H. KISSINGER, op.cit., p. 250.

[6] Le président informa R. Russel et J Stennis, tous deux membres du Comité de l’Armement au Sénat.

[7] W. SHAWCROSS, op.cit., p. 27.

[8] F. SCHURMANN, op.cit., p. 99.

[9] F. JOYAUX ,La nouvelle question d’Extrême-Orient II : l’ère du conflit sino-soviétique, 1958-1978, France, éd Payot, pp. 181-183.

[10] R. NIXON, La politique étrangère des Etats-Unis pour les années 1970 : préparer l’avènement de la paix, 25-02-1971, p. 9.

[11] Linkage : le lien. Un des points clé de la doctrine politique de Kissinger, pour qui tous les problèmes sont liés. On ne peut donc les traiter séparément et, lorsqu’on négocie dans un domaine, il y a forcément des répercussions sur les autres.

[12] J. BARREA, op.cit.,, pp. 277-278.

[13] Quand le gouvernement Nixon entre en fonction, la doctrine prédominante pour les forces conventionnelles était la stratégie des « deux guerres et demie » selon laquelle les Etats-Unis avaient besoin de forces suffisantes pour a) assurer une défense initiale (90 jours) de l’Europe occidentale contre une attaque soviétique ; b) assurer une défense soutenue contre une attaque totale de la Chine en Asie du Sud-Est ou en Corée ; c) faire face à tout événement se produisant ailleurs par exemple au Moyen-Orient.

« Une guerre et demie » signifie le maintien en temps de paix, des forces à objectif général capables simultanément de faire face à une importante attaque communiste soit en Europe soit en Asie, et de parer à toute éventualité ailleurs dans le monde.

[14] TIME-The weekly Newsmagazine- 1960 Highlights, China-Soviet-U.S.Relations, CD-Rom, Time :Almaniac of the 20th Century, Copyright © 1994, Time Inc. Magazine Company.

[15] F.SCHURMANN, op.cit., p. 120.

[16] Pour plus d’informations concernant le Laos et la politique américaine, lire :

n R.A. PAUL,« Laos : anatomy of an american involvement », Foreign Affairs, 1970-1971, n° 49, 533-547.

n S.G. LANGLAND, « The Laos factor in a Vietnam equation », International Affairs, October 1969, pp. 631-647.

[17] H. KISSINGER, A la Maison Blanche, 1968-1973, op.cit., pp 468-474.

[18] W. BUNDY, op.cit., p. 147.

[19] H. KISSINGER, A la Maison blanche, 1968-1973(tome I), op.cit., p. 506.

[20] J.R. CERAMI, « Presidential Decisionmaking and Vietnam : Lessons for Strategists », Parameters, Winter 1996-1997.

[21] H. KISSINGER, A la Maison Blanche 1968-1973 (tome I), op.cit., p. 515.

[22] TIME-The weekly Newsmagazine- 1970 Highlights : Indochina, CD-Rom, Time :Almaniac of the 20th Century, Copyright © 1994, Time Inc. Magazine Company.

[23] Le mouvement anti-guerre se faisant entendre durant tout le mois d’octobre 1969. Nixon fait appel dans son discours du trois novembre à la majorité silencieuse. Dans son discours Nixon explique la politique de l’administration à l’égard du Viêt-nam. : ouverture de négociations, vietnamisation,… (cfr. Annexe) Son discours lui permet de faire régresser le mouvement contre la guerre et cela durant quelques mois. Comme Nixon le dira : « I had the public support I needed to continue a policy of waging war in Vietnam and negotiating for peace in Paris until we could bring the war to an honorable and successful conclusion…. At the same time I was under no illusions that this wave of Silent Majority support could be maintained for very long. My speech had not proposed any new initiatives ; its purpose had been to gain support for the course we were already following. I knew that under the constant pounding from the media and our critics in Congress, people would soon be demanding that new action be taken to produce progress and end the war. » (C. PAGE,op.cit)

[24] W. BUNDY, op.cit., p. 154.

[25] W. SHAWCROSS, op.cit., pp. 163-164.

[26] R. NIXON, op.cit., p. 26.

[27] G. LEQUANG, op.cit., p. 171.

[28] C.ISAKSON, « JFK/ Vietnam », Research Paper, US History, 1996 (johnster@erols.com).

[29] Ch-P DAVID, op.cit., pp. 262-265.

[30] W. BUNDY, op.cit., pp. 222-225.

[31] H. KISSINGER, A la Maison Blanche 1968-1973 (tome II), op.cit., p. 1047.

[32] W. SHAWCROSS, op.cit., p. 215.

[33] H.R. HALDEMAN, The Haldeman diaries : Inside the Nixon White House, Berkley Pub Group History, 1994, p. 241.

[34] H. KISSINGER, A la Maison Blanche, 1968-1973 (tome II), Paris, Fayard, 1979, p. 1207.

[35] Ibidem, p. 1245.

[36] Vietnam War Encyclopedia : www.vietnamwar-référence.com/

[37] J.R. CERAMI, « Presidential Decisionmaking and Vietnam : Lessons for strategists », Parameters, Winter 1996-1997.

[38] TIME-The weekly Newsmagazine, « The presidential battles on three fronts », CD-Rom, Time :Almaniac of the 20th Century, Copyright © 1994, Time Inc. Magazine Company

[39] Pour plus d’informations sur les négociations entre la période 1965-1967,lire le chapitre « The not-so-secret search for peace » dans G.C. Herring, op.cit.

[40] H. KISSINGER, « The Vietnam negociations », Foreign Affairs, vol 47, n°2, January 1969, pp. 211-234.

[41] L. JOHNSON, op.cit., p. 169.

[42] F. JOYAUX ,op.cit., p. 150.

[43] Rassemble les alliés des Etats Unis :Corée, Australie, Nouvelle Zélande,Viêt-nam du Sud et Thaïlande

[44] L. JOHNSON, op.cit., p. 304.

[45] D. RUSK, op.cit., p. 491.

[46] P.M. HOLT, The War Powers Resolution: the role of Congress in U.S. armed intervention, Washington, DC: American Enterprise Institute for Public Policy Research, 1978, p. 3.

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Partie V : La présidence impériale de Nixon

Chapitre I : L’équipe décisionnelle sous Nixon

« If Indochina went Communist, Red pressure would increas on Malaya, Thailand and Indonesia and other Asian nations. The main target of the Communists in Indochina, as it was in Korea, is Japan. Conquest of areas so vital to Japan’s economy would reduce Japan to an economic satellite of the Soviet union. »
R. Nixon,1954

1.1.La personnalité et carrière de Nixon

Richard Mulhous Nixon (1913-1994) né en Californie, d’origine moyenne s’intéresse très tôt à la politique. Il fait des études de sciences politiques et se distingue dans les différents débats auxquels il participe durant ces années. Il entame ensuite des études de droit.

Après la guerre, il s’engage dans la politique où très vite ses dons de politiciens font surface : grand tacticien, rhétorique efficace, propagande politique,… Après avoir été représentant, il devient sénateur en 1950.

Après la victoire d’Eisenhower, il laisse son poste de sénateur pour celui de vice-président. Durant cette période, il a la chance de voyager énormément et d’acquérir une bonne connaissance des relations internationales, ce qui lui permet, au moment de sa présidence, de sortir les Etats-Unis du Viêt-nam. C’est une qualité que ses prédécesseurs n’ont pas toujours eue.

En 1960 il brigue le poste de président, mais échoue devant J.F.Kennedy. Entre 1960 et 1964, il se fait plus discret sur la scène politique. Cependant, après la défaite de Goldwater aux élections de 1964, Nixon émerge comme le nouveau chef de l’opposition et n’hésite pas à soutenir la politique des bombardements de l’administration Johnson, tout en insistant que le seul objectif doit être la victoire.

Sa campagne présidentielle de 1968 est surtout marquée par l’affaire, Chennault[1] Au mois d’octobre le président Johnson donne l’ordre à Harriman et Vance de tout faire pour accélérer les négociations. Les élections présidentielles étant proches, Nixon estime qu’un accord lui ferait probablement perdre les élections. Par conséquent, Nixon par l’intermédiaire d’Anna Chennault, républicaine et proche du général Thieu, et le sénateur E. Dirksen, parvient à capoter les négociations en promettant à Thieu qu’avec l’administration Nixon il obtiendra un meilleur accord.

Cet épisode montre bien le machiavélisme de Nixon, même s’il faut reconnaître que les négociations du mois d’octobre avaient comme objectif de la part des Démocrates de faire monter le candidat démocrate Humphrey dans les sondages et qu’un accord avait peu de chance d’aboutir.

Quand Nixon prend le pouvoir en janvier 1969, une tâche importante lui incombe : finir l’engagement américain au Viêt-nam. Il hérite d’une situation qui n’a rien d’enviable :

Ø il y a 536 000 soldats américains au Viêt-nam en janvier 1969 ;

Ø chaque semaine, environ 300 corps sont rapatriés par avion ;

Ø l’engagement américain au Viêt-nam coûte 20 milliards de dollars par an ;

Ø l’année 1968 a été particulièrement douloureuse : l’offensive du Têt, Khe Sanh,…

Dans ce contexte, l’administration Nixon parvient à la conclusion qu’il lui faut définir une nouvelle stratégie pour contrer Hanoi. Cette nouvelle stratégie suppose trois mesures [2]:

A. aval du Congrès pour poursuivre la guerre ;

B. ouverture de négociations au cours desquelles Washington fera toutes les concessions possibles sans jamais accepter cependant la mainmise communiste ;

C. une nouvelle stratégie militaire axée à l’intérieur du Viêt-nam du Sud sur la défense des zones fortement peuplées, la destruction des voies de ravitaillement de Hanoi par la neutralisation de la piste Ho Chi Minh au Laos, le nettoyage des bases cambodgiennes et le minage des ports nord-viêtnamiens.

Au cours de la présidence Nixon, ces différentes dispositions comme nous allons le voir seront adoptées.

1.2. L’équipe

1.2.1. Le secrétaire d’Etat, le secrétaire à la Défense et le JCS

William P. Rogers, qui a collaboré avec Nixon sous l’administration Eisenhower est nommé au poste de secrétaire d’Etat. Nonobstant des différends nés après leur collaboration sous Eisenhower et sa méconnaissance des affaires étrangères, Nixon estime que Rogers serait parfait au département d’Etat. Sa méconnaissance des affaires étrangères est pour Nixon un atout, car cela lui permet de maintenir le contrôle de la politique étrangère. De plus, Rogers étant égocentrique et ambitieux, les fonctionnaires du département n’auraient qu’à bien se tenir. Cependant, Rogers, au lieu de devenir le défenseur de la politique présidentielle auprès de son département, du Congrès et de la presse, se fait porte-parole de ses subordonnés. Cette situation va entraîner des conflits entre les deux hommes. Afin d’éviter des affrontements permanents, Nixon et Kissinger n’hésitent pas à établir des filières non-officielles avec les principaux dirigeants étrangers. Aussi, la plupart du temps, Rogers est complètement exclu de la prise de décision.

Le département de la Défense est dirigé par Melvin R. Laird. Pendant seize années au Congrès, Laird a servi à la sous-commission de la Défense nationale au sein de la commission budgétaire de la Chambre des Représentants. Par conséquent, il joue un rôle important d’intermédiaire entre Kissinger et le JCS durant le conflit vietnamien.[3] Comme nous le verrons son rôle dans la politique américaine à l’égard du Viêt-nam est plus important qu’une partie des auteurs veulent bien faire croire.

Sous Nixon, les militaires sont très présents au sein du National Security Council staff, avec entre autres le colonel Alexander Haig. Ce dernier permet à Kissinger d’être en contact direct avec l’Etat-major interarmes, en évitant de passer par le département de la Défense. Cependant, le JCS participe peu aux réunions du C.N.S. La raison est double : le retrait des troupes du Viêt-nam et l’appropriation des négociations SALT par Nixon et Kissinger.[4]Seul le chef de l’Etat-major interarmes E. Wheeler a son mot à dire. Son mandat aurait dû se terminer en juillet 1968, mais Johnson l’avait prolongé d’un an, afin que son successeur puisse nommer son remplaçant. Cependant, l’expérience de Wheeler se révèle si indispensable que Nixon le maintient à son poste. Le général Abrams et l’ambassadeur Bunker sont également maintenus à leur poste.

Parce que Nixon ne fait ni confiance aux départements d’Etat et de la Défense ni à la CIA, il donne les pleins pouvoirs à son conseiller pour la sécurité, H. Kissinger et à son organisme, le Conseil National de Sécurité. Nixon garde un excellent souvenir du C.N.S., lors de sa vice-présidence sous Eisenhower. Aussi, son objectif est de faire renaître le C.N.S. de ses cendres sous une forme nouvelle. Car pour Nixon : « Since 1960, this Council has virtually disappeared as an operating function. In its place there have been catch-as-can talk-fests between the President, his staff assistants, and various others. I attribute most of ours serious reverses abroad since 1960 to the inability or disinclination of President Eisenhower’s successor’s to make effective use of this important Council to its pre-eminent rôle in national security planning. »[5]

1.2.2. Le C.N.S.

L’organe le plus structuré et centralisé n’est sans aucun doute le C.N.S. A la tête du C.N.S., nous trouvons H. Kissinger. Une des raisons de la nomination de Kissinger est qu’il représente au sein de l’administration la branche Rockfeller.[6] Kissinger étant le premier à avoir été nommé par Nixon, il possède l’avantage de recruter son personnel le premier.

Il s’attache les services de jeunes fonctionnaires, ayant déjà fait leurs preuves dans les différents départements et de personnalités universitaires. Le noyau dur au sein du C.N.S. est dès lors formé par des gens comme Winston Lord, Lawrence Eagleburger, Harold Saunders, Alexander Haig,…) Comme l’explique H.Kissinger lui même : « La haute valeur de cette équipe explique en grande partie l’influence croissante du Conseiller du Président pour les questions de sécurité, et le développement de mon service devint capital puisque R. Nixon forma un Cabinet d’hommes capables, astucieux et volontaires, mais qui ne purent jamais travailler réellement en équipe. »[7]

Détestant la bureaucratie, Kissinger passe avec le C.N.S. par-dessus du département d’Etat, tout en lui laissant l’illusion de participer à la prise de décision. Dès le début, Kissinger lance des passerelles et élève des barricades dans tout Washington. Comme l’explique W. Shawcross : « les barricades les plus hautes furent dressées contre W. Rogers et son département d ‘Etat et M. Laird et son département de la Défense. Les passerelles les plus importantes menaient à Nixon, à ses adjoints principaux H.R. Halderman et J. Ehrlichman , à des dirigeants du Congrès soigneusement sélectionnés, au chefs d’Etat-major et à une certaine partie de la presse. (…) »[8] Ainsi dès son entrée en fonction, Kissinger s’approprie les relations avec les ambassadeurs, tâche revenant en tant normal au secrétaire d ‘Etat. (Cfr. par exemple l’excellente relation de Kissinger avec Anatoly Dobrynin, ambassadeur de l’Union soviétique à Washington) De plus, le compte-rendu de ces rencontres ne parvient qu’à certains membres de l’équipe du C.N.S. Comme l’explique W. Bundy : « With this practice went a far more extensive use than ever before of back-channel communication links to foreign countries and american officials abroad, using the facilities of the C.I.A. or occasionally individual military services. »[9]

La raison principale de cette façon de travailler est le profond mépris de la part de Nixon et de Kissinger à l’égard des carriéristes au département d’Etat et leur résistance au changement.

Sur la base d’un projet élaboré en grande partie par M. Halperin , sous-secrétaire à la Défense, Nixon et Kissinger refondent donc le système de prise de décision, de manière à réduire l’influence du département d’Etat, du Pentagone et de la CIA. Comme le déclare S. Karnow : « Les nouvelles structures furent conçues pour placer Kissinger à la tête de tout un éventail de commissions gouvernementales et lui assurer le contrôle des recommandations soumises au Président »[10]. La structure du C.N.S. est développée de façon à décourager les différents départements à proposer ou à analyser. Toutes les études faites par le personnel du C.N.S. sont considérées comme qualitativement supérieures.

Le C.N.S. emploie un personnel permanent de 120 personnes. Il peut s’étendre jusqu’à 300 personnes, mais seul plus au moins 30 personnes participent aux prises de décisions. Toutefois, cette équipe décisionnelle de +/- 30 personnes ne tarde pas à se décomposer peu à peu. En effet, l’équipe composée d’une trentaine de sommités va tout au long des années décroître. Ainsi, plusieurs membres vont démissionner entre autres Morton Halperin, Richard Sneider,… Aussi, pour juillet 1971 seul un quart des membres, fait encore partie de l’équipe décisionnelle. Une des raisons principales, est l’inexistence de contacts avec Kissinger et Nixon et l’impossibilité d’agir au nom de Kissinger .[11]

Les analyses et études sont rédigées en commun par les groupes interdépartementaux. Il y a six Interdepartmental groups (groupes interdépartementaux) avec à la tête un Assistant Secretary of State : le Moyen-Orient, l’Afrique, l’Amérique latine, l’Europe, l’Extrême-Orient et les Affaires militaires. Seul, l’Assistant Secretary du Moyen-Orient Joseph J Sisco, travaille directement avec Kissinger, Rogers ou Nixon.

D’autres groupes sont également constitués : le Senior Review Group , le Washington Special Action Group ( =le groupe d’actions spéciales de Washington (centre des crises)), Defense Program Review Committee (=le Comité de révision des programmes de défense), Verification Panel (=Commission de vérification), Intelligence Committee (=Comité de renseignement) , Forty Committee (=comité des quarante s’occupant d’ activités secrètes et clandestines)….

