Chapitre 5 – Pacifisme et philosophie politique – le rejet de Clausewitz …

Il existe une attitude qui consiste à refuser la valeur de la Formule et du concept d’anéantissement qui procède de l’association des deux variables en un même paradigme – comme si une solidarité intrinsèque liait les deux termes. On retrouvera d’abord cette façon d’appréhender Clausewitz chez ceux que l’on nomme couramment les libéraux – généralement associés avec la frange démocrate et plutôt progressiste de la société. Ceux-ci déplorent particulièrement le cynisme de l’officier prussien.[1] Indéniablement, cette prise de position est marquée par l’avènement du nucléaire et l’effroi que suscite l’évocation du nom de Clausewitz en regard des nouvelles armes.

Ainsi, en combinant les théories de Clausewitz à la vision douhetiste du combat, un mélange détonnant semble apparaître. Clausewitz, qui interdit toute considération morale dans la guerre, donnerait toute latitude à l’enracinement des idées de Douhet sur le bombardement des populations civiles. La tendance qui consiste à assimiler Clausewitz – selon une conception où la guerre absolue est en fait devenue guerre totale – , Douhet et l’arme nucléaire en un ensemble homogène est aussi observable dans la littérature non militaire, comme dans la philosophie de la guerre et de la paix. Evidemment, le rejet est complet. Suite à l’invention de l’arme nucléaire, la guerre ne pourrait plus être le moyen de la politique. La guerre ne serait plus que le moyen d’un suicide collectif. La diplomatie prendrait la relève de la guerre comme outil de la politique.[2]

La prise de position de Hannah Arendt et Anatol Rapoport à l’égard de Clausewitz est symptomatique de cette tendance. Mais il est toutefois important de bien distinguer le cas de Hannah Arendt, qui considère Clausewitz en erreur dans son analyse et celui de Anatol Rapoport, qui admet plus largement la validité de Clausewitz à l’époque où On War a été écrit. Ce dernier désire surtout dépasser la pensée du Prussien. Rapoport accepterait une Formule telle que « la diplomatie est la continuation de la politique par d’autres moyens », mais dans l’environnement international de la guerre froide, et comme Arendt, il se refuse à considérer l’emploi d’armes nucléaires comme un outil du politique.

Le cas de Hanna Arendt (1907-1975), lui, est intéressant pour deux raisons. D’abord, parce qu’elle a consacré la plus grande part de son travail à la politique. Elle étudie les phénomènes du nazisme et du stalinisme, développe ses recherches sur le totalitarisme et la violence pour ne nommer que quelques thèmes prééminents de sa pensée. Ensuite, il faut noter que la philosophe s’exile d’Allemagne en 1933 vers la France, suite à la montée du nazisme. Dans un deuxième temps, elle prend le chemin des Etats-Unis en 1941. Elle deviendra citoyenne américaine en 1951.[3]

A travers certains ouvrages d’Hannah Arendt se dégage une image négative de Clausewitz. Dans Du mensonge à la violence, Clausewitz est cité à trois reprises dans son index.[4] D’abord dans un essai sur la violence, elle cherche à remonter aux sources même du phénomène. Mais lorsqu’elle aborde Clausewitz, de manière très brève, en parallèle avec d’autres auteurs comme Engels ou Renan, elle considère leur apport marginal. Elle pense qu’ils ne vont pas au cœur du phénomène. Clausewitz voit la guerre comme une continuation du politique et Engels comme un moteur de développement des sociétés. H. Arendt reproche à ces auteurs de ne pas étudier la violence mais son continuum, ou son expression ; économique pour Engels et politique pour Clausewitz.

La philosophe se demande pour finir si la relation entre le continuum et la violence ne doit pas être inversée. Ainsi, le politique et l’économique, dans ces cas de figures, nourriraient la violence, ou plus particulièrement, la guerre. Elle en vient donc à adopter une formule différente : la paix est la continuation de la guerre par d’autres moyens. Autrement dit, l’organisation de la société aurait pour finalité la guerre. Ce dernier phénomène ne serait, par conséquent, plus un moyen. Le système belliqueux évoqué devrait alors être pris comme système social de base.[5] La philosophe insiste sur le danger résultant de cette conception dans un monde nucléaire. Laissant glisser en filigrane la notion de métastratégie, H. Arendt cite ensuite le physicien Sakharov selon qui une guerre thermonucléaire ne serait rien d’autre qu’un suicide universel et non l’expression de la politique comme Clausewitz l’entendait.[6] Plus accessoirement, H. Arendt puise en Clausewitz une définition du pouvoir, soit un acte qui permet de contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté.[7]

Pour résumer, elle voit en Clausewitz, au travers de la Formule, une monstruosité tentant de légitimer la guerre en un acte rationnel – acte irréconciliable avec la Raison selon elle. Ce qui lui permet ensuite de s’attaquer à la vision réaliste des relations internationales, postulant le primat de la politique étrangère.[8] Elle s’attaque encore à Clausewitz lorsqu’elle affirme que c’est sous son influence que Lénine rêva de guerre comme moyen pour entraîner l’écroulement du capitalisme.[9]

On en concluera, bien naturellement, que l’opinion de H. Arendt à propos de Clausewitz est négative car elle voit en lui le promoteur d’une vision réaliste du monde à laquelle elle s’oppose. De plus, elle stigmatise son absence de préceptes moraux. On peut toutefois se demander si la philosophe ne s’est pas limitée à la lecture du premier livre de On War. On retrouvera certains travers assez similaires chez Manus Midlarsky dans un ouvrage qu’il a justement intitulé On War.[10]

Le deuxième anti-clausewitzien notoire, contemporain de Hannah Arendt, est Anatol Rapoport. Anatol Rapoport est surtout connu dans le débat clausewitzien pour l’édition d’une version abrégée de On War en 1968. Dans cet ouvrage, il signe une longue préface et un commentaire de fin de livre. Il voit d’abord dans la Formule un objectif à atteindre, une prescription, et non la nature des choses. De plus, pour lui l’objectif politique s’avère bien souvent soumis aux possibilités militaires. Et le mathématicien de se demander qui des fins ou des moyens finit par dicter sa conduite à l’autre. Il pense également que Clausewitz ne conçoit pas d’intermédiaire entre état de paix et état de guerre. Au total, il récapitule le travail du Prussien comme suit : (1) l’Etat doit être considéré comme une entité vivante et faisant preuve d’intelligence, (2) les Etats sont souverains, (3) le but de l’Etat est d’acquérir plus de puissance et le moyen d’y parvenir est le conflit, (4) donc le fait d’imposer sa volonté à un autre Etat par la force est le schéma normal des relations internationales.

Rapoport reconnaît néanmoins l’apport de Clausewitz dans la compréhension de la guerre. L’édition de ce livre lui donne une bonne occasion de critiquer ceux qu’il nomme les néo-clausewitziens, cristallisés en la personne de Herman Kahn qui pousserait à leur paroxysme les idées de Clausewitz. Rapoport distingue donc bien les néo-clausewitziens de Clausewitz lui-même. Pour lui, ceux-ci insistent pour ne pas rendre la guerre illégale, mettent en évidence les difficultés de la « civilisation occidentale » face au monde communiste et ont foi dans l’idée que la guerre peut être contrôlée et gagnée. Mais la guerre froide a changé la donne. L’époque de Clausewitz est révolue et la victoire devient un concept dangereux dans un monde nucléaire. Le containment s’avère nettement plus sage.[11]

L’auteur réfute donc la thèse de Clausewitz selon laquelle la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Pour lui, la guerre est simplement la déformation d’une dispute mortelle – deadly quarrel. En un sens, la coupure avec les interprétations modernes de la Formule n’est peut-être pas si marquée. Aujourd’hui, de nombreux interprètes de Clausewitz sont d’accord d’affirmer que la guerre n’est pas la fin de toute communication, elle ne constitue pas une rupture totale par rapport au temps de paix. En fait, Anatol Rapoport fait référence aux travaux de Thomas Schelling. Ce dernier a une vision du conflit dans lequel on trouve toujours une part de coopération.

Pour finir, toujours selon Anatol Rapoport, Staline, Machiavel et Clausewitz symbolisent le réalisme politique, soit la recherche de la puissance. Mais il leur attribue une pensée de type « jeux à sommes nulle ». En fait, l’approche privilégiée par Rapoport en matière d’analyse des conflits est celle des mathématiques et des statistiques.[12]

[1] Barnett C., « Karl Maria von Clausewitz », dans The Horizon Book of Modern Thought, New York, American Heritage Publishing Co., Inc., 1972, p. 307.

[2] Friedrich C.J., « War as a Problem of Government », et Hartman R.S., « The Revolution Against War », dans Ginsberg R., (dir.), The Critique of War – Contemporary Philosophical Explanations, Chicago, Henry Regnery Company, 1969, respectivement pp. 165-166 et p. 310.

[3] Courtine-Denamy S., « Chronologie (Dossier – Hannah Arendt) », Le Magazine Littéraire, Novembre 1995, pp. 18-21.

[4] Arendt H., Du Mensonge à la violence – Essais de politique contemporaine, ( The Crisis of the Republic, 1969 – traduit de l’anglais par Durand G.), Paris, Pocket, 1994, 249 p. Ce livre, composé de plusieurs essais, a été écrit en « réponse » à la sortie des Pentagon Papers. Ce document, qui avait été rédigé sur demande de R.S. MacNamara et classé secret, n’en fut pas moins publié par le New York Times suite à des fuites. Cette lourde étude, dont la version complète ne fait pas moins de 3.000 pages d’histoire narrative et 4.000 supplémentaires d’appendices, montre comment les Etats-Unis se sont progressivement engagés dans le bourbier vietnamien. On retrouvera les extraits publiés par le New York Times dans The Pentagon Papers, Toronto-New York- Londres, Bantam Books, 1971, 677 p.

[5] Arendt H., Du Mensonge à la violence – Essais de politique contemporaine, ( The Crisis of the Republic, 1969 – traduit de l’anglais par Durand G.), Paris, Pocket, 1994, p. 112. Nous ne sommes pas convaincus par une telle assertion. A partir du moment où il y a système social, nous voyons mal comment celui-ci ne s’organise pas autour d’un minimum de politique.

[6] Ibid., p. 112 ; Sur base de l’ouvrage de Sakharov Progress, and Intellectual Freedom.

[7] Ibid., p. 136. H. Arendt « lie » cette définition à celle de Max Weber pour qui le pouvoir consiste à faire prévaloir sa volonté malgré les résistances de l’individu.

[8] Arendt H., Qu’est-ce que le politique?, Paris, Seuil, 1995, pp. 126-127 ; 135.

[9] Arendt H., « Rosa Luxembourg 1871-1919 » (article traduit de l’anglais par Cassin B.) dans Arendt H, Vies Politiques, Paris, Gallimard, 1974, p. 65. Sur base d’un article de Werner Hahlweg sur Lénine et Clausewitz.

[10] Midlarsky M.I., On War, New York, The Free Press, 1975, p. 1. Robert L. Kerby a beaucoup critiqué cet ouvrage. Il souligne que les hypothèses de recherche de Midlarsky ne sont guère innovatrices pour un lecteur familier de Clausewitz, Machiavel ou Thucydide. Kerby reproche aussi à l’auteur d’avoir cité Clausewitz non sur base de On War mais d’un ouvrage de citations (Bartlett’s Familiar Quotations). Kerby R.L., « On War Games – Reviews », The Review of Politics, janvier 1976, pp. 129-130.

[11] Clausewitz C. von, On War, (ed. by A. Rapoport), Londres, Penguin Books, 1968 (translation published by Routledge & Kegan Ltd., 1908), pp. 13 ; 61-67 ; 77 ; 411-412. (Introduction by F.N. Maude and J.J. Graham). Nous retrouvons, dans cette compilation de textes, les livres I, II, III, IV et VIII du Traité de Clausewitz.

[12] Rapoport A., « Lewis Fry », dans The International Encyclopeadia of Social Sciences, New York, MacMillan, 1968, vol. 13, p. 516 ; id., Fights, Games, and Debates, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1960, p. vii ; id., Strategy and Conscience, New York, Harper & Row, Publishers, 1964, pp. 110 ; 182-183. Anatol Rapoport a aussi exprimé des idées assez similaires, mettant en cause la littérature militariste (Clausewitz tombant dans cette catégorie) dans : id., « Changing Conceptions of War in the United States », dans Booth K. & Moorhead W. (dir.), American Thinking About Peace and War, New York, The Harvester Press / Barnes and Noble, 1979, pp. 59-82. Voir aussi la critique de Strategy and Conscience : Burns A.L., « Must Strategy and Conscience Be Disjoined? », World Politics, juillet 1965, pp. 687-702. La critique d’Anatol Rapoport n’est pas très éloignée de celle de Jorge Tapia-Valdes, un ancien ministre chilien. Jorge Tapia-Valdes postule l’existence d’un paradigme néo-clausewitzien, régnant au travers des écrits de divers analystes civils américains. Le paradigme est marqué par la non-différenciation entre guerre et politique, renforcé par le sentiment de menace à l’égard de la « subversion ». En découle l’intrusion du militaire dans la gestion politique – politique étrangère et politique interne – des nations. Les concepts de stratégies indirectes et Grand Strategy sont également de nature à étendre le champ d’action du militaire au détriment du civil. Le militaire assure donc la sécurité par une « idéologie » hautement techniciste mais faussement neutre. Cette idéologie se rencontre également de plus en plus souvent dans le domaine économique. Sous le couvert de la bonne décision, aucune approbation populaire ni critique morale n’est plus nécessaire. Tapias-Valdes J., La stratégocratie: un modèle néo-clausewitzien de militarisme, Cahier du CERIS, Tome 2, n°1, Janvier 1991, 47 p.

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Chapitre 4 – Un détour britannique – Liddell Hart

Il est intéressant d’envisager ici le cas particulier du britannique Liddell Hart (1895-1970) au regard à la fois de Clausewitz et du discours stratégique américain.[1] Liddell Hart est un des plus importants stratégistes du XXe siècle. La diffusion de ses idées a été assez aisée aux Etats-Unis – absence de barrière linguistique aidant certainement. Mais plus encore, Liddell Hart est unique car il reste un des critiques les plus acerbes de Clausewitz. On tentera de cerner l’impact de ses écrits aux Etats-Unis en commençant par évaluer son opposition au Prussien.

Tout d’abord, on retrouve déjà des critiques de Clausewitz dans The British Way in Warfare publié en 1932.[2] Mais l’opinion de Liddell Hart devient encore plus virulente dans de The Ghost of Napoleon qui est peut-être le plus virulent des pamphlets anti-clausewitziens jamais écrit. Toutefois, après une lecture attentive, il n’est pas toujours très clair si Liddell Hart attaque directement Clausewitz ou sa « filiation intellectuelle ». Il est vrai que l’historien britannique reproche au Prussien d’être responsable des massacres de la Première Guerre mondiale par la diffusion de ses idées.[3] Clausewitz se voit en tout cas consacré un chapitre intitulé le Mahdi des masses. Si le Britannique paraît acerbe envers le Prussien, il devient plus agressif encore à l’encontre de Foch.[4] Depuis lors, la responsabilité de Clausewitz dans les opérations de la Grande Guerre a été remise en cause par divers travaux historiques. Clausewitz servit plutôt de véhicule, conférant une dimension de référence, à une pensée déjà largement formée. Cette pensée accordait le primat aux valeurs morales et spirituelles de la guerre … face au feu des mitrailleuses.[5]

Plus tard, dans le livre The Defence of Britain (1939), on retrouve encore des critiques anti-clausewitziennes. Mais, une fois de plus, elles sont assez directement dirigées à l’encontre des ses soi-disant disciples : von der Goltz, Foch, etc. En fait, il est assez étrange d’étudier comment Liddell Hart appréhendait Clausewitz alors. D’un part, il le considère comme le théoricien de la guerre illimitée, ou totale et, d’autre part, il concède qu’une partie du raisonnement clausewitzien est le fruit d’un pur travail d’abstraction.[6] Liddell Hart ne semble pas convenablement dissocier la guerre absolue de la guerre dans la réalité.

