Chapitre IV. Bataille de Lützen 

A mesure que les forces françaises se rassemblaient dans le Thüringer-Wald et que les troupes venant d’Italie se rapprochaient des frontières de la Saxe, le comte Wittgens­tein s’avançait de plus en plus des bords de la basse Saale vers Leipzig et le général Blücher qui ne pouvait pas encore abandonner la route de Dresde, par Chemnitz, ligne la plus courte entre la Franconie et l’Elbe, s’établissait aux environs d’Altenbourg, de telle sorte qu’il pouvait, par un mouvement rapide, se réunir facilement à droite au comte Wittgenstein.

On connaissait assez exactement l’importance des for­ces françaises. On pouvait estimer que 60 00 à 70 000 hom­mes avaient été dirigés de Würzbourg sur le Thüringer-Wald et que les divisions d’Italie du général Bertrand comptaient environ 30 000 hommes mais, on ne savait pas si toutes se­raient rappelées, car, d’après les dispositions antérieures, deux d’entre elles de­vaient être maintenues sur le Danube. On était, par contre, absolument fixé sur la force de l’armée du vice-roi. Son effectif, y compris le corps du maréchal Da­vout et sans compter la garnison de Magdeburg, était de 38 000 hommes. Le maréchal Davout avait 12 000 hommes avec lui. On pensait donc que le vice-roi se réunirait à la grande armée avec 20 000 hommes environ. En somme, quand tout aurait re­joint, il y aurait là une masse de 120 000 hommes.

Les armées du général Blücher et du comte Wittgens­tein s’élevaient ensemble à 55 000 hommes, déduction faite des détachements qu’il fallait laisser devant Wittenberg, à la tête de pont de Dessau et sur la basse Saale ; la principale armée russe était de 30 000 hommes. Au total, 85 000 hom­mes.

On n’était donc pas en état, comme déjà on avait pu le prévoir, d’opposer à l’ennemi des forces égales en Saxe.

Il n’y avait à choisir qu’entre deux manières d’opérer : ou abandonner la Saxe sans combat et s’établir derrière l’Elbe pour en défendre le cours ou bien attaquer l’ennemi dès qu’il aurait franchi la Saale.

La défense de l’Elbe ne pouvait pas arrêter l’ennemi longtemps, car il tenait Wittemberg, et, si les alliés. recu­laient au-delà de l’Elbe, il disposerait sûrement aussi de Torgau. Le passage d’un cours d’eau si étroit ne présente d’ailleurs aucune difficulté sérieuse. Il semblait donc que l’armée alliée se trouverait ainsi engagée dans une défensive dangereuse, et, d’un autre côté, on se rendait déjà bien compte, alors qu’il était impossible de gagner assez de temps pour permettre à l’Autriche de venir à notre aide. Quant à continuer notre retraite jusqu’en Lusace et vers la Silésie et donner, par là, à l’Autriche le temps de faire sentir son ac­tion, c’était une solution encore moins acceptable, car il était facile de voir que nous étions entraînés de la sorte jusqu’aux confins de la Pologne et au delà.

Il fallait donc tenter la bataille. Il semblait d’ailleurs que nous avions tout avantage à ne pas nous soumettre à l’impression fâcheuse que devait fatalement produire en Al­lemagne et dans l’armée un mouvement de recul : il valait mieux attaquer l’ennemi de front que d’accepter la bataille sur une position défensive qu’on eût été chercher en arrière. Au surplus, certaines circonstances accessoires, mais non sans importance, rendaient les chan­ces d’un succès plus grandes qu’elles ne l’eussent été au­trement, étant donnés l’adversaire et la proportion des for­ces en présence.

Il n’était pas certain que l’empereur Napoléon pût avoir ces 120 000 hommes concentrés sous sa main au jour de la bataille, si l’on se hâtait de l’attaquer aussitôt qu’il au­rait franchi la Saale. Dans ces conditions, il avait à dos la vallée escarpée de la Saale, et il devait s’avancer dans une plaine favorable à notre armée, qui comptait environ 25 000 cavaliers, tandis que l’ennemi en avait à peine 5 000. En ou­tre, nos troupes étaient incontestablement meilleures que les siennes. Enfin, il ne s’attendait peut-être pas a notre auda­cieuse décision de l’attaquer, et, comme l’empereur et son armée n’avaient jamais eu à livrer de bataille purement dé­fensive, c’était une raison de plus pour compter que l’ennemi serait surpris et qu’il n’agirait pas avec sa confiance habi­tuelle.

C’était donc un concours de circonstances qui permet­taient d’espérer la victoire, sans se faire toutefois de folles illusions sur son adversaire.

