Partie IV : Lyndon B. Johnson de l’engagement à l’impasse

Chapitre I : La politique des petits pas (1964/1965)

 « We wil keep our commitments from Vietnam to West Berlin »

L.B. Johnson, 1963

 

1.1. Personnalité et carrière politique                                

Lyndon Baines Johnson,( 1908-1973) est né à Johsnon City, au Texas. Bien que ses parents ne soient pas très riches, il parvient à faire des études au Texas State Teachers College où  il participe déjà activement aux débats politiques. Après avoir enseigné pendant un an l’art de débattre et de parler en public, il s’engage dans une carrière politique. En 1935, Johnson s’établit à Washington où très vite il arrive à établir des relations avec l’entourage de l’administration F.D. Roosevelt.

Dès 1937, il devient membre du Congrès et s’investit dans les problèmes sociaux. . Il est d’ailleurs un grand défenseur du New Deal. La deuxième guerre s’approchant, il soutient Roosevelt dans son combat contre les pacifistes et les isolationnistes. En 1941 Johnson connaît sa première défaite en posant sa candidature pour un poste de sénateur. Ce n’est que partie remise. En 1948, il est élu sénateur et devient membre du Senate Armed Services Committee. Il devient party leader au Sénat  en 1953. Grâce à son dévouement et engagement, il livre en tant que président du parti démocrate au Sénat un excellent travail.  Durant cette période, Johnson connaît ses plus grands succès politiques par sa volonté  et sa façon de faire voter les lois. Par le biais du compromis et de la persuasion, deux traits qui sont très présents durant sa présidence, il réussit à faire passer les lois. 

Sa deuxième déception politique, il la connaît en 1960,  quand il perd les primaires face à Kennedy, qui à la surprise générale, le choisit pour se porter candidat à la vice-présidence. En tant que vice – président, il joue un rôle important dans les domaines touchant à la politique intérieure du pays 

Par le sort de l’histoire, il devient le 36ème président des Etats-Unis, le 22 novembre 1963. Ainsi, Lyndon Johnson est durant sa carrière politique passé par toutes les institutions : la Chambre, le Sénat, la vice-présidence et la présidence. Durant cette carrière, il connaît la dépression, le New Deal, la Seconde Guerre mondiale, la guerre de Corée, la Guerre Froide, la crise de Cuba,…. et enfin la guerre du Viêt-nam. Le succès de Johnson sera possible par son énergie, son intelligence, son sens du détail, ses capacités extraordinaires et la nature des institutions à travers lesquelles il développe des techniques d’une incroyable subtilité, afin d’imposer sa volonté. La plupart des postes qu’il occupe durant sa carrière, il parvient à les restructurer de telle façon à ce que ce soit lui qui tienne les rênes du pouvoir. Comme le déclare D. Kearns : « One can safely assert that no American political leader has ever equalled L.B. Johnson in the capacity to know the motives, desires and weaknesses of those whom he dealt. »[1]

Tout comme Nixon, Johnson est un homme énergique aux instincts violents, obsédé par la crainte de l’échec, cherchant à diriger le cours des choses et supportant très mal la contrariété. Par ce biais il parvient à donner une impression trompeuse d’assurance et d’autorité. Son caractère fait en sorte qu’il a grandement besoin de personnaliser ses problèmes en accusant quelqu’un ou une institution d’être responsable des déboires de son administration. Dans un tel contexte, il est bien difficile pour un conseiller de s’opposer aux idées ou aux décisions du président.[2] Ainsi son caractère  et son pouvoir d’intimidation ne permettent pas qu’on lui propose des avis qui sont opposés aux siens.

Bien que la guerre du Viêt-nam domine l’administration Johnson sous de nombreuses formes, elle n’est pas la seule crise à laquelle l’administration Johnson est confrontée. Johnson est confronté successivement à une crise au Panama en 1964, l’envoi de troupes dans la République Dominicaine en 1965. Il sera également confronté à une crise chypriote, une autre au Congo et la guerre des Six Jours.

            Au moment de son arrivée au pouvoir, le système international connaît également des modifications importantes. Le système international change d’un système bipolaire vers un système plus polycentrique avec plusieurs centres. Le schisme sino-soviétique au début des années 1960,  donne de nouvelles opportunités  et pose de nouveaux défis aux Etats-Unis. Johnson tente d’ailleurs durant sa présidence d’apaiser les tensions avec l’Union soviétique. (échanges culturelles,  Nuclear Ban Test Treaty (NTBT)) L’administration Johnson s’efforce également de se rapprocher de la Chine. Ainsi, malgré la Révolution Culturelle, certains officiels américains voient une possibilité d’établir des contacts  avec le régime de Mao-Tse-Tung.  Aussi, la présidence de Johnson marque une période de transition dans l’histoire de la politique étrangère américaine. Les années Johnson se caractérisent par une  période d’ajustement et d’adaptation entre le globalisme et le militantisme anticommuniste de Kennedy et la politique de détente de Nixon.

Le changement de ces relations, va s’accompagner de tensions avec les alliés des Etats-Unis. La crainte d’une attaque soviétique décroissant, les liens avec les alliés deviennent plus tendus.  Ainsi, la France  n’hésitera pas à critiquer sévèrement l’intervention américaine au Viêt-nam.

1.2. L’arrivée au pouvoir de Johnson

La présidence Johnson, qui naît des suites de l’assassinat de Kennedy, correspond aux années sombres des Etats-Unis. Elle est secouée sur le plan intérieur par une explosion sociale multiforme et paralysée sur le plan extérieur par le conflit vietnamien. Concernant ce dernier, il faut bien garder en mémoire que Johnson n’a pas créé les conditions dans lesquelles son pays s’est engagé.  Ces conditions se sont développées entre la fin des années 40 et son arrivée au pouvoir.

1.2.1. La transition de Kennedy à Johnson

          Au niveau de l’équipe décisionnelle, Johnson maintient l’équipe qui était au service de Kennedy : McNamara au  poste de secrétaire à la Défense, Rusk au poste de secrétaire d’Etat et McG.Bundy au poste de Conseiller à la sécurité nationale. (cfr.chapitre 1 de la partie consacrée à Kennedy pour plus de détails)

1.2.1.1. Les hésitations de Johnson

Afin de bien comprendre cette période de transition, il faut revenir quelques jours avant la mort de Kennedy. Le nouveau pouvoir en place à Saigon, annonce vers le 15 novembre que l’armée sud-viêtnamienne est en train de perdre la guerre dans le Delta. A la suite de cette annonce une réunion spéciale est organisée à Honulu le 20 novembre 1963, afin d’examiner les différentes démarches nécessaires. McNamara, D.Rusk, McGeorge Bundy et Cabot Lodge participent à cette réunion.

Une ébauche de ce meeting, dont la version définitive est le document  NSAM 273 est rédigée par McG. Bundy. L’ébauche écrite pour être soumise à  l’assentiment de Kennedy, est soumise et approuvée avec quelques nuances par Johnson le 26 novembre.(= NSAM 273). Le premier rapport portant sur la guerre du Viêt-nam sous la présidence Johnson est donc le NSAM 273, daté du 26 novembre 1963. Ce rapport démontre la volonté de poursuivre dans les grandes lignes la politique menée sous Kennedy. Le document définitif’ diffère de l’ébauche au niveau du paragraphe 7 [3] [4]:

Tableau  :

 Comparaison de l’ébauche et du NSAM 273

Ebauche 

NSAM 273

«With respect to action against North Vietnam, there should be a detailed plan for the development of additional Government of Vietnam ressources, especially for sea-going activity, and such planning should indicate the time and investment necessary to achieve a wholly new level of effectiveness in this field of action. »  « Planning should include different levels of possible increased activity, and in each instance there should be estimates of such factors as : A. resulting damage to North Vietnam ; B. The plausibility of denial ; C. Possible North Vietnamese retaliation ; D. Other international reaction. »

Ce qui frappe dans la comparaison des extraits des deux documents est que la version officielle est beaucoup plus évasive. Aussi, l’hypothèse que nous défendons est qu’à  l’époque de ce mémorandum, Johnson ne connaît pas ou peu la problématique du Viêt-nam et qu’il a dès lors une attitude prudente concernant la question vietnamienne. Cela semble d’ailleurs se confirmer dans une série d’enregistrements de coups de téléphones entre Johnson et certains de ses conseillers, rendus récemment publics.

Selon les  informations rendues publiques en 1996 et 1997 par le centre Lyndon B. Johnson, Johnson est durant les premiers mois de son mandat indécis dans la manière dont il doit conduire la politique américaine au Viêt-nam. Différentes conversations téléphoniques avec ses conseillers (McNamara et McGeorge Bundy)montrent Johnson demander des explications de la situation au Viêt-nam. Par exemple, dans une conversation avec McNamara datant du 2 mars 1964, Johnson lui demande de rédiger un mémo concernant le Viêt-nam : « A couple of pages… four-letter words and short sentences, several paragraphs so I can read it and study it and commit it to memory, not for the purpose of using it now. » [5] Ensuite, il aborde trois options pour traiter le problème du Viêt-nam : « We could send our own divisions in there and our own Marines in there, and they could start attacking the Viet Cong. We could come out of there…. and as soon as we get out, they could swallow up South Vietnam… Or we can say this is the Vietnamese war and they’ve got 200 000 men, they’re untrained, and we’ve got to bring their morale up … and we can train them how to fight… and the 200 000 ultimately will be able to take care of these 25 000 (Viet Cong) and that after considering all of these… it seems offers the best alternative to follow. (…) Then, if the latter has failed, then we have to make another decision, but at this point it has not failed»[6]  (cfr. Annexe)

Cet épisode[7] montre le désarroi devant lequel se trouve le président Johnson. Ces hésitations réfutent le stéréotype comme quoi dès le départ Johnson a la volonté d’engager les Etats-Unis dans le conflit. Un autre exemple plus concret qui reflète cette hésitation, est l’adoption le 17 mars 1964 du document NSAM 288. Ce document est probablement un des plus objectifs de cette période et celui qui reflète le mieux la situation au Viêt-nam. Beaucoup d’auteurs ont interprété ce document comme formant le document-clé de l’engagement américain au Viêt-nam. Or, ayant étudié le document de manière approfondie, on y trouve uniquement une description de la situation au Viêt-nam et une série de propositions selon l’évolution de la situation. Aussi, le document reflète selon nous bien plus le dilemme entre un engagement plus poussé et une politique plus modérée, que celui d’une confirmation d’un engagement plus concret des Etats-Unis au Viêt-nam. (cfr. Annexe) 

A partir du mois de mai et sous l’influence de McNamara, Johnson commence à adopter une position beaucoup plus agressive.

1.2.1.2. Evolution sur le terrain entre novembre 1963 et juin 1964

Dans le mois qui suit son arrivée à la Maison Blanche, Johnson envoie McNamara en  mission au Viêt-nam du Sud. Dans son rapport du 19 décembre, McNamara résume la situation en ces termes : « La situation est très inquiétante. La tendance actuelle, à moins qu’elle ne puisse être renversée dans les deux mois ou trois prochains mois, conduira au mieux à la neutralisation, plus vraisemblablement à un régime contrôlé par les communistes. »[8] En fait pour la première fois McNamara constate que la Maison Blanche a été trompée par des rapports dénaturés venant de Saigon et que les nouveaux dirigeants de Saigon  sont  des incapables. 

L’instabilité à Saigon, le pourrissement de la situation dans l’ensemble du pays et l’incapacité de ces nouveaux dirigeants amènent McNamara à recommander à Johnson de nouvelles actions clandestines contre le Nord pouvant causer un maximum de dégâts avec un minimum de risques. Le nouveau plan de McNamara, mis en place début février se caractérise par des opérations clandestines plus ambitieuses que celles menées précédemment sous Kennedy.Des bombardements sur la Piste Ho-Chi-minh tout comme sur le Viêt-nam du Nord sont  également envisagés. Afin de vérifier si ces bombardements  auraient des effets positifs, l’armée organise un jeu de guerre SIGMA-I-64. SIGMA-I-64 est un jeu de simulation auquel participent civils et militaires. Les résultats du jeu sont très enrichissants. Une application de bombardements gradués entraînerait des attaques du Viêt-cong sur les bases américaines et peu de soutien de la part du Congrès et de l’opinion publique. Par conséquent, seul deux solutions se présentent : le retrait ou une intervention suffisamment puissante pour faire comprendre au Viêt-nam du Nord que les Etats-Unis sont sérieux.[9] Les résultats transmis à McNamara ne seront jamais communiqués à Johnson. McNamara ne s’intéresse nullement aux résultats de SIGMA-I-64, ne s’intéressant qu’à des faits concrets. Ainsi durant les premiers mois de l’administration Johnson on constate de sérieuses hésitations chez Johnson, un évincement des militaires de la prise de décision et un contrôle bien établi par McNamara sur la politique vietnamienne. Il faut cependant attendre l’incident du Golfe du Tonkin pour voir dans quelle direction la politique américaine se dirige.

1.2.2. L’incident du Golfe du Tonkin et ses suites

Les neuf jours, du 30 juillet au 7 août, constituent une des périodes les plus controversées de la guerre du Viêt-nam. Encore aujourd’hui, un débat a lieu entre politiciens, historiens, militaires afin de savoir ce qui s’est vraiment passé à cette période-là.  Nous allons décrire schématiquement ce qui semble s’être passé. Pour plus de détails à ce sujet, nous vous conseillons de lire l’excellent livre d’E.E. Moise, dont la référence est reprise dans la bibliographie.

1.2.2.1. Les faits

Le navire le Maddox quitte Keelung (Taiwan) le 28 juillet et approche les côtes vietnamiennes ( à la hauteur du 17è parallèle) le 31 juillet au matin dans le contexte des opérations DeSoto[10]. La nuit précédant l’arrivée du  Maddox, le 30 juillet, des opérations OPLAN 34A ont lieu dans le même secteur sur l’île de Hon Nieu et Hon Me ( hauteur du 17è parallèle). Pour rappel les opérations OPLAN, consistent dans des attaques par des petits navires, nommés PTF[11] sur des emplacements militaires le long des côtes nord-viêtnamiennes.Cfr. Annexe Carte I .

Il n’est pas prévu que le Maddox participe aux opérations OPLAN 34A. Si les patrouilles des opérations OPLAN 34A sont en danger, le Maddox doit uniquement venir leur porter assistance. Le Nord par contre, est convaincu, vu la présence simultanée des  PTF et du Maddox, que ce dernier fait parti des opérations OPLAN 34 A.

1.2.2.1.1. Attaque du 2 août

Les premières indications d’un conflit potentiel parviennent au Maddox la nuit du premier août. Le destroyer intercepte trois messages à court intervalle. Le premier statue qu’une attaque aura lieu cette nuit-là (sans préciser l’objectif). Le second, donne l’emplacement d’un navire ennemi, correspondant à l’emplacement du Maddox. Enfin, un troisième message stipule l’utilisation du ramming (=éperonner un navire). Cette technique ne vise que des navires et non des PTF. Or, le seul navire dans la zone est le Maddox. Ainsi, il ne fait, aujourd’hui aucun doute que la cible de l’attaque ait été le Maddox. L’attaque du destroyer par trois navires torpédos a lieu dans l’après-midi du 2 août dans les eaux internationales.  En réaction, le porte-avions  Ticonderoga envoie 4 F-8E  crusaders, mais ceux-ci ne parviennent pas à couler les navires. En effet, les trois navires ne seront coulés qu’au mois de juillet 1966. [12] Toutefois les pilotes sont persuadés du contraire, tout comme l’administration américaine. Cette dernière annonce la destruction des navires par l’intermédiaire de McNamara aux membres de la Commission du Sénat le 6 août.

Le dimanche 2 août 1964, un câble urgent annonce que des vedettes rapides, ont attaqué le Maddox. Le câble est rédigé comme suite [13]:

Monsieur le Président,

Très tôt ce matin le USS Maddox a été attaqué par trois navires de la République Démocratique du Nord Viêt-nam qui patrouillaient à environ 30 milles de la côte nord-viêtnamienne, dans le golfe du Tonkin.

Le commandant du Maddox a répondu à l’attaque avec ses pièces de 125 et demandé un secours aérien au porte-avions Ticonderoga qui se trouvait à proximité pour des  vols de reconnaissance dans ce secteur.

Les chasseurs à réaction du Ticonderoga, arrivés peu après, ont bombardé les vedettes dont l’une fut coulée, les deux autres endommagées et forcées à battre en retraite.

Le Maddox ne fait état ni de pertes humaines ni de dommages matériels.

1.2.2.1.2.  Attaque du 4 août

Alors qu’après l’incident, le Maddox s’attend à quitter le Golfe du Tonkin, il reçoit l’ordre de continuer sa mission et est rejoint dans celle-ci par le Turner Joy.

Tout comme cela a été le cas la nuit du 30 au 31 juillet, le 3 août de nouvelles missions clandestines OPLAN ont lieu au-dessus du 17e parallèle. Le Maddox et le Turner Joy plus au Nord servent à leur insu, de leurre mais également d’appât.  En effet, une théorie, bien répandue existe comme quoi, les destroyers de l’opération DeSoto ont été dépêchés dans le Golfe du Tonkin à titre de provocation afin d’obtenir un prétexte  pour l’escalade du conflit. Ainsi, comme le montre E.E. Moïse : « (…) several man on the Maddox saw a fleet tug with the American task force just outside the Gulf of Tonkin, a tug that would not normally have been with this task force. This would have been a suitable vessel to go in  and help haul the Maddox out, if the Maddox were badly shot up. » [14]

 De plus, il semble clair aujourd’hui que Johnson ait lui-même confirmé l’envoi des destroyers dans le Golfe du Tonkin, après l’incident du 2 août, tout en maintenant les opérations d’OPLAN 34A du 3 au 5 août.

Le deuxième incident a lieu la nuit du 4 août. Avant d’aborder ce second incident une petite parenthèse s’impose, concernant d’une part ce que les Américains ont appelé le Tonkin Spook(=une anomalie radar) et d’autre part un des messages interceptés ce soir-là. Le Tonkin Spook est un phénomène (naturel) qui génère des images radars qui sont plus petites et définies plus clairement, que celles générées par le temps.[15] On n’est jamais vraiment parvenu à déterminer ce phénomène, mais il est certain que celui-ci n’est pas connu de la patrouille Desoto au moment des incidents. Dans la soirée du 4 août un des messages interceptés par les Américains établit un ordre de mission pour 3 navires nord-viêtnamiens. Aussi, après l’incident du 2 août, le capitaine du Maddox  va interpréter l’ordre de mission comme visant son navire. Or, la mission ne vise pas les destroyers américains, mais bien la mission OPLAN 34 A dans un autre secteur.  En effet, les trois navires nord-viêtnamiens dont les Américains connaissent l’immatriculation et dès lors le modèle, ne peuvent en aucun cas, à l’exception d’une mission kamikaze, s’attaquer aux destroyers américains, manque d’armements indispensables pour couler ceux-ci. Le fait que nous insistions sur ces deux points permet de mieux comprendre le déroulement de l’incident du 4 août.

La première alerte, a lieu vers 20 heures où apparaissent trois points (N,O,P) sur le radar. (Annexe :Carte ) Ces trois points correspondent à trois navires, mais encore aujourd’hui, il n’est pas clair si les navires étaient des navires chinois ou nord-viêtnamiens. Une chose est par contre certaine, ils n’étaient d’aucune menace pour les destroyers, car ils se dirigeaient dans la direction inverse. Plus tard dans la soirée, par contre, une série d’autres points comme entre autres U et V sont détectés parallèlement aux deux destroyers. Cette fois-ci le sonar détecte également des sons ressemblant à des torpilles. Aussi,  de 22.30 jusqu’à minuit, les navires tirent dans le vide étant persuadés de toucher des cibles. Très vite pourtant au sein des équipages, des doutes apparaissent quant à la réalité de l’attaque (=Tonkin Spook). Les pilotes d’avions du USS Ticonderoga ne parviendront d’ailleurs jamais à confirmer la présence de navires ennemis.

Alors que l’attaque du 2 août ne fait aucun doute, celle du 4 août pose problème. En effet, ni le Maddox, ni le Turner Joy, ni les huit crusader parviendront à confirmer la seconde attaque sur laquelle est établie la résolution du Tonkin[16].  

1.2.2.2. Réactions à Washington

Après la première attaque, la réaction américaine est modérée. L’administration traite l’attaque  comme un incident mineur. Le deuxième incident par contre suscite des réactions plus importantes.

A Washington sans attendre les différentes enquêtes et les différents rapports confirmant ou infirmant l’attaque, l’administration encourage les rapports et témoignages allant dans le sens d’une attaque, tout en négligeant les témoignages et les rapports allant dans le sens inverse. McNamara n’hésite d’ailleurs pas à mentir devant la Commission du Sénat. 