Après la Seconde Guerre mondiale, les critiques de Clausewitz se font moins nombreuses dans ses livres (comme dans son Histoire de la Seconde Guerre mondiale publiée à titre posthume).[7] On ne trouve même pas de référence à Clausewitz dans les textes de l’auteur dans l’ouvrage collectif The Red Army, ni dans Deterrent or Defence.[8] De même, dans son avant-propos à The Art of War de Sun Zi, publié pour la première fois en 1963, Liddell Hart ne noircit pas Clausewitz outre-mesure. Tout au plus indique-t-il qu’il a vieilli et est partiellement périmé.[9]

Mais l’ouvrage de Liddell Hart le plus largement répandu dans la communauté militaire américaine est probablement Strategy. L’édition de 1954 aurait été vendue a plus de 50.000 copies, celle de 1967 à 100.000 exemplaires (dans sa version hardback) rien qu’aux Etats-Unis.[10] C’est dans ce livre qu’on retrouve l’idée d’approche indirecte le plus clairement systématisée : Liddell Hart reconnaît le principe de soumission de l’objectif militaire au politique, montre que la stratégie est elle-même soumise à la Grand Strategy, insiste sur les notions de surprise, de mouvement, d’économie des forces, de dislocation de l’ennemi plutôt que destruction. Comment est produite la dislocation ? Elle est atteinte par quatre moyens ; (1) en obligeant l’ennemi à des changements de fronts, (2) en le forçant à séparer ses forces, (3) en menaçant son ravitaillement, et (4) ses lignes de retraites. L’effet psychologique découle du sentiment d’être piégé. Liddell Hart se montre aussi sceptique à l’encontre des principes de la guerre. Un principe est souvent composé d’un seul terme. Mais pour le comprendre, des milliers de mots sont souvent nécessaires. Ils sont si abstraits qu’ils prennent une multitude de significations pour celui qui les lit. Plutôt que d’utiliser des principes, Liddell Hart résume sa pensée en huit points, six positifs et deux négatifs. Les points positifs sont : (1) d’ajuster ses moyens à ses objectifs ; (2) de toujours garder à l’esprit son objectif ; (3) de choisir la ligne de moindre attente (dans la sphère psychologique) ; (4) d’exploiter la ligne de moindre résistance (dans la sphère physique) ; (5) choisir une ligne d’opération qui offre des objectifs alternatifs. Les deux points négatifs sont : (1) de ne pas jeter tout le poids de ses forces lorsque l’ennemi est sur ses gardes ; (2) ne pas recommencer une attaque en un endroit où elle a déjà échoué. L’historien britannique considère ensuite la pensée de Clausewitz dans une partie consacrée à la stratégie et la Grand Strategy. Il admet que Clausewitz a contribué à attirer l’attention sur les facteurs psychologiques de la guerre, mais il lui reproche une pensée trop continentale. Il le définit comme un penseur codificateur plutôt que créatif. Il montre aussi une certaine compréhension de la guerre au niveau abstrait par opposition à la guerre dans la réalité. Comme J.F.C. Fuller, il insiste sur le fait que le but de la guerre est d’obtenir une meilleure paix et s’intéresse au mécanisme d’équilibre de puissances.[11]

Il faut encore ajouter que dans la première édition de Makers of Modern Strategy, Hans Rothfels mettait en évidence la dichotomie des deux penseurs. Le Britannique était décrit comme le tenant d’une approche insulaire et le Prussien, d’une approche continentale. Pour l’auteur, le facteur qui permettait de distinguer les deux formes de stratégie était d’abord l’existence, ou l’absence, d’une armée de masse.[12]

A proprement parler, le premier élément à retenir à propos de Liddell Hart et du discours stratégique américain est que le Britannique a publié un nombre non négligeable d’articles au sein de la Military Review.[13] Ces articles concernent diverses problématiques que l’on aura l’habitude de croiser dans la réflexion de l’historien, principalement à propos de la Blitzkrieg et du déroulement de la Seconde Guerre mondiale. Liddell Hart participe donc bel et bien à la formation du discours stratégique par ce biais. On notera pourtant que ces articles ne contiennent pas de références à Clausewitz, ni positives, ni négatives. En fait, la même Military Review publia à plusieurs occasions des critiques des livres de Liddell Hart. Ainsi, The Defence of the West fut apprécié alors que The Other Side of the Hill est mal reçu.[14] La critique de l’ouvrage Strategy est plus intéressante car elle tend à placer Liddell Hart dans la même catégorie de penseur que Clausewitz. Liddell Hart, Clausewitz et les Field Services Regulations ne postulent-ils pas tous la destruction des forces armées ennemies, se demande l’auteur du texte.[15]

Indiquons encore que l’activité professionnelle de B.H. Liddell Hart s’étendit par delà l’Atlantique. Il enseigna à l’université de Californie comme Visiting Professor et donna des conférences à l’U.S. Naval War College.[16] A cela, il faut encore ajouter que le Britannique se fit connaître dans différents ouvrages mettant en avant ses qualités d’historien.[17]

Durant la période considérée, le nom de Liddell Hart apparaît aussi régulièrement dans divers textes signés par des auteurs américains célèbres, dont Morton Halperin, Bernard Brodie et Robert Osgood. Mais ici encore, on se focalise très rarement sur les rapports qu’il entretient avec Clausewitz.[18] Un auteur lui décerne toutefois le titre de Clausewitz du XXe siècle.[19] Un bémol surgit malgré tout dans un livre de l’amiral Wylie datant de 1967. L’amiral note qu’il est normal que tant de militaires n’apprécient pas Liddell Hart car il s’oppose aux idées de Clausewitz, celles de la bataille décisive et de la guerre d’anéantissement.[20] On notera au passage que les textes américains gardent souvent une tonalité critique quant à la façon dont Liddell Hart se présente (comme le maître de la Blitzkrieg des Allemands ou le père spirituel des tankistes israéliens).

En conclusion, il paraît exagéré d’affirmer que Liddell Hart a gravement nuit à la réputation de Clausewitz pour la période donnée. Néanmoins, l’historien a indéniablement eut un impact dans la pensée stratégique américaine.

[1] En guise d’introduction à la carrière et à la pensée de l’auteur, on lira : Liddell Hart B.H., Mémoires, (Memoirs, 1965 – traduit de l’anglais par Constantin J.-P.), Paris, Fayard, 1970, 557 p. ; Blin A. et Chaliand G., op. cit., pp. 407-409 ; Danchev A., « To Hell, or, Basil Hart Goes to War », The Journal of Strategic Studies, décembre 1997, pp. 69-93. On lira aussi, sur l’évolution de sa pensée : Poirier L., « Lire Liddell Hart » dans Liddell Hart B.H., Stratégie, (Introduction et traduction de l’anglais par Poirier L.), Paris, Plon, pp. 7-63.

[2] Liddell Hart B.H., The British Way in Warfare, Adaptability and Mobility, (revised edition), NY – Harmondsworth, Peguin Books, 1942 (1932), 223 p.

[3] Id., The Ghost of Napoleon, Londres, Faber & Faber, 1933, pp. 118-129. Plus récemment, le Britannique Richard Simpkin n’est parfois pas très loin de la tonalité de Liddell Hart lorsqu’il écrit à propos de Clausewitz. Pour Simpkin, Clausewitz fait preuve de prétentions philosophiques alors qu’il ne sait pas y faire face. De plus, toujours selon Simpkin, le Prussien « succomba aux harmonies wagnériennes ». Simpkin R.E., Race to the Swift, Londres, Brassey’s, 1985, pp. 9 et 11. B.H. Liddell Hart écrivit une histoire de la Première Guerre mondiale, dans laquelle nous n’avons pas trouvé de référence à Clausewitz. Il est vrai que ce livre se consacre plus à l’étude des événements que du contexte intellectuel et des doctrines qui ont sous-tendu les opérations. Id., The Real War 1914-1918, Boston-Toronto-Londres, Little, Brown and Co., 1964 (publié pour la première fois en 1930), 508 p.

[4] En fait, nous pensons pouvoir affirmer que Liddell Hart en veut nettement plus à la filiation qu’à Clausewitz lui-même.

[5] Voir par exemple : Travers T.H., « Technology, Tactics, and Morale: Jean de Bloch, the Boer War, and British Military Theory, 1900-1914 », Journal of Modern History, juin 1979, p. 273 ; Howard M., « Men against Fire: The Doctrine of the Offensive in 1914 », dans Paret P., Makers of Modern Strategy, op. cit., pp. 510-526.

[6] Liddell Hart B.H., The Defence of Britain, Londres, Faber & Faber, 1939, pp. 27-36.

[7] Dans son histoire de la Seconde Guerre mondiale, publiée a titre posthume, il ne fait qu’une seule référence à Clausewitz dans le cadre de la campagne allemande en Russie en 1941 : Certains généraux allemands voulaient détruire les armées russes au cours d’une bataille décisive sur le modèle classique de l’encerclement, qu’il faudrait mener à bien aussitôt que possible après avoir traversé la frontière. Leur plan obéissait à la théorie stratégique orthodoxe formulée par Clausewitz, instituée par Moltke et développée par Schlieffen. Id., Histoire de la Seconde Guerre mondiale, (History of the Second World War, 1970 – traduit de l’anglais par Constantin J.-P.), Paris, Fayard, 1973, p. 164.

[8] Dans The Red Army, nous retrouvons trois références à Clausewitz, mais aucune n’est de Liddell Hart. La première relativise la pensée de Clausewitz dans la doctrine stratégique soviétique ; la seconde, paradoxalement, remet en évidence l’impact de Clausewitz et Moltke au sein de l’état-major soviétique ; la troisième met en évidence le rôle de Hegel et de Clausewitz dans l’idéologie communiste. Respectivement: Guillaume A., « The Relationship of Policy and Strategy » ; Koriakov M., « The Military Atmosphere » ; Reinhardt G.C., « Atomic Weapons and Warfare » dans id. (dir.), The Red Army, New York, Harcourt, Brace and Company, 1956, pp. 239, 418, et 437 ; id., Deterrent or Defence – A Fresh Look at the West’s Military Posture, Londres, Stevens & Sons Ltd., 1960, 257 p.

[9] Sun-Tzu, L’Art de la guerre, (The Art of War, texte anglais de Griffith S.B., publié pour la première fois en 1963), Paris, Flammarion, 1972, pp. 5-8.

[10] Danchev A., « Liddell Hart’s Big Idea », Review of International Studies, janvier 1999, p. 3.

[11] Id., Strategy, (revised ed.) New York, Praeger Paperbacks, 1954, pp. 333-372. Cet ouvrage a d’abord été publié sous le titre Paris; The Decisive Wars of History: A Study in Strategy en 1929 et édité en Grande-Bretagne sous le titre Strategy: The Indirect Approach en 1954.

[12] Rothfels H., « Clausewitz », dans Mead Earle E. (éd.), Les maîtres de la stratégie, vol. 1, op. cit., p. 116.

[13] Liddell Hart B.H., « Was the 1940 Collapse Avoidable? », Military Review, juin 1950, pp. 3-9 ; « Was Rusia Close to Defeat? Military Review, juillet 1950, pp. 10-15 ; « Western Defense Planning », Military Review, juin 1956, pp. 3-10 ; « The Great Illusion of 1939 », Military Review, janvier 1957, pp. 3-11 ; « How Hitler Broke Through in the West », Military Review, mars 1957, pp. 57-62 ; « How Hitler Saved Britain – Dunkerque and the Fall of France », Military Review, mai 1957, pp. 54-62 ; « The Ratio of Troops to Space », Military Review, avril 1960, pp. 3-11 ; « Strategy at War », Military Review, novembre 1968, pp. 80-85 (initialement publié en avril 1968 dans la revue irlandaise Cosantóir).

[14] Respectivement : -, « Books for the Military Reader – Defence of the West by B.H. Liddell Hart », Military Review, mars 1951, p. 111 ; Reinhardt C.E., « Books for the Military Reader – The Other Side of the Hill », Military Review, mars 1952, p. 111.

[15] Marshall H., « Books of Interest to the Military Reader – Strategy », Military Review, février 1955, p. 110.

[16] Lewin R., « Sir Basil Liddell Hart: The Captain Who Taught Generals », International Affairs, janvier 1971, pp. 79-80

[17] On retiendra avant tout : Luvaas J., The Military Legacy of the Civil War – The European Inheritance, Chicago, The University of Chicago Press, 1959, 252 p. ; id., The Education of an Army – British Military Thought, 1815-1940, Chicago, The Chicago University Press, 1964, pp. 376-424 ; Howard M. (dir.), The Theory and Practice of War, (Essays Presented to Captain B.H. Liddell Hart), Londres, Cassel, 1965, 376 p.

[18] Citons pêle-mêle : Halperin M.H., Limited War in Nuclear Age, op. cit., 191 p. (voir annexe bibliographique) ; Bond B., « Nuclear-Age Theories of Sir Basil Liddell Hart », Military Review, août 1970, pp. 10-20 ; Brodie B., « More About Limited War », art. cit., pp. 112-122 ; Monroe R.R., « Limited War and Political Conflict », Military Review, octobre 1962, pp. 2-12 ; Osgood R.E., « Limited War », dans The International Encyclopeadia of Social Sciences, MacMillan, 1968, New York, vol. 19, pp. 301-307 ; Smith D.O., US Military Doctrine, op. cit., pp. 83-86 ; Sien-Chang N., « Lesson of the Schlieffen Plan », Military Review, octobre 1967, pp. 83-90 (origine australienne) ; Bell H.L. (Australian Army), « It’s Now! », Military Review, décembre 1962, pp. 69-74 ; Tompkins J.S., The Weapons of World War III, New York, Doubleday & Company, Inc., 1966, p. 46 ; Kreeks R.G., art. cit., pp. 34-40 ; McCuen J.J., « Defensive-Offensive », Military Review, décembre 1959, pp. 45-51 ; Weller J., « Sir Basil Liddell Hart’s Disciple in Israel », Military Review, janvier 1974, pp. 13-23 ; Schmidt C.T., « The Limitation of Total War », Military Review, septembre 1949, pp. 13-16.

[19] Walder J.W., « Liddell Hart », Military Review, septembre 1954, pp. 32-45.

[20] Wylie J.C., op. cit., p. 68.

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Chapitre 3 – Les premiers pas de la stratégie nucléaire et la guérilla – des références clausewitziennes limitées

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il existe assez peu de liens entre Clausewitz et les premiers théoriciens de l’arme nucléaire. Comme l’a fait remarquer Bernard Brodie, les stratégistes de l’époque ont généralement une formation d’économiste, de politologue, des connaissances en philosophie, parfois en physique (c’est le cas de H. Kahn). Mais généralement, ils se donnent peu la peine d’étudier l’histoire.[1]

Pourtant certains stratégistes se sont vus affublés une étiquette de néo-clausewitziens. Il convient donc de reprendre les écrits de quelques théoriciens et de tenter de cerner l’impact des références éventuelles du Prussien dans leur travail. Robert Osgood et Henry Kissinger seront placés dans cette partie de l’analyse de façon plutôt arbitraire. En effet, les ouvrages cités de ces deux penseurs ne concernent qu’en partie la problématique du nucléaire ; ils touchent à d’autres sujets comme les alliances, la guerre limitée, la guerre conventionnelle, etc. Toutefois, il paraissait plus adéquat de les placer ici car leur œuvre consacre de façon évidente la notion de dissuasion stratégique.

Lorsque le général Eisenhower est à la Maison Blanche dans les années 50, il se décide à entreprendre des changements dans la politique de défense des Etats-Unis. Sous sa présidence sera introduit le concept de new look. Selon Eisenhower lui-même, le new look consistait à redistribuer les ressources entre cinq catégories de forces [c’est-à-dire : (1) les forces d’attaque ou de représailles nucléaires ; (2) les forces déployées outre-mer ; (3) les forces devant assurer, en cas d’urgence, la liberté des routes maritimes ; (4) les forces destinées à protéger les Etats-Unis contre une attaque aérienne ; (5) les forces de réserve]. Un accent particulier était posé sur le rôle à la fois préventif et destructeur des armements nucléaires ainsi que sur la défense aérienne.[2] En d’autres termes, l’administration américaine s’engage dans une stratégie qui donne la prééminence au nucléaire. C’est l’époque de la doctrine des représailles massives. Un des objectifs de cette stratégie est la recherche d’économie ; l’arme nucléaire a un potentiel destructeur plus important que les forces conventionnelles, mais elle nécessite naturellement moins d’effectifs.

Vers 1956, un mouvement s’amorce en défaveur de cette doctrine. Les généraux James Gavin, Maxwell Taylor et Matthew Ridgway de l’U.S. Army protestent et finissent même par démissionner. Cela leur permet de diffuser leurs critiques auprès de l’opinion publique. Si on peut lire des craintes corporatistes dans leur geste – c’est effectivement l’armée de terre qui a le plus à perdre dans les compressions budgétaires ; elle dispose des effectifs les plus élevés – il existe aussi une importante critique de fond. En 1957, John Foster Dulles, pourtant un des initiateurs de la doctrine de massive retaliations, commence aussi à remettre le concept en question. La communauté des théoriciens de la stratégie suit le mouvement avec Henry Kissinger, Bernard Brodie, William Kaufmann, Robert Osgood, etc.[3]

Pourquoi cette réaction ? La période correspond à l’érosion du monopole américain de l’atome. L’Union soviétique développant alors des capacités équivalentes à celles des Etats-Unis, il devenait pour le moins risqué d’adopter une doctrine du tout ou rien. De plus, cette doctrine avait déjà été mise à mal par l’expérience de la guerre de Corée. A cela, il faut encore ajouter l’apparition des armes thermonucléaires. Au total, la doctrine de représailles massives menaçait soit de faire tomber le monde dans un abîme, soit de réduire à une peau de chagrin la marge de manœuvres des Etats-Unis.