L’empereur Napoléon commença par passer la Saale le 30 avril à Weissenfels avec des forces importantes. On ac­quit, dès lors, la certitude que son intention était de s’avancer dans la plaine de Leipzig. On se mit donc rapide­ment en mouvement pour attaquer l’ennemi aussitôt que possible dans la plaine de Lützen, en prenant des disposi­tions telles que, faisant face au chemin de Leipzig, on le cou­pait complètement de Weissenfels et de Naumbourg, si l’on était victorieux et qu’on le rejetât dans la région maré­ca­geuse que forment la Pleisse et l’Elster après leur confluent.

L’armée prussienne était rassemblée, le 30 avril à Borna, le 1er mai à Roetha. Le comte Wittgenstein était à Zwenkau pendant que le général Witizingerode observait et occupait l’ennemi sur le canal.

L’armée prussienne rompit dans la nuit du 1er au 2 mai et les deux armées ensemble passèrent l’Elster, le len­demain, à Zwenkau et à Pegau.

Le général Miloradowitch s’était chargé d’observer la route de Chemnitz, pendant que l’armée prussienne com­mençait sa conversion à droite ; dès qu’on fut certain que rien concernant l’ennemi n’avait été signalé, il se mit en marche droit vers Zeitz, pour couvrir les chemins de Naum­bourg et de Cambourg. Le 1er mai, en effet, on était dans l’impossibilité de savoir si l’ennemi ne déboucherait pas de ces points avec 20 000 ou 30 000 hommes pour venir sans obstacle sur les derrières de l’armée en marche. Le reste de la principale armée, la garde, les grenadiers et les cuiras­siers, à 20 000 hommes, marcha sans s’arrêter de Dresde vers Rochlilz vers l’Elster et se trouva le lendemain derrière l’armée de Blücher et de Wittgen.

Le comte Wittgenstein avait pris le commandement de ces troupes réunies. Leurs Majestés, l’Empereur et le Roi, étaient arrivées sur le champ de bataille avec les réser­ves. Napoléon ne s’était certainement pas attendu à cette déci­sion des Alliés. Il était en marche vers Leipzig pour se porter de là sur Dresde ; il voulait par cette marche frapper un coup violent et décisif. Ce sont, du reste, les propres ex­pressions de son bulletin. Il espérait, vraisemblablement, tomber sur l’armée de Wittgenstein avant qu’elle se fût jointe à celle de Blücher, qu’il croyait toujours près d’Altenburg ; ou bien, si elles se réunissaient vers Alten­burg, il pensait, avant de les attaquer, leur couper toutes les routes conduisant vers l’Elbe.

Il fut arrêté, dans cette sublime manœuvre, comme la nomment les feuilles françaises elles-mêmes, car, au moment psychologique, l’armée combinée l’attaqua par derrière et le maintint dans la plaine de Lützen.

Le maréchal Marmont, placé avec son corps dans les villages de Rahna, Gross et Klein-Görschen, formait l’arrière-garde et devait couvrir la marche ; il eut à soutenir le premier choc. L’Empereur s’arrêta aussitôt à Lützen et rappela les colonnes qui avaient déjà atteint Leipzig.

On avait donc trouvé en temps et lieu, le point vulné­rable ; l’empereur Napoléon le donne lui-même clairement à entendre. Si l’on ajoute à cela les immenses résultats que la bataille devait assurer, en cas de succès, on peut dire avec conviction que l’idée qui y présidait est une des plus belles combinaisons stratégiques. Pour la relation des incidents de la bataille, l’auteur réclame l’indulgence du lecteur.

Bien que les combattants prussiens, auxquels ces li­gnes sont surtout destinées, puissent trouver fort intéres­sant de suivre le développement successif de tous les com­bats par­tiels de cette journée mémorable et d’en revivre, pour ainsi dire, toutes les phases, l’auteur de ce court aperçu estime que c’est là une besogne trop difficile en ce moment et qui ne saurait être accomplie sans avoir, au pré­alable, revu et exa­miné soigneusement le terrain. Il faudra donc se contenter de l’idée principale et du caractère de l’ensemble.

Comme le général Kleist était resté avec 5 000 hom­mes à Leipzig et autour de cette place, et que le général Mi­loradowitch se trouvait encore à Zeitz avec 12 000 hommes, nous pouvons admettre que l’armée réunie comptait tout au plus 70 000 hommes. Après avoir passé l’Elster, elle porta vers le canal son front de combat, formé de petites colonnes accolées, conversa ensuite à droite, de façon à appuyer son aile droite au canal et s’arrêta derrière la colline qui s’élève à un quart de mille de Görschen. Il était midi et les troupes avaient besoin d’une heure de repos, car les Prussiens avaient marché presque sans interruption pendant trente-six heures.