La politique vietnamienne est sous la supervision du C.N.S. et en particulier de Kissinger, Nixon, Haig et Laird. De manière subsidiaire, certaines unités du département de la Défense, du département d’Etat ou de la CIA, peuvent également intervenir à travers le groupe d’études spéciales du Viêt-nam avec à la tête Wayne Smith. Ce groupe a comme tâche principale d’être au courant de toutes les opérations en cours au Viêt-nam et de proposer des solutions à des problèmes qui pourraient se poser. Un second groupe, ad hoc group on Vietnam, dont le responsable est le Secretary Assistent,W.H. Sullivan, se concentre sur les négociations.[12]

Quant aux réunions du Conseil National de Sécurité, elles sont souvent orchestrées, arrangées et organisées pour les archives. Si les réunions sont régulières la première année, elles deviennent rares par la suite. Le rôle du Conseil va alors aller décroissant, Kissinger et son équipe prenant les rênes en main. Elles ne forment même pas un forum de discussions comme sous Eisenhower. Nixon, Rogers, Kissinger, Laird et Spiro Agnew (vice-président) participent aux réunions du Conseil. Parfois d’autres membres de l’administration Nixon y participent comme le général John Mitchell, le directeur des services de renseignements R. Helms,le chef de l’Etat-major E. Wheeler,…

Egalement deux nouvelles séries de notes de service ayant trait à la Sécurité Nationale sont créées :

Ø Notes d’Etudes(N.S.S.M) : sont signées par Kissinger ou Nixon et ont comme objectif de donner des directives aux divers bureaux pour examiner des situations ou des problèmes précis pour le compte du président. Ils fixent également une date limite pour effectuer ce travail. Les résultats sont alors rassemblés pour être envoyés au Groupe d’Etudes et d’Analyses, sous le contrôle de Kissinger. Ce dernier présente soit l’étude au C.N.S., soit il la renvoie aux divers bureaux. Ensuite après une discussion au C.N.S., le président prend une décision. Les différents ministères reçoivent alors une note (note exécutive)

Ø Notes exécutives : elles informent les administrations des décisions présidentielles.

L’objectif de Kissinger et Nixon est donc de constituer à travers le C.N.S.: « A new bureaucratic methodology based on probing questions followed by searching and systematic analysis of every major US policy was designed to provide Washington officialdom with a new intellectual grid.(…) The desired end-product of a massive re-analysis of foreign policy within the series was to be a series of logical options, alternatives or choices consistent with long-range US goals. » [13]

En pratique la prise de décision va se dérouler de manière différente.

[1] Pour plus de détails lire W. Bundy, A Tangled Web, London, L.B. Tauris, 1998. pp. 30-48.

[2] H. KISSINGER, Diplomatie, op.cit., p. 617.

[3] F. SCHURMAN, The Foreign Politics of Richard Nixon: The Grand Design, Berkeley: Institute of International Studies, University of California Berkeley, 1987, p. 98.

[4] J.P. LEACACOS, « Kissinger apparat », Foreign Policy, 5-8, n° 2046, p. 4 .

[5] S. HESS, Organizing the Presidency, Washington, The Brookings Institution, 1976, p. 113.

[6] Kissinger soutenait la candidature républicaine de Rockfeller au moment des élections de 1968.

[7] H.KISSINGER, A la Maison Blanche,1968-1973,(tome I),op.cit., p. 26.

[8] W. SHAWCROSS, Une tragédie sans importance, France, éd Balland, 1979, p. 96.

[9] W. BUNDY, op.cit., p. 58.

[10] S. KARNOW, op.cit.,, p. 361.

[11] I.M. DESTLER, « Can one man do », Foreign Policy, 5-8, n° 2046, p. 35.

[12] J.P. LEACACOS, « Kissinger apparat », Foreign Policy, 5-8, n° 2046, p. 6.

[13] Ibidem, p. 12.

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Chapitre III : Analyse de la prise de décision

Ce chapitre est important, car il permet de voir l ‘ évolution de la prise de décision sous Johnson et d’examiner les variables et facteurs ayant une influence dans le processus décisionnel.  Ici encore l’analyse a comme but de tirer certaines conclusions.

Le chapitre est divisé en trois parties qui retracent l’évolution de la prise de décision. La première partie étudie la prise de décision sous Johnson de décembre 1963 à juillet 1965.Cette partie doit être abordée dans le prolongement du chapitre sur l’analyse de la décision sous Kennedy[1]. La deuxième partie analyse l’année 1966. Enfin, la troisième partie de ce chapitre examine la prise de décision entre mars 1967 et avril 1968.

3.1. 1963-1966 : Sur les traces de Kennedy ?

3.1.1. La structure collégiale

3.1.1.1. Les caractéristiques

Tout comme sous Kennedy le système décisionnel sous Johnson durant cette période est en théorie un système collégial dont les caractéristiques sont[2] :

1.   le président se retrouve au centre de la prise de décision ;

2.   les conseillers forment un groupe, une équipe ;

3.   les informations atteignent les conseillers à travers les différents échelons de la bureaucratie ;

4.   les conseillers individuellement ne fonctionnent pas comme filtres, mais le groupe filtre les informations à travers les débats.

5.   les conseillers sont des généralistes ;

6.   discussions informelles ;

7.   action directe , plutôt qu’une longue procédure bureaucratique ;

8.   résolution des problèmes entre les conseillers plutôt que dans un contexte d’une gestion organisationnelle ;

Si nous analysons ces caractéristiques et les appliquons à l’administration Johnson six de ces caractéristiques sont respectées (n° 1,2,5,6,7 et 8) Cependant, l’administration n’applique pas du tout les caractéristiques n° 3 et 4, qui sont les plus importantes. En outre, pour une application correcte d’un système collégial, il faut éviter de tomber dans une série de pièges qui peuvent fortement influencer la prise de décision. Or l’administration ne parvient nullement à les éviter.

En pratique, le système se caractérise par un président entouré par un nombre limité de conseillers qui n’hésitent pas à filtrer les informations sans débat et sans faire appel aux  différentes bureaucraties.

Aussi, cette manière de travailler court évidemment le risque que les conseillers s’isolent de la bureaucratie et s’aliènent entièrement celle-ci. Elle met également en danger la recherche optimale des options, dont l’absence peut affecter la qualité de la  prise de décision. De plus, l’exercice de la politique et l’exécution des décisions dépend des personnalités retenues qui doivent parvenir à former une vraie équipe où un débat sincère est possible.  Dans le cas contraire, un système pareil est voué à l’échec.

3.1.1.2. Les lacunes de l’application de la structure collégiale

3.1.1.2.1. L’élitisme

Durant les années 1964 et 1965 Johnson, Bundy, Rusk et McNamara contrôlent toute la politique vietnamienne[3]. Au sein de ce groupe la majorité des décisions est prise sous l’influence de McNamara. D’ailleurs comme l’explique McG. Bundy en parlant de la période allant de février à juillet ; «(…) it’s very difficult for any of us to discuss in detail, because it is very much a product of what the president at the White House and McNamara at the department of Defense were saying to each other. »[4] Quant à G.Ball,  il rapporte que: « McNamara brushed (our) cavets aside…. It was the quintessential McNamara approach. Once he had made up his mind to go forward, he would push aside the most formidable impediment that might threaten to slow down or deflect him from his determined course. »[5]  Le système collégial entre 1964 et 1965 se caractérise donc par ce que J.Frankel appelle le primus inter pares pattern, c’est-à-dire, un membre du groupe domine les débats par sa position, par sa personnalité,…[6]

A côté de Johnson  et du triumvirat, il arrive que d’autres conseillers participent à la prise de décision: A. Fortas,G.Ball, McNaughton ,Taylor, W.Bundy, Clifford et C.Lodge. De tous ces conseillers seul G.Ball fait partie du groupe des colombes. Ce n’est pas par hasard. Les conseillers sceptiques à l’égard de la politique menée au Viêt-nam et ayant obtenu leur poste grâce à leurs connexions avec le clan Kennedy – Harriman, Hilsman, Forrestal[7],…- perdent l’accès au président. Comme l’expliquent Tucker et Cohen : « in gaining control of the executive branch Johnson wanted men about him, loyal subordinates who owed their appointments to him[8].At the same time he needed continuity, appropriate skills, and experience in running the government. The result was a mixture of Kennedy holdovers, Johnson veterans and Johnson newcomers »[9]

D’un point de vue décisionnel cela n’est pas dénué d’intérêt, car Johnson écarte trois conseillers susceptibles de jouer le rôle d’avocat du diable et donc de remettre en question les décisions prises à l’égard du Viêt-nam. Toutefois, Johnson a l’intelligence de maintenir au sein de l’équipe décisionnelle quelques colombes afin de leur faire jouer le rôle d’avocat du diable. 

3.1.1.2.2. Le rôle d’avocat du diable

Selon la définition reprise par A.L.George il faut comprendre par avocat du diable : « The devil’s advocate performs a role ; it is understood that the person performing this role will argue an unpopular position that should be considered, but which no one else will speak up for and which the devil’s advocate himself does no really favor. The fact that he is performing an accepted role and is not a genuine dissenter is designed, of course, to protect that person from incurring sanctions for challenging the group’s opinion or it’s leader’s view. Thus defined the limits as well as the potential utility of the role become manifest : for while the devil’s advocate introduces some diversity into the group’s deliberations or challenges some of the premises that enter into the leader’s judgment, he cannot persist in his challenge nor, even more important seek to develop a coalition within the group to oppose and, if possible overcome the majority. »[10]

Si nous suivons la définition à la lettre, le rôle d’avocat du diable n’est pas rempli par quelqu’un opposé à la politique suivie. Toutefois, en pratique souvent l’avocat du diable est un modéré, ou dans ce cas-ci une colombe, c’est-à-dire G.Ball. Toujours en faisant référence à la définition, nous voyons que l’avocat du diable ne parvient qu’à proposer des vues divergentes, mais ne parvient pas à les imposer.  Un bon avocat du diable par contre parvient de manière subtile à influencer la prise de décision. Les exemples dans la politique américaine sont rares. [11]

Aussi pour qu’une personne puisse remplir le rôle d’avocat du diable sans tomber dans le piège de la définition, il doit avoir une forte personnalité et parvenir à convaincre une partie de l’administration du bien fondé de son action. Cela n’est nullement le cas avec G.Ball. Dans son rôle d’avocat du diable, Ball ne parvient pas à convaincre ni McNamara, ni Rusk, ni Bundy du danger d’un engagement irréfléchi au Viêt-nam. Comme le déclare J.Valenti, un conseiller du président Johnson, : «  Had George been able to find any ally within the government to confirm his judgment, his opinions would have been extraordinarily effective »[12] En fait G. Ball, n‘a pas la stature d’un McNamara ou d’un Bundy. Aussi, comme lui dira Johnson : « You’re one of these can-do fellows too, George »[13]  De plus, G.Ball a  face à lui un mur dans la personne de son supérieur  D. Rusk qui a une vision différente du rôle des Etats-Unis. Si pour Ball, les Etats-Unis sont une puissance atlantique, pour Rusk les Etats-Unis sont a two ocean nation.[14]

Seul, Moyers, secrétaire de presse, au sein de l’administration rejoint assez rapidement la position de Ball. Le rôle de Moyers est non-négligeable puisque son rôle en tant que secrétaire de presse lui permet de jouer d’ intermédiaire entre le président et G.Ball.(Cfr. Infra)[15] Comme Moyers le déclarera lui-même : « Johnson knew that I hadn’t made up  my own mind about Vietnam and that I would be a sympathetic corridor for Ball’s access to him. » [16]

Aussi sous l’administration Johnson le rôle d’avocat du diable remplit une série de fonctions qui la serve. Ainsi le rôle d’avocat du diable[17] :

1)  donne l’impression aux conseillers d’analyser toutes les options ;

2)  permet au président de contrôler les conseillers opposés à la politique prônée ;

3)  permet à l’Exécutif d’être mieux préparé à l’égard des médias ou de l’opinion publique ;

4)  permet d’améliorer les relations avec l’opinion publique en donnant l’impression d’examiner toutes les options ;

5)  satisfait la volonté de la part des faucons de maintenir les colombes afin  de donner l’impression à ceux-ci et à l’opinion que la prise de décision se fait en toute clarté, de manière démocratique ;

6)  joue un rôle important dans les relations avec l’opinion publique. C’est lui qui rédige les réponses aux critiques, qui utilise un langage conciliateur dans les discours présidentiels. 

 Par conséquent, le pouvoir de l’avocat du diable dans la prise de décision est inexistant. Ce qui n’est pas étonnant puisque Johnson attache une grande importance à la pensée de groupe, qui ne tolère pas les avis déviants. 

3.1.1.2.3. Le Tuesday Lunch et la pensée de groupe

Afin de limiter les fuites et faciliter les discussions concernant la politique étrangère Johnson instaure le Tuesday Lunch. Le Tuesday Lunch est mis en œuvre le 4 février 1964, mais devient un vrai organe décisionnel à partir de mars 1965, remplaçant les réunions du C.N.S., trop formelles. Comme le déclare D. Rusk : « We’d have a full discussion, and it was in a relaxed fashion.  We could debate with each other, we could expose different points of view, we could look at all the alternatives, we could talk about the attitude other personnalities and individuals such as senators or leading congressmen. It was a most valuable instituion and made a great difference to the ease of working relationships among those who were carrying the top responsability. »[18] La majorité des décisions sur le Viêt-nam est prise durant les Tuesday Lunches, auxquels participent à l’origine McG. Bundy, McNamara et D. Rusk[19]. Aucun remplit le rôle d’avocat du diable. A en croire Bundy, cela a été une requête  de McNamara, qui arrange bien Johnson.[20] L’objectif principal de Johnson comme l’expliquent Cohen et Tucker : « was fundamentally at fault in not providing room for dissent. None of the principal advisers he met with regularly in the Tuesday luncheons offered the kind of dissent on Vietnam that Undersecretary of State G Ball did in the National Security Councils meetings. »[21] Les militaires n’y sont pas conviés. Les Tuesday Lunches renforcent donc le pouvoir décisionnel du triumvirat, dont en particulier ceux de McNamara, le plus autoritaire et confiant des trois. D’un point de vue théorique nous avons à faire au principe de groupthink.

Le principe de groupthink ( pensée de groupe) a été développé par I. L. Janis. Selon I.L.Janis : « The more amiability and esprit de corps among the members of a policymaking in-group, the greater is the danger that indépendant critical thinking will be replaced by groupthink, which is likely to result in irrational and dehumanizing actions directed against out-groups. » Le fait que des décisions importantes se prennent à l’intérieur d’un groupe limité peut entraîner une diminution sensible de la qualité des décisions. La tendance à l’homogénéité au sein d’un groupe fait en sorte que les décideurs ne tiennent pas compte de toutes les options, puisqu’ils partagent les mêmes valeurs et croyances. En outre, en tant de crises, ce groupe prend ses distances par rapport à la bureaucratie, ce qui entraîne un examen incomplet de l’information. Dès lors, le groupe recherche surtout le consensus, en rejetant les points de vue dissidents. La pensée du groupe restreint  donc  le débat et la critique.

Janis et Mann exposent l’influence de huit symptômes qui favorisent la tendance à la conformité parmi un groupe Entre les guillemets se trouvent des exemples développer dans les chapitres précédents [22]:

A. L’illusion de l’invulnérabilité, qui crée généralement un excès de confiance amenant les décideurs à prendre des risques inutiles dans leur appréciation trop optimiste d’une situation. (ex. la politique suivie durant tout le conflit)

B.  Un effort constant de justification des décisions prises, contribuant à renforcer certaines perceptions collectives qui en retour, solidifient la croyance en la validité des choix de première heure effectués par le groupe, sans aucune considération critique des implications de ces choix. ( ex. la théorie de la réponse graduée)

C. Une croyance très forte dans la supériorité intellectuelle et morale du groupe. Celui-ci finit par croire que ses perceptions sur un problème sont une juste appréciation de la réalité. (les Whiz Kids)

D. Une simplification des perceptions au point qu’elles deviennent stéréotypées, déshumanisant considérablement par le fait même le problème ou l’ennemi s’il y a lieu. (ex.la théorie des dominos)

E.  La prédominance de formes d’autocensure personnelle, au point où les membres du groupe écartent toute idée qui pourrait aller à l’encontre du consensus et de la vision du groupe. (ex.les jeux de simulation, la disparition du rapport McCone en avril 1965,…)

F.  Le fait que les décideurs finissent par croire à leur unanimité réelle autour d’une décision. (ex toutes les décisions prises entre 1964 et 1965)

G. La présence de barrières psychologiques qui empêchent la remise en question de cette unanimité, en filtrant les jugements, les informations et les opinions contraires provenant de l’extérieur, qui menaceraient le consensus. En effet comme l’illustre R.K. Betts : « the administration had to justify its policy. As involvement grew, the bureaucracy became less responsible for reporting the truth than for making the war effort successfull. As high policy makers became more committed, they developed a vested interest in optimistic readings of events, and the high officials’minions became increasingly susceptible to pressures to provide such interpretations where ambiguity allowed. »[23] Ainsi, beaucoup de rapports seront altérés, déformés,…

H. La présence de pressions en faveur du conformisme, qui rendent extrêmement ardues les dissensions parmi ceux qui voudraient mettre à l’épreuve les idées communes et les perceptions du groupe. Ainsi, toute contestation est soumise à deux restrictions :

1.   interdiction de communiquer doutes ou contestations  à une tiers personne qui bénéficieraient à l’opposition.

2.   contestations et critiques ne sont possibles que dans des limites acceptables, ne déviant pas trop de la ligne politique suivie. (ex G.Ball)

Aussi, s’il est important de poursuivre dans la prise de décision une certaine voie, cette politique devient suspecte dans plusieurs cas :

a.   quand les convictions ne sont plus fondées

b.   quand les décideurs manquent d’observer des faits contraires à leur conviction

c.   quand ils refusent d’analyser les arguments divergents.

Or, il y a une absence totale de réévaluation de la situation choisie durant ces années. Il y a maintien des choix, malgré que certaines voix s’élèvent estimant que les choix s’avèrent un échec. Aussi, on reste loyal au groupe et la décision prise par celui-ci, même si les conséquences de cette décision sont mauvaises.

3.1.1.2.4. Le principe  du bolstering

Au moment de décisions importantes, les options présentées sont souvent de fausses options. Que soient proposées trois ou cinq options, la majorité du temps, respectivement deux ou quatre options  s’excluent automatiquement. L’option restante est celle qui permet le maintien du consensus. Dans la théorie de la prise de décision, on appelle cela le bolstering. Par ce dernier il faut comprendre : « the psychological tendency under certain conditions of decisional stress to increase the attractiveness of a preferred option and doing the opposite for whichone is inclined to reject. The expected gains from the preferred alternative are magnified and its expected costs/risks are minimized. Similarly, the expected gains from rejected alternatives are downgraded, their expected costs/risks are magnified[24] Cette pratique est évidemment accompagnée d’une distorsion de l’information.