Quelques protagonistes de la remise en cause des représailles massives emprunteront des arguments à Clausewitz pour défendre leur cause. Tout d’abord, Robert E. Osgood fait publier Limited War, the Challenge to American Strategy en 1957.[4] Le point de départ de la critique d’Osgood est la constatation que les Etats-Unis ne sont pas à même de mener des guerres avec un objectif politique clairement délimité. Par contre, toujours pour Osgood, les Etats totalitaires (il fait toutefois une exception pour l’Allemagne hitlérienne où le fanatisme réduisait à néant la Raison) sont en mesure d’appliquer la Formule avec de moindres difficultés que les Etats démocratiques. Il prend la filiation marxiste – en y incluant Mao Zedong – de Clausewitz à témoin. Osgood montre qu’un Etat totalitaire peut museler son opinion publique. Ce faisant, l’Etat réduit l’impact que les sentiments et les passions populaires – qui peuvent conduire à la croisade morale – peuvent jouer dans la politique étrangère. Le tout évite des distorsions dans la conduite rationnelle et réaliste de la guerre. Il s’agit en quelque sorte d’un cynisme rationnel. En appliquant la Formule, modèle de rationalité de l’utilisation de la force, il deviendrait donc possible de limiter la guerre, et par conséquent de faire reculer la menace d’un holocauste nucléaire. Osgood se réfère encore au Prussien lorsqu’il évoque la tâche des hommes politiques : ils doivent réfléchir à la nature de la guerre dans laquelle ils s’engagent. Ils ont pour obligation de replacer la guerre dans un cadre strictement limité et déterminé par le politique, conception conflictuelle avec la réaction de MacArthur en Corée. Limitation des objectifs, limitation des moyens employés – donc critique du modèle de la guerre d’anéantissement -, et limitations géographiques s’imposent pour ne pas perdre le contrôle des conflits et empêcher l’escalade. Robert Osgood, comme Kissinger dans Nuclear Weapons and Foreign Policy, n’est pas contre l’utilisation d’armes nucléaires tactiques. Mais pour Osgood, pour éviter l’escalade, il faut employer les forces comme un moyen d’envoyer des signaux politiques à l’adversaire en vue d’une résolution diplomatique ultérieure des conflits. L’analyse de Robert Osgood est bien à replacer dans le contexte du containment. Elle tente de donner à cette doctrine une plus grande marge de manœuvre.[5]

En 1979, Robert Osgood reprendra les thématiques développées dans Limited War dans un ouvrage intitulé Limited War Revisited. L’ouvrage est d’abord une critique de la guerre du Vietnam. L’auteur y fera une utilisation identique de Clausewitz.[6]

Ensuite, l’année où paraît Limited War, the Challenge to American Strategy, paraît aussi le célèbre ouvrage Nuclear Strategy and Foreign Policy de Henry Kissinger. Henry Kissinger y fait le point sur la situation internationale en s’attardant bien entendu sur la relation entre le monde communiste et les Etats-Unis. Cet ouvrage s’organise autour de la critique de la doctrine des représailles massives car elle laisse les Etats-Unis, et plus particulièrement leur diplomatie, sans liberté d’action digne de ce nom. Dans cette lignée, le futur diplomate critique les idées de Douhet ; l’arme nucléaire donne une trop grande puissance aux armées. De plus, l’aspect force-in-being des flottes de bombardiers, soit de forces qui peuvent intervenir en permanence tant qu’on ne les a pas complètement éradiquées, s’avère très déstabilisant. Douhet serait donc obsolète.

Par contre, les Etats-Unis doivent se doter de capacités à mener des guerres limitées. La signature de pacte, la création d’une doctrine unifiée entre services du Pentagone, le développement d’une défense civile, la dispersion des bases stratégiques, l’adaptation des forces en vue de combats en milieu contaminé sont autant de moyens à considérer pour restaurer la marge de manœuvre diplomatique. Ces moyens donneraient de la crédibilité à la posture américaine. Henry Kissinger remet aussi en cause certaines idées largement répandues à l’époque : la probabilité d’une attaque nucléaire surprise est faible pour lui ; la modification de l’équilibre nucléaire par l’introduction d’une révolution technologique peu probable ; la réduction des armements atomiques est loin d’être la panacée ; et les conceptions selon lesquelles l’U.R.S.S. n’adhère pas à l’idée du rôle dissuasif des armements nucléaires est à relativiser. Henry Kissinger prend parti en faveur de l’utilisation des armes nucléaires tactiques. Il reviendra ultérieurement sur cette idée car la différenciation entre armes stratégiques et non stratégiques est trop ambiguë pour donner un rôle de combat, et non de dissuasion, à ce dernier type d’engins.[7]

Nuclear Weapons and Foreign Policy a été considéré comme clausewitzien car son auteur tente de rendre une fonction positive à la stratégie, à militer pour un retour des stratégies d’action. Il faut noter que Henry Kissinger cite le nom de Clausewitz à plusieurs reprises. Mais lorsqu’il le fait, c’est avant tout pour mettre en évidence l’utilisation par les chefs politiques soviétiques. Henry Kissinger ne réduit pas Clausewitz à l’idée d’anéantissement, ou de la rupture de la volonté de l’adversaire. Il insiste sur la Formule et le fait que la violence ne naît pas d’un vacuum mais d’une situation donnée : il ne peut y avoir de guerre totale conduite selon des considérations uniquement militaires. L’auteur conçoit bien que la politique, rationnelle dans son essence, a un effet limitatif sur la guerre – et en cela on peut aussi affirmer que son analyse est totalement compatible avec celle de Osgood. Kissinger implique que l’occident devrait prendre exemple sur Clausewitz comme le font les Soviétiques.[8]

Kissinger montre à première vue une bonne compréhension de Clausewitz. De là à le classer parmi les réels disciples du Prussien s’avère peut-être exagéré. En dehors de l’ouvrage Nuclear Weapons and Foreign Policy, Kissinger cite peu Clausewitz dans ses autres écrits.[9] Dans un ouvrage sur le diplomate, Bruce Mazlish note que celui-ci s’est forgé une Weltanschauung à partir d’éléments de la pensée de divers personnages historiques ; Spengler, Toynbee, Kant, Hegel, Marx, Dostoïevsky, Clausewitz, etc. En dehors de la compréhension de la Formule, la lecture de Clausewitz par Kissinger paraît globalement assez superficielle, et certainement très peu dogmatique. Bien que le diplomate ait rappelé aux Américains que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, il reste flou sur la politique qui sert de référence.[10]

En résumé, Kissinger et Osgood remettent en valeur la Formule. Au sein de l’armée, certains textes vont dans la même direction à l’époque. Parmi ces textes on peut constater que les termes Politics et policy sont confondus dans la Formule (voir infra pour plus de détails à l’égard de ces deux notions). On note aussi que, déjà à l’époque, la division entre politique interne et extérieure, est de plus en plus considérée comme surannée vu les nombreuses interconnections existant entre celles-ci. Les concepts de subversion et d’idéologie jouent un rôle non négligeable à ce propos. En tout cas, les tenants de cette approche ne voient plus en Clausewitz le chantre de l’anéantissement à tout prix. De même, ils ne le rendent pas responsable de la conception de reddition sans conditions, à laquelle le Prussien n’aurait probablement jamais donné son aval.[11]

Il faut encore prendre en compte le physicien et futurologue Herman Kahn (né en 1922). Herman Kahn a été très critiqué par Anatol Rapoport (sur Anatol Rapoport, voir infra) et qualifié par ce dernier de néo-clausewitzien.[12] Pourtant, le faisceau de preuve permettant de tracer un lien entre le Prussien et Kahn est mince. Christopher Bassford n’a pas trouvé de référence à Clausewitz dans On Thermonuclear War ni dans Thinking About the Unthinkable.[13] Par contre, il existe une mention à Clausewitz dans On Escalation – De l’Escalade pour la traduction française. Kahn y utilise l’officier prussien pour décrire le caractère froid, « machiavélique », dénué d’émotions, de la politique étrangère soviétique. Pour Kahn, la doctrine militaire des marxistes trouve son origine dans la pensée de Clausewitz. Il fait référence à la comparaison de Clausewitz entre guerre et commerce.[14] Une deuxième référence apparaît dans un ouvrage écrit en collaboration avec Anthony J. Wiener. Il s’agit de L’An 2000 – The Year 2000 – où Clausewitz est de nouveau cité en relation avec sa filiation marxiste. Et ici aussi, la citation reprend la comparaison entre la guerre et le commerce dans la correspondance entre Marx et Engels datée de 1857. La citation est issue de l’édition de 1943 de Makers of Modern Strategy.[15] Ces mentions s’avèrent toutefois insuffisantes pour déterminer si l’auteur a bien lu l’officier prussien. On peut donc se poser la question de savoir pourquoi Kahn a été qualifié de néo-clausewitzien. Il semblerait que cette étiquette provienne du rôle qu’il attribue aux armes nucléaires dans son œuvre ; elles peuvent devenir des instruments actifs du pouvoir politique et ne pas se contenter de servir la dissuasion.[16] C’est donc encore une fois la conception de l’anéantissement, nucléaire, qui surgit par ce biais. L’approche de Kahn envisage tellement de moyens d’utiliser la force qu’il convient plutôt de prendre ses précautions quant à voir en lui un disciple de l’anéantissement. Kahn ne rejette ni n’accepte cette modalité de la guerre, il constate simplement son existence parmi d’autres façons d’employer la force : le blocus, l’embargo, les mesures de rétorsion, etc. En fait, l’une des qualités les plus marquée de Kahn est son objectivité ; il ne réfute aucune modalité d’usage a priori – même si personnellement il semblait enclin à préférer une politique de no first use et ressentait des affinités pour un modèle de gouvernement mondial. On constatera que le sociologue français Raymond Aron critiquera l’approche par scénarios en matière de stratégie nucléaire, donc principalement celle de Herman Kahn, car celle-ci fait preuve de refus de conceptualisation théorique. Pour Aron, les études stratégiques doivent porter plus d’attention au phénomène interdisciplinaire. Elles ne doivent pas accorder une importance unilatérale soit à l’histoire, soit à l’économie mais sont surtout obligées de tenir compte du mécanisme de friction. Aron mentionnera que ni Kahn ni, par ailleurs, Albert Wohlstetter ne méritent le surnom de clausewitzien car leurs approches diffèrent trop de celle du Prussien.[17]

Enfin, il faut prendre en compte le cas de Thomas C. Schelling (né en 1921). Bien que non étiqueté néo-clausewitzien, cet auteur est un des pionniers de la recherche en matière de dissuasion. Un des ces principaux ouvrage est The Strategy of Conflict publié en 1963. Le livre est issu de la mouvance de la RAND Corporation.[18] Toute l’analyse de l’auteur repose sur la théorie des jeux. Mais cette approche oblitère la face humaine de la guerre. L’auteur ne nie d’ailleurs pas les limitations intrinsèques à ses outils théoriques. Toutefois Thomas C. Schelling introduit la notion de bargaining – marchandage – dans la stratégie nucléaire. Il donne donc un rôle positif, dans le sens de l’action, à l’arme nucléaire et ce malgré que son travail rentre dans le cadre de la dissuasion.[19] On lui reprochera d’être plus concerné par la maximisation de l’impact des actions de coercition que par la réduction des risques découlant de la pratique de la stratégie nucléaire.[20]

Le seul « véritable clausewitzien » parmi les pères fondateurs de la pensée stratégique nucléaire aux Etats-Unis est Bernard Brodie (1910-1978).[21] Avant la guerre, il mène des recherches sur la stratégie navale. Avec l’apparition de l’arme nucléaire, il s’intéresse aux problèmes du choix des cibles. Il se montre alors favorable aux idées de Douhet et en faveur de bombardements coercitifs en vue de mettre bas au régime soviétique en cas de guerre. La perpective de Brodie est ici d’envisager l’utilisation des armes nucléaires lors d’un conflit. Il faut attendre 1952 pour qu’il place le concept de dissuasion au centre de ses considérations stratégiques. Cette époque correspond à l’apparition de l’arme thermonucléaire.

Dans ses premiers textes, comme The Absolute Weapon, Brodie ne met pas en évidence le rôle de la diplomatie.[22] Il réfléchit surtout à la possibilité de mener une guerre nucléaire courte où l’effet de la politique pourrait sembler moindre.[23] Dans une allocution de 1950 à l’Air War College, il rejette même la validité de la Formule.[24] En fait, c’est principalement à partir de Strategy in the Missile Age, publié en 1959, que Brodie commence à largement se référer au Prussien.[25] Le théoricien constate clairement l’avènement de la rupture introduite par les armes thermonucléaires.[26] A partir de là, il va poser les jalons de la plupart des sujets de réflexion des années à venir sur la stratégie nucléaire : dynamique de mesure et contre-mesure ; difficulté de se défendre contre une attaque nucléaire – temps d’alerte et durée d’attaque raccourcis, difficulté de se protéger efficacement par des moyens passifs au cœur de l’explosion, phénomène de radioactivité – ; critique de la doctrine de massive retaliation ; doute quant aux notions d’attaque et de guerre préventive ; guerre limitée – de manière à influencer l’adversaire – et non recherche de la victoire par l’anéantissement ; effet stabilisateur des armes atomiques en Europe.[27] Strategy in the Missile Age cherche a évaluer l’adéquation qui peut exister entre l’atome et les théories de l’Airpower en prenant appui, pour commencer, sur les classiques de la stratégie. Au travers la lecture de Foch, Colin, Ardant du Picq, Grandmaison, Brodie note la supériorité généralement accordée à l’offensive par les militaires. Il confronte alors cette « école » de l’offensive aux enseignements de Clausewitz. Brodie suit le raisonnement suivant : Clausewitz affirme que le politique fixe l’objectif et le militaire est le moyen pour y parvenir. Par conséquent, la forme de la guerre – l’offensive ou la défense – dépendra du choix de l’objectif, donc du politique. Ensuite, il n’existerait pas de supériorité intrinsèque de l’offensive mais simplement une relation entre fins et moyens particulière à chaque situation (il s’agit aussi donc d’un refus du dogme de l’anéantissement). Brodie critique également les tenants de l’offensive à outrance de faire fi de concepts tel que le point culminant de la victoire et de ne pas reconnaître les limites de la théorisation possible de la guerre au travers des frictions (où l’on revient à la relation fins – moyens, qui est la seule que la théorie permet d’appréhender).[28] Bernard Brodie s’attarde ensuite sur la pensée de Douhet. Il constate que le douhetisme a eu un impact important parmi les forces aériennes américaines. Il fait remonter la filiation des idées de l’Italien au sein de l’U.S. Air Corps au milieu des années trente.[29] Cette affirmation sera pourtant contestée.[30]

Quoi qu’il en soit, pour Brodie, les théories de Douhet n’ont pas été validées par la Seconde Guerre mondiale.[31] Douhet développe l’idée selon laquelle la guerre moderne devrait devenir convulsive ; son intensité augmenterait dramatiquement dans une durée de temps compressée – et ce grâce à l’emploi des aéronefs. On est loin de la vision clausewitzienne tentant de faire rentrer la guerre dans le cadre de la rationalité politique. Avec Douhet, comme c’était le cas pour l’école de l’offensive à outrance, le risque de perdre de vue l’objectif politique est évident.[32] L’ouvrage Strategy in the Missile Age est bien accueilli dans les milieux militaires, à l’exception du reproche que fait l’auteur aux militaires de manquer d’intérêt pour l’étude de la stratégie.[33]

Selon Marc Trachtenberg, si Brodie est revenu à la valeur de la Formule c’est en considérant que si l’objectif politique de tout conflit doit être rationnel, les procédures d’emploi des armes doivent aussi l’être ; la règle de proportionnalité doit être respectée.[34]

Une démarche similaire à celle de Brodie – refus du dogme de la bataille d’anéantissement et primauté du politique -, avec référence à Clausewitz,[35] est aussi perceptible dans deux articles publiés respectivement en 1964 et 1972. Le premier texte, édité dans l’U.S. Naval Institute Proceedings prend comme point de départ la confrontation entre les Etats-Unis et Cuba. L’auteur montre à quel point les nouvelles technologies militaires peuvent imposer leur tyrannie sur le comportement des acteurs stratégiques. La question soulevée est celle de savoir comment utiliser l’armée, instrument du pouvoir politique, dans le contexte de la guerre froide.[36] Le deuxième article, publié dans la Military Review, montre que dans le cadre de la dissuasion, insuffisante mais nécessaire, la recherche d’objectif « absolu » est devenue trop dangereuse. La guerre totale est maintenant devenue une possibilité réelle. Il est donc vital que le politique apprenne à limiter son emploi de la force, comme Clausewitz l’enseigne.[37]

On peut aussi retrouver l’idée de la primauté du politique sur la grammaire militaire dans les écrits de politologues, spécialisés en relations internationales, généralement classés parmi l’école dite réaliste. Ainsi, Hans J. Morgenthau cite Clausewitz dans son ouvrage Politics Among Nations. Il adapte en fait la Formule, en notant qu’alors que la guerre était la continuation de la diplomatie par d’autres moyens, la diplomatie est devenue, pendant la guerre froide, un moyen de pratiquer la guerre.[38] Kenneth N. Waltz, un des fondateurs de l’école néoréaliste aux Etats-Unis, cite aussi Clausewitz dans Man, the State, and War en 1954. Il pense que bien que la guerre est un spectacle horrible, les Etats qui tiennent à la paix doivent se préparer au conflit de manière à ne pas inviter à l’agression. Par conséquent, le concept d’équilibre des puissances – balance of power – ne doit pas faire perdre de vue que l’utilisation de la violence est toujours possible.[39] Waltz citera aussi Clausewitz, par le biais de Brodie, dans son très polémique Nuclear Weapons – More May Be Better. Dans cette étude, il ne renie pas la valeur de la Formule à l’âge nucléaire.[40] Waltz y prétend que la diffusion des armes nucléaires ne serait peut-être pas si négative qu’on pourrait le croire. Partant de l’idée que le nucléaire dissuade uniquement du nucléaire, l’auteur pose que ce type d’armes est en mesure de sanctuariser le territoire. Elles pourraient donc assurer une plus grande stabilité dans l’ordre international.