De ces hauteurs, on voyait, dans le lointain, l’ennemi en marche sur le chemin de Lützen à Leipzig ou du moins on le pensait ainsi, en raison de la poussière que l’on aperce­vait ; mais il était à présumer qu’à ce moment-là il revenait déjà sur ses pas. Les villages de Gross et Klein­ Görschen, Rahna et Kaja, disposés l’un près de l’autre en quadrilatère irrégulier, étaient, comme on pouvait s’en apercevoir, oc­cupés par l’ennemi. Mais on croyait ne trouver là que de fai­bles avant-postes et l’on espérait que l’ennemi n’opposerait pas une grande résistance dans ces villages.

Le plan d’attaque consistait à les enlever et les oc­cuper avec une faible avant-garde, puis à se porter de front contre l’ennemi dont on apercevait, dans les environs de Lüt­zen, la position à peu près parallèle à la route de Weis­sen­fels, de façon à diriger la masse principale contre son aile droite mais, sans rien entreprendre de plus contre son aile gauche. On voulait, avec les forces ainsi concentrées, obliger autant que possible l’aile droite à reculer, couper l’ennemi de la route de la Saale, entourer entièrement cette aile avec la masse de la nombreuse cavalerie et exécuter, autant qu’on le pourrait par ce moyen, une attaque décisive sur les derrières de l’armée ennemie.

L’ordre de bataille était le suivant : l’armée du général Blücher passait en première ligne, celle qui était auparavant sous les ordres du comte Wittgenstein formait la seconde ligne, le corps du général Winzingerode, avec la garde russe et les grenadiers, servait de réserve, et les réserves de cava­lerie russes et prussiennes devaient être réunies.

L’armée s’avança dans cette formation, vers une heure et demie, après une heure de repos.

La brigade du colonel Klüx avait pour mission d’attaquer le premier village : Gross-Görschen. Trois ou qua­tre batteries furent amenées à 800 pas de cette localité et la canonnèrent énergiquement. Les bataillons ennemis, dont trois, ou même plus, s’étaient déployés en avant du vil­lage, supportèrent admirablement cette canonnade. Après un feu d’artillerie de courte durée, la brigade se remit en marche. L’attaque du village, bien qu’il fût occupé par des troupes plus nombreuses qu’on ne l’avait supposé, fut exé­cutée avec une impétuosité telle que l’ennemi dut l’évacuer au bout d’un instant. Le feu ne cessa que bien peu de temps dans le vil­lage, car les Français revinrent bientôt et atta­quèrent nos troupes à leur tour ; on se battit avec acharne­ment, sans que, cependant, les Alliés rompissent d’une se­melle. L’ennemi fit alors avancer des troupes de plus en plus nombreuses, de sorte que nous fûmes obligés d’envoyer à droite du village une deuxième brigade (Ziethen) de trou­pes prussiennes. On obtint ainsi la supériorité et, bien que l’infanterie ennemie se battît bravement, on pénétra plus avant et l’on débusqua aussi l’adversaire des villages de Rahna et Klein-Görschen, situés à une portée de canon à droite et à gauche de Gross-Görschen. Ce combat dura plu­sieurs heures, avec la rage violente de la fusillade et les troupes étaient si rapprochées les unes des autres qu’il y eut des deux côtés un nombre in­croyable de morts et de blessés.

L’artillerie s’était avancée progressivement, et de pe­tits détachements de cavalerie, d’un ou de deux escadrons, qui formaient la deuxième ligne des brigades prussiennes, cherchaient une occasion favorable de sabrer. De son côté, l’ennemi fit avancer de l’artillerie et quelques escadrons de cavalerie, de sorte qu’on livrait là, de près, avec toutes les armes, un combat violent sur un terrain de 1 000 à 1 500 pas, entrecoupé de villages, de prairies et de fossés.

On pouvait évaluer à 14 000 ou 15 000 hommes les forces engagées du côté des Prussiens. L’ennemi, devenu l’assaillant à ce moment, parce qu’il voulait nous reprendre les villages, se renforçait sans cesse, car il ne manquait pas de troupes. Il se donna enfin une telle supériorité numéri­que qu’il repoussa peu à peu nos bataillons, très affaiblis, et re­prit Klein-Görschen. De nouveaux encouragements aux troupes, de la part des généraux, et quelques charges heu­reuses d’escadrons isolés enlevèrent encore une fois à l’en­nemi ses avantages. Il arriva alors que l’infanterie fran­çaise, qui n’avait pas atteint la valeur morale de la nôtre, céda une seconde fois, quoique très supérieure en nombre et que plu­sieurs bataillons s’enfuirent en désordre.