3.1.1.2.5. Manoeuvres afin d’affecter l’information

Une grande partie de l’information qui arrive est sélectionnée de telle façon que seul les  informations sont retenues qui soutiennent une politique bien déterminée. Afin d’arriver à leurs fins, les conseillers et autres utilisent une série de pratiques. Toutes ces pratiques, nous les avons vues de manière implicite à travers la relation des faits. Aussi entre les guillemets, vous retrouvez un exemple de chaque  point [25]:

1)  rapporter uniquement les faits qui soutiennent la position établie (ex. mémorandum du 27 janvier 1965)

2)  structurer les rapports de telle façon que le décideur ne voit uniquement que ce que le conseiller veut  qu’il voit. (ex. conclusions du NSC Working group, novembre 1964)

3)  ne pas rapporter des faits qui remettent en doute la voie suivie.( ex. de manière générale les rapports militaires)

4)  réclamer des études de ceux qui vous donnent les conclusions désirées.( ex . Wise Men[26], Eisenhower,…)

5)  rester à l’écart de conseillers qui pourraient rapporter des faits contraires à la politique suivie. (ex. les distances par rapport à Fullbright ou Ball)

6)  circonvenir les canaux officiels.

          Nous observons donc  que la structure collégiale sous Johnson se caractérise par une série importante de défauts, qui influencent de manière négative la prise de décision.

3.1.2. L’approche cognitive : le syndrome de Munich

          Tous les présidents de Truman à Johnson[27] sont influencés par le syndrome de Munich. L’échec des démocraties dans les années trente contre l’agression totalitaire entraîne la Seconde Guerre mondiale. Après cette guerre, le nazisme et Hitler sont remplacés par le Communisme et Staline, comme menaces aux démocraties. Pour Washington, le danger est identique et dès lors des leçons doivent être tirées de Munich. Les problèmes en Turquie, Grèce et Iran, le blocus de Berlin, Prague tout comme la perte de la Chine, renforcent cette analogie, qui va mener à la théorie des dominos.

Tout comme  Munich, la théorie des dominos se construit à partir d’une agression d’un ennemi. Par conséquent, ayant Munich en mémoire, il est exclu de mener une politique d’apaisement ou de compromis à l’égard de l’agression, même si cela se déroule à la périphérie.

Aussi, la période entre Munich et Pearl Harbor marque fortement toute cette génération de politiciens américains. Ainsi Cohen et Tucker déclarent :« the lessons he(Johnson) and his generation drew from  these years (Munich à Pearl Harbor) were graven on their minds [28]:

1.   That the United States had erred in retreating into isolationism after World War I and must hereafter play a leading rôle in world affairs ;

2.   That appeasement of aggressors was folly, that they must be met from the beginning with firmness and force if necessary ;

3.   That the United States had been imperiled by military weakness and must always have sufficiency and readiness in the future.

When WW II ended, these articles of faith moved over to undergird policy in the Cold War :

1.   The United States must fulfill its commitments and maintain its reliability as world leader and all ;.

2.   until situations of strength had been created and the fundamental  purposes of communist powers had changed, the function of diplomacy was registering situations created by force or threat of force and keeping allies in line ;

3. adequate defense depended on projection overseas of American power, on the credibility of its deterrence, and therefore on its willingness if necessary to use force. »

Ainsi,  l’expérience des années trente, suivie par la seconde guerre mondiale, établit un monde dominé par un nombre limité de dogmes[29] :

a.   un système bipolaire : le monde libre, le monde communiste ;

b.   les régimes communistes sont agressifs implicitement et ont comme objectif de conquérir le monde ;

c.   inexistence de conflits local en tant que tel, toujours une provocation des communistes ;

d.   une politique d’apaisement et de compromis est non seulement inefficace, mais également suicidaire ;

Cette image va être très forte dans les années cinquante, et va persister dans les années soixante, malgré des changements importants dans le système international. Ainsi, pour beaucoup au sein de l’administration, l’abandon du Viêt-nam n’amènera pas la paix, car ils ont appris de la période hitlérienne que le succès d’une agression nourrit l’appétit de l’agression.

            Dans son discours du 7 avril 1965, Johnson déclare : « We are also there because there are great stakes in the balance. Let no-one think for a moment that retreat from  Viet-nam would bring an end to the conflict. The battle would be renewed in one country and then another. The central lesson of our time is that the appetite of aggression is never satisfied. To withdraw from one battle field means only to prepare for the next. We must say in Southeast Asia – as we did in Europe – in the words of the Bible : « Hitherto shalt thou come, but no further. » »[30] En juillet 1965, pour justifier l ‘envoi de troupes, Johnson déclare : « (…) nor would surrender in Viet-nam bring peace, because we learned from Hitler that success only feeds the appetite of aggression.(…) »[31]

Cette théorie de l’agression est partagée à l’origine par la majorité des conseillers et par le Congrès. Seul  G. Ball et la CIA s’opposent à cette théorie des dominos et à l’analogie de Munich. Cependant en publique, G.Ball maintient le point de vue de l’administration. Ainsi,G. Ball déclare en mai 1965 : « we have…come to realize from experience of the past years that aggression must be dealt with where ever it occurs and no matter what mask it may wear… In the 1930s Manchuria seemed a long way away….Ethiopia seemed a long way away. The rearmament of the Rhineland was regarded as regrettable but not worth a shooting war. Yet after that came Austria, and after Austria, Czechoslovakia. Then Poland. Then the Second World War. The central issue we face in South Vietnam….is whether a small state on the periphery of Communist power should be permitted to maintain its freedom. And that is an issue of vital importance to small states everywhere. » [32]

Dans un rapport remis début juin 1964 au président Johnson, la CIA estime qu’il est peu probable qu’à l’exception du Cambodge et du Laos, les autres pays soient une proie pour le communisme. Si le rapport établit également que cela endommagera le prestige  américain dans l’Asie du Sud-Est, il estime que tant que les bases de Guam, Philippines, Okinawa,… restent américaines, les Américains pourront défendre leurs alliés contre une attaque chinoise ou nord-viêtnamienne.[33]

Dans ce contexte, il est certain que la perception par Johnson de l’histoire a un impact décisif sur la décision d’escalader le conflit, tout comme la perception de l’histoire a un impact sur Eisenhower et Kennedy sur la volonté de se maintenir au Viêt-nam.

 Johnson sait que la chute du Viêt-nam serait préjudiciable à son administration. Il n’hésite d’ailleurs pas à comparer la chute éventuelle du Viêt-nam avec la perte de la Chine : « I knew that H. Truman and D.Acheson had lost their effectiveness from the day the communists took over China. I believed that the loss of China had played a large role in the rise of Joe McCarthy. And I knew that all these problems, taken together, were chickenshit compared with what might happen if we lost Vietnam. »[34]Cette approche peut entraîner des conséquences majeures dans la prise de décision.

Une politique choisie par ce que idéologiquement correcte, peut persister pendant des années malgré son échec, ceux qui la préconisent ne la remettant pas en question.[35] Dans son article, How could Vietnam happen, J.C. Thomson explique très bien le problème : « Men who have participated in a decision develop a stake in that decision. As they participate in further, related decisions, their stake increases. It might have been possible to dissuade a man of strong self-confidence at an early stage of the ladder of decision ;  but it is infinitely harder at later stages since a change of mind there usually involves implicit or explicit repudiation of a chain of previous decisions. To put it bluntly : at the heart of the Vietnam calamity is a group of able, dedicated men who have been regularly and repeatedly wrong – and whose standing with their contemporaries, and more important, with history, depends, as they see it, on being proven right. These are not men who can be asked to extricate themselves from error. »[36]

Même si à partir de 1966 la théorie des dominos est remise en question, l’intérêt de réputation lui se maintient. Comme le déclare Stanley Karnow : « Avec une administration réaffirmant dans tous ses discours sa détermination à arrêter le communisme en Asie du Sud-Est, le Président ne pouvait faire marche arrière sans porter atteinte au prestige du gouvernement américain – et cette considération deviendrait par la suite la principale raison de l’engagement des Etats-Unis au Viêt-nam »[37]

Dans son discours d’inauguration par exemple, l’ambassadeur Taylor déclare en juin 1964 : « Failure in Southeast Asia would destroy U.S. influence throughout Asia and severely damage our standing elsewhere throughout the world. It would be the prelude to the loss or neutralization of all of Southeast Asia and the absorption of that area into the Chinese empire. »[38]

En 1965 et ensuite en 1966[39] McNaughton déclare que les raisons de l’engagement américain au Viêt-nam  sont pour [40]:

70% éviter une défaite américaine humiliante, car notre réputation est en jeu.

20% éviter que le Sud tombe dans les mains du communisme.

10% permettre au peuple du Sud d’avoir de meilleures conditions de vie

Comme l’explique Webster : « While the loss of this territory would make it somewhat easier for the Communists to launch new attacks, this is less important than the cost of the change in the American image that policy-makers believe a defeat would entail. »

3.1.3. La variable  bureaucratique 

Nous analysons de manière générale dans ce point le fonctionnement de la bureaucratie dans les différents départements afin de voir si celui-ci forme un frein dans la prise de décision et dans l’exécution de la décision.

            Dans ce contexte les départements, agences,… ayant des missions à remplir, cherchent selon M.H.Halperin à maintenir ou à améliorer leur autonomie, leur moral, leur essence, leurs rôles et missions et leur budget attribué. Ce qui suit s’appuie partiellement sur l’excellent article de H.M. Halperin, Why bureaucrats play games.

3.1.3.1. L’autonomie

            Les membres d’une bureaucratie sont convaincus d’être dans une meilleure position que d’autres afin de déterminer quelles tâches leurs reviennent et comment ils peuvent remplir leurs missions de la meilleure façon possible. Aussi, ils attachent une grande importance  au contrôle de leurs propres ressources. Un exemple est le conflit entre militaires et civils sur leurs tâches respectives. Pour l’administration Johnson, les militaires doivent être plus des généralistes que des militaires : «  I look to the Chiefs… to be more than military men »[41] Cependant les Etats-majors n’acceptent pas cette perspective, car elle suppose une  soumission de ceux-ci aux civils. Le refus d’accepter ce rôle plus politique va de pair avec le refus d’accepter que le Pentagone soit dirigé par des analystes civils (cfr. supra).

Dès lors, il semble bien qu’il y ait une volonté de la part de l’administration d’écarter les militaires de la prise de décision. McNamara d’ailleurs n’hésite pas à déclarer à Johnson en mars 1964 concernant les militaires : « …Divide and conquer is a pretty good rule in this situation. And to be quite frank, I’ve tried to do that in the last couple of weeks and it’s coming along pretty well. »[42]

Ainsi, Johnson, reposant surtout sur ses conseillers civils, a peu de contacts avec les militaires. Durant la période 1965-1968, il voit le Chef d’Etat-major une fois par semaine, et jamais seul. Quant aux Tuesday Lunches, aucun militaire n’y participe de manière régulière avant la deuxième moitié de 1967.[43] Cette tension entre civils et militaires a évidemment une influence négative sur la prise de décision et sur son exécution.

3.1.3.2. Le moral

            Une organisation ne peut fonctionner que si son personnel est motivé, que si son travail est apprécié, que si son rôle est important,…. Ainsi, il arrive que les fonctionnaires résistent à des changements dans le cas où ils sont persuadés, que cela affecte le moral de l’organisation, même si ces changements améliorent l’efficacité de l’organisation Un exemple concernant le Viêt-nam est celui du tour de service (tour of duty). Très vite l’Etat-major au Viêt-nam réalise que le tour de service des officiers devrait être prolongé d’un à deux ou trois ans afin d’améliorer les performances de l’armée. Pourtant, l’armée refuse invoquant que cela entraînera une répercussion sur le moral des officiers, car ceux ayant une expérience de combat bénéficieraient plus facilement d’une promotion. Par conséquent, il est préférable d’envoyer le plus d’officiers possibles afin d’éviter cette situation.

3.1.3.3. L’essence

            Chaque organisation a une vue claire de ce qui est et devrait être l’ essence de sa tâche, de son rôle. Ainsi dans l’armée de l’air l’essence, l’entité est le SAC (Strategic Air Command) et  le TAC (Tactical Air Command). Par contre, le transport de troupes est considéré comme ne faisant pas partie de l’essence de leurs missions. Ce qui entraîne des conflits entre l’armée de terre et de l’air. Cette dernière ne voulant pas transporter des troupes terrestres. Un autre exemple concerne l’armée de terre et les forces spéciales (Bérets verts). Ces dernières ne sont pas considérées comme faisant partie de l’essence de l’armée de terre. Cette situation provoque évidemment des conflits entre les différentes branches de l’armée, entraînant un dysfonctionnement de celle-ci. Un troisième exemple concerne le département d’Etat. La tâche principale de celui-ci est la politique étrangère, mais non la récolte d’ informations pour le C.N.S.

3.1.3.4. Rôles et missions

Ce point rejoint le point sur l’essence, car il concerne le conflit entre les différents départements et agences pour le contrôle de certaines missions et le rôle que ces organisations remplissent dans l’organigramme décisionnel.   Un exemple, que nous avons développé est la compétition que mène le département d’Etat et de la Défense durant tout le conflit vietnamien. Ce conflit influence le point de vue  et les positions prises par les départements qui sont présentées à l’Exécutif. ( cfr. supra la mission Krulak- Mendenhall  de septembre 1963 sous Kennedy ,  les missions Rolling Thunder et le problème des cibles)

En outre, il arrive fréquemment que les départements et agences calculent comment certaines options peuvent affecter les missions et rôles futurs du département ou de l’agence. Par conséquent,  ils ne proposent ou ne soutiennent pas les options qui pourraient entraîner  des changements de mission ou de rôle à leur détriment. Ces disputes entre différents départements ou corps de l’armée affectent évidemment les informations rapportées aux échelons supérieurs.

3.1.3.5. Le budget

            Chaque bureaucratie examine les options ou décisions en fonction de l’effet potentiel sur son budget. Au moment de la Vietnamisation, l’establishment militaire réalise qu’un retrait  du Viêt-nam aura des conséquences sur le budget et c’est une des raisons pourquoi  à l’origine l’establishment militaire  va s’y opposer.

Ainsi toute analyse au sein de la bureaucratie se fait de manière partisane. De plus, les débats sont souvent faussés. Ce ne sont pas toujours ceux qui ont le plus de compétences qui prennent les décisions, mais bien ceux qui ont le plus d’influence et contrôle sur l’information.  Ce phénomène est décrit par S.Hoffmann de la manière suivante : « There inevitably occurs a subtle (or not subtle) shift from the specific foreign-poicy issue to be resolved, to the positions, claims, and perspectives of the participants in the policy machine. The demands of the issue and the merits of alternative choices are subordinated to the demands of the machine and the need to keep it going. Administrative politics replaces foreign policy. »[44]

Nous voyons donc que les différentes bureaucraties des différents départements prennent des positions afin de protéger leurs départements contre d’autres départements ou contre l’Exécutif. Ce processus affecte de manière sérieuse la prise de décision et limite le pouvoir décisionnel de l’Exécutif.  Aussi, la décision qui émerge de ce jeu entre les différentes bureaucraties répond de manière générale à une dynamique interne plutôt qu’aux exigences de la politique étrangère. Cela a comme conséquence que souvent on n’ a pas du tout de politique ou  seulement une politique de compromis ou une politique contradictoire,…

Comme l’explique H.M Halperin : «  Every President needs to know how bureaucratic interests interact, in order to be the master rather than the prisoner of his organizations, and also in order to mold the rational interests of the bureaucracies into the national interests as he sees it. »[45]

            Le premier responsable  de ces querelles bureaucratiques est le président. Aussi bien Kennedy, que Johnson négligent le rôle primordial joué par le C.N.S., qui est celui d’une institution neutre devant apaiser les conflits entre les différentes bureaucraties. Or, ils font du C.N.S. par le biais du Conseiller à la sécurité nationale, une nouvelle organisation, concurrente aux autres. (cfr. également le point 3.2.1.)

3.1.4. La variable d’ordre individuel

Comme nous l’avons fait pour chaque président, il n’est pas dénué de sens d’aborder la personnalité, la carrière politique,…. [46] Cela permet de mieux comprendre la prise de décision.

A travers toute sa carrière politique, quand confronté à des situations délicates, Johnson tente toujours à ce positionner au milieu, tout en parvenant à imposer ses vues. En faisant des concessions aux parties concernées sans donner à celles-ci ce qu’elles veulent, il parvient à maintenir les controverses et les points de vue dissidents sous contrôle. Comme le déclare Clifford : « Johnson acted more like a legislative leader maintaining consensus among his divided colleagues than a commander in chief running a war. »[47] Sa politique se caractérise par une minimisation de l’information reçue, afin d’avoir l’impression d’avoir la situation bien en main. Comme le déclare C-P David : « C’est la solution la plus simple et plus efficace, mais aussi celle qui engendre les plus grands dangers, si le décideur s’entête, malgré des signes évidents de fausse route, compromettant en cela la qualité et la rationalité de son choix. » [48]

Selon Tucker et Cohen : « Johnson could not tolerate  not being in command and so he tackled problems he did not always  understand. His shooling had been poor, his travels overseas severly limited, his reading even more so »[49]Ce qui confirme la phrase de P Geyelin : « King of the river, he was stranger to the open sea »[50] En effet, la politique étrangère de Johnson, se caractérise par les clichés, les stéréotypes.(cfr. supra l’approche cognitive) Ainsi Johnson, mais également ses conseillers, ne perçoivent pas assez rapidement les changements dans le système international. Aussi d’une certaine façon il lui manque l’intuition, l’instinct,…

Il semble à en croire C. Cooper que Johnson a également une personnalité intimidante et impressionnante, n’appréciant pas les opinions divergentes ou les personnes le  contredisant. Cooper se rappelle qu’à la fin des réunions quand il voulait exprimer son désaccord, il n’en était pas capable.[51] Comme l’illustre D Kearns : « For five years between 1963-1968, Johnson dominated public life in Washington to such an extent that the cabinet was his cabinet,the Great Society was his program, the Congress his instrument. »[52] Le seul moment où Johnson accepte la critique est à l’occasion d’ un tête-à-tête avec ses très proches collaborateurs.