Comparons les déclarations de McNamara devant la Commission à l’époque et la réalité. Pour avoir une meilleure vue d’ensemble nous avons fait un tableau qui facilite la comparaison entre les dires de McNamara et la réalité :

Tableau :

 Comparaison des dires de McNamara et la Réalité

Concernant : McNamara Réalité
OPLAN 34 A n    Le Maddox n’était pas au courant de ces opérations. 

n    aucun américain n’en fait parti

n    Le Maddox était au courant puisqu’il devait intervenir en cas de complications. 

n     les SEALs les entraînaient

distance du Maddox des côtes n    30 miles n    15 miles
les tirs d’avertissement du Maddox n    3 n    0
 le premier qui tire n    les 3 navires vietnamiens n    le Maddox
le Maddox n    opération de routine n    opération d’espionnage

En février 1968, McNamara entendu par le Sénat reconnaît implicitement que le Maddox et le Turner Joy étaient en mission d’espionnage et que le commandant Herrick, chef de la patrouille des destroyers, savait que les Sud-viêtnamiens effectueraient pendant ce temps une opération de sabotage contre l’île de Hon Me. Dans ces mémoires McNamara reconnaît qu’il a menti concernant le fait que le Maddox n’était pas au courant des opérations secrètes, mais il continue à affirmer que l’US Navy n’était pas au courant. (plutôt contradictoire).De plus, il continue à mentir sur ses déclarations faites devant la Commission.

Aussi il semble de plus en plus certain que McNamara ait menti au Congrès concernant l’attaque du 4 août. Cela se confirme d’ailleurs dans les témoignages de Daniel Ellsberg et George Ball. Le premier déclarait en 1995 : « Yes, he did lie, and I knew it at the time (…) McNamara knew he had lied. He is still lying. » [17] Ball déclarait déjà en 1977 : « Many of the people associated with the war… were looking for any excuse to initiate bombing. The DeSoto Patrols were primarily for provocation… There was a feeling that if the destroyer got into trouble, that would provide the provocation needed. »[18]

Par conséquent, il est clair que l’administration Johnson n’attendait qu’un prétexte pour s’engager de manière plus intensive dans le conflit. 

1.2.2.3. La résolution  du Tonkin

Suite à ces événements, la résolution du Tonkin, dont le projet de texte  était prêt depuis mai 1964 est votée le 7 août 1964 et confirme l’engagement militaire des Etats-Unis au Viêt-nam . Au Sénat, le vote est de 88 voix contre deux (E Gruening/ W. Morse[19]). A la Chambre, le vote est unanime, 416 voix contre 0.

Par la résolution le Congrès « approuve et  soutient la détermination du président  de prendre, en tant que commandant en chef, toutes les mesures propres à repousser une attaque armée contre les forces américaines et à prévenir toute agression dans l’avenir »[20]

La résolution précise que «les Etats-Unis considèrent qu’il est vital pour leur intérêt national et pour la paix du monde que la sécurité soit maintenue en Asie du Sud-Est. En vertu de la constitution des Etats-Unis et de la Charte des N.U. et conformément aux obligations qui leur incombe en vertu du traité de défense collective de l’Asie du Sud-Est, les Etats-Unis sont prêts quand le Président le déciderait à prendre toutes les mesures nécessaires, y compris l’emploi de la force armée, pour prêter assistance à tout Etat membre de l’Organisation des Territoires de l’Asie du Sud-Est, ou tout cosignataire du traité de Défense de l’OTASE, qui demanderait assistance pour défendre sa liberté. »[21]

Dans les faits cette résolution donne un pouvoir presque impérial, même dictatorial à Johnson. Elle donne au président le pouvoir d’employer les forces comme bon lui semble et à n’importe quelle occasion.  Johnson décrira la résolution comme la « chemise de nuit de grand-mère : elle couvre tout. » Cette résolution  permettra de justifier toute autre intervention ou engagement au Viêt-nam jusqu’en 1971.[22]

1.2.2.4. Les raisons de la résolution

Il semble que les raisons de la résolution soient plus d’ordre internes qu’externes.

A l’époque Johnson est en pleine campagne électorale. Son opposant, le sénateur B. Goldwater, insiste sur un engagement plus important des Etats-Unis en Asie du Sud-Est. Une attaque non provoquée (en théorie) de la part du Nord donnerait donc l’opportunité à Johnson de répondre de manière limitée et ainsi améliorer son image auprès des électeurs, sans paraître partager le même point de vue que son adversaire.

Une autre raison abordée dans le livre de D.Rusk, est la volonté de Johnson d’obtenir l’autorisation du Congrès avant d’intervenir de manière plus sérieuse au Viêt-nam. Johnson a en mémoire la guerre de Corée où malgré les assurances obtenues par Truman de la part du Congrès[23], Taft n’avait pas hésité à l’attaquer publiquement. Aussi, l’incident du Tonkin est le moment idéal pour faire passer une résolution qui définit la politique américaine au Viêt-nam du Sud.  En outre, Johnson ayant été lui-même représentant au Congrès, se rappelait que les présidents ne demandant pas l’autorisation du Congrès, il les aurait « torn hiss balls off ».[24]

Enfin, une troisième raison concerne les pressions exercées par le président Khanh. Celui-ci menace les Etats-Unis fin juillet  d’attaquer le Nord, si les Etats-Unis ne s’engagent pas de manière plus explicite au Viêt-nam. 

Ainsi, plusieurs raisons poussent l’administration Johnson à faire de l’incident du Tonkin, plus qu’un incident. 

Les deux points qui suivent sont deux réflexions personnelles sur des questions qui sont restées jusqu ‘à aujourd’hui sans aucunes réponses : L’administration Johnson a-t-elle trompé le Congrès au moment de la résolution?,  Pourquoi Johnson a-t-il attendu la seconde attaque pour obtenir le vote de la résolution, alors que la première attaque avait été confirmée ?

1.2.2.4.1. L’administration Johnson a-t-elle trompé le Congrès au moment de la résolution ?

C’est une question à laquelle il est aujourd’hui encore très difficile de répondre, pour la bonne raison que l’attaque du 2 août a bien eu lieu. Si celle-ci n’avait pas eu lieu, nous répondrions sans hésiter à la question par l’affirmative. Mais les choses semblent beaucoup plus complexes.  S’il est exact que McNamara a menti à la Commission sur la deuxième attaque et que la deuxième attaque a été provoquée, la question est de savoir si cela aurait changé quelque chose au résultat du vote de la résolution.  A notre sens la réponse est négative et cela pour plusieurs raisons : 

Ø   Comme nous l’avons analysé sous Kennedy, le Congrès est majoritairement pro une intervention au Viêt-nam.

Ø   Sans l’incident du Tonkin une autre attaque ou provocation américaine aurait  entraîné le vote de la résolution.

Ø   Au moment du vote de la résolution du Tonkin, même si les faits exactes de l’incident ne sont pas connus, le Congrès est au courant de la situation au Viêt-nam, car depuis 1961, les journaux (Time, Newsweek, The New York Times, Washington Post,…) publient régulièrement des articles sur la situation au Viêt-nam.

Ø   A la question du sénateur J.S. Cooper de savoir si à l’avenir : « (…)if the president decided that it was necessary to use such force  as could lead into war, we will give that authority by this resolution ? », le président du Comité des Affaires étrangères y répond par l’affirmative[25]

Dès le départ  le Congrès est prédisposé à accepter l’initiative présidentielle et a totale confiance dans cette politique.  Le seul à remettre cette politique en doute est le sénateur Wayne Morse. Nous avons reproduit son point de vue avant le vote de la résolution : « Je suis inaltérablement opposé à cette orientation, qui est à mon sens une orientation agressive de la part des Etats-Unis. Je pense que nous sommes en train de nous moquer du monde si vous essayez de faire croire que, lorsque les bâtiments sud-viêtnamiens ont bombardé deux îles à faible distance de la côte du Nord-Vietnam, nous n’étions pas  impliqués. J’estime aue l’ensemble de notre politique d’aide au Sud-Vietnam prouve amplement au monde entier que ces bâtiments n’ont pas agi dans un vide total en ce qui concerne les Etats-Unis. Nous savions que ces bateaux allaient là-bas et que cette opération navale était un acte d’agression clair et net contre le territoire du Nord-Vietnam et nos navires étaient dans le golfe du Tonkin, dans les eaux internationales, mais néanmoins ils étaient dans le golfe du Tonkin pour être interprétés comme assurant la couverture des opérations navales du Sud-Vietnam. »[26]  Personne au Congrès ne tiendra compte des dires  de W. Morse, tous persuadés du bien fondé des dires de l’administration.

La résolution qui  suit l’incident ne sera remise en question par certains membres du Congrès  qu’à partir de 1966. Ils remettent en question la portée de la résolution, plus pour des raisons de fond que de forme.

Le problème ne semble pas être, comme l’explique McNamara, que le Congrès n’ait pas saisi la portée potentielle de la résolution, mais bien qu’il n’ait pas saisi la dynamique potentielle de la guerre et la façon dont l’administration allait y réagir.  Un rapport du Comité des affaires étrangères du Sénat en 1967 concluait que le Congrès en adoptant une résolution formulée en termes si généraux a commis l’erreur de porter un jugement sur la personne- sur la façon dont le président Johnson allait appliquer la résolution, alors qu’il avait la responsabilité de porter un jugement institutionnel –  premièrement sur la façon dont tout président agirait avec une si vaste délégation de pouvoir et deuxièmement sur le point de savoir si , aux termes de la constitution, le Congrès avait le droit d’octroyer ou de concéder le pouvoir en question.[27]

Aussi selon nous le Congrès était conscient de l ‘étendue des pouvoirs de la résolution quand il l’a approuvé, mais ne s’attendait probablement pas à une expansion des forces américaines à 539 000 hommes. Toutefois, certains semblent au moment du vote de la résolution s’y être attendu. Ainsi le sénateur Jake Javits déclarait : « I’m going to vote for this, but I want every one to understand that thousands may die to implement this resolution. »[28] Par conséquent, il nous semble que ce qui pose problème au Congrès est de n’avoir aucune autorité et aucun contrôle sur la conduite des opérations militaires. Cette situation va d’ailleurs faire renaître le débat de qui conduit les opérations militaires.

En conclusion nous reprenons le point de vue de J. Spanier et E.M. Muslander : « The conclusion would seem to be that congressional support in the form of a resolution for Presidential use of force is politically largely immaterial. If a President is successful he will receive little or no criticism even without a congressional resolution ; if he is unsuccessful, he will reap large amounts of criticism  and abuse, even if he possesses hundreds of congressional resolutions. »[29]  

1.2.2.4.2.  Pourquoi Johnson a-t-il attendu la seconde attaque, alors que la première attaque avait été confirmée ?

Aucun livre semble aborder cette problématique. La question a été abordée dans une table ronde au début des années 90, mais elle est restée sans réponse.

Il semble selon nous que Johnson ait voulu attendre une seconde attaque, afin de pouvoir renforcer sa conviction que le Viêt-nam du Nord avait bien lancé une attaque et que dès lors le Congrès acquiescerait sans difficulté pour voter la résolution. Comme nous l’analyserons dans les pages suivantes, Johnson ne prend aucune décision sans avoir une confirmation de sa conviction.

1.3. Election de Johnson à la présidence

Après avoir obtenu l’aval du Congrès et les élections se rapprochant, Johnson va durant le mois de septembre et octobre éviter de s’engager dans une politique plus ferme. Grand rhétoricien, il insiste dans plusieurs discours sur sa non-volonté à engager militairement les Etats-Unis au Viêt-nam.

 Aussi, si sa politique de juillet et août satisfait les faucons, celle de septembre et octobre satisfait les colombes.

Cependant sous la pression des militaires, Johnson adopte le 10 septembre 1964 le document  NSAM 314 qui annonce la reprise des patrouilles dans le Golfe du Tonkin, les opérations OPLAN[30] et acquiesce pour établir des plans préparant une intervention aérienne et terrestre au Laos. Le président promet également qu’en cas d’attaque des intérêts américains, des représailles auront lieu.[31]Durant cette période, l’armée organise un nouveau jeu de guerre (SIGMAII-64) afin d’analyser les conséquences politiques et militaires de bombardements au Viêt-nam du Nord et d’examiner les questions politiques et militaires qui nécessitent une réponse, avant de prendre une décision d’envoyer  des troupes au Viêt-nam du Sud. Les conclusions de l’étude sont négatives[32]. Mais tout comme SIGMA I-64, les conclusions de SIGMA II-64 n’auront aucun effet sur les conseillers du président.

1.3.1. Tentative de définition de l’engagement américain

 Immédiatement après la confirmation de son élection[33], Johnson crée un groupe de travail, NSC Working Group on South Vietnam/Southeast Asia.  

1.3.1.1. Création du NSC Working Group on South Vietnam/Southeast Asia.   Le groupe de travail est  composé de huit fonctionnaires de second plan venant du département d’Etat (M.Forrestal,R.H.Johnson et M.Green), du Pentagone (J.McNaughton, D.Ellsberg), de la CIA (H. Ford), du JCS (amiral L. Mustin) et est présidé par W. Bundy.

            Le groupe de travail reçoit comme consigne d’étudier les choix s’offrant aux Etats-Unis en Asie du Sud-Est.

Durant les différentes réunions le groupe a de nombreuses difficultés à trouver une position commune, W. Bundy et l’amiral Mustin ayant des objectifs différents. Le premier insiste sur l’importance d’un gouvernement sud-viêtnamien stable et démocrate, le second estime que ce qui est important est d’avoir un gouvernement qui puisse faire la guerre, qu’il soit démocratique ou non. Malgré les divergences entre W. Bundy et l’amiral L. Mustin, les membres du groupe parviennent sous la pression de McNaughton à accorder plus au moins leurs violons.

Les conclusions du groupe sont partiellement influencées par la conjoncture internationale de cette période. Le 15 octobre N. Khrushchev est évincé du pouvoir et remplacé par L. Brezhnev et A. Kosygin. L’évincement de Khrushchev crée à Washington une certaine appréhension de la voie dans laquelle l’U.R.S.S. se dirige : coexistence pacifique ?, aggravation du schisme sino-soviétique ?,… Quelques jours plus tard, la Chine fait exploser sa première bombe nucléaire. Par conséquent, le groupe estime que ne sachant pas quelles voies seront suivies par la Chine et l’U.R.S.S., les Etats-Unis doivent renforcer leur position en Asie du Sud-Est.

Par conséquent, W. Bundy et son groupe proposent trois options[34] :

Ø   poursuivre la politique actuelle de modération, sans grand espoir d’éviter la défaite,( ayant le retrait comme conséquence)

Ø   entreprendre une campagne violente et intensive de bombardements contre les lignes de communication du Viêt-nam du Nord et les quatre-vingt-quatorze cibles proposées par les chefs d’Etat-major afin de contraindre Hanoi à cesser de soutenir le Viêt-cong et/ ou à ouvrir des négociations. (préférence de Mustin)

Ø   entreprendre la même campagne de bombardements, mais de façon graduée et accompagnée de moins de risques, afin de ne pas déclencher une guerre plus vaste. (préférence de W. Bundy)

             Bundy a pour faire valoir sa proposition recours au principe  bureaucratique « de Boucles d’Or » : en présentant un choix trop mou (1) et un choix trop dur(2), il peut espérer que les membres du Comité supérieur, opteront pour la solution intermédiaire, en l’occurrence la troisième.[35]  

1.3.1.2. Adoption de l’option C’

            Les propositions du groupe sont soumises à un Comité, composé majoritairement de faucons, dont font entre autres partis McNamara, Rusk, Taylor, …. Le Comité adopte en présence du président le 1er décembre une version corrigée de l’option proposée par Bundy. Celle-ci permet un compromis entre les options B et C : option C’.  Le JCS accepte l’option C, avec en échange la promesse d’un engagement non- limité pour escalader la guerre si nécessaire et cela même si la situation se dégrade au Sud. Comme le disent Betts et Gelb : «  For Johnson  the logic  of the compromise course was both politically pragmatic (to avoid defections and minimize the intensity of dissent on either end by hedging in both directions) and intellectually pragmatic (to play safe, since he lacked personnal expertise in foreign affairs and was confronted by disagreement among the experts) »[36]

            Cependant, la décision de Johnson se caractérise par une contradiction. Comme l’explique l’auteur B. VanDeMark : « Again and again, Johnson had preached the need for stable, effective government in Saïgon, convinced that action against the North demanded unity in the South. And yet having stressed this requirement, he had authorized plans to bomb Hanoi should unity in Saigon prove elusive. »[37]            

1.3.1.3.  Mise en pratique de l’option C’

             Sur le terrain, la situation politique au Viêt-nam du Sud se dégrade davantage depuis octobre 1964. Aussi début décembre, Taylor fait comprendre que la poursuite du soutien des Etats-Unis exige la stabilité politique. Les généraux doivent donc cesser de conspirer les uns contre les autres  et contre leur gouvernement. D’ailleurs, Taylor n’hésite pas à leur passer un savon le 24 décembre.[38] L’injonction se révèle futile.

            Malgré les commentaires du sénateur Mansfield[39] et la tentative de Taylor, l’administration se pose de plus en plus de questions sur la stratégie militaire à appliquer à l’égard du Nord au lieu de s’investir plus dans la stabilité du Sud.

Pour la mise en pratique de l’option C’, l’administration adopte un programme en deux phases. La première phase consiste à intensifier certaines opérations pendant une durée de 30 jours (raids  sur les routes d’infiltrations, OPLAN…) Elle sera suivie de la  seconde phase (phase aérienne limitée), qui est supposée durer deux à six mois afin d’amener Hanoi à la table des négociations. Cette seconde phase, connaît une certaine réticence de la part de la CIA et du JCS. Certains comme les généraux H.K. Johnson, Westmoreland et l’amiral Lloyd Mustin critiquent cette politique de bombardements limités en se basant sur les résultats négatifs de SIGMA II. Ils insistent à pouvoir bombarder de manière illimitée le Nord afin de neutraliser les ressources de celui-ci. Aussi, à l’exception du général Taylor l’armée s’oppose à ces bombardements limités.[40]

            Dans un premier temps, il semble que le président Johnson n’ait accepté que l’application de la première phase et donné  son accord de principe pour la deuxième phase. Le 14 décembre la première phase connue sous le nom de Barrel Rolls[41], est lancée. 

1.3.2. Début de Rolling Thunder

La fin de l’année 1964 et le début de l’année 1965 sont riches en rebondissements qui vont pousser l’administration à entrer dans une nouvelle phase de l’escalade.

1.3.2.1. La bataille de Binh Gia et ses conséquences

Le 28 décembre 1964 éclate la bataille de Binh Gia, à 60 kilomètres de Saigon.  Celle-ci dure 10 jours, 300 soldats sud-viêtnamiens et 17 américains y perdent la vie. Washington réalise que la situation est désastreuse et que la politique présente ne peut conduire qu’à une défaite. Le moment est donc venu de procéder à des choix plus tranchés.

Cependant, les sondages indiquent une forte division au sein de l’opinion publique sur la nécessité d’un engagement dans la guerre. Johnson étant attaché aux sondages,  préfère postposer de nouvelles décisions. Mais ce n’est pas la raison principale du report. La raison pour postposer sa décision est que Johnson ne veut pas entreprendre de nouvelles actions avant qu’il ait pu approfondir devant le Congrès son projet de Grande Société.[42]  Comme Johnson l’explique : « If we get into this I know what’s going to happen. Those damn conservatives …in Congress… are going to use this war as a way of opposing my Great Society legislation…. They hate this stuff, they don’t want to help the poor and the negroes….But the war,oh, they’ll like the war. I know what they’ll say, they’ll say they’re not against it, not against the poor, but we have this job to do, beating the communists. We beat the communists first, then we can look around and maybe give something to the poor. »[43]

Toutefois, durant tout le mois de janvier, Johnson se retrouve sous une énorme pression de la part de ces conseillers. Par exemple, le 6 janvier Taylor adresse un câble à Johnson lui recommandant d‘effectuer des bombardements à l’occasion de la prochaine attaque du Viêt-cong. Il rapporte également la volonté de Westmoreland d’obtenir 75 000 hommes pour garantir la sécurité des forces aériennes déjà présentes. Même si Taylor ne cautionne pas la recommandation de Westmoreland, le poids sur Johnson pèse de plus en plus lourd afin qu’il prenne une décision.

Le 27 janvier c’est au tour de McNamara et McG.Bundy d’exercer des pressions sur Johnson. McNamara et Bundy rédigent un mémorandum poussant Johnson à prendre des décisions plus concrètes. Ils lui reprochent que si la situation devait encore s’aggraver  à Saigon, une des raisons principales en serait la politique d’attente, l’indécision et les demi-mesures prises par l’administration.  Ils poussent Johnson à choisir entre une intervention militaire ou un retrait négocié et humiliant, tout en prônant et développant  uniquement la première option. 

Jusqu’à présent Johnson avait  évité de prendre des décisions ne voulant pas remettre en cause son élection présidentielle, ni son projet de Grande Société. Aussi fin janvier, après son entretien avec McNamara et Bundy il réalise que des mesures escaladant le conflit s’imposent[44].

Encore le même jour, le 27 janvier, un nombre de conseillers, sous la direction de McG. Bundy, quitte Washington pour Saigon pour se rendre compte de la situation. Par le biais de cette mission, Johnson veut être sûr que sa décision d’escalader le conflit est la bonne. Un événement important va accélérer les choses.  