Kenneth Waltz attribuera aussi un raisonnement clausewitzien à John F. Kennedy lors de la Crise des Missiles à Cuba. Pour Kennedy, ce n’était pas le premier pas qui importait dans le conflit potentiel, mais le cinquième ou le sixième … Waltz fait donc référence à la notion d’ascension de Clausewitz.[41] Toutefois, il est difficile d’affirmer que J.F. Kennedy a lu Clausewitz. On sait par contre que lors de la Crise des Missiles, le président lisait The Guns of August, un ouvrage sur le déclenchement accidentel de la Première Guerre mondiale. Or cet ouvrage contient un certain nombre de références à Clausewitz, le plus souvent en rapport avec l’idée de bataille décisive.[42]

Il faut encore indiquer que le diplomate George F. Kennan mentionne une fois Clausewitz dans ses Mémoires. L’homme était devenu célèbre par la rédaction d’un article intitulé The Source of Soviet Conduct publié dans la revue Foreign Affairs en 1947 et signé d’un X.[43] Cet article fut ensuite symboliquement considéré comme l’énoncé de la politique américaine de containment. Dans ses Mémoires, il cite le Prussien aux côtés de Machiavel, Galliéni et Laurence d’Arabie – il s’agit d’une référence à l’ouvrage Makers of Modern Strategy de Edward Mead Earle. Il milite pour une étude plus attentive des classiques de la stratégie en vue de mieux comprendre la guerre froide.[44]

Dans un ouvrage consacré à Kennan, D. Mayers rapporte que celui-ci croyait en la Formule de Clausewitz et pensait que la diplomatie, comme l’armée, constituait un outil de la politique. L’auteur met en évidence l’apport clausewitzien mélangé aux valeurs chrétiennes dans la vision de Kennan à propos des armes nucléaires. Pour le diplomate, l’utilisation de l’arme atomique n’est pas seulement non rationnelle, mais elle deviendrait un blasphème, un acte de nihilisme, qui ne peut revenir à l’homme mais à Dieu seul.[45]

Il convient d’ajouter dans cette partie quelques remarques sur le lien entre Clausewitz, la guerre de guérilla et la guerre limitée. En effet, le développement de la stratégie nucléaire est allé de pair avec celui des théories sur la guerre de guérilla et la guerre limitée. L’adoption d’une stratégie de riposte graduée avait pour corollaire la possibilité d’utiliser des forces à un niveau réduit. Il convenait donc de rechercher les références à Clausewitz en cette matière. On constatera d’abord, comme dans d’autres domaines, que Clausewitz et la guerre limitée sont parfois discutés par des auteurs étrangers dont les articles sont reproduits dans des revues américaines.[46] En dehors de cela, plusieurs points sont mis en évidence quant à l’apport du Prussien dans la petite guerre. Pour commencer, bien entendu, c’est le point de vue politique qui ressort. Dans la guerre de guérilla, l’élément politique est nettement plus visible que dans la guerre conventionnelle. La politique se manifestera souvent à des échelons inférieurs, par exemple, par l’idéologisation des combattants. Ensuite, les conceptions du Prussien sur la nature de la guerre, phénomène aux contours mal définis, espèce de spectre allant de l’observation armée à la bataille d’anéantissement, permet à certains de mieux classer et comprendre ce type de conflit. Clausewitz donnerait ici l’opportunité de relativiser le rôle de l’anéantissement et de mettre en évidence les différentes modalités d’exercice de la force. Tout cela convient très bien à la prise de conscience de la nouvelle donne internationale : guerre froide et arme nucléaire. Une fixation sur la notion d’anéantissement risquerait de trop polariser les relations entre l’Est et l’Ouest laissant entrevoir un possible échange nucléaire apocalyptique à terme. Enfin, l’idée des populations civiles armées et encadrées par des troupes régulières, que l’on peut trouver dans On War, offre des rapprochements possibles avec la situation vietnamienne. Clausewitz permet également d’attirer l’attention, au travers de quelques articles, sur le poids de l’opinion publique dans la stratégie. Il comble donc une carence des principes de la guerre qui ne mentionnent pas ce facteur si important dans la guerre de guérilla.[47]

Il faut également indiquer l’ouvrage Guerillas in the 1960’s de Peter Paret et John Shy, ouvrage publié en 1962. Les deux auteurs s’y insurgent contre la façon « mécanique » dont la guerre de guérilla est théorisée. Ce concept « à la mode » à l’époque est majoritairement traité par des « faiseurs de recettes ». Peter Paret et John Shy, eux, établissent un bilan historique du sujet. Clausewitz y trouve bien entendu une place de choix. Les auteurs établissent aussi une analogie entre la description de la relation offensive – défense décrite par Mao et le Traité. Ils montrent en quoi l’aspect politique et, plus encore, idéologique de la guérilla est fondamental et s’opposent aux réflexions purement militaires qui prévalent souvent.[48] Fait révélateur de l’approche américaine de la guerre, l’ouvrage de Peter Paret et de John Shy reçoit une critique plutôt négative de la Military Review car il n’est pas assez « prescriptif ».[49]

Samuel P. Huntington a également pris part à ce débat. Il affirme que la Formule convient non seulement aux relations entre Etats mais est aussi valable dans les guerres internes. La guerre devient donc la continuation de la lutte des groupes gouvernementaux – antigouvernementaux à l’intérieur de la société.[50] Huntington s’est aussi intéressé à la compréhension de la guerre limitée. Il pose la question de savoir quels sont les mécanismes qui permettraient aux Etats-Unis d’intervenir efficacement dans des conflits limités. Cette idée s’oppose à celle de croisade, croisade qui nourrit de nombreuses affinités avec les concepts de reddition sans conditions et anéantissement de l’adversaire. Il est vrai que l’on attribue traditionnellement aux Etats-Unis un tempérament peu enclin à limiter l’usage qu’ils font de la force, en temps de guerre, comme le fera remarquer le général Matthew B. Ridgway.[51]

Pour conclure, on constatera que le discours stratégique américain est divisé en deux tendances quant à la façon de placer Clausewitz en regard de la petite guerre. La première tendance cherche à trouver dans ses écrits des espèces d’instructions tactiques, sur un mode plutôt jominien. La seconde tendance vise la compréhension de la nature de la petite guerre et son agencement par rapport au politique.

[1] Brodie B., « Les stratèges scientifiques américains », dans Brodie B. (éd.), La guerre nucléaire – Quatorze essais sur la nouvelle stratégie américaine, (trad.), Paris, Stock, 1965, p. 24.

[2] Eisenhower D.D., Mes années à la Maison Blanche, Tome 1, 1953-1956, (trad. de l’américain), Paris, Robert Laffont, 1963, pp. 516-517. Le terme new look était une référence à la mode féminine. Le terme aurait été rendu public par l’amiral Radford dans un discours au Press Club de Washington le 14 décembre 1953.

[3] Voir par exemple : Weigley R.F., The American Way of War, A History of United States Military Strategy and Policy, Bloomington, Indiana University Press, 1973, p. 399-440 ; Schlesinger A.M. Jr., Les 1000 jours de Kennedy, (A Thousand Days – John F. Kennedy in the White House, 1965, traduit de l’américain sous la direction de Mehl R.), Paris, Denoël, 1966, pp. 284-285.

[4] Sur Osgood, voir aussi l’opinion mitigée de : Brodie B., « More About Limited War », World Politics, octobre 1957-1958, pp. 112-122. A propos des guerres limitées et conventionnelles, rien n’indique une lecture réelle de Clausewitz de la part de Morton Halperin dans : Halperin M.H., Limited War in the Nuclear Age, Londres, J. Wiley and Sons Inc., 1963, 191 p. ; id., Contemporary Military Strategy, Londres, Faber and Faber, 1967, 156 p.

[5] Osgood R.E., Limited War, the Challenge to American Strategy, Chicago, University of Chicago Press, 1957, 315 p.

[6] Id., Limited War Revisited, Boulder, A Westview Special Study, 1979, 124 p.

[7] Kissinger changera d’opinion dans The Necessity for Choice publié en 1961.

[8] Kissinger H., Nuclear Weapons and Foreign Policy, op. cit., 455 p. (sur Clausewitz voir pp. 340-343).

[9] Voir tout de même Years of Upheaval dans lequel Kissinger cite deux fois le Prussien. Il transforme la Formule en donnant à la diplomatie le rôle de guerre sous une autre forme. Id., Years of Upheaval, Boston-Toronto, Little, Brown and Co., 1982, pp. 563 et 989.

[10] Mazlish B., Kissinger – Portrait psychologique et diplomatique, (1976, traduit de l’américain par Alexandre P.), Bruxelles, PUF / Complexe, 1977, pp. 76-77 ; 83 ; 195 ; 356. Voir aussi Bassford Ch., op. cit., p. 199.

[11] Esposito V.J., « War as a Continuation of Politics », Military Review, février 1955, pp. 54-62 (aussi publié dans Military Affairs, printemps 1958, pp. 19-26) ; O’Connor R.G., « Force and Diplomacy in American History », Military Review, mars 1963, pp. 80-89. La relation entre politique et stratégie est parfois étudiée sans référence explicite à Clausewitz. Par exemple dans : Cunnigham R.K., « The Nature of War », Military Review, novembre 1959, pp. 48-57.

[12] A ce propos, le lecteur pourra aussi consulter la critique de la revue britannique Times Literary Supplement, reprenant l’ouvrage de Peter Paret – Clausewitz and the State – et celui de Raymond Aron – Penser la guerre. Raymond Aron y est présenté comme un néo-clausewitzien aux yeux de Anatol Rapoport. Howard M., « The Military Philosopher », Times Literary Supplement, 25 juin 1976, p. 754.

[13] Exception faite de l’introduction signée par Raymond Aron dans Thinking about the Unthinkable. Bassford Ch., op. cit., p. 198.

[14] Kahn H., De l’escalade – métaphores et scénarios, (On Escalation – Metaphors and scenarios, 1965 – traduit de l’américain par Paz M.), Paris, Calmann-Lévy, 1966, p. 263.

[15] Id. & Wiener A.J., L’An 2000 – la bible des 30 prochaines années, (The Year 2000, 1967 – traduit de l’américain par Joëlle H., Malartic Y., de Vilmortin L. sous la direction de Gilbert M.), Verviers, Marabout Université, 1972, p. 411. La citation provient de Neumann S., « Military Concepts of the Social Revolutionaries », dans Mead Earle E. (dir.), Makers of Modern Strategy, Princeton, Princeton University Press, 1941, p. 158 (date de publication erronée, l’ouvrage de E. Mead Earle date de 1943).

[16] Bassford Ch., op. cit., p. 198.

[17] Aron R., « The Evolution of Modern Strategic Thought », dans Studies in International Security, Problems of Modern Strategy, (with a foreword by Buchan A.), Londres, Chatto & Widus / IISS, 1970, pp. 13-46. Voir aussi en français : id., Penser la guerre, Clausewitz, t. II, L’âge planétaire, Paris, Gallimard, 1976, p. 247 ; Id., Sur Clausewitz, Bruxelles, Complexe, 1987, p. 83 ; texte initialement paru en français dans Vom Staat des Ancien Regime zum modernen Parteienstaat, Freitschrift für Theodor Schieder, Munich, R. Oldenbourg Verlag, 1977, pp. 103-116. Albert Wohlstetter est surtout célèbre pour un article qui résume une étude menée pour la RAND Corporation sur « l’équilibre délicat de la terreur ». Aucune référence à Clausewitz n’est présente dans cet article. Wohlstetter A., « The Delicate Balance of Terror », Foreign Affairs, janvier 1959, pp. 211-234. Sur l’apport de H. Kahn dans le corpus stratégique nucléaire, voir : Garnett J.C., « Herman Kahn », dans Id. et Baylis J., op. cit., pp. 70-97. Garnett refuse aussi de comparer Kahn à Clausewitz car, pour lui, son travail est loin d’être aussi profond que celui du Prussien (p. 91).

[18] Sur la RAND, voir : Louda D., Le think tank américain: production et marketing des idées politiques, GRIP – Fondation Saint-Simon, Dossier « notes et documents », n°140, décembre 1989, pp. 27-28.

[19] Schelling Th.C., The Strategy of Conflict, New York, Oxford University Press, 1963 (publié pour la première fois en 1960), 309 p. Schelling cite indirectement Clausewitz dans cet ouvrage, à la page 9. En fait, il ne cite pas vraiment Clausewitz mais l’avant-propos de Joseph I. Greene dans On War. Dans cette citation, Schelling, comme Bernard Brodie, écrit que les soldats professionnels ne s’investissent pas assez dans la recherche stratégique. Notons aussi que l’approche de Schelling sur le bargaining sera critiquée par Bernard Brodie pour qui cette notion relève trop de l’aspect tactique et pas assez de l’aspect stratégique. Trachtenberg M., « Strategic Thought in America, 1952-1966 », Political Science Quarterly, été 1989, p. 333.

[20] Williams Ph., « Thomas Schelling », dans Baylis J. & Garnett J. (dir.), op. cit., p. 131.

[21] Sur Brodie, on lira absolument l’excellente étude de Barry H. Steiner, Bernard Brodie and the Foundations of American Nuclear Strategy, Lawrence, University Press of Kansas, 1991, 367 p.

[22] Ibid., pp. 13, 31 et 45. Brodie B. (dir.), The Absolute Weapon – Atomic Power and World Order, New York, Institute of International Studies, Yale University, Harcourt, Brace and Co., 1946, 214 p. On ne trouve pas de références à Clausewitz dans cet ouvrage, ni dans : Sea Power in the Machine Age, Princeton, Princeton University Press, 1944 (1943), 462 p. ; id., Escalation and the Nuclear Option, Richmond, Princeton University Press, 1966, 151 p.

[23] Steiner B.H., « Using the Absolute Weapon: Early Ideas of Bernard Brodie on Atomic Strategy », The Journal of Strategic Studies, décembre 1984, p. 385 (initialement publié comme ACIS Working Paper n°44 par le Center for International and Strategic Affairs à l’Université de Californie, L.A.).

[24] Steiner B.H., Bernard Brodie and the Foundations of American Nuclear Strategy, op. cit., p. 30.

[25] Brodie B., Strategy in the Missile Age, Princeton, Princeton University Press, 1959, 423 p. Voir aussi : id., « Strategy », dans The International Encyclopeadia of Social Sciences, MacMillan, 1968, vol. 15, p. 283.

[26] Cette question est déjà abordée, par Brodie, avec référence à Clausewitz, dans le cadre des développements de l’arme thermonucléaire en 1954. Id., « Nuclear Weapons: Strategic or Tactical? », Foreign Affairs, janvier 1954, pp. 217-229 (l’auteur cite Clausewitz à la page 229).