Sa politique se caractérise aussi par le wishfull thinking , qui consiste à prendre ses désirs pour des réalités. Le président espère ainsi qu’une situation défavorable finira par faire place à une conjoncture meilleure. Une autre caractéristique de Johnson est qu’il fonctionne par mémorandum ou par téléphone et donc a peu de contacts personnels avec ses conseillers. (ó Eisenhower, Kennedy)

La personnalité et le style de L. Johnson contribuent donc en partie à la fragmentation du processus décisionnel. Johnson ne pousse pas, contrairement à Eisenhower, ses conseillers à examiner les différentes alternatives possibles ou à jouer lui-même le rôle d’avocat du diable.

3.1.5. Les groupes de pression : le complexe militaro-industriel

Durant la guerre la majorité des firmes appartenant au complexe militaro-industriel n’hésitent pas à exercer des pressions, surtout  les firmes étant dépendantes du Pentagone pour plus de la moitié de leur vente : AVCO (75%), Collins Radio (65%), General Dynamics (67%), Lockheed (88%) Martin-Marietta (62%), McDonnel-Douglas (75%), Northrop (61%),…[53] Aussi, ils n’hésitent pas à exploiter toute opportunité pour décrire le Viêt-nam du Nord, l’Union soviétique et la Chine comme un bloc monolithique dangereux et hostile aux intérêts américains. 

S’ il est difficile, par manque d’information sur le sujet, d’analyser l’influence de ces groupes  représentants le complexe militaro-industriel, il est certain que son influence est tout sauf négligeable aussi bien au sein du Congrès, qu’au sein du Pentagone. Concernant ce dernier, il faut savoir que la majorité des firmes recrutent des anciens gradés, afin qu’ils exercent leur influence dans leurs relations au Pentagone.  Quant à l’influence du complexe militaro-industriel au Congrès, un exemple sera plus explicite. Le fait d’être faucon ou colombe est lié aux dépenses militaires dans le pays. Indifféremment qu’un sénateur soit démocrate ou républicain, du Nord ou du Sud, plus l’impact des dépenses du département de la Défense est grand dans son Etat, plus il y a des chances qu’il soit faucon. Ainsi six des vingt sénateurs des dix Etats  les plus dépendants des commandes du département de la Défense font entre 1964-1968 parti du groupe des durs au sein des faucons , seul deux des vingt font parti du groupe des durs au sein des colombes. Un des deux n’est pas réélu en 1968, tous les faucons sont réélus haut la main.[54]

Ainsi, on voit que les groupes de pression par le biais des représentants et le Pentagone ont une influence indirecte mais non-négligeable dans la prise de décision.

3.1.6. La propagande 

            La propagande est menée aux Etats-Unis par l’USIA (United States Information Agency) La mission de l’ agence consiste à mener des opérations de propagande et des missions informelles à l’étranger au nom du gouvernement américain. Son activité la plus connue est Voice of America,  un réseau mondial de radios. Les différentes administrations font régulièrement appel à cette agence durant le conflit vietnamien afin de rendre leur politique de propagande la plus efficace possible. Par propagande il faut comprendre la définition donnée par Jowett et O’Donnel : « Propaganda is the deliberate and systematic attempt to shape perceptions, manipulate cognitions, and direct behavior to achieve a response that furthers the desired intent of the propagandist. »[55] La propagande a donc comme objectif premier de convaincre l’opinion américaine de percevoir le conflit comme l’administration le veut : un conflit contre le Viêt-nam du Nord, soutenu par le bloc communiste.

 Un exemple de cette politique de propagande est la  suspension des bombardements en mai 1965 où l’administration américaine se fait passer pour la victime (cfr.supra). Un autre exemple : l’annonce d’une ouverture de négociations ou la réaffirmation de l’engagement américain à l’égard des alliés se fait de manière fortement médiatisée soit par le président, soit par son secrétaire à la Défense ou son secrétaire d’Etat. Par contre les remaniements  dans  l’engagement américain au Viêt-nam sont divulgués, afin de passer inaperçus, parmi les informations quotidiennes annoncées par des fonctionnaires de second rang. Ainsi l’annonce officielle en juin 1965 par un Press officer du département d’Etat que les troupes américaines  auraient également une tâche offensive et non plus seulement une tâche défensive en est l’exemple parfait.[56]

            A côté de cette propagande visant l’opinion publique américaine, une autre politique de propagande a également lieu, mais cette fois-ci à l’égard des gouvernements alliés. L’objectif n’est pas seulement d’informer les gouvernements alliés avant des développements nouveaux, mais également de réaffirmer les objectifs américains parfois en contradiction avec certaines déclarations publiques. Ces informations permettent également à ces gouvernements d’influencer leur opinion publique en les divulguant. Ce sera surtout le cas en Angleterre et en Allemagne.

Nous observons donc que les Etats-Unis afin de ne pas se  faire influencer dans leur prise de décision par leurs alliés, vont à travers leur politique de propagande essayer d’expliquer leurs objectifs aux gouvernements alliés. Ces derniers essaient si nécessaire de les expliquer à leur propre opinion publique.

 De cette façon, Washington maintient le bloc occidental le plus homogène possible et évite toute critique ou influence extérieure dans sa prise de décision. Ainsi même la France de de Gaulle qui est opposée à la politique américaine, évite d’envenimer les relations avec les Etats-Unis. L’exemple le plus concret est le refus de la France d’organiser le procès Russel sur les crimes de guerre perpétrés par les Etats-Unis au Viêt-nam, la France invoquant le respect de la souveraineté de l’Etat-nation. Le procès fictif aura lieu à Stockholm, mais n’aura pas la médiatisation qui l’aurait pu avoir en France, pays des Droits de l’Homme.

             Afin d’améliorer sa politique de propagande en Europe, l’administration Johnson n’hésite d’ailleurs pas à rassembler des informations sur l’efficacité de sa politique de propagande et cela par le biais d’articles parus dans les journaux, de sondages, de manifestations,… Après avoir analysé  les données, l’administration à travers  l’USIA, tente alors d’améliorer, de modifier sa politique de propagande. Il y a donc une procédure de réévaluation (feed-back).

            En définitive, cette propagande sert à influencer l’opinion publique tout comme une partie du monde international en jouant sur la perception des faits et non sur les faits réels. Cela  a une conséquence non-négligeable dans la prise de décision. Vu la manipulation de l’opinion publique à travers la propagande, Johnson est convaincu qu’il mène une politique qui tient compte des dilemmes. (cfr. supra). Or le fait de manipuler une des trois variables (« consensus/support ») des dilemmes, fausse l’équilibre entre les trois variables et donc la prise de décision .

3.1.7. La variable systémique

            Ayant analysé l’influence du système international à travers les faits, nous n’y revenons pas dans cette partie.( cfr. ex. le conclusions du Working Group en novembre 1964, les raisons de Rolling Thunder,… )

3.1.8. Conclusion

           A partir des faits et de l’analyse des variables, il y a moyen maintenant de décrire le processus décisionnel de Johnson.  Nous le faisons, tout comme nous l’avons fait pour les présidents précédents à partir du schéma Sui Generis.

En reprenant le  schéma, nous observons que Johnson  de façon générale reprend le système appliqué sous Kennedy : un système décisionnel élitiste, fermé, à certains moments impérialiste, et se voulant rationnel. Or la prise de décision, tout comme sous Kennedy et contrairement à Eisenhower, est tout sauf rationnelle. La raison principale de cet échec se situe au niveau de la structure décisionnelle : la structure collégiale. Ce n’est pas la structure collégiale que nous remettons en question mais bien l’application que l’administration en fait.. De manière générale, l’application d’une structure collégiale entraîne des abus, des excès de pouvoir. (cfr. 3.1.1.), ayant comme conséquence un système décisionnel fermé, oligarchique où la pensée de groupe est primordiale.

Cela a des conséquences importantes dans le processus décisionnel. Quelques exemples :

Ø   toutes les options et hypothèses ne sont pas analysées.( ex . ouverture de négociations, l’abandon de la guerre limitée ;

Ø   le président est dépendant d’une seule source d’information. (entre 1963-1965, la principale source d’information est McNamara) ;

Ø   une option n’a été analysée que par les défenseurs de cette option (la politique de guerre limitée est analysée uniquement par Taylor et McNamara) ;

Ø   absence d’experts[57] ;

Ø   ….

Le danger de cette adaptation du système collégial est d’éviter l’examen du pour et du contre de telle ou telle décision et  d’accepter d’office le consensus. Aussi malgré qu’une prise de décision par un groupe de pensée est une chose positive, souvent cet avantage de prendre les décisions en groupe est perdue par des pressions psychologiques qui surviennent quand un groupe, travaille de manière intense ensemble, partage les mêmes valeurs et est confronté à une crise qui met tout le monde sous pression. Plus il y a un esprit de corps au sein du groupe de prise de décision, plus grand est le danger que la pensée critique individuelle sera remplacée par la pensée de groupe. Aussi la prise de décision du groupe de pensée se caractérise par une certaine pauvreté, puisqu’elle mène à des solutions inadéquates. Le vrai pouvoir demeure donc concentré au sommet de l’échelle décisionnelle, soit le département de la Défense, soit le Conseiller à  la sécurité.

Cette approche pose un grand problème au niveau de l’exécution des décisions prises. En effet, la plupart du temps l’administration exécutant les décisions, ne connaît pas ou peu  le contexte dans lequel les décisions ont été prises. Aussi souvent il leur est impossible d’anticiper puisque McNamara et Rusk sont réticents à discuter des délibérations  avec leurs assistants de peur qu’elles soient remises en question par ces derniers. Ce système fermé pose également un autre problème : aucune proposition ne vient d’en bas. Sous Eisenhower, le Planning Board rassemble et étudie les propositions faites par les différents départements et agences. Sous Johnson ce n’est pas le cas

            Par rapport à la présidence de Kennedy,où le Congrès a un rôle passif, le Congrès n’est pas tout à fait exclu de la prise de décision et cela par le biais des comités(Cfr.          ). Il y a une consultation régulière entre les conseillers de Johnson et certains comités du Congrès (Senate Foreign Relations Committee, Armed Services Committee,….)[58]Toutefois, ni le Congrès,ni l’opinion publique parviennent à jouer un rôle important dans la prise de décision vu la manipulation de ceux-ci par l’administration. Aussi, la scission entre l’équipe décisionnelle et les forces organisées est de plus en plus importante.

3.2.1966:Tentatives d’élargissement de la structure décisionnelle

Fin 1965, début 1966 Johnson réalise que les informations reçues ne correspondent pas toujours à la réalité, que le Congrès et l’opinion publique commencent petit à petit à se faire entendre,…

Il y a donc une certaine volonté de la part de Johnson d’élargir et de démocratiser la structure décisionnelle.

3.2.1. Un nouveau C.N.S.

McG. Bundy quitte l’administration en décembre 1965. Officiellement pour devenir le nouveau président de Ford, officieusement il semble que Bundy désapprouve la politique menée au Viêt-nam. C’est W. Rostow qui lui succède au poste de Conseiller national à la sécurité, mais les fonctions exercées par Bundy sont réparties entre W. Rostow et B. Moyers.

La fonction de Moyers, sur demande du président, est d’avoir une vision objective sur les questions de la politique étrangère et de fournir certaines idées et informations au président qui ne lui parviendraient pas par le biais des conseillers (=rôle d’avocat du diable). Afin d’accomplir cette tâche Moyers développe un réseau de contacts avec les différents départements et agences. Cependant, Moyers quittant le département en décembre 1966, cette filière n’aura pas un grand impact. 

 Quant à Rostow, il rassemble les différentes informations et options proposées par les départements, établit l’agenda des Tuesday Lunches, par l’intermédiaire du Colonel R Ginsburgh il maintient des contacts avec le JCS et il est responsable de l’exécution par les différents départements et agences des décisions prises par l’administration. Comme il le décrira lui-même son bureau servira de « channel of two-way communication between the president and the national security agencies. »[59]  Deux comités sont également créés :

n    Vietnam Public Affairs policy Committee : celui-ci doit coordonner les relations publiques.

n    President’s Vietnam Group Committee : celui-ci a comme objectif de mettre certains officiels au courant de la politique appliquée au Viêt-nam. Il ne se réunira que début 66.

Nous avons donc en théorie un fonctionnement du C.N.S. semblable à celui de l’époque d’Eisenhower. La réalité est toute autre. Rostow filtre la majorité des informations venant des différentes bureaucraties et maintient le système fermé, ayant comme conséquence que l’ensemble des options ne sont pas analysées.

Ainsi, le C.N.S. sert à ratifier les décisions déjà prises et à donner une impression que les décisions sont prises après consultation des différentes bureaucraties.

3.2.2. Le NSAM 341 

Egalement en 1966, sous l’influence de Maxwell Taylor est adopté le document NSAM 341 dont l’objectif est de réorganiser le système décisionnel et interdépartemental, en particulier le fonctionnement du département d’Etat. Le NSAM 341 établit que le département d’Etat doit constituer l’organe principal de contrôle de l’exécution des desseins outremer. Dans sa fonction le secrétaire d’Etat sera assisté du Senior Interdepartmental Group (SIG), composé du député-secrétaire de la Défense, de l’administrateur de l’Agence International du Développement, du directeur de la CIA., du chef de l’Etat-major et du Conseiller à la sécurité nationale. Le sous-secrétaire présente alors les sujets, les questions, discutées au sein du SIG, au secrétaire d’Etat et/ou président, qui doi(ven)t prendre les décisions[60]. En pratique cette nouvelle approche ne connaîtra que peu de succès, Johnson préférant avoir des contacts personnels avec ses conseillers. Quant aux conseillers, ils s’adressent directement au président, et consultent directement les fonctionnaires dont ils ont besoin sans passer par le SIG.

3.2.3. Le Non-Group

En 1967, un nouveau comité est créé : le Non-Group. Ce comité remplace le President ‘s Vietnam group Committee.[61]Bundy, Katzenbach, P.Warnke, Rostow et Wheeler assistent aux réunions de ce comité. Cependant, le comité ne prendra aucune décision et ne discutera pas des actions à  menées.

3.2.4. Conclusion

            Toutes ces réformes n’auront aucun effet sur le système décisionnel, Johnson préférant travailler avec ses conseillers, évitant de devoir être confronté aux bureaucraties des différents départements. Par rapport à la prise de décision de la première période (1963-1966), rien dans les grandes lignes ne change entre 1966 et 1967. La seule différence de taille par rapport aux années précédentes, est la scission quasi totale entre les forces organisées et l’équipe décisionnelle. Il n’y a pas (encore) d’opposition entre les deux, par contre l’équipe décisionnelle dans sa prise de décision semble de moins en moins tenir compte de ces acteurs. 

Johnson et ses conseillers minimisent encore plus l’information reçue afin de résoudre le conflit à partir de leurs propres valeurs et croyances. Ils ont ainsi l’impression d’avoir la situation bien en  main. C’est ce que la théorie cognitive appelle value-conflict resolution.[62] C’est la voie la plus logique, mais aussi  celle qui engendre les plus grands dangers, si le décideur s’entête, malgré des signes évidents de fausse route, compromettant en cela la qualité et la rationalité de son choix. 

En définitive cette structure décisionnelle se voulant rationnelle, est comme nous allons le voir, la cause principale de la défaite américaine au Viêt-nam . En effet, le modèle rationnel n’a une certaine efficacité que quand il est appliqué de manière correcte (cfr.partie un) et si  une administration est confrontée  à une crise de courte durée (exemple : la crise de Cuba,…). Par contre dans une crise de longue durée il est préférable de faire appel à la bureaucratie, aux think thanks, Congrès,… afin d’avoir un échange d’idées et une éventail plus large d’options, tout comme il est préférable d’expliquer à l’opinion publique la politique suivie.Aussi, il aurait été préférable que l’administration Johnson accepte les critiques, instaure des groupes de travaux d’évaluation, invite des experts afin d’aider à analyser les enjeux,…   Or la prise de décision demeure l’œuvre de ce petit groupe de conseillers, qui a des pouvoirs étendus.

3.3.De mars 1967 à mars 1968 : vers un modèle idéal de la prise de décision ?

          A côté de la série de variables analysées dans le point 3.1. une série de nouvelles variables vont influencer l’équipe décisionnelle dans la prise de décision. 

3.3.1. Les think thanks  

            Le think thank est une organisation permanente dont la principale production est l’analyse et le conseil. Dirigé par un Etat-major spécialisé, il se consacre à la réflexion. En aucun cas, il ne peut avoir de responsabilité dans l’action. Même quand il s’agit d’un think thank appartenant à l’administration, il est séparé de façon nette de la ligne de commandement et ne peut avoir de fonctions opérationnelles.[63] Sa première source de financement est le mécénat. Mais, chaque année le Congrès vote également des crédits pour ces institutions. (1,6 milliards de dollars en 1996) Tout comme pour les partis politiques et les groupes de pression, il est difficile d’établir l’influence des think thanks. Ce qui est certain c’est que ceux-ci ont une certaine influence sur certains conseillers de l’administration Johnson.  Un exemple est l ‘étude du Jason Group. En juillet 1966, le Jason Group est chargé par McNamara de faire une étude concernant la situation au Viêt-nam et en particulier l’effet de Rolling Thunder et la possibilité d’utiliser de nouvelles techniques. Les conclusions sont communiquées à McNamara fin août1966. Dans son rapport le groupe fait une critique virulente de la politique du body count, des bombardements et  recommande la création d’un « mur électronique » pour empêcher  les infiltrations du Nord.[64] [65] Ce concept consiste à mettre en place une ceinture complexe de mines et de capteurs à travers toute la zone démilitarisée et la bande de territoire laotien qui la jouxte à l’ouest. Les conclusions du Jason Group vont avoir une grande influence sur McNamara, qui dès l’automne et ensuite à partir de mi 1967 s’oppose de plus en plus  à la guerre. A partir de ce moment-là, le département de la Défense sous l’influence de McNamara mais également de McNaughton va être hostile à l’élargissement du conflit au Nord par le biais des bombardements, à un déploiement plus important des forces terrestres et encourage la réalisation du mur électronique.(cfr.supra les faits) 

3.3.2. Les médias

            La partie qui suit est fondée en grande partie sur le livre de D.C. Hallin, The uncensored war : the media and Vietnam.