1.3.2.2. L’attaque de l’aéroport de Pleiku

Le 7 février (heure de Saigon), le Viêt-cong  attaque un quartier général de l’armée sud-viêtnamienne et une base américaine  près de Pleiku. Cette dernière fait 8 morts et 108 blessés américains. Il semble selon C. Cooper, membre de la mission, que le jour avant l’attaque, le 6 (heure de Saigon), les conseillers étaient arrivés à  la conclusion que les Etats-Unis  devraient être prêts à répondre vite et fortement à toute nouvelle attaque sur des installations américaines.[45] Aussi contrairement à ce que déclarent nombreux auteurs, la décision de recommander des bombardements (=Phase II de l’option C’) par les conseillers sur place a été prise avant l’attaque et non après. L’attaque du 7 ne vient que renforcer la conviction américaine. Le jour même de l’attaque sur Pleiku, McG. Bundy, envoie un câble, reproduit en annexe dans lequel il fait une série de recommandations.[46] Il estime qu’il faut réagir aux agressions du Viêt-cong en deux phases:

n    La phase un consiste en des représailles pour tout incident

n    La phase deux inclut des représailles soutenues, sévères et graduées.  

Ces recommandations sont rapidement mises à l’épreuve. Le 7 février après une série de réunions[47] a lieu une opération en représailles de l’attaque. Comme l’explique Johnson : « We had to respond. If we had failed to respond  we would have conveyed to Hanoi, Peking and Moscow our lack of interest in the South vietnamese government. In addition the South vietnamese would have tought we had abadonned them. » [48]

L’opinion publique approuve par une grande majorité (76%) les actions de représailles.  60% approuvent la politique de Johnson menée au Viêt-nam. Avant Pleiku ils n’étaient que 40%. De même les médias – Washington Post, New York Times, New York Herald Tribune– tout comme le Congrès approuvent la politique suivie. Pour un président sensible à l’opinion publique, ces chiffres représentent un stimulant à une intervention plus musclée, préconisée par McG. Bundy et McNaughton dans le mémorandum du 7 février.

Entre le 7 et le 10 des discussions ont lieu pour passer de la Phase I à la Phase II. Le 10, l’attaque de baraquements américains à Qui Nhon[49], tuant 23 américains, persuade Johnson à passer à la Phase II.  Méfiant et hésitant comme toujours, Johnson fait appel à Eisenhower le 17 février pour avoir son avis sur la décision de passer à la Phase II.  Eisenhower, présumant que les Etats-Unis ont décidé de s’engager, encourage Johnson à prendre les mesures nécessaires afin de vaincre. Il suggère même d’engager des troupes terrestres si nécessaires.

            Rolling Thunder débute début mars et dure jusqu’au lendemain de l’offensive du Têt. Comme le déclare Johnson dans ces mémoires : « Je pensais qu’une attaque aérienne soudaine et efficace persuaderait peut-être les responsables d’Hanoi que nous étions décidés et que le Nord ne pouvait plus compter sur une immunité permanente s’il poursuivait son agression contre le Sud. »[50]. Les Etats-Unis lâcheront trois fois plus de tonnage de bombes que durant la Seconde Guerre mondiale.  Toutefois, la majorité des bombardements se limitent à la région juste au-dessus du 17e parallèle (= 19e parallèle ou en dessous). Les grandes villes du Nord, tout comme les digues sont épargnées.

1.3.2.3. Les raisons de Rolling Thunder

            Plusieurs raisons poussent les Etats-Unis a lancé une offensive. Ces raisons ne concernent pas uniquement le Viêt-nam, elles concernent également l’environnement international . Les raisons sont les suivantes :

A. Par le biais des bombardements, la Maison Blanche espère mobiliser les différentes factions au Viêt-nam du Sud afin d’obtenir une certaine stabilité au sein du régime ;

B.  Un autre objectif est de démoraliser les dirigeants d’Hanoi et de les contraindre à ordonner l’arrêt de l’insurrection dans le Sud . Comme l’explique l’auteur Caroline Page : « (…) militarily the administration calculated that if North Vietnam could not be bombed to the negotiating table, then it could be lured there with the suggestion of a bombing halt in return for North  Vietnamese concessions. And obviously this meant that the bombing had both to continue and to become heavier, inflicting enough of a degree of pain on North Vietnam for a bombing halt to constitute a sufficiently attractive negotiating proposition to the North Vietnamese. » ;[51]

C. Un autre objectif est d’empêcher  un engagement au sol des forces américaines en Asie ;      

D. La décision d’appliquer l’opération Rolling Thunder ne se fait pas seulement en fonction du Viêt-nam, mais également en fonction de l’évolution politique dans toute l’Asie du Sud-Est. Nous pouvons déduire cela du point de vue exprimé par Johnson fin décembre. Johnson fait un ensemble de constatations concernant la région. Ainsi il constate que:

a)   la Chine a fait exploser sa première bombe nucléaire en octobre 1964

b)  la Chine soutient la guérilla thaïlandaise

c)   en Indonésie, Sukarno se tourne vers le parti communiste

d)  l’influence chinoise au Laos s’accroît.

e)   aide croissante de la Corée du Nord au Viêt-nam

Ainsi, un axe Djakarta-Hanoi-Pékin-Pyongyang s’instaure et un danger  imminent d’une vague communiste sur la région. Aussi, la conviction de Johnson, est que le Viêt-nam du Sud reste un des seuls piliers contre le communisme.

Cependant, Rolling Thunder devait être suffisamment limitée pour s’assurer que la Chine n’intervienne pas, comme elle l’avait fait en Corée quatorze ans auparavant[52].  Ce dernier point est confirmé le 4 février 1965  dans le rapport , SNIE 10-65 Communist military capabilities and near-term intentions in Laos and South Vietnam[53] : « (…) Thus far the Communists have not used aircraft to defend forces in Laos against damaging T-28 attacks. We believe they rely on antiaircraft artillery, ground fire, and passive defense in Laos. However, they would certainly attempt to use fighters against air strikes on North Vietnam, and would certainly do so in the case of an attack on China. »[54] Cette peur d’une réaction chinoise est encore confirmée dans plusieurs autres documents[55] (cfr. Annexes)

Dans ce contexte une série de restrictions sont imposées par l’administration Johnson. Ce sont les  Rules of engagement (ROE). Il est interdit de poursuivre l’ennemi au-delà des frontières (Laos, Cambodge,Viêt-nam du Nord).Les cibles interdites sont  la zone démilitarisée (DMZ), les bases de MiG nord-viêtnamiens, les MiG n’ayant pas d’intentions hostiles, les sites SAM (surface-to-air missiles)non-opérationnels ( un SAM devait d’abord avoir été tiré avant que la force aérienne puisse riposter.) A ce propos il est intéressant de reprendre une anecdote, qui est un bel exemple de la domination du civil sur le militaire et de l’application de la riposte graduée. En 1965, les premiers SAM sont installés au Viêt-nam du Nord. L’Etat-major demande la permission de les détruire. La réponse de John McNaughton sera négative, invoquant  le fait que le Nord ne les utiliserait pas : « Putting them in is just a political ploy by the Russians to appease Hanoi. We won’t bomb the SAM sites, which signals to North Vietnam not to use them. » [56]Un mois après les Etats-Unis perdaient leur premier avion descendu par un SAM. En outre, les objectifs sont définis à Washington. Ainsi si les objectifs sont sélectionnés pour le mardi, ceux-ci ne pouvaient être bombardés le mercredi, si le mardi le temps avait été mauvais.

1.3.2.4. G.Ball :une position opposée à la politique menée

Le conseiller qui s’oppose le plus à la politique menée par l’administration Johnson est sans aucun doute G. Ball. Dans un mémorandum qu’il rédige en novembre 1964, mais qu’il n’envoie à Johnson qu’en février 1965, il s’interroge sur les raisons de l’engagement américain au Viêt-nam. Selon Ball, le coût de l’engagement doit être mesuré en des termes politiques, c’est-à-dire l’intérêt national,  l’impact sur le prestige, le soutien international,…. Par conséquent, G.Ball estime que l’engagement  ne vaut nullement la peine et que la situation est en rien comparable à la Corée, où là les intérêts américains étaient en jeu. Il donne cinq raisons que nous avons résumées dans un tableau[57] :

Tableau:

 Comparaison entre la Corée et le Viêt-nam

Corée

Viêt-nam

Engagement sous mandat des N.U. Non-mandaté par les N.U.
Les forces onusiennes sont représentées par 53 nations. Intervention américaine sans aide substantielle d’autres pays
Gouvernement stable Chaos
Nouvelle indépendance, fraîcheur Fatigué des conflits
Attaque massive du Nord (guerre conv.) Infiltrations (guérilla)

  Ball estime que les bombardements entraîneront un accroissement des infiltrations. L’accroissement des infiltrations entraînera à son tour des attaques sur les bases aériennes américaines, ce qui entraînera un déploiement de forces terrestres afin de les défendre. L’introduction des forces terrestres signifiera un changement dans la conduite du conflit : américanisation de la guerre, qui entraînera une certaine frustration au sein de l’opinion publique.

Le mémorandum est discuté le 26 février par Ball, McNamara, Rusk et Johnson. Rusk et McNamara n’étant  pas convaincus par les arguments de Ball, Johnson décide de ne pas en tenir compte.

1.3.3. Envoi des troupes terrestres ?

            Une fois la campagne aérienne débutée, il est clair, comme l’avait d’ailleurs prévu G.Ball, qu’ à court terme l’envoi de troupes terrestres ne se ferait pas attendre. Des troupes qui non seulement doivent sécuriser les aéroports desquels décollent les bombardiers mais qui doivent également s’attaquer au Viêt-cong, les raids aériens américains ne parvenant pas à interrompre les sources d’approvisionnement du Viêt-cong.

1.3.3.1. Les marines débarquent

Le 8 mars 1965, 3 500 marines débarquent à Da Nang. Leur mission est une mission défensive : défendre les bases aériennes et certaines provinces. Cela est confirmé dans la directive du débarquement : « The U.S. Marine force will not, repeat will not, engage in day to day actions against the Viêt-Cong. »[58]   

Une semaine après l’arrivée des marines, le général K.Johnson se rend à Saigon  et recommande à McNamara d’envoyer des troupes supplémentaires. De son côté, Johnson consulte le sénateur Mansfield mi-mars. Mansfield estime que maintenant que Rolling Thunder est lancée, Johnson n’a pas d’autre choix que d’envoyer des troupes pour défendre les aéroports. Mais cet envoi doit rester limité, sinon il entraînera un effet boule de neige.[59]  Aussi ,un nombre limité de troupes est envoyé en renfort. Fin mars ils sont 23 000.

Après que le 29 mars un attentat près de l’ambassade à Saigon ait coûté la vie à 22 personnes, le 1er avril 1965 Johnson modifie la tâche des troupes terrestres. Ceci est confirmé dans le document NSAM 328 du 6 avril : « The president approved a change of mission for all Marine Battalions deployed to Vietnam to permit their more active use under conditions to be established and approved by the Secretary of Defense in consultation with the Secretary of State. »[60]

Tout au long de cette période, entre le 29 mars et le 7 avril, des discussions ont lieu afin de savoir si  de nouveaux bataillons seront envoyés au Viêt-nam. Le projet d’envoyer des troupes supplémentaires est critiqué par l’ambassadeur Taylor. Celui-ci estime, ayant la précédente guerre d’Indochine en mémoire, que les unités américaines ne sont pas entraînées pour ce genre de combat. Taylor est  persuadé que : « The(…) rôle wich has been suggested by US ground forces is the occupation and defense of key enclaves along the coast such as Quang Ngai, Qui Nhon, Tuy Hoa and Nha Trang. Such a disposition would have the advantage  of placing our forces in areas of easy access and egress with minimum logisitic problems associated with supply and maintenance. The presence of our troops would assure the defense of these important key areas and would relieve some GVN forces for employment elsewhere. The troops would not be called upon to engage in counter-insurgency operations except in their own local defense and hence would be exposed to minimum losses. »[61]Son point de vue est partagé dans un rapport rédigé par John McCone, qui disparaîtra mystérieusement. Le 6 avril, l’envoi de 2 bataillons supplémentaires est confirmé dans le document NSAM 328.[62]

Le lendemain dans un discours à l’université John Hopkins, Johnson annonce sa volonté d’ouvrir des négociations avec Hanoi. Il va même jusqu’à  proposer un arrêt des bombardements durant une semaine au mois de mai. A première vue son discours semble être en contradiction avec le document NSAM 328. Il ne l’est pas. La date de ce discours n’est pas innocente. Officiellement, elle est liée au reproche de l’opinion publique à l’égard de l’administration d’éviter d’ouvrir des négociations. Mais il y a une autre raison, bien plus importante. Grâce aux informations obtenues par différentes agences de renseignements, Johnson sait que Hanoi n’a nullement l’intention d’ouvrir des négociations. L’administration estime au contraire que le conflit va s’étendre et que d’un point de vue politique, il sera plus facile de faire accepter à l’opinion publique l’engagement des forces terrestres dans des missions offensives, si un arrêt des bombardements a lieu, montrant la bonne foi de l’administration.

1.3.3.2. Débat sur un envoi massif de troupes terrestres

Dès le 11 avril, Westmoreland renouvelle sa requête pour de nouveaux renforts. Il est soutenu dans son action par le JCS et le CINCPAC. Ces renforts sont accordés par Johnson sous la pression de McNamara le 13 avril. Cette décision se fait cependant sans consulter  Taylor, qui exprime son désaccord dans un câble adressé le 14 à D.Rusk et dans un autre le 17 adressé à Bundy. Johnson ayant été mis au courant de l’opposition de Taylor, suspend les décisions jusqu’après la réunion prévue le 20 à Honulu. A cette réunion, Taylor se retrouve isolé, étant entouré par des conseillers plus faucons que lui: Bundy, McNaughton, l’amiral U.G. Sharp, le général Wheeler, Westmoreland et McNamara. Aussi, il ne peut qu’acquiescer. Malgré que Taylor avait encouragé  le déploiement de forces terrestres en 1961, (cfr.supra) il s’oppose donc farouchement à ce déploiement en 1965. L’auteur H.R. McMaster estime que par le déploiement massif des troupes, Taylor devrait admettre l’échec de son programme anti-guérilla[63] et que pour cette raison il s’y oppose.[64]

Le lendemain, G.Ball tente, à son tour, de convaincre Johnson de ne pas faire l’erreur d’envoyer des troupes et propose d’entamer des négociations. Etant isolé, il n’hésite pas à faire appel à deux personnalités : D.Acheson et le juge W.Cutler. Il tente également de rallier à sa cause Taylor et A.U. Johnson. Ces derniers s’y opposent, estimant les conditions de négociations proposées par Ball inadmissibles[65].

Le 21 avril 1965 McNamara recommande donc d’envoyer de nouveaux bataillons. Dans un premier temps, l’envoi de  six bataillons (40 000 hommes) est décidé, l’envoi d’autres bataillons est remis à juin.[66]

A côté de McCone, Ball, Taylor et Humphrey [67], Clifford, un des conseillers de Johnson, s’oppose également à un déploiement de troupes et rédige dans une lettre adressée à Johnson, datée du 17 mai 1965 : « (…) I believe our ground forces in South Vietnam should be kept to a minimum, consistent with the protection of our installations and property in that country. My concern is that a substantial buildup of US ground troups would be construed by the communists and by the world, as a determination on our part to win the war on the ground.This could be a quagmire. It could turn into an open end commitment on our part that would take more and more ground troops, with a realistic hope of ultimate victory. I do not think the situation is comarable to Korea. The political posture of the parties involved, and the physical conditions, including terrain, are entirely different. I continue to believe that the constant probing of every avenue leading to a possible settlement will ultimately be fruitful. It won’t be what we want, but we can learn to live with it. (…)»[68] De plus, C Clifford estime: « Je ne pense pas que nous puissions vaincre au Sud-Viêt-nam. Si nous envoyons 100 000 hommes de plus, les Nord-viêtnamiens en feront autant. Si le Nord Viêt-nam manque d’hommes, la Chine enverra des volontaires. »[69] Il n’est pas tenu compte de ces avertissements tellement la confiance règne au sein du Pentagone et du département de la Défense (McNamara, McNaughton[70]) après l’intervention en République Dominicaine. Rusk ,quant à lui, raisonne en fonction de l’intérêt de réputation : « Si le monde communiste s’aperçoit que nous ne tenons pas nos engagements jusqu’au bout je ne sais pas où il s’arrêtera. »[71]

1.3.3.3. Une nouvelle requête de Westmoreland

Début juin, après que l’armée sud-viêtnamienne ait connue de lourdes pertes et que soient arrivés au pouvoir, après  un énième coup d’Etat, le général Nguyen Van Thieu et le général Ky, Westmoreland réclame à Johnson un renfort des effectifs afin de reprendre l’initiative à l’ennemi. Ce renfort, si accordé, porterait la présence américaine à 125 000 hommes. Entre le 8 juin et  le 23 juin, suivent alors une série de réunions qui n’aboutissent  à rien. A la réunion du 23 Johnson ordonne à G. Ball et McNamara de faire une étude pour le premier juillet sur les effets d’un envoi supplémentaire de troupes terrestres.

1.3.3.3.1. Analyse des mémorandum

            Le premier juillet le président Johnson reçoit quatre mémorandum au lieu de deux.  Durant la semaine du 23 juin au 1er juillet, Rusk et W.Bundy prennent la liberté d’écrire également un mémorandum.  Il ne serait pas étonnant que Bundy et Rusk aient écrit leur mémorandum  à la demande de McNamara, afin de renforcer la position des faucons.

Ball propose de maintenir le déploiement de troupes à 70 000 hommes en limitant leur rôle dans les combats. Dans son mémorandum, il encourage aussi l’ouverture de négociations avec Hanoi, estimant qu’un retrait tactique du Viêt-nam serait la meilleure solution, le gouvernement de Saigon étant inexistant. [72]

            Rusk estime au contraire qu’il faut éviter la prise de Saigon par le Nord, même si cela signifie une guerre totale, car l’intérêt de réputation est en jeu. Un abandon de Saigon signifierait que Washington ne tient pas compte de ses engagements. Cela laisserait la voie libre au bloc communiste.

W.Bundy recommande l’envoi de 15 000 hommes supplémentaires (total de 85 000 hommes) et propose une campagne aérienne sur le Nord. Toutefois, il souhaite un  délai pour envoyer de nouveaux bataillons. Celui-ci a comme objectif de permettre au peuple américain de le préparer à l’engagement de troupes  dans les combats.  [73] 

McNamara, enfin recommande une décision immédiate pour passer des 15 bataillons déjà présents à 44 bataillons, tout en argumentant pour une intensification de la campagne aérienne et le minage des ports. Dans le courant du mois de juillet il se rétracte sur ce dernier. Il est soutenu dans ses recommandations par le JCS, mais celui-ci veut encore aller plus loin : minage des ports, des voies de ravitaillement avec la Chine, les sites SAM , …

A côté de ses conseillers Johnson fait également appel au groupe des Sages et à Eisenhower.

1.3.3.3.2. Le groupe des Sages

            Le 7  juillet Johnson fait appel au groupe des Sages. A cette réunion participent entre autres D. Acheson, le général O. Bradley, J Cowles, R.Gilpatric, l’ancien sous-secrétaire d’Etat R Lovett,… Tous sont convaincus de la théorie des dominos et dès lors préconisent un envoi massif de troupes afin d’arrêter l’envahissement communiste.

1.3.3.3.3. Eisenhower

Durant tout le mois de juin, Johnson, par l’intermédiaire du général Goodpaster, est en contact avec Eisenhower. Durant ces contacts, Eisenhower pousse Johnson à s’engager de manière plus sérieuse, d’abandonner les missions défensives, et dès lors de reprendre l’initiative sur le terrain. Quelques semaines plus tard, au mois de juillet dans une conversation téléphonique Eisenhower estime qu’il est bien trop tard pour envisager autre chose qu’un engagement : « When you once appeal to force in an international situation involving military help for a nation, you have to go all out. »[74] 

En définitive, les conseillers, à l’exception de Ball, sont d’accord sur les objectifs mais diffèrent légèrement sur les moyens de les atteindre.

1.3.3.3.4. L’opinion publique

            Durant cette période, l’opinion publique soutient la prise de décision du président. A la question : les Etats-Unis doivent-ils se retirer ou continuer leur effort ?,  20 % soutiennent une  politique de retrait, 66% par contre souhaitent un engagement continu, 14% sont sans opinion.

Tableau :

Point de vue de l’opinion publique en mars-avril et juin 1965

           

March-April June
Pull out 19 20
Continue efforts 66 66
No opinion 15 14

Source : D.M. BARRET, Uncertain Warriors : Johnson and his Vietnam Advisers, op.cit., p. 47.

A la question : comment les Etats-Unis doivent-ils faire au Viêt-nam ?, la majorité soutient une stratégie de conflit, mais la majorité des interrogés ne peut choisir une politique à suivre.

Tableau  :

Division sur les moyens d’atteindre les objectifs.

April May Early June June
Withdraw

17

13

13

12

Negotiate, stop fighting

12

12

11

11

Continue present policy

14

13

16

20

Step up present efforts

12

8

6

4

Declare war

19

15

17

17

Other

5

6

4

5

No opinion

12

35

33

28

Source : D.M. BARRET, op.cit., p. 48.  

            En résumé, l’opinion publique soutient les objectifs à atteindre, mais est divisé dans  les moyens de les atteindre.