[27] Strategy in the Missile Age, op. cit., pp. 158 ; 221-330.

[28] Ibid., pp. 20-54.

[29] Ibid., pp. 20-27 et 71-74 ; voir aussi du même auteur « Some Notes on the Evolution of Air Doctrine », World Politics, avril 1955, p. 350.

[30] Smith J.B., art. cit., pp. 52-59.

[31] Brodie B., Strategy in the Missile Age, op. cit., pp. 127-131.

[32] Ibid., pp. 97-98.

[33] Barnstein H.H., « Books of Interest to the Military Reader – Strategy in the Missile Age », Military Review, avril 1960, p. 110 ; Lincoln G.A. & Stilwell R.G., « Scholar’s Debouch Into Strategy », Military Review, juillet 1960, pp. 50-70.

[34] Voir : Trachtenberg M., art. cit., pp. 301-334.

[35] Chez certains chercheurs ce rejet de la bataille d’anéantissement et acceptation de la valeur politique de l’instrument militaire peut s’exprimer sans références à Clausewitz. Voir, par exemple : Enthoven A.C., « Réflexions sur les problèmes moraux posés par la stratégie nucléaire », dans Brodie B. (éd.), La guerre nucléaire – Quatorze essais sur la nouvelle stratégie américaine, op. cit., pp. 158-159 (initialement Allocution prononcée à l’Institut de Guerre Nucléaire de West Baden College, Université de Loyola, West Baden Springs, Indiana, 10 novembre 1963. Enthoven était vice-adjoint du Secrétaire à la Défense (analyse des systèmes).

[36] Schratz P.R., « Clausewitz, Cuba and Command », United States Naval Institute Proceedings, août 1964, pp. 24-33.

[37] Smith G.W., « Clausewitz in the 1970’s – RX for Dilemma », Military Review, juillet 1972, pp. 85-93.

[38] Morgenthau H.J., Politics Among Nations – The Struggle for Power and Peace, New York, AA Knopf, 1959, (1948) p. 339. Nous retrouvons aussi Clausewitz dans le glossaire de l’ouvrage, à la page 585, mais On War ne figure pas dans la bibliographie.

[39] Waltz K.N., Man, the State, and War, a theoretical analysis, New York, Columbia University Press, 1959 (1954), p. 221. On notera que Waltz ne cite pas Clausewitz dons son ouvrage majeur fondant le néoréalisme (Waltz K., The Theory of International Politics, New York, McGraw-Hill, Inc., 1979, 251 p.).

[40] Waltz K., Nuclear Weapons – More May Be Better, Adelphi Papers, n°171, I.I.S.S., Autumn 1981, p. 17.

[41] Waltz K.N., « Nuclear Myth and Political Realities », dans Art R.J. & Waltz K.N. (dir.), The Use of Force (4th ed.), New York, University Press of America, 1993, pp. 333-349 (article initialement publié dans The American Political Science Review en septembre 1990).

[42] Tuchman B.W., The Guns of August, New York, The MacMillan Company, 1962, 511 p. (Nous remercions M. Bruno Colson d’avoir attiré notre attention à ce propos).

[43] X [Kennan G.F.], « The Sources of Soviet Conduct », Foreign Affairs, juillet 1947, pp. 566-582.

[44] Id., Memoirs 1925-1950, Boston-Toronto, Little, Brown and Company, 1967, p. 308.

[45] Mayers D., George Kennan and the Dilemmas of U.S. Foreign Policy, Oxford, Oxford University Press, 1988, pp. 123, 308, 315.

[46] Par exemple : Bettschart (Swiss Army), « The Strategy of Political Wars », Military Review, avril 1966, pp. 39-43 (initialement publié dans Allgemeine Schweizerische Militärzeitschrift de novembre 1964) et Tiomain S.O. (Irish Army), « Clausewitz: A Reappraisal », Military Review, mai 1963, pp. 76-79.

[47] Franklin W.D., « Clausewitz on Limited War », Military Review, juin 1967, pp. 23-29 ; Downey E.F., « Theory of Guerilla Warfare », Military Review, mai 1959, pp. 45-55 ; Gordon W.I., « What Do We Mean by ‘Win’? », art .cit., pp. 3-11 ; Lincoln G.A. & Jordan A.A., « Technology and the Changing Nature of General War », Military Review, mai 1957, pp. 3-13 ; Wolff H., « 9+1=10 », Infantry, mars-avril 1965, pp. 30-33.

[48] Paret P. & Shy J., Guerillas in the 1960’s, Londres and Dunmow, Princeton Studies in World Politics, n°1, Pall Mall Press, 1962, 82 p. Avant de devenir célèbre pour ses travaux sur Clausewitz, Paret s’est intéressé à la guerre de guérilla. Voir aussi (sans références à Clausewitz) : id., « The French Army and La Guerre Révolutionnaire », Journal of the R.U.S.I., février 1959, pp. 59-69 (également disponible dans la livraison de mars-avril 1959 de Survival) ; id., « A Total Weapons of Limited War », Journal of the R.U.S.I., février 1960, pp. 62-69 (basé sur un symposium sur la guerre limitée, aussi publié dans Wehrwissenschaftliche Rundschau d’octobre 1959).

[49] Kushner E.F., « Books of Interest to the Military Reader – Guerillas in the 1960’s », Military Review, juin 1962, p. 107.

[50] Huntington S.P., « Patterns of Violence in World Politics », dans Huntington S.P., Changing Patterns of Military Politics, New York, The Free Press of Glencoe, Inc., 1962, pp. 19-20.

[51] Ridgway M.B., The Korean War, Garden City, Doubleday and Company, 1967, p. 144.

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Chapitre 2 – Une compréhension étroite de la pensée de Clausewitz

Arrivé à la période qui s’étend de la fin de la Seconde Guerre mondiale à la fin du conflit vietnamien (soit de 1945 à environ 1975), il est intéressant de constater que la doctrine de l’armée de terre américaine est avant tout centrée sur les problèmes tactiques. Elle ne s’appuie pas sur des considérations opérationnelles. La redécouverte de ce niveau du combat devra attendre les années 80. En fait, de 1945 à 1950, l’U.S. Army est sensiblement peu différente de ce qu’elle était lors du second conflit mondial. Le changement le plus important est l’introduction d’armes nucléaires tactiques durant les années 50. Ensuite, jusqu’aux années 60, la pensée doctrinale américaine accorde toujours une attention primordiale à la situation en Europe occidentale. Les stratégistes prévoient un conflit potentiel long et basé sur l’attrition, par opposition à la manœuvre. Le rôle des armes nucléaires tactiques est par conséquent largement valorisé, ainsi que, de manière plus générale, la place accordée à la puissance de feu conventionnelle. En cas d’attaque massive communiste, ce sont ces deux éléments qui devaient jouer le rôle principal pour arrêter l’adversaire. La guerre du Vietnam va permettre l’introduction d’une réflexion sur la guerre de guérilla. Trois grands types d’opérations seront pratiqués dans le sud-est asiatique. Tout d’abord, il y a les opérations appelées search and destroy – rechercher l’ennemi et le détruire. Elles consistent principalement à tendre des embuscades en utilisant la technique dite hammer and anvil (coincer l’ennemi entre le marteau et l’enclume). Ensuite viennent les opérations de nettoyage, clearing, assez similaires à search and destroy, elles donnent plus d’importance à la pacification des campagnes. Elles permettent donc aux troupes gouvernementales d’établir plus largement leur influence dans ces zones. Le troisième type d’opérations, securing, consiste à consolider le clearing en éliminant les unités de guérilla locales. Une constante apparaît dans cette évolution, l’emploi d’une puissance de feu massive en toute situation par l’U.S. Army.[1] En d’autres termes, il s’agit bien de la recherche de l’anéantissement. On ne s’étonnera pas que Clausewitz, mais aussi d’autres auteurs classiques de la stratégie, sera souvent appréhendé par ce biais entre 1945 et la fin de la guerre du Vietnam.

En fait, dans l’immédiat après-guerre, les références aux classiques de la pensée stratégique restent assez éparses dans le discours stratégique américain. Mais, si ces références sont éparses, elles ne sont pourtant pas absentes. On pourra par exemple retrouver les noms du général Beaufre, de Douhet ou de Thomas E. Lawrence dans des articles de la Military Review.[2] Le nom de Mahan, lui, revient plus souvent.[3] On ne le considère pas démodé par la découverte du nucléaire mais on lui reproche de ne pas avoir suffisamment traité de la puissance continentale. Il est également remis en question par le développement de l’aviation.[4]

Plus symptomatique encore, MacKinder est ponctuellement évoqué. Il est vrai que MacKinder offre un cadre de références seyant à la nouvelle donne des relations internationales, la Chine et l’U.R.S.S. constituant maintenant le Heartland.[5] On retrouve les craintes traditionnelles de la guerre froide à la lecture de ces textes. Ainsi, pour certains, la masse continentale du nouveau Heartland communiste ne peut être vaincue, en particulier si les Etats qui le composent possèdent des armes nucléaires et des vecteurs de grande autonomie.[6] Les thèses de MacKinder permettaient aussi de remettre en évidence le Seapower et l’importance du Corps des Marines.[7]

Mais qu’en est-il de la référence à Clausewitz ? Si la véritable renaissance des études consacrées à Clausewitz date de 1976, il est pourtant erroné de penser que le Prussien est absent du paysage stratégique américain auparavant. Ainsi, en 1962, le colonel Edward M. Collins de l’U.S. Air Force édite une version abrégée de On War – War, Politics, and Power -, qui contient en fait moins de 15% de l’original.[8] Puis, en 1969, Peter Paret dresse un bilan des études sur Clausewitz dans un article de très bonne facture dans la revue World Politics. Il y insiste sur la nécessité d’appréhender On War dans son contexte historique.[9] L’article sera reproduit dans la Military Review la même année.[10]

Comme cela a déjà été indiqué, la plupart des textes qui citent Clausewitz l’associe à la bataille d’anéantissement. C’est particulièrement le cas au sein de l’armée de terre. Le Prussien est considéré comme l’instigateur d’une stratégie de destruction des forces ennemies, éventuellement de destruction de la volonté de l’adversaire.[11] Le géopoliticien Strausz-Hupé transposera même le concept au niveau de la compétition des valeurs dans un cadre idéologique et civilisationnel.[12] Par ce biais, Clausewitz est régulièrement associé à Jomini, voire à Frédéric II.

A l’Académie de West Point, un document simplement intitulé Clausewitz, Jomini, Schlieffen donne un aperçu de la pensée du Prussien. Ce document a été publié pour la première fois en 1943. Il a ensuite été réédité en 1945, 1948, 1951, 1964 et enfin en 1983 pour une conférence à l’U.S. Army War College de Carlisle Barracks. Dans l’édition de 1951, il est reproché à Clausewitz sa philosophie dite du sang et de l’acier, celle que l’on retrouverait aussi chez Bismarck et dans le Mein Kampf de Hitler.[13] L’édition de 1964 de ce document, sera toutefois nettement plus équilibrée envers le Prussien. La nouvelle édition reconnaît que Clausewitz évoque deux types d’objectifs en guerre ; soit détruire la volonté de l’ennemi ou le désarmer pour l’obliger à accepter certaines conditions ; soit simplement obtenir une portion de son territoire en vue de le conserver ou pour négocier. Clausewitz est aussi largement associé à quelques principes de la guerre : objectif, concentration, économie des forces, surprise, mobilité, simplicité. La défense comme forme la plus forte de la guerre, le point culminant de l’attaque, les frictions, sa pensée sur la guerre de guérilla et le génie sont également mentionnés. Le document juge par contre que l’officier prussien n’a pas attaché assez d’importance à l’usage agressif des avant-gardes comme l’a fait Napoléon.

On remarquera que le document indique que Clausewitz ne cite jamais Jomini, ce qui est inexact. On retrouve, par exemple, le nom de Jomini cité dans On War.[14] Il semblerait que l’erreur de l’auteur provienne d’un ouvrage écrit par Emile Wanty, ouvrage cité dans les notes de bas de page. Emile Wanty avait écrit que Jomini parle rarement de Clausewitz ; Clausewitz ne cite jamais Jomini. La façon dont cet auteur traite Clausewitz est d’ailleurs très proche du document de West Point.[15] Clausewitz y est présenté comme l’exégète de la bataille napoléonienne.

On retrouve une vision assez identique dans l’ouvrage Military Heritage of America (1956). Dans ce livre, les auteurs s’attardent sur la pensée de cinq auteurs classiques de la stratégie. Il s’agit de Jomini, Clausewitz, Schlieffen, D.H. et A.T. Mahan. Ces cinq auteurs sont ceux qui auraient le plus largement influencé la pensée stratégique américaine. Clausewitz et Jomini y sont une fois de plus associés comme les deux exégètes de la stratégie napoléonienne. Tous deux sont complémentaires selon les auteurs. Ils se rejoignent malgré qu’ils aient emprunté des cheminements intellectuels différents. L’ouvrage tente de synthétiser la pensée de Clausewitz. Il y est indiqué que Clausewitz est plus philosophe que scientifique car ce qu’il vise avant tout c’est de comprendre la nature profonde de la guerre. Par ailleurs, il est écrit que Clausewitz récuse les approches mathématiques ou géométriques de l’étude de la guerre. De la même manière, il rejette les faiseurs de système. Pour lui, la théorie, qui n’est pas doctrine, sert à éduquer l’esprit. La théorie ne peut rendre de façon satisfaisante certains phénomènes tels que le danger ou le courage. Les auteurs ajoutent que Clausewitz met fortement en évidence le rôle des forces morales. Ils précisent que les frictions permettent de distinguer la guerre dans la réalité de la guerre en théorie. Dans le registre plus opérationnel, ils répètent les idées de Clausewitz sur la supériorité de la défense, l’efficacité de l’offensive et la nécessité de la poursuite de l’adversaire. La primauté de la bataille revient aussi lorsqu’ils affirment que pour Clausewitz la nature de la guerre est violente et que le combat est affaire de vie ou de mort. La compatibilité de Jomini et Clausewitz est réaffirmée par l’évocation des principes de la guerre. Ceux-ci seraient aussi valables pour Jomini que pour le Prussien. Enfin, les auteurs font un commentaire sur la méthode d’analyse de Clausewitz, c’est-à-dire la nécessité d’étudier en profondeur les phénomènes avant d’affirmer une relation de cause à effet. Pour terminer, ils citent la Formule. En conclusion, selon l’ouvrage Military Heritage of America, si Jomini était plus célèbre que Clausewitz à l’époque, c’est que ce premier a vécu plus longtemps et que son arrogance aidant, il a eu plus d’opportunités de faire valoir son travail.[16]

On retiendra encore que le colonel S.L.A. Marshall fait également référence à Clausewitz dans un passionnant ouvrage sur le comportement des soldats face au feu de l’ennemi. Ce livre, intitulé Men against Fire, va révéler que, lors de la Seconde Guerre mondiale, moins de 25 % des fantassins de l’U.S. Army utilisent leur arme sur le front (au contact de l’ennemi). L’étude de Marshall doit être lue dans une perspective psychosociale. On retiendra le rôle prédominant que l’auteur attribue à la bataille et au feu. Marshall cite non seulement Clausewitz mais aussi, au passage, Ardant du Picq, Maurice de Saxe, Foch, Grandmaison, Fuller, etc. Bien que Clausewitz ne sert pas, ici, à justifier une stratégie d’anéantissement par la puissance de feu, tout l’ouvrage est pourtant tourné dans ce sens. Le Prussien permet de mettre en évidence le rôle du moral et des frictions. Marshall pense également que Clausewitz n’a pas assez développé le concept de génie.[17]

A l’époque, quelques articles vont également mettre en relation Clausewitz avec les réflexions sur les changements introduits sur le champ de bataille par les armes nucléaires tactiques – véritables armes d’anéantissement lorsqu’elles sont pensées en dehors d’un schéma dissuasif. Ces armes doivent permettre de vaincre un adversaire numériquement supérieur. Toutefois, suite à leur apparition, la relation entre l’offensive et la défense décrite par Clausewitz est réévaluée et acceptée. Pour les Américains, si la défense reste la forme la plus forte de la guerre, l’offensive est encore la seule modalité décisive du combat. Mais face à la menace de destruction massive, les troupes doivent être en mesure de passer rapidement d’une position défensive à une position offensive, donc de trouver un équilibre entre les deux termes. La flexibilité, soit la possibilité de passer rapidement de la première à la deuxième forme d’opération, devient un « credo » de l’armée de terre.[18] On notera que l’idée d’anéantissement de l’adversaire trouve aussi sa place dans la pensée relative à la guerre limitée. Encore une fois, la destruction des forces ennemies – ou de leur moral – est mise en évidence. En d’autres termes, Clausewitz sert d’interprète de la bataille d’anéantissement dans la guerre limitée.[19]

En résumé, en prenant appui sur les textes évoqués, il existe un courant important du discours stratégique américain de l’armée de terre qui assimile Clausewitz à la bataille d’anéantissement. Dans cette tendance, Clausewitz est souvent placé en regard du modèle napoléonien de la guerre, voire de Jomini (à ce propos voir en particulier infra à propos des principes de la guerre), parfois de Frédéric II. Toutes les sources évoquées ne montrent pas automatiquement une acceptation de la Formule mais, en tout cas, pas de rejet prononcé.