            Le Viêt-nam est sans aucun doute à l’époque le conflit le plus important jamais couvert par les médias. La perception commune est que durant le conflit la relation entre les médias et les différentes administrations est catastrophique, créant l’image d’un gouvernement se battant sur deux fronts. Cela crée l’image que les médias et en particulier la télévision sont  responsables de l’issue du conflit. Celui qui a le mieux exprimé cette thèse est probablement Nixon, qui explique que : « The Vietnam war was complicated by factors that had never before occured in America’s conduct of a war…. The American news media had come to dominate domestic opinion about it purpose and conduct.   In each night’s TV news and each morning’s paper the war was reported battle by battle, but little or no sense of the underlying purpose of the fighting in military and moral quicksand, rather than toward an important and worthwile objective. More than ever before, television showed the terrible human suffering and sacrifice of war. Whatever the intention behind such relentless and literal reporting of the war, the result was a serious demoralization of the home front, raising the question whether America would ever again be able to fight an enemy abroad with unity and strength of purpose at home. »[66] Cette thèse est exagérée même s’il faut reconnaître que plus le conflit évolue, plus les différentes chaînes se font la concurrence, plus l’accent est mis sur le sensationnel et plus cela a  une influence indéniable sur l’opinion publique. Aussi, cette thèse ne vaut pas pour l’administration Kennedy, ni pour l’administration Johnson, à l’exception de l’offensive du Têt. Nous rejoignons plutôt le journaliste N.Sheehan qui estime que les médias sont beaucoup plus reactive que originative. [67] Les médias ont plus tendance à l’époque  à refléter l’opinion publique que créer une attitude au sein de l’opinion publique.

A l’origine du conflit, le gouvernement américain parvient à contrôler les médias. Selon Hallin, deux facteurs rendent cela possible . 

Le premier est sans conteste l’idéologie de la guerre froide, dominante dans l’après-guerre et dont sont convaincus les journalistes de cette époque. La preuve  sont les exemples suivants parus dans Times[68] :

1.   Robert Trumbull, Dalat, South Vietnam, October 22, 1961 : « Gen. M. Taylor and his chief aides made an extensive air and ground tour of actual fighting zones in South Vietnam today. They had a look at the enemy through binoculars where the Ben Het river separates the embatled South from Communist-ruled North Vietnam. General Taylor heads a twelve-man group…..assessing how Washington can best help stop the Red Avance. »

2.   Halberstam, Saigon, June 10, 1963 : « (…) It has brought to the surface American frustrations of the apparently limited influence of the United States here despite its heavy investment in troops, economic aid and prestige to help south Vietnam block commuism. »  

Le second facteur qui rend le contrôle des médias possible, est ce que Hallin appelle le professionnalisme du journalisme américain. Par professionnalisme, il comprend l’objectivité : reproduire de manière non-critique les exposés officiels. Vu le consensus très fort de voir tout sous l’angle de la menace rouge , les médias n’ont aucunes raisons de douter de la véracité des communiqués de leur administration. De plus, à l’origine du conflit seulement cinq journalistes américains sont affectés au Viêt-nam, tous accrédités au gouvernement de Diem, qui contrôle le flux des informations et n’hésite pas à renvoyer les journalistes critiquant sa politique. Comme le déclare D.C. Hallin : « …for Kennedy, the basic purpose of public and press relations policy on Vietnam was to keep the war off the political agenda. »[69]

Sous Johnson, l’objectif à l’égard des médias est le même que sous Kennedy : écarter la guerre de l’agenda politique. Aussi tant que la doctrine du containment n’est pas mise en doute, l’administration n’a rien à craindre. Cependant, plus le conflit évolue, plus il y a de journalistes sur place et plus il y a de fuites au sein de l’administration, qui permettent aux médias d’analyser de manière plus critique le conflit.

Aussi fin 1965, le premier quotidien à remettre en question la politique de l’administration est le New York Times, qui reproduit la politique officielle sur la première page, et les opinions divergentes du bureau de la rédaction dans les pages suivantes.[70]C’est également à cette période que la télévision fait son apparition en tant que média couvrant une guerre. Il semble que la télévision jusqu’à l’offensive du Têt, n’ait pas eu plus d’influence sur l’opinion publique que la presse écrite. De plus, par rapport à  la presse écrite, la télévision soutient la politique de l’administration jusqu’à l’offensive du Têt. Après l’offensive elle s’attaque fortement à l’administration. La raison semble être l’absence de nuances dans le média de la télévision : soit blanc et soit noir.

Dans le système de la prise de décision, l’administration a donc une maîtrise quasi totale sur les quotidiens jusqu’en 1965, et jusqu’en 1968 sur la télévision. Entre 1965 et 1967, il y a interaction entre les quotidiens et le gouvernement. A partir de 1968, le gouvernement n’a plus de prise sur les médias et lui échappe dans le contrôle de la prise de décision.  Aussi, les médias ont à partir de l’offensive du Têt une influence importante sur l’opinion publique, qui  à travers les sondages a une influence directe sur l’administration.

3.3.3. L’équipe décisionnelle

En reprenant le chapitre deux sur les faits, nous constatons que durant cette période il y a de nombreux changements au sein de l’équipe décisionnelle. En utilisant la division de D.M. Barret sur la relation des conseillers (cfr. première partie), le système des conseillers entre 1963 et 1967 est un système collégial, accompagné d’une certaine compétitivité dans les moyens à utiliser pour atteindre les objectifs. À  partir de 1967 il y a une début de compétitivité qui connaît son apogée en mars 1968. Il y a un désaccord, non seulement sur les moyens mais également sur les objectifs. Pour la première fois, on retrouve dans les mémorandum des mots comme retrait, désengagement. Nous constatons également que l’équipe décisionnelle par rapport à la période 1963-1965, non seulement c’est élargie, mais est également devenue majoritairement modérée. D’ailleurs les débats sont beaucoup plus explosifs qu’auparavant.

 

Tableau :

Genre de conseillers entourant Johnson

 

Executive Branch

Nonexecutive Branch

Cabinet/Subcabinet 

McNamara, Rusk, Ball, Clifford (>68),Helms

Congress 

Fullbright (<65), Mansfield, Russel

White House Staff 

Moyers, Valenti (<66),McPherson, Rostow, Bundy

Government Elders 

Eisenhower, Acheson, Harriman

The Vice President Personal intimates 

Fortas, Valenti (>66), Clifford (<68)

Military 

Westmoreland, Wheeler

Diplomats 

Taylor, Lodge, Goldberg

 

Source : H.M.BARRET, op.cit., p. 9.

 

Tableau :

Conseillers signifiants autour de Johnson

 

Formal Foreign Policy Advisers Informal Foreign Policy Advisers

1965

Rusk(f), McNamara(f), Wheeler(f), Westmoreland(f), Taylor(f), Ball (c), W. Bundy(f), McG.Bundy(f) Russel,(f/c) Mansfield (m), Fullbright (c), Clifford (f/c), Eisenhower (f), Wise Men(f), Humphrey (c), Moyers (c)

1967

Rusk(f), McNamara(m), Wheeler(f), Westmoreland(f), Komer(f), Bunker(f), Helms(f) (f), Rostow(f) Mansfield (f/c), Fortas(f), Clifford(m), Taylor (f),W.Bundy(m), Russel (m), McPherson(m)

1968

Rusk(m), McNamara(m), Wheeler(f), Westmoreland(f), Goldberg(c), Bunker(f), Helms(m), Rostow(f), Clifford(m) Mansfield(c), Humphrey(c), McPherson(m), Fortas(f), Wise Men(c), Lodge, Taylor, M.Bundy(m), Russel(m), Acheson(c)

 

Conseillers les plus influents en italiques.                  (c)= colombe

(m)= modéré                                                           (f) = faucon

Source : H.M.BARRET, op.cit., p. 195.

3.3.4. Conclusion  

            Si à première vue le schéma semble proche du modèle idéal  il ne permet pas en réalité une prise de décision efficace, car la société américaine est totalement divisée, déchirée. A partir de 1967, plus en plus de membres du Congrès, tout comme l’opinion publique s’opposent à la politique menée par Johnson au Viêt-nam estimant que l’intérêt national n’est pas en jeu. Aussi, toute la politique de propagande du gouvernement américain à partir de la deuxième moitié de 1967 est un échec total. 

Comme le déclare Edmond Orban : «  Dans cette spirale sans fin, ne sachant plus réagir avec la sagesse voulue ou réagissant à contre-courant avec l’illusion de l’efficacité, confondant le court terme et le long terme dans une même équation, le président risque d’être emporté par les événements. »[71] C’est exactement ce qui se passe à partir du mois de mars 1968 où Johnson perd tout contrôle sur sa politique.

 L’administration ayant négligé l’opinion publique, les bureaucraties, le Congrès,…elle se retrouve dans une situation intenable. De plus de nouvelles variables ont fait leur apparition : la crise sociale et économique, des médias,…  En faisant référence à la partie sur la théorie, l’administration n’a pas tenu compte des dilemmes. 

De plus, l’administration Johnson aurait dû réaliser qu’un conflit contre une guérilla est longue et éprouvante, le propre de la guérilla étant de refuser la confrontation directe pour se  cantonner dans une guerre de harcèlement.[72]  Par conséquent, la volonté d’appliquer un modèle rationnel et dans ce cas-ci une adaptation ratée de ce modèle est totalement injustifiée, puisque le modèle ne tient pas compte de toute une série d’éléments qui à moyen ou long terme se retourne contre l’administration. C’est ce qui se passe à partir de début 1968.

Conclusion 

 L’administration Johnson prend une série de décisions sur la question vietnamienne alors qu’elle ne parvient pas à définir la problématique. Or, comme le déclare von Clausewitz : « First,the supreme, the most far-reaching act of judgment that the statesman and commander have to make is to establish…the kind of war on which they are embarking : neither mistaking it for, nor trying to turn it into, something that is alien to its true nature. This is the first of all strategic questions and the most comprehensive. »[73] En conséquence, il est impossible de prendre des décisions effectives dans une guerre, sans définir avant son caractère. Et là, le bât blesse. La guerre du Viêt-nam est définie comme guerre limitée, totale, civile, internationale, conventionnelle, non-conventionnelle,…..

            Tout comme sous Kennedy nous sommes en présence d’un système collégial, mais l’intransigeance et l’autorité du président sont beaucoup plus présentes. Il s’assure le contrôle de la décision, il a un personnel voué à sa cause et exige l’obéissance. Le conformisme est donc de rigueur. En outre, les conseillers font partie de l’équipe décisionnelle depuis quatre ans, la plupart depuis sept ans. Aussi, il leur manque la fraîcheur et l’imagination nécessaire. Ils deviennent prisonnier de leur propre rhétorique, clichés,…. L’exigence sévère de la collégialité, du conformisme et du consensus, que Johnson confond avec la loyauté, va l’empêcher de profiter pleinement de l’expertise organisationnelle des différents départements et experts. Comme le déclare Ch-P David : «  Sa vision d’un personnel devant l’aduler et non le conseiller avec expertise l’entraînera au suicide politique »[74] Par conséquent, la prise de décision comme elle est menée entre 1963 et 1967 était vouée à l’échec, car à côté des nombreuses lacunes déjà mentionnées, l’administration ne tient pas compte d’un des principes de base d’une démocratie : l’importance du soutien de l’opinion publique. Il est impossible dans une démocratie d’aller en guerre si l’administration ne tient pas compte de l’opinion publique. Il est vrai qu’à travers les faits (cfr.supra) Johnson tient compte de l’opinion publique et tente d’avoir une politique de consensus. Mais ce consensus il l’obtient par une opinion publique manipulée par la propagande. En outre, Johnson ne parvient pas à choisir entre son projet  de « Grande Société » et la réalité, « la guerre du Viêt-nam ». Ainsi, comme le développe D. Kearns : « Still refusing to face even the necessity of choice, Johnson evolved an elaborate and illusory system (statistics on the continuing progress of the Great Society, statistics on Vietnam proving that the war was indeed being won), which distorted his vision and limited his real options. But practical necessity could not shift his course.(…) »[75] 

            Il faut attendre  les vues divergentes de McNamara en 1967 et l’arrivée de Clifford au poste de secrétaire à la Défense pour défier la perception commune du conflit vietnamien. Un Johnson plus réceptif, réalisant les erreurs de ses décisions, acceptera finalement la validité des arguments présentés par son nouveau secrétaire à la Défense.


[1] Dans les grands traits les points  3.1.1. à  3.1.3. valent également pour Kennedy.

[2] A.L.GEORGE, op.cit., p. 158.

[3] A côté des faits (cfr. supra), une des preuves est le contenu du Daily Diary, enregistrement des conversations téléphoniques, des réunions et d’autres activités de Johnson. Ainsi entre la période du 6 février et du 28 juillet 1965 Johnson n’ a pas moins de 331 conversations téléphoniques avec McG. Bundy, 171 avec McNamara et 87 avec Rusk. La seule autre personne que Johnson consulte régulièrement, 91 fois, est Abe Fortas. Concernant ce dernier son influence sur Johnson semble avoir été importante, mais est difficile à mesurer dû au manque d’informations sur cette relation.

[4] T. GITTINGER, op.cit., p.60

[5] J.P.BURKE, F.I. GREENSTEIN,op.cit.,p.138

[6] J.FRANKEL, The Making of Foreign Policy : An Analysis of Decisionmaking, Oxfod, Oxford University Press, 1968, p. 10.

[7] Hilsman quitte sa fonction début 1964, Harriman et Forrestal restent au sein de l’administration, mais sont mis sur des voies de garage.

[8] Déclaration de Johnson :« I want loyalty. I want a man to kiss my ass in Macy’s window at high noon and tell me it smells like roses »

[9] W.I COHEN, N.B.TUCKER, op.cit., p. 21.

[10] A.L.GEORGE, op.cit., p. 170.

[11] Un exemple semble être, même si de nombreux auteurs ne seront pas d’accord avec nous, le secrétaire à la Défense M. Laird, qui remplit le rôle d’avocat du diable de manière implicite  en 1969 au moment de la Vietnamisation. Ensuite vu l’évolution du système décisionnel nixonien son rôle sera limité et il ne remplira plus ce rôle.(cfr.Infra)

[12] D.L. DI LEO, op.cit., p. 93.

[13] D. HALBERSTAM, « LBJ and Presidential machismo », in J.P.KIMBALL, op.cit., p. 203.

[14]  Comme l’explique D.L. DI LEO, dans son livre page 96 : « At the end of most working days when they were not away on foreign trips, Rusk and Ball rendezvoused in the secretary’s seventh-floor office for four or five drinks and a little bull-session. »

[15] Ch-P DAVID, op.cit., p. 206.

[16] D.L. DI LEO, op.cit., p. 115.

[17] J.C. THOMSON Jr., « How Could Vietnam Happen ? – An Autopsy », The Atlantic Monthly, Volume 221, n°4, 1968.

[18] H.W. BRANDS, op.cit., p. 23.

[19] Dans les années qui suivent (1966), le groupe s’élargit en incluant le secrétaire de presse, B. Moyers et Helms (CIA). Le représentant du JCS, Wheeler n’y est convié qu’ à partir de 1967.

[20] « Bundy reported to LBJ that McNamara wanted the meeting to ‘be strictly limited to you and Rusk and himself and me, unless you yourself want to add G.Ball or McNaughton.’ » in J.P.BURKE, F.I.GREENSTEIN, op.cit., p. 184.

[21] W.I. COHEN, N.B. TUCKER, op.cit., p. 24.

[22] I. JANIS, L. MANN, Decision-making : A Psychological Analysis of Conflict, Choice and Commitment, NY, The Free Press, 1977.

[23] R.K. BETTS, Soldiers, Statesmen and Cold War Crises, op.cit., p. 188.

[24] A.L. GEORGE, op.cit., p. 38.

[25] M. HALPERIN,Bureaucratic Politics & Foreign Policy, op.cit., pp. 158-168.

[26] C. Clifford  en 1968 utilise les Wise men contre Johnson, qui jusque-là les avaient utilisés pour avoir une confirmation de sa politique.  Clifford sachant qu’une majorité des Wise men a changé d’avis,  pousse Johnson à les consulter.

[27]  Dans le livre de J.P.Kimball,pp. 27-50(référence dans la bibliographie), une série de discours de ces présidents sont repris montrant bien leur attachement à la théorie des dominos et l’analogie de Munich.

[28] W.I. COHEN, N.B. TUCKER, op.cit. , p. 28.

[29] G. RYSTAD, « Images of the past » in J.P.KIMBALL, op.cit., p. 58.

[30] C. PAGE, op.cit., p. 65.

[31] Ibidem, p.  67.

[32] G. RYSTAD, « Images of the past » in J.P.KIMBALL, op.cit., p .66.

[33]  The Pentagon Papers, pp. 253-254.

[34] [34] R.T. GARZA, U.S. Involvement in Vietnam, 1964-1968, A Research Report submitted to the faculty in fulfillment of the Curriculum requirement, Maxwell Air Force base, Alabama,Air War College, April 1995, p. 10.

[35] C.E. LINDBLOM, op.cit., p. 25.

[36] J.C. THOMSON, « How could Vietnam happen ? », Atlantic Montly, April 1968.

[37] S. KARNOW, op.cit., p. 146.

[38] D. KINNARD, op.cit., p. 19.

[39] « (…)Why we have not withdrawn from Vietnam is, by all odds, one reason : (1) to preserve our reputation as a guarantor, and thus to preserve our effectiveness in the rest of the world. (…) »  ( The Pentagon Papers, p. 492.)

[40] J.A. NATHAN, J.K. OLIVER, op.cit., p. 373.

[41] R.K. BETTS, op.cit., p. 35.

[42] H.R. McMASTER,  op.cit., p. 82.

[43] R.K. BETTS, op.cit., p. 8.

[44] A.L. GEORGE, op.cit., pp. 113-114.

[45] H.M. HALPERIN, « Why Bureaucrats Play Games », Foreign Policy, 1971, p. 88.

[46] Pour d’autres informations à ce sujet  nous vous renvoyons au chapitre 1, point 1.1. de cette partie.

[47] G.C. HERRING, op.cit., p. 48.

[48] C.-P. DAVID, op.cit., p. 21.

[49] W.I. COHEN, N.B. TUCKER,  op.cit., p. 313.

[50] Ibidem, p. 26.

[51] exemples :

1.     « When my turn came I would imagine that I would rise to my feet slowly, look around the room and then directly at the President and say very quietly and emphatically, ‘Mr President, gentlemen I most definitely do not agree’ But I was removed from my trance when I heard the President’s voice saying ‘Mr Cooper do you agree ?’ and out would come a ‘Yes, Mr President, I agree.’ »  (J.P. BURKE, F.I GREENSTEIN, op.cit., p. 144.)