1.3.3.3.4. Le Congrès

Début mai, Johnson confronté à la crise en République Dominicaine, en profite pour demander au Congrès de nouveaux capitaux (700 millions de dollars) pour financer l’intervention en République Dominicaineet au Viêt-nam. Le 4 mai Johnson  déclare devant le Congrès : « This is not a routine appropriation. For each member of Congress who supports this request is also voting to persist in our effort to halt communist aggression in South Vietnam. Each is saying that the Congress and the President stand united before the world in joint determination that the independence of South Viet-nam shall be preserved and communist attack will not succeed. »[75] Il précise également qu’un vote négatif, serait un vote contre les militaires, qui risquent quotidiennement leur vie. L’objectif de Johnson est de renouveler implicitement la Résolution du Tonkin. Il réussit son pari. La loi est adoptée par 408 voix contre 7 à la Chambre et 88 voix contre 3 au Sénat. Par rapport au vote d’août 1964, il perd une voix au Sénat et 7 à la Chambre. Ce qui est  infime, si nous prenons en compte les événements depuis août 1964. Johnson parvient donc à forcer la main au Congrès, une chose que fait de manière plus au moins similaire Nixon. (Cfr. Infra) 

            Vers le mois de juillet, les conservateurs du Congrès font pression pour une augmentation massive du budget de la Défense, afin de financer les opérations additionnelles en cours et les nouveaux efforts en perspective. Les représentants G. Ford et M.Laird préconisent 1 à 2 milliards de dollars de crédits militaires supplémentaires et le rappel d’au moins 200 000 réservistes. Simultanément, une série de lois concernant la Grande Société est votée ou en phase d’être votée.[76]

            Malgré un soutien considérable de la société américaine, Johnson comme il l’a fait précédemment cherche une confirmation et envoie McNamara en mission à Saigon. Tout comme fin janvier, alors que sa décision est déjà prise à 95 %, Johnson envoie un conseiller au Viêt-nam.[77]

1.3.3.3.5. La mission McNamara et l’étude du groupe ad hoc

McNamara est donc envoyé le 14 juillet au Viêt-nam afin de déterminer les conséquences de l’envoi de troupes. Le 17 juillet C.Vance envoie un message à McNamara lui expliquant qu’il a rencontré le président Johnson et que celui-ci a pris une décision. Dans son message, Vance résume ce que lui a déclaré Johnson :«  It is his current intention to proceed with 34 -battalion plan. (….) » [78]

            Au début du mois, Johnson demande à un groupe d ‘études ad hoc sous la direction du général A. Goodpaster, d’étudier si les Etats-Unis peuvent gagner la guerre, s’ils faisaient tout ce qui était possible. Déjà, dès le départ la question est faussée, puisque la volonté de maintenir une politique de guerre limitée est contradictoire avec la volonté de faire tout ce qui est possible. Le groupe conclut qu’une victoire nécessiterait des forces additionnelles, une campagne aérienne illimitée, l’élimination des restrictions, le rappel des réservistes,… Cet avis est partagé par  la majorité des généraux du JCS.  Par exemple le général Greene des marines estime qu’il faudra 5 ans et 500 000 hommes pour l’emporter.[79]   Le système décisionnel de Johnson étant tellement informel, le rapport arrive chez McG. Bundy le 21 juillet, alors qu’il est terminé depuis le 14. Le rapport arrive  donc quatre jour après que Johnson  ait annoncé officieusement sa décision d’envoyer 34 bataillons, alors que dans ce rapport les militaires recommandent entre 7 et 35 bataillons de plus que les 34 en question.  Il est plus que probable que sous le système plus formel d’Eisenhower le rapport serait  arrivé sur le bureau du président bien avant le 17 juillet.

A son retour, le 21 juillet, McNamara en profite pour renforcer ses recommandations antérieures. Dans son rapport, il fait trois propositions[80] :

1.   retrait en évitant une humiliation ;

2.   maintien le niveau actuel ;

3.    accroissement de manière substantielle de la pression militaire.

Des trois propositions, seule la troisième est élaborée dans son rapport, ce qui exclut d’office les deux autres. (système de la Boucle d’Or cfr. supra)  Avant l’adoption de cette troisième option, Johnson organise encore entre le 21 et le 27 juillet une série de réunions.[81] Il y a deux raisons, selon nous à ces réunions. D’une part faire croire à l’opinion publique, le Congrès et les médias que toutes les options sont analysées. D’autre part, cette incertitude typique qui pousse Johnson à recevoir une dernière confirmation.

1.3.3.3.6. L’annonce officielle de l’envoi massif de  troupes

La décision est prise donc à une réunion du C.N.S. le 27 juillet. Johnson propose le 27 juillet cinq solutions, tout en estimant que quatre s’excluent d’elles-mêmes :

·      utilisation de la Strategic Air Command ;

·      le retrait ( proposé par G.Ball) ;

·      maintien provisoire des forces au nombre actuel : +/- 85 000 hommes (proposé par W. Bundy) ;

·      demande de budgets considérables au Congrès, rappel des réservistes, déclaration de l’état d’urgence (proposé par les militaires) ;

·      accorder à Westmoreland les renforts demandés.(proposé par McNamara) ;

            Après s’être garanti le soutien des leaders du Congrès, Johnson prend la décision de mettre en pratique la cinquième solution. Les trois premières solutions s’excluent par elles-mêmes. La quatrième risque d’entraîner la Chine dans le conflit et de donner trop de pouvoir au Congrès[82]. Par contre la cinquième solution, selon les arguments de Johnson :[83]

ð   permet d’éviter la théorie des dominos ;

ð   évite de nouveaux débats destructeurs, comme cela avait été le cas après la perte de la Chine ;

ð   permet de maintenir l’intérêt de réputation.

Le 28 juillet L.B.Johnson annonce à la presse : « …J’ai ordonné aujourd’hui l’envoi au Viêt-nam de la Division Aéroportée et de certaines autres forces qui porteront presque immédiatement notre puissance de combat de 75 000 hommes à 125 000 hommes. Des troupes supplémentaires seront nécessaires par la suite et seront envoyées sur place. »[84]  Aussi, entre mars et décembre 1965, les forces américaines passeront de 23 000 à 184 300.

Durant les jours qui suivent l’annonce faite par le président Johnson, la plupart des Américains expriment leur soutien à  la décision :57% approuvent la façon dont Johnson gère la situation au Viêt-nam. En septembre,  un autre sondage révèle que 70% du peuple américain soutient l’idée que c’est au Viêt-nam que les Etats-Unis doivent se battre contre le Communisme.[85]

1.3.3.3.7. Réaction du JCS à  l’annonce du 28 juillet par un mémorandum

Les militaires se sentent floués, car, la cinquième proposition, si elle satisfait  partiellement les renforts demandés, elle ne prend pas en compte les recommandations du groupe d ‘étude ad hoc.

Aussi, début août le JCS présente dans un mémorandum les résultats du jeu de simulation SIGMA II-65 qui est une mise en pratique de la décision du 28 juillet. Comme les jeux précédents de simulation, l’objectif est d’analyser quelles sont les conséquences des décisions prises sur le terrain. Les résultats sont négatifs et comme les fois précédentes le rapport sur SIGMA II-65 est à peine analysé.[86]

Le mémorandum étudie également les différents scénarios d’invasions par le Nord du Sud et la manière de les contrer. Sur le terrain les études faites par les services secrets militaires établissent trois scénarios d’invasions[87] (Annexe carte :

1.   scénario 1 :  attaque frontale à travers la DMZ et la Highway 1

2.   scénario 2 :  attaque à travers les montagnes du Laos

3.   scénario 3 :  attaque à travers le Mékong. 

Pour contrer ces scénarios, les militaires proposent une opération répartie sur trois niveaux :

1.   établir des périmètres de sécurité autour des différentes bases.

2.   renforcer les positions au tour des trois zones d’invasions possibles.

3.   une contre-offensive contre le Nord – Viêt-nam. 

            Dans ce mémorandum, le JCS prévient également du danger d’une intervention graduée[88], qui limite les choix tactiques et stratégiques, et permet au Viêt-cong et aux Nord-viêtnamiens de suivre la même allure au niveau des renforts[89] .

Le mémorandum est totalement ignoré par les conseillers civils. Il arrive dans les mains de McNaughton et de McNamara qui estiment que si certaines idées sont intéressantes, le document de manière générale ne l’est pas et ne nécessite dès lors pas plus d’approfondissement.[90]

1.3.3.3.8. Stratégie sur le terrain

Westmoreland estime que l’engagement américain sur le terrain se déroulera en trois  phases :

a)   envoi de troupes afin d’arrêter the losing trend avant fin 1965.

b)  durant la première moitié de 1966 s’attaquer au high priority areas pour détruire les forces ennemies et instaurer des programmes de pacifications.

c)   si l’ennemi persiste, il ne tiendra que durant une période d’un an, un an et demi.

Cette stratégie suppose implicitement une quatrième phase : celle de l’invasion du Nord – Viêt-nam. Or, celle-ci ne sera jamais envisagée à la Maison Blanche.

Durant les mois qui suivent aucune décision importante est prise. Sur le terrain, les troupes américaines combattent plusieurs fois le Viêt-cong[91] (Opération Starlite, la bataille de Ia Drang…)

1.4. Conclusion

Les décisions prises par le président Johnson en hiver et été 1965 de lancer respectivement une guerre aérienne et un envoi massif de troupes forment le tournant de l’engagement américain dans la guerre du Viêt-nam.

            Durant cette période, entre novembre 1963 et juillet 1965, Johnson prend une série de décisions dont il ne réalise pas au moment même les conséquences. Sa politique de demi-mesures, due aux élections présidentielles, à l’environnement international, à son projet de Grande Société, à son système décisionnel, à son caractère,… entraîne les Etats-Unis dans le bourbier vietnamien. Tous ces facteurs à des degrés différents jouent un rôle dans la manière dont Johnson prend ses décisions. De plus la prise de décision est rendue difficile, compte tenu de l’incapacité de l’administration de définir le conflit (guerre civile ?, guerre limitée ?, qui est l’agresseur,…)  et de comment y réagir. Nous revenons sur ces points dans le troisième chapitre de cette partie.


 


[1] COLLECTIF, op.cit., p. 80.

[2] Ch-P DAVID, op.cit.,  p. 203.

[3] C.ISAKSON, « JFK/ Vietnam », Research Paper, US History, 1996 (johnster@erols.com)

[4] La comparaison du NSAM 263 (cfr supra le rapport Taylor-McNamara) de l’ébauche et du NSAM 273 a servi à  l’auteur John Newman du livre JFK and Vietnam et au film d’Oliver Stone « JFK » de montrer que JFK avait eu la volonté de se retirer du Viêt-nam sans que la victoire soit acquise.  Sur notre point de vue nous vous renvoyons au point 2.4. de la troisième partie.

[5] W.PINCUS, « LBJ uncertain about Vietnam, new tapes show », The Seattle Times, October 12, 1996.

[6] Ibidem.

[7] « Johnson in 1964, saw war in Vietnam as Pointless », NewYork Times,  February 15, 1997.

[8] Dr H-C TRAN-MINH TIET, Les relations américano-vietnamiennes (de Kennedy à Nixon), tome 1, Nouvelles éditions latines, 1971, p.147.

[9] H.P.FORD, CIA and the Vietnam Policymakers : Three Episodes 1962-1968,  Center for the study of Intelligence, April 1997 (www.odci.gov/csi.).

[10] Opérations DeSoto : l’objectif de ces opérations consistait à repérer les radars et stations radios ennemis à partir d’un comvan, container installé sur un destroyer, rempli d’appareils d’écoutes et autres. Les opérations Desoto ont eu lieu en décembre 1962, avril 1963, février 1964 et  juillet 1964.

[11] PTF : Fast Patrol boat (acronym used for certain vessels the size of  a Patrol Torpedo boat but not equiped with torpedoes ) utilisé pour les opérations OPLAN 34 A

[12] E.E. MOISE, Tonkin Gulf and the escalation of the Vietnam War, London, University of North Carolina Press, 1996, pp. 55-85.

[13] L. JOHNSON, op.cit., p. 145.

[14] E.E. MOISE, op.cit, p. 99.

[15] Ibidem, p. 109.

[16] J. COHEN,N. SOLOMON, « 30-year anniversary :Tonkin Gulf lie launched Vietnam war », July 27,1994.

[17] R.E. FORD, « New light on Gulf of Tonkin »,Vietnam, vol.10, n°2, August, 1997.

[18]Ibidem

[19] Le 7 août 1964, avant le vote le sénateur Morse déclarait : « I believe that within the next century, future generations will look with dismay and great disappointment upon a Congress which is now about to make such a historic mistake. »,  R.E.FORD, « New Light on Gulf of Tonkin », Vietnam, vol. 10, n° 2, August, 1997.

[20]A SCHLESINGER, op.cit., p. 190.

[21] G .LE QUANG,op.cit, p. 11.

[22] M. DELAPORTE, op.cit., pp.104-112.

[23] Il pouvait répondre à l’invasion nord-coréenne sans autorisation du Congrès.

[24] T. GITTINGER, op.cit., p. 19.

[25] J.A. NATHAN, J.K. OLIVER, op.cit., p. 521.

[26] R.McNAMARA, op.cit., pp.139-140.

[27] Ibidem, pp. 143-144.

[28] T.GITTINGER, op.cit., p. 39.

[29] J. SPANIER, E.M.USLANER, op.cit., p.49.

[30] Les opérations DeSoto et OPLAN avaient été suspendues après les incidents du Tonkin.

[31] En cas de représailles 94 cibles potentielles sont définies.

[32] Pour plus de détails, consulter H.R. McMASTER, op.cit., pp.155 es.

[33] Les élections seront gagnées haut la main. Au Sénat les démocrates contrôleront 68 des 100 sièges et 295 sièges dans la Chambre des Représentants sur 435.

[34] Pentagon Papers, pp. 365 es.

[35] S. KARNOW, Viêt-nam, Paris, Presse de la Cité, 1984, p. 240.

[36] L.H. GELB, R.K. BETTS, op.cit., p. 109.

[37] B.VanDeMark, Into the Quagmire, Oxfrod, Oxford University Press, 1995, p .37.

[38] «  Do all of you understand English ? I told you all clearly at General Westmoreland’s dinner  we Americans were tired of coups. Apparently I wasted my words. Maybe this is because something is wrong with my French because you evidently didn’t understand. I made it clear that all the military plans which I know you would like to carry are dependent on gouvernmental stability. Now you have made a real mess. We cannot carry you forrever if you do things like this. Who speaks for this group ? Do you have a spokesman ? (…) », ( «  Account of Taylor’s meeting with Saigon General unrest » (document 89), The Pentagon Papers, pp. 379-381.) La discussion  continue dans cette atmosphere.

[39] Le sénateur Mansfield, ami de Johnson et qui tout au long du conflit a une clairvoyance assez étonnante sur la problématique (cfr.infra), est un des premiers à s’opposer à la politique de l’administration Johnson et cela dès le 9 décembre.  Il considère qu’il est impossible  de mener une campagne militaire sans un gouvernement stable. Aussi, il encourage Johnson à prendre des mesures pour instaurer une certaine stabilité à Saigon.

[40] L.H.GELB, R.K. BETTS, op.cit., p. 110  et D.L.DI LEO, op.cit., p. 79.

[41] Offensive secrète de bombardements des voies d’infiltration des Communistes dans le Sud du Laos.

[42] Dans son Etat de l’Union en mots, Johnson consacrera 130 mots au Viêt-nam et 2600 à son projet de grande Société.

[43] B.VanDeMark, op.cit., p. 47.

[44] « If I don’t go in now and they show later that I should have, then they’ll be all over me in Congress. They won’t be talking about my civil rights bill,or education or beautification. No sir, they ‘ll push Vietnam up my ass every time. Vietnam, Vietnam . vietnam right up my ass. » (B. VanDeMark, op.cit., p. 60.)

[45] J.P.BURKE, F.I. GREENSTEIN, op.cit., p. 130.

[46] « We believe that the best available way of increasing our chance in Vietnam is the development and execution of a policy of sustained reprisal against North Vietnam a policy in which air and naval action against the North is justified by and related to the whole Viet Cong campaign of violence and terror in the South. »,(Extrait de Mcgeorge Bundy’s Memo to President Johnson, February 7 1965, Pentagon Papers, pp. 423 es.)

[47]D. BARRETT, Lyndon B Johnson’s Vietnam Papers, USA, Texas A&M University Press, 1997., pp. 106-110.

[48] W.H. BRANDS, The Wages of Globalism ; Lyndon Johnson and the Limits of American Power, Oxford, Oxford University Press, 1994, p. 233.

[49] La conséquence de l’attaque de Qui Nhon est la mission Flaming Dart (mission prolongée de représailles) et non le début de Rolling Thunder. Si nous insistons sur ce point c’est parce que la majorité des ouvrages confondent les deux missions et estiment que Rolling Thunder débute mi -février. Ce qui est faux. La mission Flaming Dart constitue une opération de transition.

[50] L. JOHNSON, op.cit., p.160.

[51] C. PAGE,U.S. Propaganda during the Vietnam War, 1965-1973, New York, Leicester University press, 1996, p. 17.

[52] M DELAPORTE, op.cit., p.106.

[53] Les SNIE sont des Special National Intelligence Estimates, rédigés par la CIA

[54] SNIE 10-65 Communist military capabilities and near-term intentions in Laos and South Vietnam, point 4 et 5 (CD-rom « Classified Top Secret »)

[55] Quand les archives de l’ex-Union soviétique, de la Chine et du Viêt-nam seront ouvertes aux chercheurs, nous en saurons davantage sur les intentions de ces pays.  Même si selon nous une intervention chinoise ou russe était peu probable, aucun livre sur la problématique du Viêt-nam à ce jour n’est parvenu à donner une réponse satisfaisante à cette question.

[56] J.PATRICK, « Testing the rules of engagement »,Vietnam, vol. 10, n°4, December 1997.

[57] B.VanDeMark, op.cit., pp. 87-88.

[58] J. SHULIMSON, « The marine war : III MAF in Vietnam, 1965-1971 », Parameters, 1995.

[59] B.VanDeMark, op.cit., p. 99.

[60] The Pentagon Papers, p. 382 et pp. 442-443.

[61] COLLECTIF, Vietnam as a History : Ten Years after the Paris Peace Accords, sous la direction de P.Braestrup, op.cit., p. 27.

[62]D. BARRET, op.cit., p. 142.

[63] programme des  hameaux stratégiques (cfr Infra) et Bérets verts (cfr. Supra)

[64] H.R.McMASTER, op.cit.,p. 230.

[65] J.P.BURKE, F.I.GREENSTEIN, op.cit., pp. 195-196.

[66] U.S. Department of State,FRUS, Vol. II, 1964-1968, Vietnam, January-June 1965, Office of the Historian ( www. State.gov/)

[67] Le vice-président rédigera un mémorandum à la même période critiquant la politique américaine au Viêt-nam dont entre autres l’envoi de troupes terrestres.

[68] L.H. GELB, R.K.BETTS, op.cit., p. 371.

[69] L JOHNSON, op.cit., p. 186.

[70] McNaughton estimait les chances de succès d’ici  68’ à 50%, mais il estimait « that while going for victory  we have the strenght for compromise, but if we go for compromise we have the strenght only for defeat – this because a revealed lowering of sights from victory to compromise will unhinge the GVN and will give the DRV the smell of blood »,  Pentagon Papers

[71] L JOHNSON, op.cit., p. 185.

[72] BARRETT, op.cit., pp. 182 es.

[73] Ibidem, pp. 190 es.

[74] D.M. BARRET, op.cit., pp. 40-41.

[75] H.R. McMASTER, op.cit., pp. 282-283.

[76] R. McNAMARA, op.cit., p. 195.

[77] H.R. McMASTER, op.cit., p. 304.

[78] D. BARRET, op.cit., p. 213.

[79] G.C. HERRING, op.cit., p. 34.

[80] D. BARRETT, op.cit., pp. 213-222.

[81] Pour plus de détails cfr. J.P.BURKE, F.I.GREENSTEIN, op.cit., pp. 216-230.

[82] Le rappel des réservistes ne peut se faire sans l’assentiment du Congrès.

[83] L. JOHNSON, op.cit., pp. 189-192.

[84] L JOHNSON, op.cit., p. 192.

[85] R. McNAMARA op.cit., p. 205.

[86] J.P.BURKE, F.I. GREENSTEIN, op.cit., pp. 298-299.

[87] T.J. LOMPERIS, From People’s War to People’s Rule, London, The University of North Carolina Press, 1996, pp. 340-344.

[88] Selon la conception de la riposte graduée, le but de l’utilisation de la force n’est pas d’imposer sa volonté à l’ennemi, mais de communiquer avec l’ennemi. Une intensification graduelle de l’utilisation de la force doit amener l’adversaire à changer son comportement. C’est une approche que Johnson apprécie car elle ne remet pas en question son projet de « Grande société ». (H.R.McMASTER,op.cit., p. 62.) Aussi l’adage de Johnson est « to do what will be enough and not too much ». Enough afin d’amener Hanoï à la table des négociations et not too much afin de réaliser son projet de « Grande Société » et de ne pas entraîner l’Union soviétique et la Chine dans le conflit. Cette politique se heurte à une forte opposition de la majorité des stratèges militaires, freinés dans l’application des différentes stratégies militaires. Pour les militaires il y a deux possibilités : get out or stay and win . Car comme l’explique C. von Clausewitz : « the first duty and the right of the art of war is to keep policy from demanding things that go  against the nature of war, to prevent the possibility that out of ignorance of the way the instrument works, policy might misuse it. » (H.R. McMASTER, op.cit., p. 154.)Les militaires s’opposent à cette approche du no win et encouragent l’application de la politique du marteau-pilon. Ainsi pour le général Westmoreland : « Yet if you’ll look at the situation as it’s turned out, we basically attained our stratégic objectives. We stopped the flow of communism….. I conclude that by strength, awkwardness, and good luck, most of our strategic objectives have been reached. I also say that we have to give President Johnson credit for not allowing the war to expand geographically…he was quite fearful that this was going to escalate into a world war. One of his main strategic objectives was to confine the war. He did not want it to spread….Having said that, that’s not the way I felt at the time. I felt that our hands were tied. »,in W.W. ROSTOW, « The case for the Vietnam war », Parameters, Winter 1996-1997.