On retrouve des considérations assez identiques chez certains théoriciens de la puissance aérienne. Néanmoins, parmi ceux-ci, c’est le nom de l’Italien Guilio Douhet (1869-1930) qui revient plus fréquemment que celui de Clausewitz. On nomme d’ailleurs « douhetisme » sa façon de concevoir l’emploi de l’aviation militaire. En fait, Douhet avait été dégoûté par la façon dont la Première Guerre mondiale s’était déroulée. Il publie alors en 1921 son principal ouvrage, La Maîtrise de l’air (Il dominio dell’aeria). Il y mettait en évidence le rôle des aéronefs dans la résolution rapide des guerres. Pour lui, une armée en guerre doit d’abord obtenir la suprématie aérienne. Ensuite, elle peut envoyer ses bombardiers à l’attaque de tous les objectifs possibles. On retient surtout le côté sulfureux de la pensée de Douhet. Pour lui, le bombardement des populations civiles doit provoquer des révoltes chez l’ennemi. Ces révoltes obligeraient le gouvernement de l’adversaire à capituler sous peine de voir l’Etat imploser suite à la contestation.[20] La pensée de Douhet a laissé d’importantes traces dans les réflexions sur la puissance aérienne. Son aspect polémique fait qu’elle est encore débattue aujourd’hui.

On sait que Il dominio dell’aeria a été traduit en anglais sous le titre Command of the Air. L’ouvrage sera traduit trois fois en américain : en 1942, en 1958 et en 1983. De plus, des traductions spéciales étaient déjà disponibles en 1923 pour l’Air Tactical School et en 1933 pour les officiers de l’U.S. Army Air Corps. En plus, à partir de 1936, des extraits de l’ouvrage seront encore publiés dans des périodiques militaires britanniques.[21] Si les idées de Douhet sont assez rapidement diffusées en anglais et en américain, l’impact du penseur outre-Atlantique est toujours un sujet controversé.

Dans le discours stratégique américain des années 50, un stratégiste accorde en apparence les lignes de raisonnement de Douhet et de Clausewitz. Il s’agit du colonel D.O. Smith – il deviendra ultérieurement général. Dans son ouvrage U.S. Military Doctrine publié en 1955, Smith ne fait guère de différences entre Clausewitz et Jomini. Les deux théoriciens s’équivalent selon lui. Tous deux seraient les propagateurs du concept des principes de la guerre dont Smith apprécie la sagesse.[22] Il pense néanmoins qu’ils doivent évoluer. Pour lui, l’axiome majeur de la guerre moderne est devenu la rapidité – celerity. Ensuite, l’appréciation de Douhet par l’auteur est discutable. Smith affirme que l’anéantissement ne peut plus être l’objectif de la guerre moderne : elle doit être limitée. Il suit donc le raisonnement de Douhet en désignant la puissance aérienne comme le moyen de limiter la guerre. L’utilisation de la force aérienne groupée, en tant qu’entité non subordonnée à d’autres Armes, permettrait de raccourcir la durée des conflits par la destruction de la volonté ou du matériel de l’ennemi.[23]

Ce raisonnement s’avère paradoxal. Il ramène directement à la contradiction de la pensée de Douhet. Soit, la guerre, selon le penseur italien, serait limitée dans le temps, mais à quel prix! De facto, Dale O. Smith, en se référant à Douhet, ne récuse pas le modèle d’anéantissement. Non seulement il le prône, mais il ouvre encore (inconsciemment ?) la voie à des réflexions sur des frappes, voire une guerre, préventives.[24] En d’autres termes, ce que propose Smith est une guerre brève et paroxystique. Il ne s’agit en aucune manière d’une réfutation de l’anéantissement. Enfin, il faut noter que les lignes de réflexion de Smith, avec référence à Clausewitz, peuvent être trouvées chez d’autres auteurs américains de la même époque.[25] Voire, il existerait une généalogie directe entre la stratégie d’anéantissement de Sherman et les idées de Douhet.[26]

Comme on peut s’en douter, les conceptions de Dale O. Smith ne créèrent pas un consensus au sein des forces armées américaines. Même Henry Kissinger déplorera qu’on trouve plus de passion que de bon sens et d’analyse chez Smith.[27] US Military Doctrine est également critiqué par la Military Review. Pour les membres de l’armée de terre, la victoire ne peut être le fait de l’aviation seule. Ils soulignent le rôle fondamental de l’armée de terre, en particulier dans un environnement mondial caractérisé par la croissance de la subversion. Pour eux, bien que Clausewitz ait affirmé que le but de la guerre est la destruction des forces de l’ennemi – l’anéantissement n’est pas remis en question – la puissance aérienne n’est pas le seul outil efficace.[28] On voit bien poindre une certaine crainte de la part de l’armée de terre d’être reléguée au rang de service auxiliaire de l’U.S. Air Force. Un général de l’U.S. Army donnant une conférence à l’Air War College en décembre 1957 en viendra à affirmer clairement qu’il refuse une doctrine découlant des préceptes de Clausewitz et de Douhet.[29]

Indéniablement, ce débat doit être replacé dans le contexte de lutte inter-services. Dans la Military Review, les idées de Douhet sont encore critiquées à la lueur de l’expérience de la Seconde Guerre mondiale : les bombardements stratégiques alliés sur l’Allemagne n’ont, après tout, pas permis de stopper la guerre. De plus, un critique souligne que la politique d’anéantissement par le feu aérien du Japon et de l’Allemagne s’est avérée contre-productive à long terme. En effet, à l’époque, les Etats-Unis devaient aider ces pays à reconstruire leur potentiel – mais n’est-ce pas la guerre en elle-même plutôt que les bombardements qui doivent être mis en cause ici (?). La critique souligne également que Douhet est peut-être un penseur intéressant, mais que son œuvre est contingente à la situation italienne. L’Italie, Etat militairement peu puissant, est parvenue à obtenir une capacité de projection grâce à son aviation, et ce à, relativement, bon marché. Cette vision de l’économie des moyens n’est pas sans rappeler le but avoué de la doctrine des représailles massives de l’administration Eisenhower. La doctrine visait assez explicitement la réduction des budgets militaires.[30] La lecture de Clausewitz par Eisenhower a par ailleurs déjà été évoquée. Depuis, on a attribué au président une perception clausewitzienne du risque d’escalade. De même, on a interprété son attention à l’équilibre des fins et moyens dans le cadre des premiers pas de la stratégie nucléaire américaine à l’aune de sa connaissance du Prussien.[31]

Parmi les disciples de la puissance aérienne, on retrouve également quelques considérations sur Clausewitz dans deux ouvrages de Alexander P. de Seversky après la guerre. D’origine russe, de Seversky a fui son pays suite à la Révolution de 1917. Il émigre aux Etats-Unis et se met au service du gouvernement. Il devient ingénieur en aéronautique et pilote d’essai pour le compte du Département de la Guerre. Il entretient des contacts professionnels avec William E. (Billy) Mittchell le célèbre propagateur américain du concept de puissance aérienne. De Seversky lancera aussi sa propre compagnie de production aéronautique, la Seversky Aircraft Corporation qui deviendra Republic Aviation. Sa compagnie développera le fameux P-47 Thunderbolt durant la Seconde Guerre mondiale. En tant que théoricien, de Seversky se fait d’abord connaître en 1942 par un ouvrage appelé Victory Through Air Power. L’ouvrage est vendu à plus de 500.000 copies. Il est rendu encore plus célèbre par son adaptation, sous forme de dessin animé, par Walt Disney. Une anecdote indique que Churchill demanda que ce film soit projeté au Président Roosevelt à la conférence de Québec en 1943. Churchill désirait valoriser le rôle de la puissance aérienne.[32]

Après la Seconde Guerre mondiale, les écrits de De Seversky ne concernent plus uniquement la puissance aérienne au sens étroit, mais aussi la stratégie nucléaire et la géopolitique. L’auteur fait référence à Mahan, Mackinder, Douhet et Clausewitz.[33] En fait l’ouvrage Air Power: Key to Survival tente de substituer la puissance aérienne à la conception traditionnelle de la puissance navale – avec adaptation s’entend. [34] Il est intéressant de constater qu’on trouve aussi chez de Seversky des références à la filiation Jomini – Mahan et à Clausewitz. L’auteur ne cite pas Jomini mais indique qu’il existe des principes de la guerre qui sont immuables.[35] Dans l’ouvrage America: Too Young to Die!, on retrouve une remarque assez similaire avec référence à Mahan.[36] Ensuite, dans le premier ouvrage cité (Air Power…), de Seversky indique que Douhet et Mitchell ne parlent peut-être pas la même langue que Clausewitz mais ils évoquent le même idiome que Mahan. Plus loin, il écrit que la destruction des forces armées est bien l’objectif de la guerre comme l’indiquait Clausewitz. [37] Une fois de plus, la conception de l’anéantissement semble bien à l’œuvre. Toutefois, de Seversky se démarque de Douhet sur ce point. En effet, pour lui, la puissance aérienne n’a pas pour vocation de briser le moral des populations par des bombardements. Il admet qu’en temps de guerre les victimes civiles sont souvent inévitables dans ces mêmes bombardements, mais cela ne doit pas constituer leur objectif. L’objectif, ce sont les forces armées et le potentiel industriel qui les soutient. Si on en revient à l’ouvrage America: Too Young to Die!, de Seversky y fait également une référence à Clausewitz en indiquant que la guerre est toujours le continuation de la guerre politique par d’autres moyens.[38] A ce propos, il est intéressant de noter que pour l’auteur, l’arme nucléaire n’a pas réellement introduit une véritable coupure dans la façon de penser la guerre. L’arme nucléaire reste une arme comme les autres. Elle est certes plus puissante, mais ne correspond pas à une révolution dans l’histoire de l’armement.[39]

Mais les disciples de la puissance aérienne sont loin de conserver l’entièreté de l’œuvre de Clausewitz. Par exemple, lorsqu’il est question de différenciation entre les niveaux tactique et stratégique, pour l’aviation, la définition du Prussien n’est pas retenue (définition selon laquelle la tactique est concernée par les batailles et la stratégie par l’utilisation de ces batailles à un niveau plus élevé). Les aviateurs considèrent qu’un appareil peut servir pour plusieurs types de mission et ne doit pas être confiné à un échelon déterminé. Par ailleurs, pour eux, la stratégie deviendrait trop facilement la préparation avant la lutte tandis que la tactique se transforme simplement en combat ; seule une barrière temporelle séparerait les deux conceptions.[40]

Pour terminer, il faut encore insister sur le rôle de Douhet, Mitchell et de Seversky dans la formation d’une école de pensée de la force aérienne. Clausewitz reste plus un artifice, voire une « décoration » intellectuelle dans les textes de références de la puissance aérienne. Les conceptions de l’officier italien seront encore évaluées à la lueur des opérations au Vietnam où la puissance aérienne est jugée très importante dans le but de réduire la résistance communiste au sol.[41]

Au niveau de la marine de guerre, il est difficile de trouver des références à Clausewitz en dehors de l’ouvrage Military Strategy – A General Theory of Power Control de l’amiral Wylie, ouvrage publié en 1967. De façon originale, l’auteur mettait en évidence quatre grands paradigmes stratégiques. Il s’agissait des paradigmes de la puissance continentale, navale, aérienne et celui de la guerre populaire. Chacun d’entre eux était représenté par un ou deux théoriciens : Mahan et Corbett pour la puissance navale, Douhet pour la puissance aérienne, Mao Zedong pour la guerre populaire et Clausewitz pour l’approche continentale. Ici, Clausewitz est donc largement ramené à une version de la guerre d’anéantissement et de la bataille décisive. L’auteur faisait une distinction intéressante entre ce qu’il nommait les stratégies cumulative et séquentielle. La stratégie cumulative utilise des moyens économiques et psychologiques et joue, comme son nom l’indique, sur l’effet cumulatif des actions. Au contraire, la stratégie séquentielle vise un but plus direct, bien souvent la destruction pure et simple de l’adversaire ; le nombre en est souvent le facteur principal – c’est bien de cette approche que relèverait Clausewitz. Mais ce qui est peut être encore plus symptomatique, c’est que l’auteur doive combiner le raisonnement de Liddell Hart à celui de Clausewitz pour affirmer que la victoire n’est pas simplement la défaite de l’ennemi sur le champ de bataille par son anéantissement physique – et pour ce faire, il prône la manipulation du centre de gravité. En fait, l’amiral Wylie propose surtout une version améliorée, plus efficace et plus synergique, de la bataille d’anéantissement. Mais, pour lui, la guerre, pour une nation non agressive, doit être vue comme un effondrement de la politique – policy – et non comme sa continuation.[42] Il est vrai que, stricto sensu, l’auteur ne montre qu’un rejet partiel de la Formule. Le texte de l’amiral Wylie reste néanmoins illustratif de la compréhension étroite du lien entre politique et guerre.

Cette compréhension problématique de la Formule se retrouve également chez le président Truman. Le président Harry S. Truman cite Clausewitz à deux reprises dans ses Mémoires. Il écrit d’abord que la guerre est la continuation de la diplomatie par d’autres moyens. Pour lui, cela implique la subordination des militaires au pouvoir politique. A côté de cela, il se sert du Prussien pour justifier la politique de reddition inconditionnelle menée à l’encontre de l’Allemagne.[43] La façon dont Truman accorde cette dernière idée avec celles de Clausewitz reste nébuleuse. On pourra la rapprocher du courant de pensée dit « uptionien », courant d’idée qui remonte au XIXe siècle et provient du général Emory Upton. Selon Upton, le politique et le militaire sont deux sphères séparées ; le politique initie la guerre et le militaire la mène, libre de toutes les contingences civiles. En d’autres termes, là où commence la guerre s’arrête le politique.[44] Cette vision paraît assez similaire à celle de certains officiers prusso-allemands, comme Moltke l’Ancien. A ce propos, dans un article publié en 1982, John E. Tashjean a fait remarquer que la guerre de Corée avait révélé la division entre les tenants de l’école du général Upton et ses opposants. Il s’agissait d’une critique de l’attitude de MacArthur face au pouvoir politique.[45] MacArthur affirmait qu’il n’y avait pas de substitut à la victoire. Il tenta d’outrepasser les directives en provenance de Washington et de mener une guerre totale. William Manchester, le biographe de MacArthur, écrira : Ainsi se trouvait-il plus proche de Ludendorff que de Clausewitz ; il voyait la guerre, non pas comme la politique continuée par d’autres moyens mais comme la conséquence d’un effondrement politique total qui faisait des militaires les syndics d’une faillite.[46] Ajoutons qu’il existe, étonnamment, peu de textes qui ont traité du cas MacArthur sur base de la Formule.[47] Par contre, paradoxalement, on retrouvera des auteurs qui corroborent la vision uptonienne de la guerre en prenant appui sur Clausewitz. Ainsi, dans quelques cas, la Formule est utilisée comme moyen de séparer de manière tranchante guerre et paix. La guerre est alors définie comme l’ultime outil du politique. Cela implique, par exemple, que les négociations ne peuvent se dérouler en même temps que le combat.[48]

Dans cette optique, il existe bien souvent un rejet de la Formule où une compréhension étroite et erronée de celle-ci, combinée avec une foi dans le rôle de l’anéantissement de l’ennemi. En fait, l’école uptonienne justifie le plus souvent son refus de la Formule en considérant que le politique crée des distorsions dans la pratique des opérations. Le but des opérations « logiquement » déduit par cette école est la destruction des forces adverses – leur anéantissement. Or, pour le politique, le but de la guerre n’est pas toujours la destruction de forces adverses. Il s’agit parfois d’envoyer des signaux à l’ennemi.

Quelque part, ce modèle pourrait être lié à une vision technocratique de la conduite des opérations. Croyant se libérer du politique, le mouvement finit par devenir politique en lui-même. La destruction de forces ennemies est bien une décision politique qui repose en ultime mesure sur des croyances, voire une quasi-idéologie, celle de l’efficacité (réelle ou imaginaire).