2.     « The key moment was Johnson’s exchange with the charman of the Joint Chiefs of Staff in the July 27 meeting : Do you, General Wheeler, agree ? Wheeler nodded that he did. Aparticipant in the meeting described Wheeler’s acquiescence to Halberstam as an extraordinary moment, like watching a lion tamer dealing with some of the great lions. Everyone  in the room knew Wheeler objected, that the chiefs wanted more, that they wanted a wartime footing and a call-up of the reserves ; the thing they feared most was a partial war and a partial commitment. » in J.P. BURKE, F.I. GREENSTEIN, op.cit., pp. 246-247.

[52] COLLECTIF, op.cit., p. 100.

[53] S. AMBROSE and J. BARBER, op.cit., p. 50.

[54] Ibidem,p. 106.

[55] C. PAGE, op.cit., p. 42.

[56] Ibidem, pp. 54-55.

[57] Durant la crise, aucun spécialiste de l’Asie du Sud-Est a accès ou fait parti du cercle restreint de décideurs. Un exemple de la méconnaissance totale du terrain est illustré B. Rubin dans son livre, The State Department and the Sruggle over US Freign Poicy : «  In the decade after France’s 1954 Indochina defeat, State conducted no in-depth training on Southeast Asia and never developed skills in line with new commitments. SouthVietnam had three different desk officers and Indochina four office directors between 1957-1963. Only three of these seven had served there, and none of them had major influence on policy. The seen assistant secretaries for East Asia between 1957 and 1966, had virtually no Vietnam experience or special training. Many of those in the Saigon embassy were junior officers. » 

[58] D.Rusk, tout comme R. McNamara témoignent plusieurs fois devant les comités et sous-comités du Congrès. Ainsi D. Rusk déclare dans son livre qu’il consacre un tiers de son temps de secrétaire d’Etat aux relations avec le Congrès. Au début du mandat de Johnson, chaque mercredi la Maison Blanche invite les membres de la chambre de Représentants à une réunion hebdomadaire sur  des questions de politiques étrangères.

[59] G.C.HERRING, op.cit., p. 11.

[60] I.M. DESTLER, LH. GELB, A. LAKE, op.cit., p. 200.

[61] T. GITTINGER, op.cit., pp. 103-105.

[62] A. GEORGE, op.cit., p. 30.

[63] J-P MAYER, op.cit., p. 15.

[64]Ibidem, p. 145.

[65] The Pentagon Papers, pp. 502-509.

[66] D.C. HALLIN, The Uncensored War : The Media and Vietnam, Berkeley, University of California Press, 1986, p. 3.

[67] D. KINNARD, op.cit., p. 135.

[68] D.C. HALLIN, op.cit., pp. 53-54.

[69] Ibidem., p. 61.

[70] Ibidem, pp. 82-83.

[71] E. ORBAN, La présidence moderne aux Etats-Unis, Candada, Presse de l’Université du Quebec, 1974, p. 59.

[72] Ce qui importe pour la guérilla, c’est le contrôle de la population et non du territoire. Or pour les Américains, la victoire dépend du contrôle du territoire et de l’usure de l’ennemi. Dans une guerre conventionnelle un taux de réussite de 75 % au combat assure la victoire. Dans une guerre de partisans, la protection de la population pendant 75 % du temps seulement garantit la défaite. 100% de sécurité dans 75 % du pays est infiniment préférable à 75%  de sécurité sur 100%  du territoire. (H. KISSINGER, Diplomatie, Paris, Fayard, 1996, p. 567.) La guerre menée contre la guérilla n’est donc pas seulement un conflit militaire, mais également un conflit politique. Afin de vaincre la guérilla, il ne suffit pas de gagner sur le champ de bataille, il faut aussi s’attaquer aux structures économiques, politiques et sociales qui donnent un soutien aux guérillas. En outre, la guerre ne peut être gagnée sans le soutien de la population. Par conséquent  une guerre contre une guérilla peut prendre de nombreuses années.

[73] J RECORD, « Vietnam in retrospect : Could we have won ? », Parameters, Winter 1996-1997.

[74] Ch-P DAVID, op.cit., p. 217.

[75] Ibidem, p. 82.

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Chapitre II : 1967 – 1968, de l’espoir au désespoir

Comme le titre de ce chapitre l’indique, nous mettons l’accent sur l’année 1967 et l’année 1968. Pour l’année, 1967 nous examinons les débats concernant une demande de renfort de la part de Westmoreland. Pour l’année 1968 nous étudions les conséquences de l’offensive du Têt. Avant d’aborder ces deux années, nous nous attardons sur les courants politiques qui font leur apparition (ou qui se confirment) au début de l’année 1966. Ce point permet d’observer un début de divergences entre les différents protagonistes de la prise de décision. Egalement, dans ce point, nous passons brièvement en revue les raisons de la décision prise par Johnson de bombarder le Nord en juin 1966. Par cette décision, l’administration franchit un nouveau pas dans l’escalade.

2.1. 1966 : américanisation du conflit

Début 1966 la guerre prend de plus en plus l’allure et le style d’une entreprise américaine.  Aussi de plus en plus de courants divergents font leur apparition.

2.1.1. Apparition et confirmation de divers courants

Les difficultés américaines au Viêt-nam donnent lieu à diverses interprétations et  impossibilité de gagner rapidement la guerre par le seul moyen de la force militaire fait proposer de nombreuses solutions. Ce qui suit s’appuie sur l’excellent article paru en 1966 dans la revue Défense Nationale[1]. L’auteur analyse trois courants, présents fin 1965, début 1966. Ces trois courants sont représentés par G.F. Kennan, le général Maxwell Taylor et M.Mansfield.

2.1.1.1. Le point de vue des  colombes : Kennan

Pour G.F.Kennan, le Viêt-nam ne semble pas avoir un tel intérêt sur le plan militaire ou industriel qu’il vaille la mise que Washington y a engagée.[2] Aussi, il estime que l’envoi des troupes est une erreur. Si un  retrait rapide, désordonné déservirait les intérêts américains dans la région, un retrait serait souhaitable dès que l’occasion se présente. De plus, Kennan réalise que, si le Viêt-cong est écrasé sous la force, il parviendra à se réfugier dans les actions clandestines. De même que de grands succès militaires américains ne pourront être obtenus qu’au prix d’une telle destruction qu’il serait désirable que les Etats-Unis n’aient pas en assumer la responsabilité. Enfin, Kennan constate que cette guerre oblige les Etats-Unis à délaisser d’autres questions, entre autres la relation avec l’Union soviétique. Ce qui est également intéressant chez Kennan est qu’il ne croit plus en 1966 dans la théorie des dominos. Selon lui, le danger de voir s’étendre le Communisme dans les Etats limitrophes dépend plus des circonstances du moment, que d’un simple voisinage géographique. Font partie de ce courant : le sénateur Morse, le sénateur Fullbright,…et en moindre mesure G.Ball.

2.1.1.2. Le point de vue des faucons : Taylor

Le point de vue du général Taylor, qui est celui des faucons de l’administration Johnson comprend quatre facteurs :

A. augmentation des effectifs américains au Sud – Viêt-nam, tout comme ceux de l’armée sud-viêtnamienne.

B.  emploi des forces aériennes contre le Nord et cela pour trois raisons :

a)   nécessité de convaincre les sud-viêtnamiens que les attaques qu’ils subissent ne resteront pas impunies ;

b)  limité l’acheminement des renforts du Nord au Viêt-cong ;

c)   raison psychologique : faire comprendre au Nord, qu’il payerait par un prix de plus en plus élevé leur aide au Viêt-cong.

C. activités non-militaires (réformes administratives, instauration d’une démocratie,…), ayant comme objectif d’améliorer les conditions de vie de la population.

D. tentatives de discussions pour un règlement pacifique du conflit ( restera longtemps sans réponse)

            Pour les faucons c’est la seule stratégie qui puisse porter ses fruits. Il y a donc un rejet d’un retrait des troupes, tout comme il n’ y a pas de volonté de frapper « massivement » le Nord ou la Chine (réponse graduée). Font partie de ce courant : McNamara, Rusk, Rostow, ….

2.1.1.3. Le point de vue des modérés : Mansfield

Un troisième avis se fait jour dans un rapport d’une commission sénatoriale début 1966 rédigé par le Sénateur Mike Mansfield.  Dans ce rapport, il déclare que le contrôle du pays est dans l’ensemble ce qu’il était en janvier 1965 : 40% de la population sous contrôle du Viêt-cong.

L’intervention des forces américaines n’est pas parvenue à modifier ce rapport, elle n’est parvenue qu’à le maintenir. Aussi, il estime qu’il faut renforcer l’intervention américaine, si la situation se maintien en tant que telle. Comme il le déclare dans son rapport : « Telle qu’elle se présente aujourd’hui, la situation ne nous laisse entrevoir que la chance très minime d’un règlement équitable négocié, ou, sinon la perspective d’une poursuite de la lutte qui nous conduirait à la guerre générale sur le continent asiatique. »[3] Mansfield constate que les Etats-Unis sont dans une mauvaise posture, mais que la seule façon de s’en sortir est d’y rester. Si ce courant est proche des faucons, il est plus modéré et beaucoup plus pessimiste. Aussi, c’est un courant qui au cours des années va avoir de plus en plus d’adhérents.

Alors que durant l’année 1965, la majorité de l’administration est faucon, petit à petit, à partir de 1966 les deux autres courants, celui des colombes et surtout celui des modérés, se confirment au sein de l’administration. Nous verrons ces changements, ces glissements de manière plus explicite dans les points qui vont suivre.

2.1.2. Bombardements de juin 1966 sur Hanoi

En juin 1966, les Américains franchissent un nouveau pas dans l’escalade de la guerre, en bombardant Hanoi. Le raid a lieu le 29 juin 1966. Devant la contestation de l’opinion internationale McNamara explique les raisons qui poussent Washington à bombarder les alentours de Hanoi et le port de Haiphong[4] :

1.   neutraliser à Haiphong les installations les plus facilement accessibles à des débarquements massifs d’essence, de façon à ce que le Nord soit forcé de rechercher d’autres moyens moins aisés de procéder à ces débarquements massifs d’essence ;

2.   détruire les stocks et les entrepôts. Hanoi représente 20% et Haïphong 40% de la capacité nationale ;

3.   démolir à Hanoi les possibilités de transports ;

4.   forcer le Nord à utiliser des hommes, du matériel et du temps à réparer les moyens de distribution .

            Aussitôt, le Nord décentralise l’essence. Toutes les routes qui descendent vers le Sud empruntées par les camions, sont truffées de mini-dépôts, indécelables pour l’aviation américaine. Par conséquent, les bombardements sont peu efficaces. De plus, l’aviation américaine au lieu de bombarder de manière constante le Nord  ne le fait que de manière sporadique, ne voulant ni provoquer la Chine, ni abandonner sa politique de réponse graduée.

Malgré de nets succès en 1966, qui permettent de ramener  la population contrôlée par le Viêt-cong au Sud de 3,2 millions à une population de 2,4 millions, beaucoup de zones restent sous contrôle du Viêt-cong. Aussi, le conflit semble s’enliser et les pertes humaines commencent à peser lourd sur une opinion publique de plus en plus hostile au conflit. Fin 1966, début 1967, la situation n’évoluant pas, les divisions au sein de l’administration sont de plus en plus grandes et les débats de plus en plus houleux concernant le nombre de troupes, l ‘efficacité des bombardements, l’élargissement des bombardements, la mobilisation des réservistes,…. .

2.2. 1967 : Accord sur les objectifs, désaccord sur les moyens de les atteindre.      

Dans ce point, nous examinons à travers la nouvelle demande de Westmoreland la division entre les conseillers et la division dans la société américaine sur les moyens d’atteindre les objectifs.

2.2.1. De nouveaux renforts pour Westmoreland ?

             Au mois de mars a lieu une réunion à  Guam dont l’objectif est de présenter au gouvernement vietnamien la nouvelle équipe civile de l’effort américain au Viêt-nam : R. Komer, qui va s’occuper des programmes de pacification[5], D. Lillenthal, conseiller spécial auprès du gouvernement de Saigon afin d’aider à planifier le développement économique [6]et  E. Bunker, nouvel ambassadeur à Saigon. Revenons sur la nomination de ce dernier.

2.2.1.1. La nomination d’Ellsworth Bunker

            En 1965, Johnson envoie 25 000 hommes en République Dominicaine afin de prévenir les castristes de prendre le pouvoir dans ce pays au bord de la guerre civile. Après l’intervention américaine, E. Bunker est le seul à parvenir à trouver une solution satisfaisant toutes les parties concernées.

            En 1967, Johnson ayant besoin d’un homme de confiance sur place pense à Bunker. Dès son entrée en fonction en 1967, Bunker se concentre sur quatre points qu’il développe au moment de la conférence de Guam[7] :

1.   convaincre le gouvernement sud-viêtnamien de devenir légitime ;

2.   instaurer  un programme de pacification dans les zones rurales ;

3.   reprise petit à petit des missions et tâches des forces américaines par l’armée sud-viêtnamienne ;

4.   pousser le gouvernement sud-viêtnamien à promouvoir le développement économique afin d’améliorer les conditions de vie de la population

Bunker ne rencontre aucune opposition de la part de Westmoreland. Le consentement de Westmoreland peut paraître étonnant, pourtant, il est logique. L’année 1967 correspond à  la troisième phase de son plan original. (cfr.supra) Cette troisième phase n’aura pas lieu sous Johnson, mais tous les rapports établis à cette époque (entre janvier et juillet 1967 )permettent de croire le contraire.Aussi, il faut bien garder en mémoire qu’à cette époque Westmoreland, Bunker et les conseillers de  Johnson sont convaincus que les Etats-Unis sont occupés à gagner la guerre.

C’est à cette conférence que Westmoreland fait une nouvelle demande pour obtenir des renforts. La demande d’augmenter les troupes en 1967 a comme objectif de donner le coup de grâce au Viêt-cong et de rendre ainsi le retrait plus rapide et plus facile. (Cfr. supra la situation en juillet 1962 et ses suites)

2.2.1.2. La demande de Westmoreland et ses suites

A  la  conférence de Guam le 25 mars, Westmoreland rapporte à Johnson, que la guerre ne pourra jamais être gagnée à moins que les infiltrations puissent être arrêtées :

« As I see the situation, Mr President, unless our military pressure causes the Viet cong to crumble, or Hanoi withdraws her support, this war could go on indefinitely. It’s a question of holding off the bullies from wrecking this structure that has been underminded over a period of years by the termites. But we are making progress….we have found that we can fight the guerilla. We can fight in the swamps. We can fight in the mountains, (…)We can fight in the jungle. (….) »[8]

Il indique à Johnson que l’envoi de 95 000 hommes permettrait de finir la guerre en trois ans, que l’envoi de 195 000 hommes permettrait d’en finir en moins de deux ans. Au moment de la conférence, la présence américaine militaire est déjà de 470 000 hommes. Cela ferait selon l’option un total de 570 000 ou 670 000 hommes. Le général Wheeler propose également d’élargir le conflit au Cambodge et au Laos afin de s’attaquer aux différents sanctuaires.

Alarmés par les propos de Wheeler, les conseillers se mobilisent, afin d’éviter toute expansion du conflit. Ils estiment que cela entraînerait un conflit avec la Chine et l’U.R.S.S.. Les conseillers par contre, sont plus divisés sur la demande d’envoyer de nouveaux bataillons, qui suppose la mobilisation des réservistes et donc des débats houleux au Congrès. 

Durant les semaines qui suivent, certaines propositions faites par des conseillers sont rassemblées dans un mémorandum rédigé par Taylor [9]:

1.   All out : renfort de 200 000 hommes (Westmoreland) ;

2.   Stick it out: poursuite de la politique actuelle ;         

3.   Pull back :  arrêt des bombardements sur le Nord, négociation (McNamara, R. Kennedy) ;

4.   Pull out :retrait pur et simple [Sénateur Morse(cas isolé)]

Fin avril, Westmoreland est convié à Washington pour discuter de ses recommandations, mais aucune décision est prise. Le 19 mai McNamara présente un mémorandum au président recommandant un accroissement de 30 000 hommes et une limitation des bombardements en dessous du 20ème parallèle. Ce mémorandum du 19 mai est fortement critiqué par le JCS à travers une série de mémorandum. Le JCS estime que les Etats-Unis sont en train d’abandonner leur engagement. 

D.Rusk, tout en restant un faucon pur et dur, s’oppose également à un renfort de 200 000 hommes et à tout élargissement du conflit, estimant que la solution du problème se trouve au Viêt-nam du Sud : diminution de la corruption, encouragement des programmes de pacification, rendre l’A.R.V.N. plus efficace,…. Komer, Clifford, Taylor, Mansfield, Fullbright, Rostow, Humphrey, McPherson et Fortas expriment également leur point de vue sur le sujet.[10] Humphrey et Fullbright s’opposent à un nouvel envoi de troupes terrestres. Fortas soutient la demande de Westmoreland. Rostow recommande un accroissement de 100 000 hommes et un rappel des réservistes. Les autres rejoignent plus au moins la position de McNamara.

Aussi à l’exception du JCS, de Rostow et d’Abe Fortas, aucun conseiller recommande un accroissement de 200 000 hommes. Même la CIA, par la voie de Helms estime qu’un envoi massif de troupes ne changerait rien, vu le réservoir de population illimité dans le Nord.

            Après une série de nouvelles réunions, une décision est enfin prise le 14 août. Celle-ci se caractérise par un compromis : les bombardements se limiteront au 20ème parallèle et un déploiement de troupes de 48 000 hommes est accordé sans qu’un plafond définitif soit établi. Ce compromis entraîne de nouvelles frustrations au sein de l’armée et une détérioration de sa relation avec McNamara, de plus en plus influencé par les modérés. Aussi les tensions entre le JCS et McNamara sont de plus en plus fortes.

Le point de non-retour a lieu en août 67, durant les audiences concernant l’efficacité des bombardements devant un des comités du Sénat.[11] Le général Wheeler y aborde vers le 15 août l’importance des bombardements sur le Nord dans l’effort militaire et minimise les tensions entre civils et militaires afin de donner l’impression d’homogénéité. Il évoque également le frein imposé par le gradualisme sur l’effectivité  des bombardements.