[89] L’envoi de 10 000 soldats américains, entraînerait l’envoi de 10 000 nord-viêtnamiens ou de mille guérilla Viêt-cong cfr. explication point 3.4.3. partie trois

[90] G.C. HERRING, op.cit., p. 41.

[91] Sur le terrain afin de combattre le Viêt-cong, l’armée américaine organise des opérations de search and destroy d’envergure.Celles-ci s’avèrent toutefois, particulièrement difficiles dans une jungle épaisse, truffée de pièges et permettant à un ennemi omniprésent de disparaître et réapparaître à tous moments. Aussi de nombreux responsables américains estiment que la politique de search and destroy est inappropriée dans les circonstances particulières de cette guerre. Ainsi certains, comme Sir Thompson, ancien commandant en chef des forces de contre-guérilla en Malaisie, penchent pour le concept de contre-insurrection (Counter Insurgency) en réponse à la guerre de guérilla. Cette stratégie implique une étroite coordination des stratégies politique, militaire et sociale pour isoler la guérilla des populations et gagner leur fidélité. Pour Sir R. Thompson : «  Counterinsurgency is like trying to deal with a tomcat in an alley. It is no good inserting a large, fierce dog. The dog may not find the tomcat ; if he does, the tomcat will escape up a tree ; and the dog will then chase the female cats. The answer is to put in a fiercer tomcat. » ( A. SCHLESINGER, A bitter heritage, Vietnam and american democracy :1941-1966, Houghton Miffin Company, 1966, p. 43.)D’autres estiment que la stratégie dénommée Combined Action Program serait la solution. Cette stratégie prévoit des pelotons de marines spécialement entraînés à protéger les villages, où une assistance sociale et médicale serait dispensée. ( politique des hameaux stratégiques). (« La mauvaise stratégie »,  Nam, n°1, éd Atlas, 1987, p.12.)

 

 

 

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Chapitre IV : Analyse de la prise de décision

Il est très difficile d’analyser la prise de décision de l’administration Kennedy à propos du Viêt-nam puisque comme nous l’avons vu à travers les faits, elle ne suit aucune logique. En outre, aucune décision fondamentale n’est prise sur le Viêt-nam sous l’administration Kennedy. Toutefois, il est possible de faire une série d’observations.

Concernant, l’influence de certaines variables nous vous renvoyons au chapitre consacré à la prise de décision sous Johnson dans la quatrième partie, car nombreuses caractéristiques présentes sous Kennedy sont également présentes sous Johnson mais de manière plus explicites.

4.1. La structure décisionnelle

Le président Kennedy opte pour une centralisation du processus décisionnel au sein de la Maison Blanche et pour des conseillers indépendants de toutes contraintes institutionnelles. Aussi, Kennedy rejette le système bureaucratique, formel d’Eisenhower.

La structure décisionnelle de Kennedy se définit donc par un système informel, direct et peu bureaucratique. Elle se distingue également par sa collégialité et le rôle important rempli par les conseillers.(cfr. partie I pour l’explication théorique de la structure collégiale) Par conséquent, ce système se caractérise comme l’explique Ch-P David par [1]:

1. l’ action directe , plutôt qu’une longue procédure bureaucratique ;

2. une résolution des problèmes entre les conseillers plutôt que dans un contexte d’une gestion organisationnelle ;

3. en exigeant de ses collaborateurs qu’ils débattent devant lui des options de politiques, Kennedy favorise une recherche créatrice des possibilités optimales de prises de décision;

4. une approche informelle afin d’encourager l’expression honnête et sans restriction organisationnelle des points de vue des différents conseillers;

5. le président, à l’occasion s’enquière de l’état d’une question en communiquant directement avec les bureaucrates concernés.

Ces caractéristiques ne valent que si le système collégial est appliqué de manière correcte. Ce qui est loin d’être le cas ici, car l’administration Kennedy se caractérise plutôt par Closed politics[2] : plus la situation devient sensible, plus les experts et les départements sont exclus et plus ce sont les conseillers du président qui prennent la relève. Les experts sont remplacés par des gens loyaux à l’administration. Dès lors, il n’est pas étonnant que ce soient McGeorge Bundy et R. McNamara qui jouent les rôles principaux dans la prise de décision.

Les décisions sont prises en petit comité ayant comme conséquence que l’administration Kennedy ne tient nullement compte d’une série d’options par réticence de consulter des experts dans certains domaines.

4.2.La variable bureaucratique

Si le système se caractérise par la collégialité due à la bonne entente entre les différents conseillers et secrétaires, au niveau des départements il y a une forte rivalité et en même temps une forte divergence à l’égard de la politique à suivre. Le Pentagone et le département d’Etat ont une approche totalement différente du problème.

Pour le premier cité il faut un envoi considérable de forces américaines non seulement pour former l’armée sud-viêtnamienne, mais également pour une intervention américaine.

Pour le département d’Etat par contre, l’intervention américaine doit se limiter aux conseillers et instructeurs, afin que l’armée sud-viêtnamienne puisse se défendre seule. Le département d’Etat attache également une grande importance aux réformes, ce qui n’est pas le cas du département de la Défense.

Ainsi, nous avons pu observer à travers la relation des faits que l’étude des options par les organisations est étroitement liée à leurs missions et à leurs programmes et que ces organisations ne peuvent examiner les problèmes d ‘une façon vraiment détachée. Les départements cherchent uniquement les informations qui confirment leurs options et protègent leurs intérêts. En outre, ils ne présentent que les options qui satisfont exclusivement leurs besoins propres.

Aussi, le C.N.S. qui parvient sous Eisenhower à examiner toutes les propositions et à obtenir une politique cohérente, ne remplit plus ce rôle sous Kennedy. Au niveau du C.N.S., l’accent est mis dorénavant sur le Conseiller à la sécurité nationale, qui perd sa neutralité. Bundy et son personnel n’hésitent pas à s’attribuer des fonctions jusqu’alors entièrement dévolues au département d’Etat : gestion des crises, négociations, planification des options,…

Par rapport à la structure décisionnelle d’Eisenhower, il n’y a pas de Planning Board sous Kennedy pour discuter de ces divergences. Par conséquent, le C.N.S. ne parvient plus à forcer les organisations à formuler des analyses en fonction de l’intérêt national. Ce qui a comme conséquence que le C.N.S., dont le rôle à l’origine est celui d’une agence centrale neutre devant concilier les différents points de vue des différents départements, ne remplit plus cette tâche. Le C.N.S. avec à sa tête le Conseiller à la sécurité nationale agit en fonction de ses intérêts propres et non plus en fonction de l’intérêt national. Il se profile donc comme une nouvelle organisation concurrente aux différents départements. Cette situation va évidemment encore accroître les tensions entre les différents départements et agences.

Aussi, les seuls à pouvoir proposer et à discuter des options ce sont les conseillers, avec en position de force le secrétaire à la Défense et en position de faiblesse, le secrétaire d’Etat. Au niveau de la prise décision, le département de la Défense prend donc les choses en main et cela au détriment du JCS et du département d’Etat.

4.3. La variable du rôle et la variable individuelle

La variable du rôle est très présente sous Kennedy. Nous vous renvoyons d’ailleurs au chapitre consacrée à l’équipe décisionnelle, qui reprend de manière détaillée la variable du rôle.

S’il est évident que la personnalité de J.F.Kennedy joue un rôle important durant sa présidence, cela est peu le cas concernant le Viêt-nam vu son indifférence sur le sujet jusqu’à juillet 1963.

4.4. La variable systémique et l’approche cognitive

Plus que tout autre président confronté au conflit vietnamien, Kennedy perçoit le monde sous l’angle de la bipolarité. Cela s’explique partiellement par la situation internationale de l’époque, mai surtout par sa conviction personnelle que le Communisme est synonyme du Mal. Deux exemples :

n son soutien plus au moins officiel au sénateur McCarthy (cfr. supra)

n En 1956, Kennedy se prononce sur le cas du Viêt-nam de la façon suivante devant l’association des « Amis américains du Viêt-nam »: « Le Viêt-nam représente la pierre angulaire du monde libre en Asie du Sud-Est, la clef de voûte, le doigt qui retient l’eau de l’autre côté de la digue (…) La Birmanie, la Thaïlande, l ‘Inde, le Japon, les Philippines et bien évidemment, le Laos et le Cambodge (…) seront menacés si la marée rouge du communisme déferle sur le Viêt-nam.(…) Il appartient aux Etats-Unis, poursuit Kennedy, de défendre la liberté de ce pays, de soutenir son expansion économique, parce que c’est notre rejeton, nous ne pouvons pas l ‘abandonner ni ignorer ses besoins. » [3] (théorie des dominos).

Ainsi que l’administration Truman et Eisenhower, l’administration Kennedy est persuadée qu’abandonner le Viêt-nam serait un nouveau Munich, qui ferait tomber comme des dominos[4] tous les pays de la région dans le giron-sino-soviétique. De plus, l’Amérique ne peut renoncer à défendre les démocraties sans trahir sa mission séculaire.

A cela, s’ajoute le souvenir de l’échec de la Baie des Cochons, du Laos et du sommet de Vienne. Par conséquent, il n’y a pas seulement la théorie des dominos qui régit la politique menée, mais également l’intérêt de réputation. Ceci se confirme après le sommet de Vienne après lequel Kennedy aurait déclaré « Now we have a problem in making our power credible, and Vietnam looks like the place »[5]

4.5. La variable institutionnelle

Du temps de Kennedy, l’intervention au Viêt-nam ne soulève aucun problème au Congrès. Le Congrès donne sa sanction et vote les crédits nécessaires et cela pour plusieurs raisons :

Ø l’intervention est limitée et se limite officiellement à l’envoi de conseillers.

Ø la majorité des deux partis soutient la politique menée. Elle a d’ailleurs la volonté de bombarder le Nord et que l’effort de guerre soit repris par les troupes américaines. Mais elle ne fait aucun effort pour faire adopter cette politique. Ce qui est compréhensible si on tient compte des rapports de Saigon communiquant que la guerre est en bonne voie d’être gagnée. Dès lors, il n’est nullement nécessaire de bombarder le Nord ou de reprendre le fardeau.

Quant aux autres institutions de manière générale elles sont absentes du processus décisionnel.

4.6. Conclusion

En reprenant notre modèle, nous pouvons observer que le processus de la prise de décision sous Kennedy est plein de lacunes. Le modèle se veut rationnel, mais ne l’est pas. En reprenant les caractéristiques du modèle rationnel (cfr. supra), aucunes de ces étapes ne sont respectées, contrairement par exemple à l’administration Eisenhower. Dans les faits :

Ø l’information est rarement parfaite en ce qu’elle est souvent incomplète, tronquée ou teintée selon les objectifs de ceux qui la fournissent, pour être ensuite interprétée en fonction des préjugés de ceux qui la reçoivent ;

Ø la considération des valeurs et intérêts, ainsi que des options, est faite de façon largement subjective, en fonction des croyances et des structures bureaucratiques des décideurs ;

Ø l’évaluation des options est souvent fortement biaisée

Ø les décideurs ferment souvent les yeux devant les problèmes que crée la solution que l’on a mis de l’avant.

Ø ils s’obstinent à justifier leur choix et à poursuivre l’application de leur décision.

Nous revenons de manière plus détaillée sur ces caractéristiques dans la partie consacrée à la prise de décision sous Johnson

Par conséquent, nous avons un système décisionnel qui se veut rationnel et collégial, mais qui dans les faits est élitiste, impérialiste et manipulateur. Le pouvoir est assumé par un groupe soudé qui a des intérêts et préférences communes.

En conclusion, en appliquant le modèle Sui generis, nous observons que le corps du modèle est complètement tronqué. Les forces inorganisées sont absentes du processus décisionnel et il y a un début de scission entre les forces organisées[6] et l’équipe décisionnelle. Au sein des forces organisées, les différentes bureaucraties sont en conflit, ce qui encourage les propositions et options partisanes. En outre, il n’y a aucune réévaluation des décisions prises et dès lors il y a une absence quasi totale du feed-back.

Conclusion

Nous observons une administration Kennedy hésitante et pleine de contradictions. A cause d’une méconnaissance totale de la complexité du conflit, de l’absence d’informations exactes et d’une prise de décision élitiste et inefficace, la politique vietnamienne de l’administration Kennedy est une politique à court terme, sans objectifs bien établis.

Les décisions prises ont généralement pour effet d’aggraver le problème au lieu de le solutionner, laissant sur la question vietnamienne un lourd héritage à Johnson et rendant quasi inévitable l’engagement militaire américain. La critique la plus sévère que l’on puisse formuler à l’encontre des décisions de Kennedy, c’est qu’elles ont été improvisées, intermittentes, discontinues, en somme tout le contraire d’une politique réfléchie et déterminée. Aussi, durant toute l’administration Kennedy le dualisme their war-our war persiste.

[1] Ch-P. DAVID,op.cit., p. 185.

[2] « The manner and style of the President ‘s use of the Bundy operation, particularly of Mac and Walt and C. Kaysen, but the rest of us, too, was never to have more than five or six people in the thing. We had maybe twenty people in all, but a lot of them were just normal liaison types of one kind or another, or doing security jobs, or special details. The inner group was four, five or six, seldom more. » (déclaration de Komer à la bibliothèque J.FK. en1964) ,in I.M. DESTLER,L.H. GELB, A. LAKE, Our Own Worst Enemy : The Unmaking of American Foreign Policy, New York, Simon & Schuster Inc., 1984, p. 190.

[3] A. KASPI, Kennedy, les 1000 jours d’un président, Paris, Armand Colin, 1993 , p. 144.

[4] Dans le mémorandum du 11 novembre, Rusk et McNamara font référence de manière implicite à la théorie des dominos : « The loss of South-Vietnam would make pointless any further discussion about the importance of Southeast Asia to the free world ; we would have to face the near certainty that the remainder of Southeast Asia and Indonesia would move to a complete accomodation with communism, if not formal incorporation with the Communist bloc. »

[5] L.H. GELB, R.K. BETTS, op.cit, p. 70.

[6] Le Congrès soutient la politique de Kennedy, mais n’intervient pas dans la prise de décision

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Chapitre III : L’engrenage

Arrivé au pouvoir, Kennedy est très vite absorbé par Cuba, les élections au Congrès, les négociations sur les armes nucléaires, l’Amérique Latine, la crise des missiles… Aussi, il a peu de temps pour se pencher sur le problème du Viêt-nam.

C’est pourquoi, durant les premiers mois de son investiture, il délègue le problème du Sud-Est asiatique à ses conseillers. La confiance qu’il a en McNamara et l’ambassade américaine à Saigon l’amène à se ranger dans le camp des optimistes et à sous-estimer l’importance du problème vietnamien.

3.1. Méconnaissance du terrain

La nouvelle équipe hérite et accepte la conception monolithique du bloc communiste. Cette vision des choses résulte d’une ignorance et méconnaissance profonde de l’histoire asiatique et des diversités entre les différents pays de cette partie du monde. Faut-il être étonné d’une telle approche ? Non et cela pour différentes raisons.

Comme le reconnaît McNamara : « Je n’avais jamais visité l’Indochine et je ne comprenais rien à son histoire, à sa langue, à sa culture, à ses valeurs. Je n’y étais en rien sensible. On pourrait en dire autant, à divers degrés, du président, John Kennedy ; de son secrétaire d’Etat, Dean Rusk, de son conseiller à la sécurité nationale, McGeorge Bundy ; de son conseiller militaire, Maxwell Taylor ; et bien d’autres. Quand il s’agissait du Viêt-nam, nous nous trouvions en position de décider d’une politique pour une terra incognita. »[1] Contrairement à la richesse d’experts concernant l’Union Soviétique comme George Kennan, Charles Bohlen, …Washington est confrontée à un manque d’experts sur l’Asie du Sud-Est. Aussi, l’administration néglige toute analyse critique. Comme le déclare S. Hoffmann : « Nous (=les Etats-Unis) avons tendance à aborder d’une façon beaucoup trop confiante les situations les plus complexes, à les réduire à des simples questions d’organisation et très souvent sous-estimer la façon dont l’histoire et les traditions des autres pays déterminent leur attitude à l’égard des problèmes en cause. »

Cette méconnaissance de l’histoire et cette vision monolithique du bloc communiste s’explique également par l’héritage des années 1950. Cet héritage se compose de plusieurs éléments [2]:

n la perte de la Chine, la guerre de Corée et la politique asiatique du secrétaire d’Etat Foster Dulles (pactomanie) ;

n le Bureau of East Asian and Pacific Affairs est purgé de ses spécialistes, par suite du maccarthysme. La seule politique tolérée est celle de l’endiguement, de l’isolement de la Chine et l’instauration de réseaux d’alliances ;

n La vulnérabilité et sensibilité de la nouvelle administration concernant l’Asie est grande à cause du maccarthysme, mais également à la marge de victoire limitée aux élections présidentielles. Aussi, l’administration est méfiante de prendre trop vite des décisions concernant l’Asie. D’ailleurs le Bureau of East Asian and Pacific Affairs est le dernier à être remanié. Il faut attendre la nomination d’Averell Harriman comme Assistant Secretary en décembre 1961, avant que certains changements aient lieu. Cependant, trop préoccupé par les négociations concernant le Laos, Harriman ne parvient ni à modifier la composition du Bureau of East Asian and Pacific Affairs, ni d’y ramener les experts.

3.2. Mai 1961 : tentative de définition de l’engagement américain au Viêt-nam

Après une visite du vice-président L. Johnson au Viêt-nam au mois de mai 1961, une tentative de définition de l’engagement américain au Viêt-nam est mise au point. Certains, comme Rostow et le général Taylor envisagent l’envoi d’un nombre substantiel de troupes pour nettoyer le terrain et former l’armée sud – vietnamienne.[3] Le sous-secrétaire d’Etat, Bowles envisage une nouvelle conférence sur l’Indochine afin d’obtenir une Asie du Sud-Est neutre et la suspension de l’aide à Diem. [4]Le sous-secrétaire U.A. Johnson, préconise l’envoi de 200 000 hommes. Harriman, Forrestal et Hilsman estiment que seul le Viêt-nam du Sud peut gagner la guerre et que des réformes au sein du régime s’imposent. L’ambassadeur Nolting et le général P. Harkins présentent le gouvernement Diem comme un régime dirigé par une personnalité incontestablement difficile, mais ayant l’étoffe d’un homme d’Etat et en tout cas irremplaçable. La Task Force sous Gilpatric recommande un ensemble d’actions économiques, militaires et de propagande. Elle conseille également un engagement explicite des Etats-Unis auprès du Viêt-nam du Sud afin de prendre toutes les mesures nécessaires pour défendre le Viêt-nam du Sud.

Dès le début les avis divergent entre les différents conseillers du président. Une chose qui dans les mois suivants ne va que s’aggraver.

Le 11 mai 1961 à travers le NSAM-52[5] certaines décisions recommandées par la Task Force sont approuvées : l’armée vietnamienne est portée à 200 000 hommes, instauration des hameaux stratégiques (Cfr.infra), envoi de 400 militaires, la majorité étant les fameux Bérets verts[6] et l’aide à Diem est conditionnée à l’évolution du Viêt-nam du Sud vers un pays démocratique. Officiellement, seuls des conseillers militaires sont présents au Viêt-nam et ont un rôle actif de formation, officieusement la puissance de feu américaine s’installe (T 28, F102, hélicoptères, napalm, interventions clandestines contre le Viêt-cong des RVNAF[7] sous commandement des Bérets verts,…) Toutes ces opérations clandestines sont mieux connues sous le nom OPLAN 34A, OPLAN 37-64,….

En fait, le NSAM-52 réaffirme le soutien économique, politique, psychologique et militaire américain au régime de Saigon. Aussi, la première vraie décision sur le Viêt-nam vient en novembre 1961, après la mission Taylor-Rostow.

3.3. Le rapport Taylor-Rostow et ses suites

Après que la situation se soit aggravée fortement durant l’été 1961( différents attentats et assassinats), Kennedy décide d’envoyer une mission d’experts au Viêt-nam afin de se rendre compte de la situation.

3.3.1. La mission Taylor-Rostow

A la tête de la mission, il y a le général Maxwell D. Taylor et W. Rostow. L’objectif de la mission est d’étudier la situation au Viêt-nam sous ses différents aspects : militaires, politiques, économiques et de propagande.[8] Le trois novembre le général Taylor et W. Rostow remettent un rapport au président Kennedy, afin de demander un envoi substantiel de troupes américaines (8 000 militaires) au Viêt-nam.[9] Celles-ci auraient comme objectif de renforcer le moral des troupes sud-viêtnamiennes et de montrer le sérieux de l’engagement américain en Asie du Sud-Est (intérêt de réputation). Sur le terrain, les troupes rempliraient des opérations d’autodéfense et maintiendraient la sécurité dans les lieux où elles seraient déployées. Entre le moment de la présentation de ce rapport le 3 novembre et l’adoption d’une adaptation de ce rapport le 22, plusieurs membres des différents départements donnent leur avis sur les recommandations.