Samuel P. Huntington apporta aussi une contribution à ce débat au travers de son célèbre ouvrage The Soldier and the State, publié en 1957. Cette étude portait sur les liens entre stratégie et politique, et plus généralement sur le rôle de l’establishment militaire dans la politique de défense américaine. L’auteur marquait sa préférence pour un modèle d’armée américaine professionnel. Son livre, en fait une véritable étude de culture stratégique avant l’heure, analyse le caractère du soldat américain dans l’environnement institutionnel. Pour Huntington, la Formule est l’antithèse de l’idée de croisade si souvent valorisée dans l’histoire militaire américaine. Or, l’idée de la croisade, pour Huntington, coïncide mieux avec l’armée de milice qui est susceptible d’être polarisée par les passions et les sentiments. A contrario, l’armée de métier serait plus détachée par rapport à la guerre.

L’auteur milite pour une meilleure compréhension de la Formule qu’il a tendance à se représenter dans deux dimensions : d’une part vers l’extérieur, une gestion plus instrumentale, et donc potentiellement plus limitée de la violence à destination de nations étrangères ; d’autre part vers l’intérieur, une soumission du militaire au politique en terme quasiment structuralo-fonctionnaliste, allant de pair avec l’idée de la division des pouvoirs propre à toute démocratie. Huntington mettra en évidence le comportement du général MacArthur pendant la guerre de Corée et le considéra, bien évidement, comme impropre au paradigme clausewitzien de soumission du militaire au politique.[49] L’ouvrage de Samuel P. Huntington sera bien reçu au sein de l’armée. Les idées de professionnalisation et de contrôle de la sphère militaire paraissent parfaitement acceptées dans la culture stratégique américaine, même si dans la pratique il existe toujours des MacArthur.[50] Certains reprocheront même à Huntington d’être trop proche des militaires dans son argumentation. L’ouvrage est néanmoins marquant. Il est vrai que le rôle du soldat dans la sphère politique est un débat récurrent dans les écoles militaires aux Etats-Unis.[51]

[1] Doughty R.A., The Evolution of US Army Tactical Doctrine, 1946-1976, Leavenworth Paper n°14, Combat Studies Institute, USCGSC, août 1979, 57 p. Pour une vision plus nuancée, voir aussi : Soutor, K., « To Stem the Red Tide: The German Report Series and Its Effect on American Defense Doctrine, 1948-1954 », The Journal of Military History, octobre 1993, pp. 653-688.

[2] Voir par exemple : Patton O.B., « Colonel Lawrence of Arabia », Military Review, octobre 1954, pp. 18-30 ; Tomlison W.H., « The Father of Airpower Doctrine », Military Review, septembre 1966, pp. 27-31 ; Kreeks R.G., « Beaufre and Total Strategy », Military Review, décembre 1968, pp. 34-40.

[3] Parfois sous forme de reproduction d’articles étrangers, comme: Newman H.D. (R.A.F.), « Mackinder Today », Military Review, août 1952, pp. 92-95 (initialement publié dans R.A.F. Quarterly en juin 1952).

[4] Voir par exemple : Roth I.D., « Atoms and Sea Power », Military Review, septembre 1953, pp. 3-8 ; Millis W., « Sea Power – Abstraction or Asset? », Military Review, mars 1952, p. 3-12 ; Mead Earle E., « The Influence of Air Power Upon History », The Yale Review, juin 1946, pp. 577-600.

[5] Clubb O.E., « Pivot of History », Military Review, février 1957, pp. 3-11. Voir, pour une analyse plus récente : Sloan G., « Sir Halford J. Mackinder : The Heartland Theory Then and Now », The Journal of Strategic Studies, juin-septembre 1999, pp. 15-38.

[6] Franklin W.D., « Mackinder’s Heartland and Escalation Rocket », Military Review, novembre 1966, pp. 32-39.

[7] Sokol A.E., « Sea Power in the Next Age », Military Review, octobre 1952, pp. 11-26.

[8] McIsaac, « Master at Arms: Clausewitz in Full View », Air University Review, janvier-février 1979, p. 83. Collins était un étudiant de Stefan T. Possony. Ce dernier, très proche des milieux de l’U.S. Air Force, avait participé à la première édition du Makers of Modern Strategy en 1943. Bassford Ch., op. cit., p. 262.

[9] Paret P., « Clausewitz – A Bibliographical Survey », art. cit., pp. 272-285.

[10] Id., « On Clausewitz », Military Review, juillet 1965, pp. 46-54.

[11] Gordon W.I., « What Do We Mean by ‘Win’? », Military Review, juin 1966, pp. 3-11.

[12] Strausz-Hupé R., « New Weapons and National Strategy », Military Review, mai 1961, pp. 70-76. L’auteur perçoit l’opposition entre l’U.R.S.S. et les Etats-Unis comme une gigantesque compétition de valeurs et de civilisations.

[13] Voir : U.S. Military Academy, Department of Military Art and Engineering, Clausewitz, Jomini, Schlieffen, West Point, New York, U.S. Military Academy, 1951, (réécrit en partie par Elting J.R.) ; Paret P., « Clausewitz – A Bibliographical Survey », art. cit., pp. 284-285 ; Colson Br., op. cit., p. 282 ; Bassford Ch., op. cit., p. 199 ; correspondance personnelle, Major Michael A. Boden, U.S. Army, Instructor, Department of History, United States Military Academy, West Point, daté du 4 mars 1999.

[14] On War, p. 516 ; référence que le lecteur français pourra trouver dans Clausewitz C. von, De la guerre, (préface de Rougeron C., introduction de Naville P., traduction de l’allemand par Naville D.), Paris, Les Editions de Minuit, 1955, p. 598. (dorénavant, nous mentionnerons juste le titre de l’ouvrage dans les références). Ensuite, dans son histoire sur la Campagne d’Italie de 1796-97, Clausewitz fait référence à Jomini, dont il utilise par ailleurs les cartes. Paret P., « An Unknown Letter by Clausewitz », The Journal of Military History, avril 1991, pp. 147 et 150 ; Colson Br., « Bibliographie Commentée », dans Jomini A. de, Les guerres de la Révolution (1792-1797) – de Jemmapes à la campagne d’Italie, Paris, Hachette, 1998, p. 418.

[15] Wanty E., L’art de la guerre – de l’antiquité chinoise aux guerres napoléoniennes, t. I., Verviers, Marabout Université, 1967, p. 383 et pp. 387-388.

[16] Dupuy T.N. & R.E., Military Heritage of America, New York, McGraw-Hill Book Co., Inc., 1956, 794 p.

[17] Marshall S.L.A., Men against Fire, The Problem of Battle Command in Future War, New York, William Morrow and Company, 1954 (1947), 215 p. (Clausewitz : p. 49, p. 109, p. 120, p. 174).

[18] Reinhardt G.C., « Notes on the Tactical Employment of Atomic Weapons », Military Review, septembre 1962, pp. 28-37 ; Font J.L., « US Offensive and Defensive Strategy », Military Review, septembre 1969, pp. 31-42 ; Sherower A.W., « Napoleon’s Military Strategy », Military Review, août 1966, pp. 87-91 ; Paolini M.G., « The Flashing Sword of Vengeance », Military Review, février 1962, pp. 87-97 ; Gordy S.E., « Is the Defense the Solution? », Military Review, janvier 1959, pp. 58-59.

[19] Magathan W.C., « In Defense of the Army », Military Review, avril 1956, pp. 3-12.

[20] Voir : Douhet G., The Command of the Air, (Il dominio dell’aeria, 1921 – traduit de l’italien par Fischer Sh.), Roma, « Revista Aeronautica » E./Edizione Furi Commercio, 1958, 202 p. Voir aussi : Warner E., « Douhet, Mitchell, Seversky: les théories de la guerre aérienne », dans Mead Earle E. (éd.), Les maîtres de la stratégie, vol. 2, op.cit., pp. 245-267 ; Chaliand G. et Blin A., Dictionnaire de stratégie militaire, Paris, Perrin, 1998, pp. 185-187. On consultera aussi : Facon P., Le bombardement stratégique, Monaco, Ed. du Rocher, 1996, pp. 55-73.

[21] Segré Cl.G., « Giulio Douhet: Strategist, Theorist, Prophet? », The Journal of Strategic Studies, septembre 1992, p. 362 ; Hammond G.T., « Landmark in Defense Literature – Command of the Air », Defense Analysis, avril 2000, p. 101.

[22] Constatons aussi que Smith a écrit un ouvrage en collaboration avec le général Curtis E. LeMay du S.A.C. en 1968. Cet ouvrage fait quelques références a Clausewitz, plutôt péjoratif, remettant en cause la validité des idées du Prussien à l’époque du nucléaire. De plus, les auteurs semblent assimiler les néo-clausewitziens à l’idée de la dissuasion à tout prix. LeMay C.E. & Smith D.O., America Is in Danger, New York, Funk & Wagnalls, 1968, pp. 297 ; 299 ; 307.

[23] Smith D.O., US Military Doctrine – A Study and Appraisal, New York, Dual, Sloan & Pearce, 1955, pp. 46 ; 55 ; 59 ; 74-76. Voir aussi : id. (with Barker J.DeF.), « Air Power Indivisible », Air University Quarterly Review, automne 1950, pp. 5-18.

[24] Voir à propos de ces notions : Freedman L., The Evolution of Nuclear Strategy, Londres, The MacMillan Press Ltd., 1981, pp. 125-127.

[25] McDonnel R.H., « Clausewitz and Strategic Bombing », Air University Review, printemps 1953, pp. 43-54.

[26] Jones A., « Jomini and the Strategy of the American Civil War, A Reinterpretation », Military Affairs, décembre 1970, p. 130.

[27] Kissinger H., Nuclear Weapons and Foreign Policy, New York, Harper & Brother, 1957, p. 441.

[28] Cushman J.H., « Books of Interest to the Military Reader – US Military Doctrine », Military Review, septembre 1955, p. 112 ; Magathan W.C., art. cit., pp. 3-12.

[29] Kleinman F.K. et Horowitz R.S., The Modern United States Army, Princeton, D. van Nostrand Company, Inc., 1964, p. 44.

[30] Kintner W.R. , « A Survey of Air Power », Military Review, avril 1949, pp. 29-35 ; Tomlison W.H., art. cit., pp. 27-31.

[31] Respectivement : Trachtenberg M., « A « Wasting » Asset – American Strategy and the Shifting Nuclear Balance, 1949-1954″, International Security, hiver 1988/89, p. 37 et Gaddis J.L., Strategies of Containment, Oxford, Oxford University Press, 1982, p. 188. Le lecteur pourra aussi consulter Bassford Ch., op. cit., pp. 157-162.

[32] De Seversky A.P., Air Power: Key to Survival – with a prologue on the lessons of Korea, NY, Simon & Schuster, 1950, pp. ix-x.

[33] L’auteur est toutefois critique vis-à-vis de Douhet. Par exemple, de Seversky ne pense pas que l’idée de Douhet de produire un seul type d’avion militaire est valable. Ibid., p. 89.

[34] Idée que l’on retrouve aussi chez : Mead Earle E., « The Influence of Air Power Upon History », art. cit., pp. 577-600.

[35] De Seversky, op. cit., p. 120.

[36] Id., America: Too Young to Die!, NY, Macfadden Book, 1962, p. 125.

[37] Id., Air Power: Key to Survival, op. cit., p. 39 et p. 74.

[38] Id., America: Too Young to Die!, op. cit., p. 137.

[39] De Seversky justifie particulièrement ce point dans Air Power… Il base son point de vue sur des visites sur les sites de Hiroshima, Nagasaki et sur l’atoll Bikini.

[40] Browne R.J., « Tac vs. Strat », Military Review, avril 1948, pp. 33-37.

[41] Franklin W.D., « Douhet Revisited », Military Review, novembre 1967, pp. 65-69.

[42] Wylie J.C., Military Strategy – A General Theory of Power Control, New Brunswick, Rutger University Press, 1967, 111 p.

[43] Truman H.S., Year of Decision – 1945, vol. 1, Bungay, Hodder and Stoughton, 1955, p. 127.

[44] Weigley R.F., « American Strategy from Its Beginnings through the First World War », dans Paret P., Makers of Modern Strategy (from Machiavelli to the Nuclear Age), Oxford, Clarendon Press, 1986, p. 438.

[45] Tashjean J.E., « The Transatlantic Clausewitz », Naval War College Review, vol. 35, n°6, 1982, p. 71. L’auteur de l’article postule l’existence d’une division géographique des deux écoles : les détracteurs de Upton se retrouveraient majoritairement dans le Nord des Etats-Unis – snowbelt -, ses disciples plutôt dans le Sud – sunbelt. J.E. Tashjean prend l’exemple des théories de l’Airpower, lié à l’école de Upton, dont les principaux acteurs proviennent de Californie et ensuite du Texas. De plus, il note l’opposition entre deux tendances dans le caractère américain quant à la façon d’appréhender les relations internationales. La première est représentée par des idées pratiques, le commerce et l’internationalisme. On retrouve des traces de cette tendance sur la côte est parmi les républicains internationalistes. La seconde école est caractérisée par son côté utopique, théologique et isolationniste.

[46] Manchester W., MacArthur – Un césar américain, (traduit de l’américain, American Caesar, 1978), Paris, Robert Laffont, 1981, p. 516.

[47] Voir tout de même : Rees D., Korea: The Limited War, Londres, MacMillan & Co. Ltd., 1964, pp. xi, xiii et xiv ; Spanier J.W., The Truman-MacArthur Controversy and the Korean War, Cambridge, The Belknap Press of Harvard University Press, 1959, p. 3 et pp. 276-277. A titre indicatif, voir aussi, en français : Silvain R., « Clausewitz et la guerre de Corée », Revue politique et parlementaire, Octobre 1951, pp. 165-172.

[48] Welch G.P., « Cannae – 216 B.C. », Military Review, juin 1953, pp. 3-14 ; Heller F.H., « The President as Commander in Chief », Military Review, septembre 1962, pp. 5-17 ; Sackton F.J., « The Changing Nature of War », Military Review, novembre 1954, pp. 52-62.

[49] Huntington S.P., The Soldier and The State, Harvard, Harvard University Press, 1957, 534 p.

[50] Singland J.K., « Books of Interest to the Military Reader – The Soldier and the State », Military Review, novembre 1957, p. 112.

[51] Higgs J., « Landmark in Defense Literature – Soldier and the State », Defense Analysis, décembre 2000, pp. 345-346.

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Chapitre 1 – Un rapide regard en arrière : Clausewitz et les Etats-Unis avant 1945, des références éparses

Selon Maurice Matloff, la conduite des unités du général Pershing, lors de la Première Guerre mondiale, de même que les Field Service Regulations de 1923, semblent valider l’approche stratégique de Clausewitz. Mais ici les idées du Prussien sont rétrécies à l’idée de la destruction des forces ennemies par la bataille. Ce sont les mécanismes de concentration, coopération et victoire sur la volonté des forces ennemies qui sont mises en évidence.[1] Walter Millis, lui, utilise Clausewitz pour critiquer la politique du président Roosevelt. Il reproche à ce président d’avoir quasiment retourné la Formule en indiquant que la diplomatie, si elle ne dispose pas de la force pour la soutenir, devient la servante et plus la maîtresse du soldat.[2]

Ces évaluations modernes de situations historiques, en prenant Clausewitz pour juge, ne sont toutefois pas suffisantes pour affirmer un lien, sous forme d’influence positive ou négative, entre l’officier prussien et les acteurs stratégiques américains mentionnés. Pershing aurait pu conduire ses troupes de manière identique suite à une réflexion personnelle. Par ailleurs, nous n’avons trouvé aucune trace permettant de déterminer si Roosevelt avait lu, ou mal lu, Clausewitz.

A contrario, Christopher Bassford a soigneusement étudié la réception de Clausewitz en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis de 1815 à 1945.[3] Pour ce faire, il n’a tenu compte que des références formelles à Clausewitz que l’on peut trouver dans la pensée stratégique américaine et britannique. Bien que cette période soit en dehors des limites de ce sujet, il s’avère intéressant de lui accorder un minimum d’attention. On sera ainsi plus à même de juger de l’évolution de la réceptivité des Américains à l’égard du Prussien sur le long terme.