McNamara s’adresse au comité le 25 août. Comme Wheeler, il minimise les différences entre militaires et civils mais défend vigoureusement les restrictions imposées aux bombardements en n’hésitant pas à s’attaquer de manière implicite aux militaires.

 Aussi comme l’explique G.C. Herring ces audiences représentent le pire cauchemar pour Johnson, lui, qui depuis novembre 1963 est parvenu à  contenir les dissensions au sein de son administration en dehors de l’opinion publique et du Congrès.[12] Grâce à son talent, il parvient à maintenir les apparences à l’égard du monde extérieur.

Cependant, Johnson constate que McNamara a viré de bord. Aussi, Johnson modifie partiellement sa décision prise le 14 août. Il ne donne pas aux militaires la guerre qu’ils veulent, dans cette optique McNamara atteint son objectif, mais la position de McNamara sur la guerre aérienne est totalement rejetée et une série de cibles sont ajoutées dont certaines au-dessus du 20ème parallèle.

            McNamara tente bien encore d’imposer ses vues dans un mémorandum rédigé fin octobre et adressé personnellement à Johnson[13]. Dans ce mémorandum McNamara  remet en question le soutien plus au moins inconditionnel de l’administration au Viêt-nam du Sud et fait une série de recommandations [14]:

1.   une politique de stabilisation ;

2.   arrêter les bombardements sur le Nord avant la fin de l’année, afin d’ouvrir des négociations ;

3.   réexaminer les opérations au sol dans le Sud pour réduire les pertes humaines américaines, laisser davantage au Sud le soin de leur propre sécurité par un transfert de responsabilité et rendre la guerre au Sud moins destructrice.

          Johnson  soutient plutôt l’approche  des faucons, qui sont plus positifs à l’égard de la situation au Viêt-nam. D’ailleurs Johnson au moment d’une réunion avec le Comité des Sages au mois de novembre, n’hésite pas à présenter les points de vue de Bunker et de Westmoreland, en lui cachant la position  défendue par McNamara.

Aussi, ce mémorandum signifie la fin de la carrière politique de McNamara. A partir de cette date-là, McNamara est totalement écarté de la prise de décision. Ayant perdu la confiance du président et de ses collègues, Johnson le remplace au mois de mars 1968 par Clifford.

2.2.2. Attitude de l’opinion publique et du Congrès

Malgré une opposition de plus en plus grande à l’égard de la politique de l’administration, celle-ci ne s’exprime pas encore au Congrès, ni dans les sondages. L’explication est assez simple. L’opinion publique et le Congrès continuent à soutenir l’administration dans ses objectifs (= maintenir le Viêt-nam du Sud libre), mais de moins en moins dans ces moyens.

2.2.2.1. Le Congrès

Début 67, le Congrès fraîchement élu est invité à voter une loi allouant 12 milliards de dollars au département de la Défense pour la continuation des opérations militaires. Le 16 mars la loi est votée par 385 voix contre 11 à la Chambre et 77 voix contre 3 au Sénat.[15] Malgré le scepticisme des représentants sur le déroulement du conflit, celui-ci ne se traduit pas dans des votes contre la guerre. Certains des représentants sont opposés à un retrait, mais veulent soit une solution négociée, soit d’autres moyens pour atteindre les objectifs. D’autres ne veulent pas voter contre l’engagement, car cela signifierait un manque de soutien aux militaires.

Aussi, même si le Congrès continue à soutenir la politique de Johnson, les chiffres sont trompeurs, car les débats deviennent de plus en plus houleux au Congrès et en particulier au Sénat. L’objectif majeur, un Viêt-nam du Sud non-communiste et indépendant ne pose pas le problème, mais bien les moyens utilisés par l’administration pour atteindre cet objectif.

2.2.2.2. L’opinion publique

            Malgré l’engrenage l’opinion publique continue à soutenir la politique menée par l’administration Johnson. Cependant, petit à petit on voit à travers les sondages une certaine frustration qui s’installe auprès de l’opinion publique.

 

Tableau :

approbation /désapprobation de la politique de Johnson

Approve Disapprove No Opinion
January 38% 43% 19%
February 39% 44% 17%
March 37% 49% 14%
April (early) 42% 45% 13%
April (late) 39% 42% 16%
May (early) 43% 42% 15%
May (late) 38% 47% 15%
June (early) 43% 42% 15%
June (late) 43% 43% 14%
July 33% 52% 15%
August 33% 53% 13%

Source : D.M. BARRET, Uncertain Warriors : Johnson and his Vietnam Advisers, op.cit., p. 70.

            Ainsi 43% désapprouvent en janvier 1967 la politique menée par Johnson contre 38% l’approuvant. Par contre, on voit qu’en mai et en juin il y a un regain du soutien et après de nouveau un déclin important. Ce sondage semble contredire le point de vue exprimer ci-dessus. Toutefois, le sondage est trompeur, car si on se base sur un sondage proposant une série d’options, les résultats sont totalement différents.

 Tableau :

Soutien opinion publique au printemps 1967

 

Printemps 1967

continuation de l’engagement actuel

39%

retrait

19%

guerre illimitée

30%

Source : D.M. BARRET, Uncertain Warriors : Johnson and his Vietnam Advisers, op.cit., p. 70.  

            Comme le Congrès une majorité de l’opinion publique soutient toujours l’administration dans ses objectifs (69%) mais pas dans les moyens de les atteindre. 

2.2.3. Conclusion

Durant cette période de 1966-1967, on constate que les conseillers partagent encore  toujours les mêmes objectifs, par contre les moyens de les atteindre divergent de plus en plus au sein de l’administration. Le plus bel exemple est McNamara dont les propos sont beaucoup plus modérés.

Alors qu’en 1965, nous avons un système qui se caractérise par un nombre limité de conseillers et une série de consultations ad hoc, en 1967 ce n’est plus le cas. En 1967, le système semble chaotique. Par rapport aux années 1964 et 1965, Johnson consulte un nombre impressionnant de conseillers, sans toutefois parvenir à instaurer un processus décisionnel cohérent.

 Aussi, sans que l’administration s’en rende compte le consensus au sein de l’administration s’effrite de plus en plus.  

2.3 L’offensive du Têt

En ce début d’année 1968, les troupes nord-viêtnamiennes lancent l’offensive du Têt. Les cibles symboles  de l’offensive sont Saigon, Hue, Khe Sanh,… C’est l’offensive du Têt qui bien que repoussée, va mener les Etats-Unis vers le désengagement militaire.  

2.3.1. Les faits

Dans la nuit du 30 au 31 janvier, les Nord-viêtnamiens  et le Viêt-cong déclenchent une offensive qui semble s’étendre à tout le pays du Nord au Sud. 36 des 44 capitales provinciales et 64 des 242 villes secondaires sont attaquées par plus de 70 000 hommes. Hué, l’ancienne capitale impériale est occupée durablement et des commandos attaquent l’ambassade américaine à Saigon, l’aéroport de Than Son Nut et quelques autres bâtiments officiels. Le coup est d’autant plus rude qu’il contredit  la thèse de l’affaiblissement de l’ennemi, énoncée quelques mois (cfr.supra) et mêmes quelques semaines auparavant. En effet, devant le National Press Club Westmoreland déclare le 19 novembre: «  Je suis absolument certain que si en 1965 l’ennemi était gagnant, il est perdant aujourd’hui…. Il est significatif de constater que depuis plus d’un an l’ennemi n’a pas remporté une seule victoire….. Les unités Viêtcongs ne peuvent plus combler les vides qui se creusent dans leurs rangs…. Les effectifs des maquisards diminuent rapidement : leur moral pose des problèmes. Nous avons appris à nous mesurer avec ces tactiques de guérilla ; nous avons créé un système de renseignements répondant à ce nouveau type de guerre…. Nous avons découvert et déjoué les plans stratégiques de l’ennemi avant qu’il ne puisse les mettre à exécution. » [16] Il y déclare également qu’on est entré dans la troisième phase au cours de laquelle la pression américaine serait maintenue, la coordination avec les forces vietnamiennes améliorée et l’effort sur le Delta accru. Cette phase en prépare une quatrième (pas celle énoncée tacitement en 1965) au cours de laquelle il s’agit « d’affaiblir l’ennemi et de renforcer nos amis jusqu’à ce que nous devenions progressivement superflus »[17] (parle déjà de la vietnamisation)

            Durant ces quelques semaines, près de 40 000 Nord-viêtnamiens perdent la vie, pour 1 100 Américains et 2 500 Sud-viêtnamiens. Ainsi en  un seul mois, l’ennemi subit des pertes plus lourdes que les Américains en trois ans de présence au Viêt-nam. Alors que l’offensive au Sud est repoussée, la base de Khe Sanh continue à être assiégée. La base compte sur les secours venant du Sud pour les débloquer. Mais le gros des troupes américaines est engagé dans des opérations pour éliminer les poches de résistance dans les villes sud-viêtnamiennes et autour des bases.

Cependant le président n’a qu’un souci : éviter que Khe Sanh devienne un nouveau Dien Bien Phu. Aussi, il faut à tout prix sauver Khe Sanh, car une défaite frapperait psychologiquement et stratégiquement les Américains. Si Khe Sanh est abandonné, les troupes nord-viêtnamiennes descendraient par la route 9 sur Saigon. De plus, 4 autres routes naturelles à travers les vallées rendraient différentes bases américaines ( Rockpile, Con Thien, Dong Ha et Phu Bai ) vulnérables. Ce qui aurait eu comme conséquence le contrôle des provinces Quang Tri et Thua Thien par le Nord. (Annexe carte de Khe Sanh)

            Après un siège de plus de deux mois  (76 jours), Khe Sanh est débloquée officiellement le 6 avril. Officieusement les combats, certes de moindre intensité, se déroulent jusqu’à début juin. Pour des raisons, tactiques  la base sera abandonnée par le général Abrams, remplaçant de Westmoreland, sous ordre de Washington, le 5 juillet. La fermeture de la base augmentera encore les tensions entre les civils et les militaires. Ces derniers ne comprennent pas pourquoi après avoir défendu cette base durant des mois, ils doivent l’abandonner pour des raisons qui restent encore très obscures à ce jour. Pourquoi abandonner Khe Sanh qui est stratégiquement important, en prétextant que la base de Camp Stud, permettrait de reprendre les tâches de Khe Sanh. Situé au Nord et bien au-dessus de la base de Khe Sanh, la base Camp Stud est beaucoup plus vulnérable.[18] (Cfr. Annexe carte)

Il semble que seul, la volonté d’éviter un nouveau siège sanglant comme Khe Sanh ait poussé Johnson a abandonné cette dernière. Il ne faut pas oublier que c’est la bataille de Khe Sanh et en moindre mesure l’offensive du Têt  qui a fait vaciller l’opinion publique contre l’engagement des troupes américaines au Viêt-nam. Durant l’offensive du Têt, 25% des images diffusées dans les foyers américains sont consacrées à Khe Sanh. Dans le cas de la chaîne, CBS le taux d’images venant de Khe Sanh est de 50%. Une autre raison de l’abandon a fait son apparition récemment. Il semblerait que Johnson ait voulu envoyer, en abandonnant Khe Sanh, un message à Hanoi afin de montrer la volonté américaine de négocier.

2.3.2. Vers une nouvelle politique ?

             Après l’éclatante victoire sur le terrain, l’Etat-major (Wheeler / Westmoreland) désire un renfort de 206 000 hommes supplémentaires pour lancer une attaque décisive : 108 000 troupes pour le premier mai, 42 000 pour le premier septembre et 55 000 pour le 31 décembre.  Les renforts seraient composés de 171 000 forces terrestres, de 22 000 forces aériennes et de 13 000 forces navales.

Si nous suivons le raisonnement de Westmoreland ce renfort paraît se justifier. L’échec de l’offensive du Têt, a complètement désorganisé et fait fuir les forces du Viêt-cong. Comme le déclare Westmoreland : « We are now  in a new ball game that present a situation of great opportunity. »[19] Il faut bien réaliser que la demande de Westmoreland ne vaut que si l’administration est prête  à poursuivre l’ennemi jusque dans le Nord. Dans le cas contraire, Westmoreland n’exige aucun renfort : « What I told Wheeler was, that if the strategy was going to change, I could justifiy 200 000 additional troops in the war zone, But if the strategy was not changed, major reinforcements would not be necessary ».[20]

Wheeler, voulant également obtenir les renforts, décrit l’offensive du Têt comme étant comparable à la bataille de Gettysburg (= la chute de Saigon étant proche). Wheeler sait que les raisons des renforts – poursuivre et neutraliser l’armée nord-viêtnamienne en déroute – ne seront jamais acceptées par les civils et militaires à Washington. Aussi afin d’obtenir les renforts, il va décrire la situation sur place comme étant catastrophique, estimant cette politique la meilleure pour obtenir les renforts.  Wheeler considère qu’il est préférable  d’obtenir d’abord les renforts et qu’ensuite il sera encore possible de discuter de la nouvelle stratégie[21] de Westmoreland : « Troops, not strategy was the stronger talking point »[22]

Les militaires estiment le moment opportun  pour prendre en main la politique au Viêt-nam, menée jusqu’ici par les civils et une partie des militaires de Washington. Cependant, cette description des faits aura un effet opposé à celui souhaité.

Cette demande va inciter les différents départements sur proposition du président Johnson à faire une étude de la politique à mener au Viêt-nam. Dans les faits, il semble que Johnson organise cette étude afin de connaître les modalités de l’envoi des renforts recommandés par les militaires.

2.3.2.1. La Task Force 

L’étude prend la forme de ce qu’on a appelé la task force[23].  Participent à cette task force : Clifford, Nitze, P Warnke, Ph Goulding , Rusk, N. Katzenbach, W.Bundy, P Habib (département d’Etat), Wheeler, R. Helms, W.Rostow, H. Fowler et Taylor.

Le département de la Défense par la voix de Warnke estime qu’au lieu de continuer les missions de search and destroy, les marines devraient plutôt se concentrer à établir un périmètre de sécurité, une sorte de frontière, afin d’éviter les infiltrations. 

Les membres du département d’Etat sous la direction de W. Bundy, soumettent différentes propositions  concernant des négociations, élaborées sur base de la formule San Antonio (cfr. Infra).  W. Bundy par contre rédige un document qui recommande la continuation des bombardements.

Le JCS par la voix de Wheeler estime les propositions des différents départements comme vagues. Devant ces désaccords, Clifford propose d‘arriver à un compromis. Ce compromis prend la forme d’un mémorandum présenté  par Clifford le 4 mars au président Johnson.  Le mémorandum recommande   entre autres[24]:

1.   un déploiement de 22 000 troupes supplémentaires, dont 60% seraient des troupes combattantes ;

2.   suspension du déploiement du contingent de 185 000 militaires (examen de la situation de semaine en semaine) ;

3.   pas de nouvelles propositions de paix ;

4.   accord pour une mobilisation de 262 000 réservistes ;

Le fait que Clifford insiste sur un compromis et qu’il le présente au président, ne permet plus à ce dernier de jeter son dévolu sur l‘orientation qu’il privilégie. Aussi, c’est à contrecœur qu’il n’envoie que 22 000 hommes au lieu des 200 000 exigés par Westmoreland.[25] 

Attendu qu’ avec Johnson les décisions ne sont jamais finales, il va consulter une série d’autres personnes pour s’assurer que la voie dans laquelle il se dirige est la bonne : D.Acheson, Comité des Sages,….

2.3.2.2. D.Acheson[26] et A. Goldberg

Johnson étant de plus en plus troublé et incertain quant à la politique à mener au Viêt-nam fait appel à D. Acheson, pour qui il a une grande admiration. Fin février le président Johnson lui demande d’examiner la question. Acheson accepte à condition de pouvoir faire sa propre étude et non  se limiter aux sources officielles. Plus au moins 15 jours plus tard, le 15 mars, il rend ses conclusions. Acheson recommande au président de modifier la politique actuelle à l’égard du Viêt-nam. Il explique que la réalisation de la politique de Westmoreland exigera de nombreuses années et une opinion publique de plus en plus opposée à la guerre.

            Au même moment l’ambassadeur américain aux Nations Unies, Goldberg, préconise un  arrêt total des bombardements afin de rendre des négociations possibles.

Malgré, le rapport du task force, Acheson et A. Goldberg, Johnson continue à hésiter et promet de prendre une décision après la réunion du Comité des Sages planifié le 25 et 26 mars.

2.3.2.3. Le Comité des Sages

Le groupe des Sages,  se réunit le 25 et 26 mars[27] Il est composé de D.Acheson (secrétaire d’Etat sous Truman),G.Ball, McGeorge Bundy, D Dillon (Ambassadeur en France sous Eisenhower), C. Vance (secrétaire député de la Défense sous McNamara), A. Dean, J.J. McCloy, O. Bradley, M. Ridgway, général M. Taylor, R. Murphy (ambassadeur de carrière sous Truman-Eisenhower), H.C. Lodge, A. Fortas et A. Goldberg.

Une minorité composée de Taylor, Fortas et Murphy recommande de renforcer les bombardements. D’autres comme Vance, Acheson,Bundy, Dillon,Goldberg, Ball et Ridgway prônent de suivre une nouvelle voie . Le reste se situe entre les deux approches. Aussi après une discussion avec la majorité des membres du Comité, Johnson  se rend compte qu’un changement de politique s’impose.

Tout désireux qu’aurait été le groupe de travail, le Comité des Sages,… de répondre de manière favorable aux demandes, il était impossible de ne pas en voir les effets en des domaines fondamentaux[28] :

1.   l’envoi au Viêt-nam de ces renforts aurait entraîné une levée d’environ 280 000 hommes (des réservistes) et un prolongement du temps de service de la plupart des hommes en service actif de l’époque ;

2.   l’envoi des troupes aurait entraîné une augmentation des effectifs ennemis (zero-sum game) ;

3.   Cela aurait entraîné une hausse s’élevant à deux milliards de dollars pour les mois de mars à juin et  une hausse de 10 milliards de dollars pour l’année fiscale  1969 ;

4.   Cela aurait également résulté dans une augmentation des impôts et un contrôle des prix et salaires ;

5.   Pendant combien de temps les Américains devraient-ils envoyer leurs troupes et supporter le poids de la guerre ? Nul ne pouvait y répondre ;

6.   De plus, l’envoi des troupes, ne changerait pas les opérations militaires, qui étaient gênées par trois décisions politiques prises par le président Johnson :

a)   interdiction d’envahir le Nord ;

b)  interdiction de miner le port de Haïphong ;

c)   interdiction de poursuivre l’adversaire sur le territoire laotien ou cambodgien, pour ne pas étendre politiquement et géographiquement la guerre sans contrepartie véritable.