3.3.2. Réactions au rapport

Le JCS estime que l’envoi de 8 000 militaires doit être considéré comme un premier pas dans un engagement plus large et que d’autres envois suivront.[10]

G.Ball sous-secrétaire d’Etat s’oppose à un engagement américain au Viêt-nam. Il estime que les troupes américaines ne sont pas adaptées à la topographie vietnamienne et que si l’administration suit la voie tracée par le rapport Taylor-Rostow en moins de 5 ans, 300 000 hommes se retrouveront dans les champs de riz au Viêt-nam.[11] En fait, Ball (européaniste) craint surtout qu’un engagement à la périphérie, remette en cause le dessein d’un grand partenariat politique et économique de l’Atlantique.

Dans un premier rapport, daté du 8 novembre 1961, McNamara soutient le point de vue du rapport Taylor-Rostow : « (….)The introduction of a US force of the magnitude of an initial 8000 men in a flood relief context will be of great help to Diem. (…) »[12]Dans un second rapport, co-rédigé avec D. Rusk, daté du 11 novembre le point de vue de McNamara est un peu plus nuancé : « (A)Units of modest size required for the direct support of South Viet-Namese military effort such as communications, helicopters and other forms of airlift, reconnaissance aircraft, naval patrols, intelligence units, and (B) larger organized units with actual or potential direct military mission. Category (A) should be introduced as speedly as possible. Category (B) units pose a more serious problem (…) that they are much more significant from the point of domestic and international political factors and greatly increase the probabilities of Communist bloc escalation.» [13]

Cependant cela ne les empêchent pas dans le même mémorandum de préparer des plans pour une intervention militaire américaine : « (…)The department of Defense be prepared with plans for the use of United States forces in South Vietnam under one or more of the following purposes :

(a) Use of a significant number of United States forces to signify United States determination to defend Vietnam and to boost South Vietnam morale ;

(b) Use of substantial United States forces to assist in suppressing Viet Cong insurgency short of engaging in detailed counter-guerrilla operations but including relevant operations in North Vietnam ;

(c) Use of United forces to deal with the situation if there is organized Communist military intervention. »

3.3.3. Adoption du rapport Rostow-Taylor

Le 15 novembre, après de nombreuses discussions le département de la Défense, le département d’Etat et le JCS approuvent les recommandations faites par Taylor et Rostow. Une semaine plus tard, le 22 novembre Kennedy approuve le document NSAM-111, qui approuve un déploiement de conseillers[14] mais en un nombre moins important que celui recommandé par Taylor. Bien que rejetant l’introduction de troupes terrestres, Kennedy n’exclut nullement une intervention plus puissante : « If this doesn’t work perhap’s we’ll have to try Walt’s Plan Six ; that is, direct attack on North Vietnam. »[15]En outre, le soutien à Diem est renforcé.

Vu que l’administration dans le NSAM-111 ne s’attaque pas de manière décisive aux problèmes majeurs, c’est-à-dire Diem et les voies d’infiltration la situation sur le terrain s’aggrave durant le début de l’année 1962 : détérioration de la situation économique et sociale, tentative d’un coup d’Etat par de jeunes officiers,… L’impopularité de Diem a également des conséquences dans l’effort de guerre, dans lequel l’armée sud-viêtnamienne est de moins en moins motivée. Aussi dès le début de 1962, le JCS renouvelle sa demande d’envoyer des forces terrestres.

3.3.4. Demande du JCS de l’envoi de forces terrestres

Le 13 janvier 1962, les chefs d’Etat-major dans un mémorandum soutiennent que l’intervention de forces combattantes américaines serait un moyen efficace d’empêcher la perte du Sud et de renforcer le moral des troupes sud-viêtnamiennes. Ils renouvellent donc leur demande d’envoi de forces terrestres combattantes. Les militaires estiment que cette décision serait en harmonie totale avec la politique américaine puisque depuis 1954 Washington a clairement affirmé qu’un des objectifs inaltérables est de prévenir la chute du Sud face à l’agression communiste.

Selon les dires de McNamara « ils (les chefs d’Etat-major) se trompaient : c’était justement cette décision de base qu’on n’avait pas prise. »[16] Pourtant, n’est-ce pas Kennedy qui approuve le NSAM-52 au printemps 1961[17],n’est-ce pas McNamara et D Rusk qui rédigent un mémorandum le 11 novembre 1961 quelques jours après le rapport Taylor-Rostow dans lequel est écrit : « (…)Its loss (=Viêt-nam du Sud) would not only destroy SEATO but would undermine the credibility of American commitments elsewhere(…) It would stimulate bitter domestic controversies in the United States and would be seized upon by extreme elements to divide the country and harass the administration. (…) The United States should commit itself to the clear objective of preventing the fall of South Vietnam to communism. »[18] En outre, dans le même mémorandum, Rusk et McNamara préconisent la préparation de plans pour une intervention militaire américaine.[19]

Puis, en mars 1962, un mois et demi après la demande du JCS, McNamara déclare dans le Washington Post : « L’Asie du Sud-Est est vitale pour la sécurité du Pacifique et le Pacifique est vital pour la sécurité des Etats-Unis(…) »[20] Il y déclare également(…) mais l’usage de la seule force militaire ne vaincra pas automatiquement les communistes, s’il n’y a pas de réforme économique et sociale interne »[21] Or aucunes mesures concrètes sont prises ni pour obtenir une réforme, ni pour un engagement militaire.

Quelle est dès lors la politique menée par l’administration ?

3.3.5. La voie suivie par l’administration Kennedy.

La politique suivie n’est pas celle de l’envoi de troupes terrestres et de réformes économiques, sociales, politiques et agraires, mais bien l’envoi de conseillers (fin 1963 ils sont plus au moins 16 000). Quant aux réformes, qui sont primordiales pour la stabilité du pays, elles sont renvoyées aux calendes grecques.

Aussi, toutes les mesures prises par l ‘administration en 1961 et 1962 sont des demi-mesures, qui nous paraissent souvent contradictoires avec les objectifs établis. La politique menée se caractérise par une certaine naïveté, négligence et insouciance. Nous sommes devant une administration qui schématise de manière extrêmement simple, une problématique extrêmement complexe. En lisant les documents et les ouvrages abordant cette époque, l’impression est que l’administration analyse le problème comme un problème secondaire, sans essayer de le comprendre, persuadée que le Viêt-cong est insignifiant et convaincue que les choses se solutionneront par elles-mêmes.

Il faut attendre janvier 1963 et la mission Hilsman-Forrestal du département d’Etat pour qu’une partie de l’administration, la moins influente, réalise que la politique suivie ne mène à rien. Bien que le compte-rendu de la mission n’apporte aucune nouvelle information sur la situation au Viêt-nam, Forrestal et Hilsman estiment, dans une annexe ajoutée au rapport et adressée à Kennedy, que la politique américaine est une politique de pas à pas, fondée sur aucun dessein politique. Ils constatent également les malentendus entre civils et militaires et le manque de coordination entre les différents départements et agences.[22] Mais vu l’influence du département de la Défense par rapport au département d’Etat, la politique suivie est celle des civils du département de la Défense.

Ce qui ne laisse pas de surprendre dans la politique de l’administration Kennedy c’est le refus d’accéder à la demande du Pentagone d’un engagement direct des troupes américaines. Comme le déclare D Artaud : « Pourquoi, si les enjeux étaient si élevés, s’arrêter en chemin ? Kennedy comme le remarquera N. Podhoretz par la suite, a-t-il fait preuve de la mauvaise prudence au mauvais endroit, à la mauvaise époque, « the wrong prudence, at the wrong place and at the wrong time ? » »[23] Nous en sommes persuadés et nous rejoignons le point de vue exprimé par D.Rusk qui déclare dans ses mémoires: « …had Kennedy committed one hundred thousand men in 1962, as soon as we learned that North Vietnam was violating the Laos accords negotiated that same year, if he had pushed in a stack of blue chips at the very beginning, it is just possible the North Vietnamese would have realized we were serious. (…) But our gradual response possibly encouraged North Vietnam to speculate that we did not intend to stay the course. »[24]

Cette politique, selon nous, s’explique en partie par une certaine arrogance du pouvoir, persuadé de vaincre un peuple depuis peu décolonisé sans devoir utiliser les grands moyens. Mais, elle s’explique également par une série d’incohérences : négligence de la piste Ho-Chi-Minh, de l’histoire de l’Indochine, déficience de la stratégie,…

Telle façon de mener une politique ne pouvait qu’entraîner un retour de flamme. Cela est le cas fin 1963.

3.4. 1963 : L’année de tous les dangers

Dans son discours annuel Kennedy déclare en janvier 1963 : « The spearpoint of aggression has been blunted in South Vietnam. »[25] Aussi, de janvier à plus au moins juillet, et même encore en automne 1963 règne un certain optimisme au sein de l’administration. On n’hésite même pas à établir des plans afin de préparer un retrait du Viêt-nam fin 1965, début 1966(cfr.3.5.). Pourtant, la maîtrise américaine de la situation s’effrite petit à petit. Quatre raisons en sont la cause :

1. Les rapports sur la situation au Viêt-nam sont faussés. La raison principale est le souvenir de la situation en Chine dans les années 1940. Les officiers des différents départements à Saigon n’ont pas oublié la manière dont avaient été traités leurs collègues par les comités du Sénat pour leurs commentaires critiques concernant le nationalisme chinois. Tout rapport sur la force du Viêt-cong et la faiblesse du régime de Diem sont dès lors bannis, au risque de ne pas promouvoir dans la hiérarchie. De plus, l’ambassadeur Nolting veille personnellement à ce qu’aucun câble négatif soit envoyé.[26]

Certains fonctionnaires au sein de la CIA jouent également un rôle important dans la falsification des rapports. Ainsi en février 1962 les conclusions d’un rapport rédigé par le Board of National Estimates estime que la situation au Viêt-nam est négative : « the struggle in South Vietnam at best will be protracted and costly because very great weaknesses remain and will be difficult to surmount. Among theses are lack of aggressive and firm leadership at all levels of command, poor morale among the troops, (…) »[27] Sous l’ordre du directeur de la CIA, J.McCone les conclusions du rapport définitif sont modifiées afin de correspondre à l’optimisme des conseillers. La version finale du rapport est rédigée comme suit : « We believe that Communist progress has been blunted and that the situation is improving (…)Improvements which have occurred during the past year now indicate that the Viet-cong can be contained militarily and that further progress can be made in expanding the area of government control and in creating greater security in the countryside. »[28]

2. Le non-respect du Viêt-nam du Nord des promesses faites à Genève, le 23 juillet 1962, dans la déclaration sur la neutralité du Laos. Dans cette déclaration les pays concernés dont le Viêt-nam du Nord avaient donné leur parole [29]:

· qu’ils n’introduiraient pas au Laos de troupes étrangères, ou de personnel militaire, sous quelque forme que ce soit ;

· qu’ils n’utiliseraient pas le territoire du Laos pour intervenir dans les affaires intérieures d’autres pays ;

· que toutes les troupes étrangères, régulières ou irrégulières, les formations paramilitaires étrangères et le personnel militaire étranger devraient être retirés du Laos dans les délais les plus courts.

Or, les troupes nord-viêtnamiennes ne se retireront jamais du Laos. La piste Ho Chi Minh continue donc de fonctionner.

3. Le Viêt-cong apprend à connaître les faiblesses des armes et tactiques de l’armée sud-viêtnamienne et parvient dès lors à mieux la combattre. Un exemple est la bataille d’Ap Pac. Le 2 janvier 1963, le Viêt-cong bat l’ARVN, fortement équipée et soutenue par des hélicoptères de combat, d’artillerie,…

4. Dernier problème est la situation critique au Viêt-nam du Sud.

Kennedy et ses conseillers n’en tiennent pas compte, restant persuadés qu’ils maîtrisent encore toujours la situation. Le seul point qui leur pose problème à partir de 1963 est le régime de Saigon qui est de plus en plus dictatorial. Toutefois, il faut attendre le mois de mai et la persécution bouddhiste du gouvernement de Saigon pour enfin voir une réaction américaine à l’égard du régime de Diem et de son frère Nhu.

3.4.1. La crise bouddhiste

Avec la persécution des bouddhistes au mois de mai, le régime de Diem se retrouve dans une situation précaire. L’administration Kennedy par le biais de son chef de mission à Saigon, W. Trueheart, oblige Diem à se réconcilier avec les bouddhistes. Après quelques semaines de négociations, un accord est conclu le 16 juin. Mais très vite le bras de fer entre Diem et les bouddhistes reprend.

Ces répressions mettent l’administration Kennedy dans une situation délicate, l’opinion publique internationale critiquant le régime Diem et indirectement son créancier, les Etats-Unis. Aussi, l’ambassadeur américain Nolting, remplacé par Cabot Lodge au milieu du mois d’août, tente de convaincre Diem d’arrêter les persécutions, mais sans grand succès.

3.4.2. Réveil du département d’Etat ?

De nouvelles répressions ont lieu le 21 août sous l’ordre du général Nhu. Les différents rapports sur les violences ne parviennent cependant à Washington que le 24 août, jour où Kennedy, Rusk, McNamara, McGeorge Bundy et John McCone sont absents de Washington .C’est Roger Hilsman, convaincu que Nhu, éventuellement suivi de Diem, doit être écarté du pouvoir, qui prend les choses en main. Il est persuadé que si le duo Diem-Nhu se maintient au pouvoir, les choses ne pourront que s’aggraver.

Aussi, Hilsman rédige un câble destiné à l’ambassadeur H. Cabot Lodge dans lequel il donne le feu vert pour écarter Nhu du pouvoir.[30] Toutefois, avant d’envoyer ce câble il fallait que Hilsman obtienne l’autorisation des principaux décideurs. Avec la collaboration d’Averell Harriman et de Michael Forrestal, il va obtenir cette autorisation. Il est intéressant de reprendre un passage du livre de McNamara qui explique la manière dont l’aval est obtenu : « Les parrains du câble étaient bien décidés à le transmettre à Saigon le jour même. Ils trouvèrent G.Ball sur le terrain de golf et lui demandèrent d’appeler le président à Cape Cod. Il le fit, et J Kennedy répondit qu’il donnerait son accord à l’envoi du câble si ses principaux conseillers étaient tous de cet avis. George téléphona immédiatement à D Rusk à New York et lui dit que le président était d’accord. Dean donna son consentement, bien qu’il fût sans enthousiasme. Pendant ce temps, Averell sollicitait le feu vert de la CIA. Puisque J. McCone était absent, il s’adressa à R Helms, le directeur adjoint aux plans. Helms était plutôt réticent, mais comme D.Rusk, il donna son aval parce que le président l’avait déjà fait. »[31] [32] Il est intéressant d’observer que dans cette décision, sans que personne ait donné son accord formel, Hilsman parvient à obtenir un accord unanime. Cet accord est toutefois remis en question dès le 25 août par Kennedy, McNamara, Johnson, Taylor, Krulak et Nolting. Ils expriment de sérieux doutes sur l’idée d’intervenir contre Diem et son frère, rien ne permettant d’entrevoir que le nouveau gouvernement serait plus ouvert à des réformes. Forrestal, R. Kennedy, Harriman, Hilsman et G. Ball maintiennent par contre leur volonté d’écarter Diem, en estimant qu’en le maintenant au pouvoir, les Etats-Unis seraient obligés de se retirer. Aussi, nous constatons une division de plus en plus grande au sein de l’administration qui va se refléter dans les journaux, chaque camp divulguant des informations à la presse.

3.4.3. La mission Krulak- Mendenhall

Afin de se rendre compte de la situation, Kennedy envoie le général Krulak et J.A.Mendenhall du département d’Etat à Saigon le 6 septembre pour une visite de quatre jours. Le 10, durant une réunion du C.N.S. , Krulak estime que la guerre peut être gagnée indifféremment des défections du régime. Mendenhall rapporte par contre que la guerre contre le Viêt-cong est devenue secondaire à la guerre contre le régime et qu’il y a une grande menace de guerre civile. Kennedy semblera surpris de leurs divergences.[33]

Or pouvait-il vraiment être surpris ? Depuis le début de la crise, le Pentagone a la volonté de maintenir Diem au pouvoir, alors que le département d’Etat veut l’en écarter. A notre sens il aurait été plus sage d’envoyer des conseillers ne devant pas défendre la politique de leur département. ex. Sorensen.

Mais les désaccords ne se limitent pas au terrain politique. Ils sont également présents sur le terrain militaire. Le général Harkins, tout comme le MACV considèrent que la situation sur le terrain est en phase d’être maîtrisée, alors que les hommes de terrain estiment que la situation se détériore. Ainsi, le colonel John Paul Vann estime qu’au printemps, la marge d’erreur du body count[34] est de 40% et que la situation se dégrade.[35]

3.4.4. La mission Taylor-McNamara

Fin septembre une nouvelle mission est envoyée, la mission Taylor-McNamara. Ici encore deux questions se posent : Qu’est-ce que cette mission peut apporter de plus que la mission précédente ? Pourquoi envoyer principalement que des représentants du Pentagone ? Nous revenons sur cette dernière question.

3.4.4.1. Pourquoi envoyer principalement des représentants du Pentagone?

Les différentes missions des hauts fonctionnaires du Pentagone au Viêt-nam sont fortement contestées par le département d’Etat qui estime que ces visites sont néfastes politiquement et cela pour plusieurs raisons[36] :

Ø elles engagent les Etats-Unis de manière trop dense à l’égard du Viêt-nam et plus particulièrement à l’égard de la situation politique ;

Ø elles montrent trop leur inquiétude ;

Ø elles tendent également à faire d’un conflit vietnamien, soutenu par l’aide logistique et par des conseillers militaires, une guerre américaine.

Selon Hilsman, le président Kennedy est conscient de ce problème. Mais le JCS lui pose un problème. Le JCS étant opposé à la politique de guerre limitée appliquée au Viêt-nam, Kennedy craint une opposition publique de sa part. Une opposition qui serait probablement soutenue par une partie du Congrès et qui ramènerait les Etats-Unis à l’ère du maccarthysme. Aussi, Kennedy estime que la seule façon de ne pas mécontenter le Pentagone est de confier le dossier au secrétaire à la Défense.

Par conséquent, tant que le JCS est au courant de la politique menée par McNamara et se maintient sous son contrôle, il n’a rien à craindre.[37]

Cependant, selon nous une autre raison, que nous avons déjà développée, peut être donnée à l’influence du département de la Défense. Celle-ci est abordée dans le livre d’Hilsman, mais apparemment à son insu. Dans un des derniers chapitres de son livre , il explique que Kennedy a eu la volonté de faire du département d’Etat, l’organe principal de son administration. Cependant, Kennedy rejette la responsabilité du fiasco de la Baie des Cochons, 17 avril 1961, sur la CIA, le JCS et sur le département d’Etat. Ainsi, le département d’Etat n’ayant pas répondu à ses attentes, il s’est tourné vers le département de la Défense en désignant P.H.Nitze comme chairman of the Berlin task force et R.Gilpatric comme chairman of the Vietnam task force.[38] De plus, Kennedy trouve avec McNamara quelqu’un qui partage ses vues.

3.4.4.2. Les recommandations du rapport Taylor-McNamara

Dans leur rapport du 2 octobre, Taylor et McNamara dressent une série de conclusions et de recommandations. Ils concluent que la situation militaire progresse, mais que les tensions à Saigon sont de plus en plus importantes. Ils estiment également que rien ne permet de conclure qu’un coup d’Etat sera couronné de succès. Enfin, ils estiment qu’il n’est pas clair si les pressions exercées sur le gouvernement de Saigon porteront leurs fruits.

Dans ce rapport ils font également une série de recommandations :

1. ne pas encourager présentement un coup d’Etat ;

2. une série de mesures pour montrer leur désapprobation de la politique suivie par Diem ;

3. ….

Certaines de ces recommandations sont adoptées par Kennedy le 11 octobre dans le document NSAM 263. Nous vous renvoyons pour plus de détails au document reproduit en annexe, tout comme au point 3.4. qui traite de la controverse du retrait. Durant les semaines qui suivent ce rapport, l’administration échoue à instaurer une politique ferme à l’égard du régime de Diem et réalise, alors que quoi qu’elle fasse elle est d’office perdante. Aussi, nous partageons le point de vue de Gelb et Betts : « American officials wanted Diem to consolidate his Byzantine military command structures and intelligence networks eliminate administrative overlapping,and delegate more authority to subordinates. But in doing this Diem would be giving his political rivals the tools to make a coup against him. Moreover, any aid cuts that might have been substantial enough to induce Diem to do what the Americains wanted him to do would have been substantial enough to jeopardize the war effort. »[39] Entre-temps à Saigon, les généraux vietnamiens avec l’aide de la CIA et l’approbation tacite de Cabot Lodge, préparent activement un coup d’Etat. Le 1er novembre le régime de Diem est renversé. Malheureusement, le coup d’Etat, n’apporte pas les fruits escomptés. Les successeurs de Diem se disputent le pouvoir et le gouvernement est remanié pas moins de sept fois en 1964.