En résumant le travail de Ch. Bassford, on se rend compte qu’il serait exagéré de prétendre à l’absence totale de contacts entre l’œuvre de Clausewitz et le monde anglo-saxon avant la Première Guerre mondiale.[4] Tout d’abord, il est possible de spéculer sur la connaissance du Prussien par le président Lincoln. Il en va de même pour Denis Hart Mahan, père de Alfred Thayer Mahan, professeur à West Point. Il est par contre certain que Henry Wager Halleck, un officier qui participa à la guerre de Sécession, connaissait Clausewitz car il le cite dans ses travaux.[5] Quoi qu’il en soit, les écrits de l’officier prussien étaient accessibles aux Etats-Unis avant la guerre 14-18. D’une part, une partie de ses textes étaient traduits en français à une époque où certains officiers américains lisaient couramment la langue de Voltaire. D’autre part, un de ses récits, sur la Campagne de 1815, était déjà disponible en anglais. Christopher Bassford indique encore que Wellington appréciait l’œuvre historique de Clausewitz. Il est donc possible que des Américains aient été au fait des écrits de l’officier prussien par des réflexions de celui-ci.[6]

Mais il faut attendre 1873 pour voir apparaître la première traduction de Vom Kriege en anglais. Cette traduction avait été préparée par James John Graham (1808-1883). La première édition, sortie à 254 copies, fut un désastre sur le plan des ventes. 21 copies allèrent au traducteur, 32 furent distribuées gratuitement et 192 restaient encore invendues en 1877. Cette traduction fut ensuite révisée par le colonel anglais Frederick Natusch Maude en 1908 et rééditée en 1911, 1918, 1938 et 1949. L’édition de Graham-Maude pose toutefois un problème : elle est basée sur la troisième édition de Vom Kriege qui est considérée comme falsifiée car elle renverse le sens de la Formule. Une critique négative de l’ouvrage indiquera à l’époque que les éditeurs auraient pu incorporer un index et une introduction explicative à l’ouvrage.[7]

On sait également que Alfred Thayer Mahan (1840-1914) prit connaissance de On War, bien qu’assez tardivement et apparemment sous une forme abrégée – probablement vers les années 1890, voire vers 1910. Cette prise en compte de Clausewitz par Mahan semble assez superficielle. Ses écrits portent par contre la marque de l’influence jominienne. On ne retrouve pas de référence à Clausewitz dans son célèbre The Influence of Sea Power Upon History.[8] Pour Philip A. Crowl, si Mahan montre de la compréhension pour l’idée de la guerre conçue comme la continuation de la politique, c’est principalement à partir des travaux de Jomini.[9]

A l’époque, On War n’est pas enseigné dans les écoles militaires. Mais, au sein de l’U.S. Navy, la pensée de Clausewitz a pu indirectement s’introduire grâce aux travaux du britannique Julian Corbett (1854-1922). Corbett fait en effet de nombreuses références à Clausewitz dans son ouvrage Some Principles of Maritime Strategy. Le livre est publié pour la première fois en 1911 et est réédité en 1938, en 1972 et en 1988. Julian Corbett fait montre de finesse lorsqu’il utilise Clausewitz. On verra dans le théoricien naval un des propagateurs du concept de guerre limitée par les objectifs politiques.[10] D’autre part, Christopher Bassford ajoute que On War figure déjà sur les listes d’ouvrages recommandés aux étudiants du Naval War College dès 1894.[11] Après cela, la Première Guerre mondiale va assombrir la réputation de Clausewitz. Il est perçu comme une émanation de l’ennemi. Il deviendra tout de même de plus en plus connu au travers d’ouvrages traduits de l’allemand – par exemple, La Nation armée de Colmar von der Goltz.

Parmi les théoriciens de l’Airpower, les références à Clausewitz sont plus rares. On n’en retrouve pas trace chez Mitchell (1879-1936), figure de proue de la réflexion stratégique américaine. Les idées de Mitchell eurent un grand retentissement parmi les instructeurs de l’Air Tactical School de Maxwell Field en Alabama pendant les années 30.[12] Ses préceptes s’avèrent assez proches de ceux de l’Italien Douhet (1869-1930), père fondateur de la pensée stratégique aérienne. Ce dernier ne cite pas non plus Clausewitz. Seul de Seversky (1894-1974) le mentionne épisodiquement (sur Douhet et de Seversky, voir aussi infra). Pourtant, un article publié dans l’Air University Review en 1986 postulait qu’une part de l’enseignement de la toute jeune Air Corps Tactical School était basée sur Clausewitz dans les années trente.[13] Christopher Bassford relativise cette opinion (voir infra).

Il faut également relativiser l’impact de Clausewitz sur les officiers de l’armée de terre. Le général Patton fut un avide lecteur d’histoire militaire mais il est difficile de le relier au Prussien. Il en va de même à propos du général Wedemeyer, bien que ce dernier ait assisté à des cours de la Kriegsakademie pendant l’entre-deux-guerres.[14]

En fait, un seul personnage marquant ressort de cette période quant à son étude de Clausewitz. Il s’agit de John MacAuley Palmer (1870-1955). John MacAuley étudia à West Point, servit dans des unités d’occupation à Cuba, puis en Chine suite à la révolte des Boxers. Il ne prit toutefois jamais part au combat. Son travail, inspiré par le Prussien, est principalement tourné vers une recherche visant la création d’une armée professionnelle de petite taille. Palmer est visiblement le premier soldat américain à avoir réellement étudié Clausewitz.[15] Il est également connu que le que le général Marshall appréciait la façon de penser de l’officier prussien. Eisenhower l’étudia aussi. Il commença sa lecture de Clausewitz dans les années 20, sous la direction du général de brigade Fox Conner, lorsqu’il était stationné à Panama.[16] Eisenhower fait remarquer qu’il a lu trois fois le Traité à cette époque. Il étudia également les mémoires de Grant et de Sheridan, toujours sur les conseils de Conner.[17] On considère pourtant que les leçons qu’il tira de Clausewitz seront plus visibles dans sa carrière de président de 1953 à 1961 (voir infra).

Mais ce n’est qu’à partir du début des années 40 que le nom de Clausewitz apparaît réellement dans la pensée stratégique outre-Atlantique. En 1942, un Américain d’origine allemande, Hans Gatzke (1915-1987), traduit le document que Clausewitz rédigea pour le prince de Prusse. Le document est publié sous le titre Principles of War. Ce petit livre sera très largement diffusé. Dans l’introduction, Hans Gatzke met en évidence la guerre d’anéantissement dans la pensée de Clausewitz, en fait le concept « absolu », idéel, mais pris comme réalité. Ce n’est pas un hasard si le texte de Clausewitz est publié à cette époque. Les Américains veulent obtenir une meilleure connaissance de leur ennemi. La publication rentre dans le cadre de l’effort de guerre.[18]

Ensuite, en 1943, paraît la première traduction américaine de Vom Kriege par Otto J. Matthijs Jolles, un immigré d’origine allemande (qui a également des origines néerlandaises). Cette traduction se base sur l’édition allemande « corrompue », à savoir, celle de 1880. La traduction participe aussi à l’effort de guerre. Jolles considère son travail comme une participation à l’éducation des civils aux affaires militaires. La préface et l’introduction mettent en évidence le rôle de la pensée de Clausewitz dans l’élaboration de la stratégie allemande. Jolles insiste sur le rôle du politique et de la bataille dans la guerre. Il retient aussi l’idée selon laquelle la défense est la forme la plus forte de la guerre. Il tire ensuite du texte des conclusions sur le plan international. Pour lui, le système interétatique doit viser la stabilité. Pour finir, selon Jolles, les Allemands n’ont pas le monopole de la bonne interprétation historique de Clausewitz. Cette traduction comporte un index qui répertorie à la fois les noms propres et des thématiques. Mais on ne retrouve pas dans cet index certains concepts que l’on assimile si naturellement à Clausewitz aujourd’hui, tels que le centre de gravité ou la trinité paradoxale. Les notions de génie et de friction sont, elles, bien présentes. Malgré sa meilleure qualité, l’édition de Jolles a été moins souvent utilisée que celle de Graham. En effet, sur cette dernière, il n’existait plus de copyright. L’édition de Jolles est tout de même republiée en 1950.[19]

Toujours en 1943, paraît la première édition de l’ouvrage Makers of Modern Strategy, sous la direction de Edward Mead Earle (1894-1954).[20] Cet ouvrage est issu d’un séminaire sur la stratégie militaire dispensé à l’Institute for Advanced Studies, en 1940, à Princeton.[21] Ce séminaire rassembla beaucoup d’intellectuels qui fuyaient la montée du nazisme en Europe. On ne s’étonnera donc pas de trouver certains chapitres signés de la main de plusieurs immigrés allemands et d’un autrichien, celui-ci, Stefan T. Possony, écrivit, en collaboration avec Etienne Mantoux, un chapitre sur Ardant du Picq et Foch ; Harvey de Weerd, qui était déjà initié à Clausewitz, était responsable d’un chapitre sur Churchill, Lloyd George et Clémenceau. Hans Rothfels rédigea le chapitre sur Clausewitz. Ce dernier, historien allemand né en 1891, avait déjà étudié Clausewitz dans son pays.[22] Il était principalement connu pour ses travaux sur l’histoire du XIXe siècle et les problèmes de nationalités. Il écrivit aussi sur la résistance allemande contre Hitler.[23] Herbert Rosinski, un autre connaisseur de Clausewitz, qui devait participer au projet ne se retrouvera pas inclus car il ne respecta pas les prescriptions établies par E. Mead Earle. Rosinski deviendra surtout célèbre aux Etats-Unis pour un ouvrage sur l’armée allemande – ouvrage dans lequel il cite Clausewitz.[24]

Au total, sur les 21 chapitres du Makers of Modern Strategy, 10 citent Clausewitz. A titre comparatif, dans l’édition de 1986, 17 chapitres le citeront sur 28.[25] Pour terminer, il convient encore de retenir le nom de Alfred Vagts (1892-1986), un autre réfugié allemand, dont la connaissance de Clausewitz s’avérait subtile. Vagts est surtout connu pour un ouvrage sur le militarisme paru dès 1937.[26]

La principale conclusion à tirer de cette partie de notre ouvrage est que Clausewitz est connu depuis assez longtemps aux Etats-Unis, mais uniquement par un nombre limité de personnes. Les références au Prussien sont des plus éparses. Le nom de Clausewitz ne devient véritablement familier que dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale. Clausewitz est surtout évoqués par des intellectuels d’origine germanique : Rosinski, Vagts, Rothfels, Gatzke, Jolles. Les Américains sentent alors la nécessité de se familiariser avec la pensée stratégique et de mieux connaître leur ennemi.

[1] Matloff M., « The American Approach to War, 1919-1945 », dans Howard M. (dir.), The Theory and Practice of War, Londres, Cassel, 1965, pp. 223-224.

[2] Millis W., Armies and Men – A Study in American Military History, Londres, Jonathan Cape, 1958, p. 169. Il semble que l’auteur de ce livre n’ait pas pratiqué une lecture particulièrement attentive de Clausewitz. Il affirme (à la p. 72 de l’ouvrage cité) que le Prussien a peu à dire pour nous éclairer à propos de l’apparition de la guerre napoléonienne et de la tension extrême qu’elle entraînerait, alors que la trinité paradoxale est justement un essai de théorisation en ce domaine.

[3] Bassford Ch., Clausewitz in English – The Reception of Clausewitz in Britain and America, 1815-1945, Oxford, Oxford University Press, 1994, 293 p. L’ouvrage, initialement une thèse de doctorat, a été bien accueilli dans les milieux intéressés. L’auteur, professeur et rédacteur de doctrine pour le Corps des Marines, est aussi le créateur d’un site Internet consacré à Clausewitz (http://www.clausewitz.com/CWZHOME/CWZBASE.htm).

[4] Voir par exemple : Harsh J.L., « Battlesword and Rapier: Clausewitz, Jomini and the American Civil War », Military Affairs, décembre 1974, p. 134 ; Gat A., The Origins of Military Thought: From the Enlightment to Clausewitz, Oxford, Oxford University Press, 1989, p. 310.

[5] Pour plus de précisions sur la carrière de H.W. Halleck et de D.H. Mahan, nous renvoyons à Colson Br., La culture stratégique américaine, Paris, Economica / FEDN, 1993, 330 p.

[6] Bassford Ch., op. cit., pp. 50-55.

[7] Voir : Anon., « On War – Recent Military Publications », Journal of the R.U.S.I., avril 1908, pp. 584-585. Sur la falsification, voir : Clausewitz C. von, On War, (ed. and translated by Howard M. & Paret P., Introductory Essays by Paret P., Howard M. and Brodie B., with a Commentary by Brodie B.), Princeton, Princeton University Press, 1982 (1976), p. 608 (il s’agit de la traduction standard en anglais – dorénavant, nous y ferons simplement référence par le titre).

[8] Mahan A.T., The Influence of Sea Power Upon History, 1660-1783, Londres, Sampson Low, Martson & Co. Ltd., 1918 (1890), 557 p.

[9] Crowl Ph. A., « Alfred Thayer Mahan: The Naval Historian », dans Paret P. (ed. by), Makers of Modern Strategy from Machiavelli to the Nuclear Age, Princeton, Princeton University Press, 1986, pp. 461-462.

[10] A propos de Corbett, nous renvoyons le lecteur à la préface de Hervé Coutau-Bégarie dans : Corbett J.S., Principes de stratégie maritime, Paris, Economica / FEDN, 1993, pp. 5-25.

[11] Bassford Ch., op. cit., p. 95.

[12] Matloff M., op. cit., p. 226-227.

[13] Smith J.B., « Some Thoughts on Clausewitz and Airplanes », Air University Review, mai-juin 1986, pp. 52-59. Propos également avancés par Matloff M., op. cit.

[14] Bassford Ch., op. cit., pp. 150-154.

[15] Paret P., « Clausewitz – A Bibliographical Survey », World Politics, janvier 1965, p. 275 ; Bassford Ch., op. cit., pp. 56-57 ; 95 ; 154 ; 162-167 ; 175.

[16] Pickett W.B., « Eisenhower as a Student of Clausewitz », Military Review, juillet 1985, pp. 21-27.

[17] Eisenhower D.D., At Ease: Stories I Tell to Friends, New York, Doubleday & Company, 1967, p. 186.

[18] Clausewitz C. von, Principles of War, Harrisburg, Military Service Company, 1942, 82 p. Voir aussi le commentaire de Christopher Bassford à l’édition électronique des Principles : http://www.clausewitz.com/CWZHOME/PrincWar/Princwr1.htm.

[19] Clausewitz Karl von, On War, traduit par O.J. Matthijs Jolles (Institute of Military Studies, The University of Chicago), avant-propos par by Col. Joseph I. Greene (de l’Infantry Journal), préfacé par Richard McKean (de l’University of Chicago), The Modern Library, New York, Random House Inc., 1943, 641 p. ; Bassford Ch., op. cit., p. 183.

[20] Ce livre est devenu un ouvrage de référence dans les études stratégiques. Une deuxième édition, complètement revue, sera publiée sous la direction de Peter Paret en 1986. On citera également l’existence d’un Makers of Nuclear Strategy, d’origine britannique, s’avouant directement inspiré par le classique de E. Mead Earle. Baylis J. & Garnett J., Makers of Nuclear Strategy, Londres, Pinter Publishers, 1991, p. 4

[21] Earle E.M., « The Princeton Program of Military Studies », Military Affairs, printemps 1942, pp. 21-26.

[22] Voir par exemple : Clausewitz C., Politische Schriften und Briefe, (hrsg H. Rothfels), München, Drei Masten Verlag, 1922, 249 p.

[23] Voir par exemple : Rothfels H., Le legs politique de la résistance allemande, Bad Godesberg, Inter Nationes, 1969, 23 p.

[24] Rosinski H., The German Army, (edited and with an introduction by Craig G.A.), Frederick A. Praeger Pub., 1966 (1939, 1940), New York, 322 p. (à propos de Clausewitz, voir principalement les pages 109-114).

[25] Respectivement : Possony S.T. et Mantoux E., « Du Picq et Foch: l’école française » ; Rothfels, « Clausewitz », dans Mead Earle E. (éd.), Les maîtres de la stratégie, vol. 1, De la Renaissance à la fin du XIXe siècle, (Makers of Modern Strategy, 1943 – traduit de l’américain par Pélissier A.) Paris, Flammarion, 1980, pp. 235-265 et pp. 115-136 ; de Weerd H.A., « Churchill, Lloyd George, Clemenceau: l’émergence des civils », dans ibid., vol. 2, De la fin du XIXe siècle à Hitler, op. cit., pp. 9-30. Christopher Bassford note que la connaissance de Clausewitz par Harvey A. de Weerd est pour le moins ambiguë (après la guerre, de Weerd travaillera pour la Rand Corporation). Bassford Ch., op. cit., pp. 174 ; 182 ; 262.

[26] Vagts A., A History of Militarism, Civilian and Military, (revised edition), New York, The Free Press, 1959 (1937), 542 p. (sur Clausewitz, voir surtout les pages 180-185).

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