            Dans ces conditions, l’envoi de troupes se serait caractérisé par un statu quo et n’aurait certainement pas hâté un dénouement du conflit.

2.3.2.4. L’opinion publique

Le but principal de l’offensive du Têt était clair. Le Viêt-cong espérait frapper un coup terrible qui anéantirait l’armée sud-viêtnamienne et entraînerait un soulèvement populaire. Malgré leur défaite, le Viêt-cong remporte une victoire psychologique importante. L’opinion publique et les médias se retournent contre la guerre. Dès le début de l’offensive, les correspondants sur place  paniquent, faisant passer pour une victoire Viêt-cong ce qui est une défaite et transmettant de fausses nouvelles non-vérifiées. Aussi, la presse va donner une image incomplète des combats qui va avoir une certaine influence sur l’opinion publique.

Si nous analysons l’évolution de l’opinion opposée à la guerre entre décembre 1967 et avril 1968, elle va croissante.

Tableau :

réaction de l’opinion publique avant, pendant et après l’offensive du Têt.

Approve Disapprove No opinion
December 1967

40%

48%

12%

January 1968

39%

47%

14%

February 1968

35%

54%

11%

March (early)

32%

57%

11%

March (late)

26%

63%

11%

Source : D.M BARRET, op.cit., p. 114.

Dans d’autres sondages, nous observons  que la popularité du président Johnson prend un coup après l’offensive : elle passe de 48 % en automne 1967 à 26% après l’offensive. Pour la première fois,une majorité, 49% de l’opinion publique estime que l’envoi de troupes a été une erreur. Par conséquent, dans son fameux discours du 31 mars adressé à la nation, Johnson communique qu’il ne se présentera pas aux élections présidentielles de 1968, annonce l’arrêt des bombardements au-delà du 20è parallèle et l’ouverture de négociations.[29] Par ailleurs les recommandations faites par la task force sont également mises en application. (cfr. Annexe)

2.3.3. L’offensive aurait-elle pu être évitée ?

            Comme nous l’avons vu, il règne un certain optimisme auprès des conseillers et de Johnson durant l’année 1967. Johnson, Rusk, Rostow, Wheeler, Sharp, Bunker et Westmoreland apparaissent confiants que les forces américaines parviendront assez vite à battre les forces communistes. Aussi, les rapports des différents services de renseignements annonçant une offensive d’envergure sont totalement ignorés.

            Début octobre 1967 certains organes de la CIA   font  référence de manière sommaire  à une attaque potentielle dans certaines provinces, sans parler d’une offensive générale. Par contre entre le 11 et le 24 janvier, des dépêches des services de renseignements qui indiquent  un rassemblement de troupes au Nord du Viêt-nam du Sud parviennent aux fonctionnaires de l’administration. Le 27 et le 28 janvier la menace est confirmée, mais non le degré de la menace.

            Les agents de terrain de la CIA parviennent quant à eux à obtenir des informations qui permettent de déduire que le Nord se prépare à une offensive générale. Ainsi, un des agents conclut dans un rapport daté du 8 décembre : « the VC /NVN… appear to have committed themselves to unattainable ends within a very specific and short period of time, which included a serious effort to inflict unacceptable military and political losses on the allies regardless of VC casualties during a US election year, in the hope that the US will be forced to yield to resulting domestic and international pressure and withdraw from South Vietnam. »[30] Cette position est réaffirmée dans un rapport du 19 décembre.

Ces rapports de la CIA sont complètement ignorés.  Un des hauts fonctionnaires de la CIA à la Maison Blanche, G.Carver, en les remettant à W. Rostow, en  prend distance estimant qu’ils ne représentent pas le point de vue de la CIA à Washington et que dès lors leur validité semble pouvoir être remise en question.  En fait à la même période Carver reçoit des quartiers généraux de la CIA à Saigon un rapport rassemblant les points de vue de différentes agences. Ce rapport conclut qu’il n’est nullement question d’une offensive de grande envergure.

Pourquoi ce manque d’impact ? Pourquoi les nombreuses analyses, jugements n’ont pas de résonance auprès de l’ambassade, des différents conseillers, de la Maison Blanche ou du Pentagone ?

Les raisons sont assez simples. Selon H.P. Ford l’impact de la CIA est minime, car le contenu de la majorité des rapports de la CIA sont contraires à ce que Johnson et ses conseillers veulent entendre.[31] Ainsi, nous avons vu que la CIA s’oppose à l’envoi des forces terrestres, remet en question la théorie des dominos (cfr.infra), contredit par ses rapports de novembre et décembre 1967 la politique défendue par la présidence durant l’année 1967,… La CIA bénéficie pourtant des mêmes sources d’informations que les autres agences et départements, mais ils en donnent une interprétation différente. La raison principale est que la CIA bénéficie d’une plus grande indépendance, les recherches faites par les analystes sont faites de manière plus rigoureuse et comparé à d’autres agences, la majorité des fonctionnaires a une plus grande expérience.

Une seconde raison de cette influence minime dans la prise de décision est  le fait que les responsables de la CIA en contact avec la Maison Blanche (McCone, Carver, Helms,…) se conforment à la politique menée par l’administration et donc filtrent les rapports.

Une troisième raison est le faussé qui sépare la CIA des différentes agences et des conseillers.

Enfin, une dernière raison est le dilemme devant lequel se retrouve une partie des fonctionnaires : soit soutenir des rapports allant à contre-courant et perdre sa place, soit suivre le courant et garder sa place. La majorité des fonctionnaires suivent la deuxième approche.

La CIA est donc souvent tenue à l’écart de la prise de décision durant la guerre du Viêt-nam. Toutefois, tout comme l’armée, elle joue un rôle important au niveau de l’exécution de certaines décisions (cfr. supra le programme Phoenix) 

Nous avons un exemple parfait de querelles bureaucratiques qui a des conséquences importantes dans la prise de décision. 

2.3.4. L’après Têt

          Après le 31 mars, les bombardements se concentrent sur le Viêt-nam du Sud. Quant aux négociations, pour des raisons de procédures soulevées par le Viêt-nam du Sud, elles sont postposées.  

Le général Westmoreland est promu chef de l’Etat-major de l’armée de terre. Comme l’explique G. Leguang : « le départ de Westmoreland, c’est la fin d’une période d’optimisme, au cours de laquelle, chaque mois le commandant en chef  publiait un communiqué  de victoire et annonçait le retrait prochain des GI’s du Viêt-nam. »[32] En fait cette promotion, n’est qu’un limogeage déguisé. 

Avec l’arrivée, début juin, du général Abrams, remplaçant de Westmoreland, la tactique sur le terrain est modifiée de manière significative.  Les missions search and destroy sont remplacées par des missions de protection de la population, la politique du body count est abandonnée, l’accent est mis sur des opérations menées par des unités réduites et non plus sur des opérations de grande envergure. Durant les semaines qui suivent les troupes américaines et sud-viêtnamiennes obtiennent quelques victoires importantes. Toutefois, rien ne permet d’affirmer que c’est grâce aux changements instaurés par Abrams ou bien si c’est une conséquence logique de l’échec de l’offensive du Têt.

            A cette même période Johnson se trouve à nouveau sous pression des conseillers civils d’une part et  de l’établissement militaire d’autre part. Les premiers veulent faire avancer les négociations. Les seconds veulent obtenir des moyens illimités pour en finir une fois pour toute. Johnson rejette les deux propositions, estimant que les Etats-Unis se débrouillent plutôt  bien dans leur politique de fight-talk stage.[33] 

Fin octobre, après des mois de tergiversations Johnson donne son accord pour une halte totale des bombardements. Cette annonce vient après que Harriman et Vance dans un entretien privé avec des représentants du Nord aient obtenu la promesse que de sérieuses discussions pourraient avoir lieu à partir du moment où il y aurait une halte des bombardements. En fait en proclamant une halte Johnson prend peu de risques. Sur le terrain, après avoir repoussé une nouvelle attaque en septembre, les Etats-Unis sont en position de force pour  négocier et cela pour la première fois depuis le début du conflit. En outre, la météo annonçant du mauvais temps pour les semaines qui suivent, les bombardements seraient soit impossibles, soit inefficaces. L’armée d’Abrams, quant à elle, reçoit l’ordre de poursuivre l’ennemi, sans lui donner de répit.

2.3.5. Conclusion       

L’offensive du Têt forme un nouveau tournant dans la politique américaine à l’égard du Viêt-nam. Alors que l’offensive est brillamment repoussée par les troupes américaines, elle va avoir un effet désastreux sur la société américaine. Les pressions devenant de plus en plus insoutenables et les faucons quittant en masse le navire en perdition, Johnson va se retrouver totalement isoler.  Aussi, son discours du 31 mars signe le début d’une nouvelle politique qui va mener à la politique du retrait, conçue et appliquée par l’administration Nixon. (cfr. Partie cinq)

Avant d’aborder le désengagement des Etats-Unis, nous consacrons le dernier chapitre de cette partie à l’analyse de la prise de décision.

 


[1] J.N., « Controverses américaines sur le Viêt-nam », Défense Nationale, 1966, pp. 1059-1070.

[2] Cfr. également  sa déclaration comme quoi « there were only five regions of the world – the united States, the United Kingdom, the Rhine Valley with adjacent industrial areas, the Soviet Union and Japan – where the sinews of modern military strength could be produced in quantity ;… only one of these was under Communist control ; and I defined the main task of containment…as seeing to it that none of the remaining ones felle under such control » (dans cette perspective le Viêt-nam n’en fait pas parti. (G WARNER, « The United States and Vietnam from 1945-1965 » (II), International Affairs, October 1972, pp. 614-615.)

[3] J.N. op.cit., p. 1069.

[4] G. LEQUANG, op.cit., p. 89.

[5] La pacification : Le programme de pacification se caractérise par les hameaux stratégiques et par les CORDS. Le programme des hameaux stratégiques est inauguré en 1961 et officiellement abandonné fin 1964. C’est sous l’influence de Sir Robert Thompson et de son expérience en Malaisie, que le programme des hameaux stratégiques est appliqué.  Les villageois regroupés sont organisés en milices armées, d’auto-défense, responsables de la sécurité du hameau. Une nouvelle hiérarchie sociale est instaurée où la priorité est accordée aux combattants, aux familles de combattants et aux paysans pauvres. Tous les hameaux sont regroupés en hameaux stratégiques, entourés de barbelés, de fossés, de palissades de bambou où chaque paysan est contrôlé quotidiennement. L’objectif de cette méthode consiste à isoler les communistes, contrôler la population paysanne et ratisser les zones au besoin par une extermination sans pitié. Si l’objectif de ces hameaux est de former les villageois afin qu’ils puissent se défendre contre le Viêt Cong. le programme des hameaux a un effet contraire. Il renforce d’une part la position du Viêt-cong dans les zones abandonnées par les villageois dû à la relocalisation. De là, le Viêt-cong peut entraîner des milices qui attaquent sans relâche les hameaux, puis se replient dans la jungle. D’autre part, en Malaisie, les insurgeants d’origine chinoise étaient ethniquement différents des villageois, ce qui n’est pas le cas au Viêt-nam. Aussi, il est très difficile de séparer les villageois du Viêt-cong, qui était déjà  à l’époque très présent au Sud. De plus, l’organisation de ces hameaux se fait  par Ngo Dinh Nhu, le frère de Diem. (exploitation des hameaux, corruption) Le programme est abandonné en 1964. Il faut attendre 1966 et la création du Office of Civil Operations sous le commandement de R. Komer et de W.Porter, pour que de nouveaux programmes de pacification fassent leur apparition..  Le Office of Civil Operations se trouve sous les ordres de l’ambassade de Saigon. L’ambassade étant inadéquate, le programme de pacification  se retrouve en 1967 sous le commandement de Westmoreland et sous le nom de Civil Operation and Revolutionary Development Support.(CORDS) Le CORDS est un service administratif opérant avec les ressources et le personnel de différentes agences.( USAID, C.I.A., ….) et avec une structure administrative bien préétablie que nous retrouvons dans chaque zone militaire. L’objectif premier du CORDS est la sécurité des populations rurales. Afin d’atteindre cet objectif des équipes d’autodéfense sont créés dans les villages (Revolutionary Development Teams, People’s Self-Defense Force,….), tout comme le fameux programme Phoenix, Ce dernier lancé sous Johnson en 1967, mais connaissant son apogée sous Nixon. Le programme Phoenix a comme objectif de neutraliser ( = emprisonner ou liquider) les infrastructures du Viêt-cong. Cette neutralisation se fait de trois façons :

      A. collationner les informations concernant les infrastructures du Viêt-cong

      B. interroger de civils

      C. neutraliser les membres du Viêt-cong.

Selon les sources, le nombre d’exécuter varie entre 20 000 et 40 000. Originellement désigné pour se trouver sous le commandement de la CIA, le programme Phoenix passe sous  le commandement du département de la Défense.A côté de ces programmes militaires de pacification, une série de programmes civils (nourriture, médicaments) sont développés à travers le United States Agency of International Development (USAID) également sous l’administration du CORDS.  Afin de vérifier l’efficacité de ces programmes militaires et civils est créé en 1967 le Hamlet Evaluation System(HES).

[6] L’effort de consultation :Afin d’améliorer l’exécution des décisions au Viêt-nam, l’administration va instaurer un programme de consultation au  sein du gouvernement sud-viêtnamien et un programme de pacification.Certains consultants américains sont attachés au gouvernement sud-viêtnamien à partir de 1965. Mais très vite des différences d’attitudes entre Américains et Sud-viêtnamiens se font jour dû aux différences culturelles. Les consultants n’hésitent pas à vouloir changer les traditions, sans essayer de les comprendre ou de voir si elles remplissent une fonction précise. Un autre problème se pose au niveau de l’analyse d’un problème. Alors que les Etats-Unis abordent les problèmes en faisant une série d’analyses préliminaires à la décision, les dirigeants sud-viêtnamiens étudient les objectifs à atteindre en ne prévoyant pas les conséquences. Un troisième problème est qu’au Viet-nam du Sud ce qui compte ce n’est pas l’institution, mais bien celui qui l’occupe et dès lors s’il s’enrichit personnellement, cela est considéré comme normal.Enfin, un quatrième point est l’importance attachée à la famille et aux ancêtres. Ces attitudes divergentes à l’égard de la tradition, de l’approche des problèmes et de commandement, ne facilite pas le rôle des consultants américains, ayant la mentalité du « can do ». Aussi, les propositions des consultants ont souvent un effet contre-productif. Il arrivera par exemple que ces consultants aident à préparer des plans pour des opérations de l’A.R.V.N. Cette aide sera alors interprétée par la population comme une main mise des Etats-Unis sur leur pays. De manière générale la politique de consultation sera un échec total. (D.KINNARD, op.cit.)

[7] S.B.YOUNG, « LBJ’s Strategy for disengagement », Vietnam, February, 1998.

[8] BARBER, op.cit., p. 404.

[9] D.M. BARRET, op.cit., p. 80.

[10] Pour plus de détails lire D.M.BARRET, op.cit., pp. 88-103.

[11] De fortes tensions avaient déjà fait leur apparition en janvier 1967. Comme l’explique McNamara dans ses mémoires, les divergences vont apparaître au grand jour dans des hearings publics du sénat en janvier 1967 : les propos échangés laissent transparaître le désaccord de plus en plus important entre le JCS et le secrétaire à la Défense :

« McNamara : Je ne crois pas que les bombardements effectués jusqu’à présent aient   sensiblement réduit les flux actuels d’hommes et de matériel en direction du Sud, ni que n’importe quels bombardements que je pourrais envisager à l’avenir les réduiraient  sensiblement.

Sénateur Cannon : Les conseillers militaires sont-ils d’accord avec vous sur ce point ?

Général Wheeler :Comme je l’ai dit, j’estime que nos bombardements dans le Nord ont réduit les flux. Je ne fais pas aussi peu de cas de leur impact que certaines personnes. »

[12] G.C. HERRING,op.cit.,pp. 56-57.

[13]  Johnson fait lire le mémorandum à une série de ses conseillers sans en nommer le rédacteur. Plus au moins tous – Clifford, Bunker, Westmoreland, Fortas et Taylor- y sont opposés, seul Katzenbach est mitigé.

[14] R. McNAMARA, op.cit., p. 297.

[15] D.M. BARRET, op.cit., pp. 63-67.

[16] J. PORTES, op.cit. p. 159.

[17] R. CLERY, « Le Viêt-nam et les élections américaines de 1968 », Défense Nationale, 1968, p. 511.

[18] P. BRUSH, « The withdrawal from Khe Sanh », Vietnam, vol 10, n° 2, August 1997.

[19] W.I COHEN, N.B. TUCKER, op.cit., p. 68.

[20] T. GITTINGER, op.cit., p. 88.

[21] Poursuivre l’ennemi dans le Nord.

[22] J.B. HENRY, « February 1968 », Foreign Policy, 1971, 1-4, n°2046, p. 21.

[23] Elle est composée de représentants du département d’Etat, de  la Défense, de la Trésorerie, de la CIA et du JCS.

[24] D. BARRET, op.cit, pp. 643-651.

[25] -W. I. COHEN,N.B. TUCKER, op.cit., pp.72-76.

    – J.B. HENRY, «  February 1968 »,  Foreign Policy, 1971, pp. 23-31.

[26] T. HOOPES, « The Fight for the President’s Mind – and the Men who won it »,  The Atlantic Monthly, 1969, vol. 224, n°4, pp. 97-114.

[27] G. KOLKO, Anatomy of war, The New Press, 1994, pp. 318-320.

[28] J.N., « De l’intervention a désengagement au Viêt-nam », Défense Nationale, 1969.

[29] C. FOHLEN, op.cit., pp. 240-248.

[30] H.P. FORD, op.cit.

[31] Ibidem

[32] G. LEQUANG, op. cit., p. 132.

[33] G.C. HERRING, op.cit., p. 171.

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