Le coup d’Etat a-t-il été une erreur ? Selon nous non, car le gouvernement de Diem était condamné à disparaître. Par contre là ,où les anti-Diem ont fait une erreur à notre sens, est de ne pas avoir désigné un successeur de l’envergure d’un Thieu, qui n’arrive au pouvoir qu’en 1965.

Ainsi, faut-il attendre l’été 1963 avant que l’administration réalise que la cause principale de l’échec au Viêt-nam est sa politique. Comme le déclare McNamara : « Au bout d’un certain temps, nous en sommes venus à comprendre que les problèmes dont souffraient le Sud – Viêt-nam et son chef rompu aux conflits Ngo Dinh Diem, étaient bien plus compliqués que nous ne l’avions initialement perçu. Et nous sommes restés divisés sur la façon de les traiter. Tout au long des années Kennedy, nous avons opéré sur la base de deux prémisses qui ont fini par se révéler contradictoires. L’une était que la chute du Sud – Viêt-nam, la prise de pouvoir communiste dans ce pays, menacerait la sécurité des Etats-Unis et du monde occidental. L’autre, que seuls les Sud – vietnamiens pouvaient défendre leur territoire et que l’Amérique devait limiter son rôle à assurer leur entraînement militaire et à leur apporter un soutien logistique. »[40]

3.5. La controverse du retrait

La controverse du retrait est née en 1971, quand certains conseillers du président Kennedy annoncent que Kennedy a eu l’intention de se retirer du Viêt-nam sans avoir vaincu le Viêt-cong.

Le 23 juillet 1962 à une réunion à Honolulu, McNamara impressionné par les progrès sur le terrain estime que les Etats-Unis pourront réduire progressivement leur soutien logistique et que trois ans seront nécessaires afin que l’ARVN soit entièrement opérationnelle. Deux jours plus tard le JCS ordonne une étude, Comprehensive Plan for South Vietnam, sur les recommandations faites par McNamara. Le Comprehensive Plan for South Vietnam est présenté le 25 janvier 1963 au JCS. Ce rapport estime que les Etats-Unis dans les conditions actuelles pourront se retirer entre juillet 1965 et juin 1966. En outre, le rapport suggère d’intensifier les interventions contre le Viêt-cong. Les conclusions de ce rapport sont confirmées par un autre rapport, rédigé par des faucons.

Ainsi, la position américaine en janvier 1963 est celle d’un retrait après la victoire et d’une intensification des interventions. Cette politique de soutien au Sud, tant que l’armée sud-viêtnamienne n’est pas opérationnelle, est réaffirmée tout au long du printemps et de l’été 1963.[41] Même fin août, début septembre au moment des tensions avec le régime de Saigon, le président réaffirme sa volonté de soutenir le Viêt-nam du Sud, afin de le maintenir indépendant et résistant contre l’agression communiste. Dans une interview au journaliste W. Cronkite de la CBS, il déclare le 2 septembre 1963 : « I don’t agree with those who say we should withdraw. That would be a deep mistake »[42] Dans l’interview du 9 septembre à la question, posée par le journaliste David Brinkley, de savoir s’il croit à la théorie des dominos, Kennedy répond : « I believe it, I believe it. I think that the struggle is close enough. China is so large, looms so high just beyond the frontiers, that if South Vietnam went, it would not only give them an approved geographic position for a guerilla assault on Malaya but would also live the impression that the wave of the future in Southeast Asia was China and the Communists. So I believe it. »[43] Enfin, dans son discours du 22 novembre(le jour de sa mort), il était également supposé réaffirmer son soutien au Viêt-nam du Sud et cela à n’importe quel prix.[44] Cela est confirmé par D Rusk dans son livre, As I saw it, dans lequel il déclare qu’il n’a jamais été question d’un retrait sans avoir vaincu la guérilla.[45]

La position constante de Kennedy est donc celle du retrait après la victoire. Aussi on ne peut accuser Kennedy d’une certaine duplicité. Sa rhétorique, ses discours se rapprochent fortement de sa position dans les discussions internes. De plus, le fait de crier haut et fort son soutien au Viêt-nam du Sud et ensuite de laisser tomber ce pays aurait été d’un grand cynisme et aurait remis en question l’intérêt de réputation.

Le mémorandum rédigé par le général Maxwell Taylor du 2 octobre, confirmé partiellement par le document NSAM 263 du 11 octobre (c’est-à-dire les points B1 à B3) a également semé le doute chez certains historiens. Le mémorandum daté du 2 octobre annonce un retrait des forces américaines du Viêt-nam pour 1965 et un retrait de 1 000 hommes pour fin 1963. Toutefois, ce mémorandum, reproduit en annexe ne permet pas de défendre la thèse que Kennedy ait eu la volonté de retirer les forces américaines(sans victoire) et cela pour plusieurs raisons :

n Dans le point B il n’est nullement indiqué qu’ un retrait total est à l’ordre du jour. Dans le point B3, il est indiqué qu’un retrait de mille hommes se fera pour novembre 1963. A la demande de Kennedy lui-même(dans le NSAM 263), ce retrait n’est pas rendu public. Il estime que si le retrait ne pouvait se faire, l’administration serait accusée d’un trop grand optimisme. Le point B2 établit que « A program be established to train Vietnamese so that essential functions now performed by U.S. military personnel can be carried out by Vietnamese by the end of 1965. It should be possible to withdraw the bulk of U.S. personnel by that time. »[46] De ce point, confirmé dans le NSAM 263,il semble clair qu’un retrait ne se fera qu’une fois les forces armées sud-viêtnamiennes formées et la situation étant sous contrôle. Un retrait sans victoire est donc exclu ;

n Dans le NSAM 263 des instructions personnelles à l’égard de l’ambassadeur Lodge sont également inclues pour intensifier l’effort de guerre afin d’atteindre l’objectif fondamental , c’est-à-dire la victoire;

n Certains présument que le mémorandum du 2 octobre a comme objectif de forcer le gouvernement sud-viêtnamien de faire des réformes. [47] Ce qui semble, très probable puisque le mémorandum est quasi entièrement consacré au régime de Diem et aux mesures à prendre à l’égard de celui-ci.

Dans aucun des documents entre janvier et novembre 1963 il est donc question d’un retrait. Il est question d’un retrait après la victoire. Ni Schlesinger, ni Sorensen, ni Hilsman abordent dans leurs ouvrages un quelconque retrait sans victoire. Aussi, est-il intéressant de reprendre une phrase de D.Rusk qui déclare que : « President’s Kennedy’s attitude on Vietnam should be derived from what he said and did while president, not what he may have said at tea table conversations or walks around the Rose Garden. That also is the standard by which his advisers will be judged, the standard by which public servants should always be judged. »[48] Nous soutenons totalement cette affirmation.

Vu son acceptation de la théorie des dominos, sa conviction que le Viêt-nam est un exemple parfait pour combattre les wars of national liberation et sa détermination à l’égard du communisme, il est peu probable que Kennedy se serait retirer du Viêt-nam sans victoire.

[1] R.McNAMARA, Avec le recul : la tragédie du Viêt-nam et ses leçons, Paris, éd. du Seuil, 1996, p. 46.

[2] J.C.THOMSON Jr., « How Could Vietnam Happen ? – An Autopsy », The Atlantic Monthly, Volume 221, n°4, 1968.

[3] Pentagon papers, pp. 125-126 (document 19).

[4] L.H GELB,R.K. BETTS, op.cit., p. 74.

[5] On ne parle plus, sous Kennedy de documents NSC mais bien de NSAM (National Security Action Memoranda.)

[6] Bérets verts : Ces forces spéciales ont été constituées en 1952. Dès juin 1957 le Special Forces Group commence à entraîner l’armée sud-viêtnamienne à Okinawa. A partir de 1960 des Bérets Verts font des séjours de six mois au Viêt-nam. A partir de 1962, ils prennent part à un certain nombre d’opérations. La plus importante de leur mission consistait à organiser des groupes de Défense Civile Irréguliers.

[7] RVNAF :Republic of Vietnam Armed Forces

[8] L. JOHNSON, Ma vie de président, France, Buchet/Chastel, 1972, p. 78.

[9] Pentagon papers, pp.141-142 (document 26).

[10] R.D. SCHULZINGER, op.cit., p. 110.

[11] D.L.DI LEO,G. BALL : Vietnam, and the Rethinking of Containment, London, The University of North Carolina Press, 1990, p. 56.

[12] Pentagon papers, p. 149 (document 29).

[13] Pentagon papers, p. 151 (document 30).

[14] Des conseillers et non des troupes combattantes

[15] L.H GELB,R.K.BETTS, op.cit., p. 77.

[16] R. McNAMARA, op.cit., p. 53.

[17] NSAM-52 : « …The US objective and concept of operations stated in the report are approved : to prevent communist domination of South Vietnam ; to create in that country a viable and increasingly democratic society, and to initiate, on an accelerated basis,a series of mutually supporting actions of a military, political, economic, psycholigical and covert character designed to achieve this objective….», S.B. YOUNG, «LBJ’s strategy for disengagement », Vietnam, February 1998.

[18] L.H. GELB, R.K. BETTS, op.cit, p. 185.

[19] « (…)The department of Defense be prepared with plans for the use of United States forces in South Vietnam under one or more of the following purposes :

(a) use of a significant number of United States forces to signify United States determination to defend Vietnam and to boost South Vietnam morale ;

(b) Use of substantial United States forces to assist in suppressing Viet Cong insurgency short of engaging in detailed counter-guerrilla operations but including relevant operations in North Vietnam ;

(c) Use of United forces to deal with the situation if there is organized Communist military intervention. » ,

(Pentagon Papers, pp. 150-153.)

[20] R.McNAMARA, op.cit., p. 58.

[21] Ibidem, p. 58.

[22] R. HILSMAN,To Move a Nation, op.cit., pp. 465-467.

[23] D. ARTAUD, op.cit., p. 239.

[24] D. RUSK, op.cit., p. 439.

[25] A.M SCHLESINGER, A Thousand Days : J.F. Kennedy in the White House, Fawcett Publications INC., 1965, p. 508.

[26] J.C.THOMSON Jr., « How Could Vietnam Happen ? – An Autopsy » ; The Atlantic Monthly, Volume 221, n°4, 1968.

[27] H.P. FORD, CIA and the Vietnam policymakers : Three episodes 1962-1968, Center for the study of Intelligence, April 1997 (www.odci.gov/csi.).

[28] Ibidem

[29] L. JOHNSON, op.cit., p. 82.

[30] Le câble est reproduit dans l’annexe(document 35).

[31] R McNAMARA, op.cit., p. 65.

[32] D.L. DI LEO, G.BALL ,op.cit., p. 61.

[33] « You two did visit the same country, didn’t you ? »

[34] La notion de body count : Comme l’explique T.J. Lomperis trois séries de calculs permettent selon les Américains, de calculer les progrès réalisés sur le terrain :

a) les rapports du Hamlet Evaluation System (HES) : cette méthode regroupe les 12 000 hameaux en cinq catégories : secure, insecure, contested, enemy-infested, ennemy-held.

b) le body count des VC

c) le rapport de forces VC/NVA

De manière générale, ces méthodes posent trois problèmes majeurs : au niveau de l’interprétation des données, au niveau de la disparité de la collecte des informations et la structure politique du Viêt-cong ne permet pas de répartir les hameaux selon les catégories mentionnées au point A. Des trois, le département de la Défense estime que c’est le body count qui est le plus fiable. La pratique du body count repose sur une informatisation poussée à l’échelle de chaque base permanente. Elle doit permettre de tenir un compte précis de tout, des morts ennemis aux armes saisies ou perdues, au matériel détruit, à la quantité de rations consommées, au nombre de GI’s blessés. De manière générale la guerre repose sur une débauche technologique et une puissance de feu considérable. Les bombes sont de plus en plus sophistiquées : fragmentation,phosphore guidées avec précision ; tous les modèles d’avion sont mis au service de la guerre (B-26, B-52, Phantoms, Skyraiders,…) Les Américains ont donc pleine confiance dans leurs moyens techniques, paraissant invincibles et incomparables à ceux de l’adversaire. Les militaires américains sont persuadés que leur puissance de feu fera la différence, d’où l’importance accordée au body count qui mesure la réussite des opérations. Dans les premiers combats de 1965-1966, la proportion de un Américain tué pour quinze Viêt-cong satisfait l’Etat-major et semble conforme aux prévisions. Cependant, la précision du décompte est très relative. Durant une action il est bien difficile de compter juste et le capitaine d’une unité a tout intérêt à fournir un body count qui lui permettra d’être bien considéré à l’échelon supérieur pour obtenir la promotion souhaitée. (J. RECORD, « Vietnam in retrospect : Could we have won ? », Parameters, 1996-1997, B. COLSON, La culture stratégique américaine, op .cit., pp. 243 es.) Cette technique a donc de nombreux effets pervers. McNamara s’efforce tout de même de gérer la guerre en fonction des statistiques et de donner à toute opération réussie une dimension quantifiable. Comme le déclarera Nguyen Giap en 1969 : « The United States has a strategy based on arithmetic. They question the computers, add and substract, extract square roots, and then go into action. But arithmetical strategy doesn’t work here. If it did, they’d have already exterminated us. »

[35] M. DELAPORTE, La politique étrangère américaine depuis 1945, Paris, éd Complexe, 1996, p. 88.

[36] R. HILSMAN, The Politics of Policy-making in Defense and Foreign Affairs, op.cit., p. 6.

[37] R. HILSMAN, To Move a Nation, op.cit., pp. 507-508.

[38] R. HILSMAN, The Politics of Policy-making in Defense and Foreign Affairs, op.cit., pp. 160-170.

[39] L.H.GELB,R.K. BETTS, op.cit., p. 84.

[40] R. McNAMARA, op.cit., p. 43.

[41] N. CHOMSKY, Rethinking Camelot, South End Press, 1993.

[42] CBS Interview, September 2 and 9, 1963, « President Kennedy’s television interviews on Vietnam ».

[43] CBS Interview, September 2 and 9, 1963, « President Kennedy’s television interviews on Vietnam ».

[44] R.D.SCHULZINGER, op.cit., p. 125.

[45] « …to my recollection we never seriously considered the option of outright withdrawal and allowing South Vietnam to be run by the Communists. », cite dans D. RUSK, op.cit, p. 374.

[46] Memorandum from the Chairman of the Joint Chiefs of Staff and the Secretary of Defense to the president, October 2, 1963.

[47] T. WEINER, « Kennedy had plan for early Vietnam Exit », New York Times, December 23,1997.

[48] D.RUSK, op.cit., p. 382.

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Chapitre II : Du new look à la riposte graduée

Jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Kennedy la doctrine nucléaire en usage est la doctrine des représailles massives instaurée par Foster Dulles.

2.1. La doctrine du New Look[1]

Le 12 janvier 1954 Dulles expose la stratégie des représailles massives qui va dominer la politique étrangère américaine jusqu’à la fin de la décennie. Pour Dulles; « on ne peut laisser à l’ennemi, quand il attaque, le choix du lieu, de l’heure et des armes. La tâche des Etats-Unis en devient écrasante.(…)En conséquence le Président a décidé de faire reposer la défense des Etats-Unis et du monde libre sur une grande capacité de représailles, par les moyens et à l’endroit que nous choisirons. Ce qui permettra d’opérer une sélection dans les moyens militaires au lieu de les multiplier. »[2] En d’autres termes, en cas d’attaque du camp soviétique et même si cette attaque est limitée, les Etats-Unis se réservent le droit de recourir immédiatement aux armes nucléaires. Cette politique se fonde sur les capacités de la puissance aérienne qui est supposée se substituer aux forces maintenues à l’étranger et diminuer les pertes humaines. Cette doctrine permet également de concilier les exigences militaires, sociales et économiques.

La Maison Blanche passe donc du principe d’endiguement périphérique à l’endiguement par dissuasion stratégique. A ce sujet, Dulles laisse planer le doute, si et quand les Etats-Unis sont au bord du gouffre (=Brinkmanship) ; » You have to take chances for peace, just as you must take chances in war. Some say that we were brought to the verge of war. Of course we were brought to the verge of war . The ability to get to the verge without getting into the war is the necessary art. If you cannot master it, you inevitably get into war . If you try to run away from it, if you are scared to go to the brink you are lost. (….) » [3]

2.2. Le New Look en question

Le 4 octobre 1957, les Soviétiques lancent dans l’espace leur premier satellite terrestre, le Spoutnik. Cet événement remet brutalement en question les capacités techniques et la sécurité des Etats-Unis. Le lancement du Spoutnik montre à l’évidence que les Soviétiques peuvent construire des missiles intercontinentaux. En pratique, la menace des représailles massives n’étant plus unilatérale, elle se mue en doctrine M.A.D. (Mutual Assured Destruction) et limite finalement davantage la marge de manoeuvre d’Eisenhower sur les théâtres d’opération d’où la volonté du retour à une politique d’endiguement plus classique.

Dès 1956, H. Kissinger écrit dans un article paru dans Foreign Affairs; »(…) They have faced us with problems which by themselves did not seem worth an all-out war, but with wich we could not deal by an alternative capability.(…) A strategy of limited war might reverse or at least arrest this trend. Limited war is thus not an alternative to massif retaliation, but its complement. »

Le rapport Rockefeller(1957), qui résulte des travaux d’un groupe de militaires, d’intellectuels et de scientifiques conclut par le rejet de la doctrine stratégique en vigueur. Il faut pour dissuader l’adversaire, être prêt à toutes les formes de guerre, de la guerre nucléaire à la guerre limitée, sans négliger la guérilla. Ce rapport propose également l’accroissement de l’effort de défense, le partage de la technologie militaire avec les alliés et l’installation en Europe d’armes nucléaires.

2.3. La riposte graduée sous Kennedy

Sous J.F. Kennedy une stratégie d’action graduelle est envisagée pour sortir de la paralysie qu’entraîne l’équilibre de la terreur nucléaire. Les principaux arguments sont fournis par les ouvrages de deux stratégistes nucléaires, R.E. Osgood et H. Kissinger et du général Taylor. Ceux-ci ont le souci d’utiliser la puissance militaire comme un instrument rationnel et efficace de la politique nationale. Ils s’appuient sur la formule de von Clausewitz où la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens. Selon ces auteurs les armes nucléaires ont plus tendance à immobiliser plutôt que fortifier les positions de leurs détenteurs. Comme l’écrit Kissinger : « The dilemma of the nuclear period can be defined as follows : the enormity of modern weapons makes the thought of war repugnant, but the refusal to run any risks would amount to giving the Soviet rulers a blank check. »[4]

Cette politique du New Look pose donc un double problème. Elle risque de transformer chaque crise mineure en une crise nucléaire majeure et laisse les Etats-Unis sans aucunes alternatives. Par conséquent, il faut une politique qui se situe entre ne rien faire et une guerre nucléaire: la guerre limitée. Pour Kissinger il existe trois raisons pour développer une stratégie de guerre limitée[5] :

a) limited war represents the only means for preventing the Soviet bloc, at an acceptable cost, from overrunning the peripheral areas of Eurasia ;

b) a wide range of military capabilities may spell the difference between defeat and victory even in an all-out war ;

c) intermediate applications of our power offer the best chance to bring about strategic changes favorable to our side.

La riposte graduée repose sur un principe de seuils, incluant une riposte classique puis une riposte nucléaire tactique, puis une frappe stratégique. Elle doit permettre aux Etats-Unis de répondre n’importe où, n’importe quand par la force avec des moyens appropriés. Kennedy définit la réponse graduée de la façon suivante : « To deter all wars, general or limited, nuclear or conventional, large or small – to convince all potential aggressors that any attack would be futile – to provide backing for the settlement of disputes- to insure the adequacy of our bargaining power for an end to the arms race. »[6]

Pour l’administration Kennedy, la réponse flexible requiert donc non seulement une supériorité stratégique, mais également une supériorité à tous les autres niveaux. Par conséquent, l’administration Kennedy s’arme de telle sorte, à pouvoir s’opposer à une agression communiste, dans n’importe quelle partie du monde. A ce sujet une des raisons de l’engagement américain au Viêt-nam est souvent ignorée : l’application de la réponse graduée. L’administration Kennedy est convaincue que les conflits à venir ne seront pas des conflits conventionnels ou nucléaires, pour lesquels les Etats-Unis sont équipés, mais bien des conflits les opposant à une guérilla, ce qui suppose de nouvelles tactiques et doctrines. Kennedy exigera donc un soutien important à la formation des troupes spéciales (Bérets verts) et la création d’un programme de contre-guérilla. Aussi, le Viêt-nam devait à l’origine servir de terrain d’entraînement pour ces forces spéciales.

Bien que les Etats-Unis entrent dans l’ère de la guerre limitée, ce genre de conflits est incompatible avec l’expérience américaine. Une expérience qui remonte à l’époque des colons, où hommes et femmes se battaient pour survivre et qui s’est ensuite confirmée durant la guerre civile -« the complete overthrow of the enemy, the destruction of his military power, is the object of war »- et la seconde guerre mondiale où il y avait une volonté de victoire totale et de reddition sans conditions. L’arrivée de l’âge nucléaire remet cette approche en question.

[1] R. OSGOOD, op.cit..

[2] D. ARTAUD, La fin de l’innocence :Les Etats-Unis de Wilson à Reagan , Paris, éd. A. Colin, 1985, p.194.

[3] J.A. NATHAN J.K OLIVER op.cit., p. 225.

[4] J. SCHELL, « Credibility and limited war », in J.P. KIMBALL, op.cit., p. 124.

[5] Ibidem, p. 127.

[6] R.T.GARZA, U.S. Involvement in Vietnam, 1964-1968, A Research Report submitted to the faculty in fulfillment of the Curriculum requirement, Maxwell Air Force base, Alabama,Air War College, April 1995, p. 7.

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Partie III : J.F. Kennedy

Chapitre I : L’équipe décisionnelle

« Vietnam represents the cornerstone of the Free World in Southeast Asia, the keystone to the arch, the finger in the dike. Burma, Thailand, India, Japan,
the Philippines and obviously Laos and Cambodia ara among those whose security would be threatened if the red tide of Communism overflowed into Vietnam. »
J.F. Kennedy, 1956

John Fitzgerald Kennedy, (1917-1963) arrive au pouvoir en 1960, après une victoire à l’arraché sur Nixon. Il est issu d’une famille de classe moyenne. Elève moyen, il étudie à Harvard et Stanford. Après avoir participé durant la seconde guerre mondiale dans les forces navales, il se lance dans une carrière politique. Il est élu représentant en 1948. S’il n’hésite pas à soutenir la politique intérieure du Fair Deal sous Truman, il le critique pour sa politique à l’égard de la Chine.

Il devient sénateur en 1952 et alors qu’une majorité des démocrates est opposée à la politique de McCarthy, sa vision est plus mitigée. Il est réélu sénateur en 1958, ce qui renforce sa position en tant que candidat démocrate à la présidence. Aussi en 1960 il n’a pas beaucoup de difficultés à battre H.H.Humbrey aux primaires. Malgré les sondages, il ne gagne l’élection présidentielle que de 119 450 voix. Son mandat présidentiel se caractérise surtout par sa politique étrangère : la Baie des Cochons, Berlin, Vienne, la crise de Cuba, et le Viêt-nam. Son équipe décisionnelle quant à elle, se caractérise par une nouvelle génération de politiciens.

1.1. Le secrétaire d’Etat et son département

Le département d’Etat est organisé de manière typiquement bureaucratique, avec à la tête le secrétaire d’Etat. Le secrétaire d’Etat est le conseiller principal du président pour les problèmes de politique étrangère. Il est aussi le ministre le plus important du Cabinet et membre d’office du C.N.S.. Le secrétaire d’Etat et son adjoint (Deputy Secretary of State)sont considérés comme les porte-parole du gouvernement américain à l’étranger.

Il arrive souvent que les relations entre le secrétaire d’Etat et son président soient tendues et cela pour deux raisons :

a) le président se trouve dans une position politique différente que celle des secrétaires. Les secrétaires traitent la politique étrangère en fonction de l’intérêt national. Les présidents doivent également tenir compte de la situation domestique.[1] La présidence se soucie des humeurs de l’opinion publique, des aléas de l’électorat et, en général, des répercussions internes de la politique extérieure. A cet égard le département d’Etat propose rarement des rapports évaluant les conséquences des objectifs diplomatiques sur l’évolution de la politique intérieure ;

b) la politique étrangère étant tellement complexe, il est peu probable que deux personnes voient les choses exactement de la même manière. Mais comme le déclare D.Rusk : « But when disagreements occur, a secretary of state must remember who has the authority for making decisions for the executive branch. »[2]

La responsabilité de la prise de décision au sein du département suit la voie hiérarchique. Le secrétaire d’Etat, assisté d’une série de députés prend les décisions les plus importantes, les décisions quotidiennes étant prises par les échelons inférieurs. (cfr. Annexe : la structure du département d’Etat)

D’une manière générale, le département d’Etat remplit deux fonctions [3]:

n représente les intérêts des Etats-Unis et de ses citoyens en relation avec les autres Etats ;

n avise le président concernant tout aspect de la politique étrangère.

Certains organismes comme l’ USAID (US Agency for International Development) et l’ USIA (US Information Agency)lui sont rattachés.

Afin de réaliser ces tâches le département emploie en 1973, 24 000 personnes et dispose d’un budget de 400 millions de dollars.

Le département d’Etat, tout comme les autres départements, comprend une structure politique, dont les membres sont élus ou désignés pour la durée d’un mandat temporaire, et une structure administrative à laquelle sont attachés des fonctionnaires permanents. Les deux structures sont nécessaires au bon fonctionnement d’un gouvernement. Elles sont supposées être complémentaires et participer au processus politique. Cependant, les membres du gouvernement viennent de l’extérieur et occupent des postes limités dans la durée, tandis que les fonctionnaires font leur carrière dans la fonction publique.[4]

Par ses querelles, rivalités internes et sa trop grande bureaucratie le département d’Etat ne peut jouer les premiers rôles en matière de politique étrangère. Aussi le fonctionnement du département est critiqué par la présidence et cela pour plusieurs raisons[5]:

1. adhésion à une sous-culture qui privilégie les objectifs et les programmes du ministère, au détriment des considérations présidentielles ;

2. esprit de clocher ;

3. travail de routine, peu d’initiatives ;

4. le pluralisme des intervenants gouvernementaux dans le champ des affaires extérieures a, au fil des ans, considérablement diminué l’importance centrale du département d ‘Etat. Depuis les années cinquante, la présidence encourage l’intervention de nouveaux acteurs dans le champ de la politique extérieure : CIA, personnel de la Maison-Blanche, C.N.S.,… ;

5. les normes de conformité du département font en sorte que ses membres demeurent prudents avant d’émettre des opinions sur l’évolution de certaines questions urgentes. Aussi, les présidents cherchant la créativité, l’innovation et de nouvelles idées, font surtout face dans ce département à une pénurie d’offre ;

6. le département d’Etat ne se plie pas suffisamment aux besoins et aux directives de la Maison-Blanche. Un président qui arrive au pouvoir cherche à établir de nouvelles politiques, mais il rencontre d’énormes difficultés à obtenir l’appui des fonctionnaires du département pour réorienter les objectifs de la diplomatie américaine, tant la résistance au changement et le conservatisme sont profondément ancrés dans leurs moeurs. Le département se caractérise par une certaine continuité.

Au département d’Etat, Kennedy nomme Dean Rusk. Mais sa marge de manoeuvre est réduite, car Kennedy veut faire du département d’Etat à court terme le pilier de sa politique. Aussi, c’est lui qui nomme la majorité des fonctionnaires : C. Bowles comme sous-secrétaire, A. Harriman comme ambassador-at-large, Adlai Stevenson comme ambassadeur aux Nations Unies. W. Rostow, quant à lui, est nommé par D. Rusk au poste de directeur de la planification politique.

Dès le départ pourtant, il est naïf de la part de Kennedy de croire qu‘en quelques semaines, l’organisation bureaucratique du département pourrait se muer en un département actif, organisé et sous son contrôle. Comme l’explique J. P. Davies : « bold new ideas, quick decisions were asked of men who had learned from long, desillusioning experience that there were few or new ideas, bold or otherwise, that would solidly produce the dramatic changes then sought, and whose experience for a decade had been that bold ideas and action were personally dangerous and could lead to Congressional investigations and public disagrace…. purged from the right under Dulles, now purged from the left under Kennedy….. How can you expect these men to do a good job ? »[6] Aussi, après l’échec de la Baie des Cochons, Kennedy, qui en reproche l’échec à la CIA, au JCS et au département d’Etat, s’oppose à faire de ce dernier son principal instrument de prise de décision. Cela entraîne l’évincement de Rusk du cercle proche des conseillers de Kennedy. En outre, Kennedy n’hésite pas à rencontrer des fonctionnaires de second rang du département d’Etat sans respecter la chaîne de commandement. Aussi D.Rusk a des contacts restreints avec son département. Ainsi Harriman et Hilsman déclareront : « I can’t blame McNamara for pushing his department’s view as vigorously as possible. But I certainly can blame Rusk for not pushing his view, or our view. And always over and over again, it ends up with Harriman and Hilsman arguing against McNamara and the Joint Chief of Staff and John McCone. And that’s not quite an equal contest. »[7]

Aussi, Rusk réalisant son impuissance limite son rôle à celui d’un conseiller du président « acquiesçant ». Il choisit donc de prendre le rôle de représentant du président et non celui de porte-parole de son département. Selon M. Crozier, sociologue français, tout cadre placé directement sous les ordres d’une organisation se trouve devant un choix fondamental : il peut se considérer comme le représentant direct de son chef, et être en partie responsable de décisions mal vues par les agents d’exécution ; ou encore il peut devenir le porte-parole de ses subordonnés, et faire ainsi endosser à son supérieur la seule responsabilité de choix douloureux. Dans le premier cas, il se fera mal voir par les agents d’exécution, mais cela peut contribuer à une éventuelle cohésion au sein de son département. S’il rejette sur son supérieur la responsabilité des mesures pénibles, il s’attire les bonnes grâces de ses subordonnés, mais au détriment de l’efficacité et de la discipline.[8]

En conclusion, si le département est fermement dirigé sa compétence fait du personnel un outil indispensable pour les responsables politiques. Ce personnel devient alors un instrument docile et d’une grande précision et les initiatives qu’il prend donnent naissance à un dialogue. (ouverture). Dans le cas contraire, les chefs de service ne sont plus les porte-parole de la politique nationale, mais les avocats des pays et lobbies avec qu’ils traitent. Ce qui entraîne des fonctionnaires défendant des intérêts de chapelle.[9]

1.2. Le secrétaire à la Défense et son département

Le National Security Act de 1947, issu de débats au Congrès sur les problèmes de sécurité et de défense, crée le département de la Défense. Celui-ci est composé de l’office du secrétaire de la Défense, du JCS[10] et des différents départements de l’armée (terre, mer, air). Les Chefs d’Etats-majors sont directement subordonnés au secrétaire de la Défense, qui à partir de 1959 participe aux délibérations de l’Etat-major.[11]

Comme le département d’Etat, le département de la Défense est dirigé par un secrétaire membre du C.N.S., qui a la responsabilité de conseiller le président sur l’orientation de la politique de défense et de gérer l’énorme appareil décisionnel du Pentagone : acquisition des armes, doctrines stratégiques, maîtrise des armements, gestion des bases militaires à l’étranger, aide aux guérillas,…) ( Cfr.Annexe : structure du département de la Défense).

A côté de cette hiérarchie civile, il y a également, la chaîne de commandement militaire où nous trouvons le Joint Chiefs of Staff (JCS) présidé par le président (Chairman-JCS). Celui-ci comprend les chefs de l’armée de l’air, de terre, de la marine et des marines. Le JCS conseille le président et le secrétaire à la Défense sur les menaces potentielles et l’état des capacités militaires.

Robert McNamara est nommé au poste de secrétaire à la Défense. Le choix de McNamara au poste de secrétaire à la Défense surprend, car il ne remplit pas les critères qu’exige cette fonction. Un secrétaire à la Défense est supposé être un homme d’expérience, ayant une formation politique ou stratégique. Or, McNamara n’a aucune expérience militaire, ni politique.

Toutefois, grâce à ses nombreuses qualités, il parvient à faire participer son département pour la première fois au processus décisionnel. Il devient d’ailleurs très vite l’homme le plus écouté de la Maison Blanche en matière de politique étrangère. Son équipe est composée de ce qu’on a appelé les Whiz Kids : J. McNaugthon (professeur de Harvard), A.Yarmolinsky (conseiller de longue date de Kennedy), C.J. Hitch (ancien recteur de l’université de Californie), Les Aspin, Morton Halperin, Paul Nitze, Leslie Gelb, Daniel Ellsberg et A. Enthoven. Pour ce dernier McNamara crée un bureau d’analyse. Tous partagent la volonté de tout analyser de manière quantitative. (statistiques,…) Enthoven restructure d’ailleurs tout le département de la Défense, à partir des résultats de ses recherches, ne tenant nullement compte de l’aspect humain ou de l’expérience des militaires.

La restructuration du département par des civils fait naître des tensions entre le JCS et les Whiz Kids. Le Chef de l’Etat-major de l’air, Curtis LeMay se rappelle que McNamara et son équipe « were the most egotistical people that I ever saw in my life. They had no faith in the military ; they had no respect for the military at all. They felt that the Harvard Business School method of solving problems would solve any problem in the world…They were better than all the rest of us ; otherwise they wouldn’t have gotten their superior education, as they saw it. »[12] De plus, les militaires estiment qu’en forçant les différents services à parler d’une voie, McNamara élimine le système de check and balance au sein de l’armée. McNamara était en train de créer ce que G.C Herring dans son livre appelle des yes men.

Cependant, après la crise de Cuba, Kennedy sous pression des critiques, crée un nouveau poste de coordination entre les civils et le JCS, afin d’améliorer les relations avec ce dernier. Pour ce poste, Kennedy fait appel au général M. Taylor, qui devient représentant militaire auprès du président (Military Representative of the President). Il va remplir quatre fonctions[13] :

a) conseiller militaire dans les matières où le président doit remplir son rôle de commandant en chef de l’armée ;

b) conseiller dans le domaine du renseignement ;

c) vérifier l’utilité et l’efficacité du « Cold war planning » ;

d) accès aux informations des différents départements et agences dans la limite de ses fonctions.

La fonction de représentant militaire auprès du président ne se maintient pas longtemps, Kennedy parvenant à installer Taylor au poste de JCS chairman. Après que le général L Norstad, commandant en chef de l’OTAN, ait annoncé sa retraite, Kennedy nomme le général Lemnitzer, JCS chairman, à se poste. Cela libère un poste au sein du JCS, qui est repris par Taylor. Alors que la nomination au poste de JCS chairman se fait selon une rotation entre les trois forces (terre,mer ,air), Kennedy va imposer Taylor comme JCS chairman. La raison principale est que parmi les militaires seul Taylor soutient la nouvelle politique de guerre limitée, prônée par le département de la Défense.(cfr.Infra) Aussi, tous les généraux opposés à cette politique sont mis sur des voies de garage.[14] Uniquement, les généraux qui acceptent d’être subordonnés au pouvoir civil et qui comprennent la complexité de la sécurité nationale dans l’ère nucléaire sont maintenus. Le duo Taylor-McNamara a dès lors d’énormes pouvoirs dans le processus décisionnel.

Aussi, si le Viêt-nam comme nous le verrons intensifie la tension entre civils et militaires, le malaise est bien plus profond : un problème d’idéologie. « Depuis Hiroshima », comme le déclare Jean-Paul Mayer : « la perspective d’un affrontement mettant en jeu des armes nucléaires, par les conséquences qu’il laisse entrevoir, oblige le politique à le considérer de très près. La stratégie, autrefois l’art de mener les armées en campagne suivant son étymologie grecque, devient peu à peu métastratégie. Parce qu’elle met en cause l’existence même de la nation, elle devient à l’évidence une entreprise strictement réservée au pouvoir politique et à ses conseillers. » [15]

Cependant, comme l’analyse H. Kissinger : « les statistiques ne conduisent les hommes que jusqu’à un certain point, au-delà duquel entrent en jeu des valeurs plus fondamentales. En fin de compte, le métier militaire est l’art de commander, et s’il exige de nos jours des calculs plus précis que par le passé, il dépend néanmoins de facteurs psychologiques premiers difficiles à quantifier. Les autorités militaires se voyaient contraintes à concevoir des armes à partir de critères abstraits, suivre des stratégies auxquelles elles ne croyaient pas vraiment, et enfin mener une guerre qu’ils ne comprenaient pas. »[16]La majorité du temps, les militaires se sentent donc déchirés entre l’obédience aux autorités civiles et leur sentiment d’un énorme désastre.

McNamara applique donc au département l’organisation et les procédures utilisées dans le management : techniques de management, utilisation des ordinateurs, supervision stricte du budget, centralisation des informations…. En maintenant un contrôle sur le budget, les finances et la logistique, le secrétaire à la Défense renforce le contrôle des civils sur les militaires.

1.3. Le C.N.S.

McG. Bundy est nommé au poste de Conseiller à la sécurité nationale. Celui-ci fait du C.N.S. un ensemble plus compact par rapport à la période Eisenhower. Le Planning Board et l’OPC sont démantelés, ayant comme conséquence que le C.N.S. n’est plus composé que d’une dizaine d’hommes. Bundy se retrouve à la tête de ce qu’on a appelé le « mini département d’Etat » (= Little State Department).[17] Pour Kennedy, ce Little State Department, qui se réunit de manière régulière renferme plusieurs avantages[18] :

· reflète un certain ordre et une certaine régularité ;

· accroît l’esprit de corps ;

· facilite une meilleure communication ;

· par le biais de ces réunions et des échanges d’idées, il est plus aisé d’étudier les différentes alternatives.

McGeorge Bundy aménage également une Situation Room à la Maison Blanche, y installant un équipement électronique permettant un accès direct au département d’Etat, au département de la Défense et à la CIA. Cette Situation Room permet dès lors une meilleure coordination et un contrôle plus efficace des missions en cours.

Kennedy préférant des réunions ad hoc, informels au système prôné par Eisenhower, le C.N.S. est donc débarrassé de sa lourdeur bureaucratique. En pratique, cela revient à limiter le rôle du Conseil National de Sécurité et à renforcer les pouvoirs du Conseiller à la sécurité nationale, qui devient le bras droit du président.

Ainsi, la formulation de la politique étrangère, de sécurité et de la défense se concentre progressivement entre les mains du conseiller du C.N.S. et du secrétaire à la Défense, au détriment de l’influence des bureaucraties traditionnelles.

Le démantèlement du C.N.S. a également un effet sur le JCS. Sous Eisenhower des représentants du JCS étaient assignés au Planning Board et OCB. A travers ceux-ci, le JCS pouvait placer sur l’agenda du C.N.S certains points. Par son démantèlement, le JCS perd l’accès direct au président et donc quasi toute influence dans la prise de décision.[19]

A côté des deux secrétaires et du Conseiller à la sécurité nationale , Kennedy fait surtout appel à ce qu’il considère comme ses hommes de confiance : A. Schlesinger, R. Goodwin, M. Taylor, R. Kennedy et T. Sorensen. Quant à la question du Viêt-nam, Kennedy nomme le Deputy Secretary of Defense Roswell Gilpatric, à la tête d’un groupe de travail qui doit l’informer sur le Viêt-nam.[20]

1.4. Les services de renseignements

Les services de renseignements comprennent plusieurs organisations, dont la CIA, la DEA, le FBI,… Ces services comprennent à peu près 150 000 employés et un budget d’ensemble de 30 milliards de dollars. L’ensemble de ces agences sont supervisées par le DCI (Director of Central Intelligence). Le seul service de renseignements ayant joué un rôle significatif durant la guerre du Viêt-nam est la CIA. Durant la guerre du Viêt-nam nous avons au poste de DCI successivement J. McCone (1961-1965), W.F.Rabborn (1966), R.Helms, (1967-…) (Annexe :structure des services de renseignements)

1.5. Conclusion

La composition de la nouvelle administration se caractérise surtout par sa jeunesse(the best and the brightest) et son manque d’expérience. Les hommes forts de l’après guerre comme Kennan, R. Lovett, D. Acheson,… se retrouvent par leur âge sur une voie de garage.

Avant de relater les faits de la présidence Kennedy, il est important de consacrer un point à un aspect stratégique, qui permet une meilleure compréhension de l’évolution du conflit et de la politique menée : la réponse graduée.

[1] Comme le déclarait H.Truman, « I want to hear from you fellows on matters of foreign policy, but I don’t want you to base your views upon political considerations. In the first place, good policy is good politics. In the second place, you fellows in the State Department don’t know a damned thing about domestic politics. And I don’t want a bunch of amateurs playing around with serious business », D. RUSK, As I Saw It, London, ed. I.B.Tauris, 1991, p. 451.

[2] Ibidem, p. 451.

[3] H.T. NASH, op.cit, p. 68.

[4] P.de BRUYNE, La décision politique, Bruxelles, éd. Peeters, 1995, pp. 170- 172.

[5] Ch. P. DAVID, op.cit., pp.118 es.

[6] A.J. NATHAN, A.K. OLIVER, op.cit., p. 462.

[7] B. RUBIN, The State Department and the Struggle over US Foreign Policy, Oxford, Oxford university Press, 1984, p.119.

[8] H.KISSINGER, A la Maison Blanche, 1968-1973, (tome I),Paris, Fayard, 1979, p. 27.

[9] Ibidem, p. 29.

[10] Le JCS est créé en 1942 par F.D. Roosevelt afin de répondre aux exigences de la seconde guerre mondiale. Durant celle-ci le JCS établit la stratégie, les relations avec les alliés.

[11] H.R. McMASTER, Dereliction of Duty, New York, Harper Collins Publishers, 1997, p. 13.

[12] Ibidem,. pp. 20.

[13] Ibidem, pp.11-12.

[14] Ibidem, p. 22.

[15] J.-P. MAYER, Rand, Brookings, Harvard et les autres : les prophètes de la stratégie des Etats-Unis, Paris, Addim 1997, p. 71.

[16] H.KISSINGER, A la Maison Blanche 1968-1973, (tome I). op.cit., p. 36.

[17] Michael Forrestal (Asie de l’Est),Ralph Dungan (Amérique latine), Arthur Schlesinger (Europe), W. Rostow (Tiers-monde)sont R. Komer (aspects stratégiques et militaires)sont entre autres membres de ce mini département.

[18] J.T. NASH, op.cit., p. 117.

[19] H.R. McMASTER, op.cit., p. 5.

[20] B. RUBIN, op.cit., p.105

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