Comme on vient de le voir, il y avait du côté prussien une occasion favorable de pousser le combat plus avant en emportant aussi Kaja, le troisième village. Mais les troupes étant trop faibles pour s’en emparer, on appela au combat la brigade de réserve comprenant la garde et les grenadiers. Lorsque ces braves troupes débouchèrent, on se trouvait de nouveau dans un moment très critique.

L’ennemi arrivait de tous côtés avec des bataillons épais et nouveaux et nos deux brigades se trouvaient, par suite d’un combat long et opiniâtre, en grande partie disper­sées sur une chaîne mince de tirailleurs ou en groupes in­formes. La garde s’avança alors avec une bravoure et, dans un ordre incomparable, elle prit d’assaut Klein-Görschen, ainsi que le village de Eissdorf, situé à sa droite. En un ins­tant, elle avait rejeté l’ennemi derrière Kaja. Le village lui-même était en feu et aucun des deux partis ne l’occupait.

Ce fut le moment le plus brillant de la bataille. Il pou­vait être 6 heures, et l’on avait conquis là un bon quart de mille de terrain par un combat incessant, de l’opiniâtreté duquel on peut à peine se faire une idée. Cette conquête san­glante aurait pu devenir la base d’une brillante victoire si, toutefois, les événements qui allaient se produire, avaient permis d’y songer.

La bataille, dont nous venons de retracer l’épisode le plus important, avait pris dans son ensemble la tournure qui suit : la résistance inattendue et acharnée de l’ennemi dans le premier village, la quantité de troupes qu’il amenait dans les villages et leurs intervalles, donnaient la convic­tion que l’on s’était heurté à une fraction importante de sa masse. On ne pouvait pas rompre le combat à cet endroit ou le laisser indécis, car l’ennemi aurait été bientôt en état de passer à l’offensive, si on lui avait laissé reprendre haleine. On ne négligea donc rien pour se rendre, autant que possi­ble, maî­tre de la situation et, comme on avait engagé peu à peu dans le combat toute l’infanterie de Blücher et une par­tie de sa cavalerie, c’est-à-dire toute la première ligne, il ne fallait plus songer à diriger la masse principale contre l’aile droite ennemie. On fit donc avancer, vers le général Blücher, la deuxième ligne qui se composait du général York avec 8 000 hommes et du général de Berg avec 5 000.

Pour occuper l’aile droite de l’adversaire et ne pas lais­ser échapper le moment où, peut-être, une manœuvre de la première ligne ennemie, qui appuyait son aile droite au vil­lage de Starsiedel, fournirait à notre cavalerie une occasion favorable de tomber sur l’infanterie, la réserve de cavalerie prussienne et une partie importante de la cavalerie russe se déployèrent dans la plaine, de façon à lier leur aile droite à la gauche du général Blücher et à maintenir l’aile gauche face au village de Starsiedel. On commença à canonner toute cette ligne avec une nombreuse artillerie russe et prus­sienne.

Les réserves de cavalerie et d’infanterie russes étaient maintenues hors de la portée du feu, sur les hauteurs, pour ne pas mettre tout de suite toutes les forces en jeu.

Au moment où l’infanterie prussienne s’était avancée jusqu’à Kaja, la première ligne ennemie, menacée sur son flanc gauche et fortement incommodée par la violente ca­nonnade, s’était retirée de 500 à 600 pas, de sorte que le vil­lage de Starsiedel se trouvait complètement libre ; mais le manque d’infanterie fit que nous ne pûmes l’occuper. L’ennemi regardait l’occupation des cinq villages comme dé­cisive. Il n’hésita aucunement à faire entrer en ligne le quart ou même la moitié de son infanterie, c’est-à-dire de 10 000 à 50 000 hommes, pour les prendre d’assaut et les conserver.

Le corps du général Blücher, qui, jusqu’alors, avait combattu seul, pouvait, sans la réserve de cavalerie, être évalué à environ 20 000 hommes. L’ennemi prenait peu à peu la supériorité du nombre et l’on ne se maintenait plus qu’avec peine sur les points conquis.

C’est alors que la deuxième ligne fut amenée au com­bat. Le général York et la majeure partie des troupes du gé­néral de Berg s’avancèrent pour soutenir le général Mâcher. Peu à peu l’ennemi, en mettant en ligne des forces plus considérables, avait étendu d’autant le front de combat et s’avançait déjà, en force, le long des villages, de sorte que nous fûmes obligés de prolonger davantage notre seconde ligne vers la droite et diminuer ainsi l’appui que la première ligne devait en recevoir.

Une grande partie de cette ligne avait entièrement épuisé ses munitions, et ses bataillons, fondus en petits groupes sans consistance, se réfugiaient derrière les villages pour s’y rassembler.

Pour donner enfin à ce combat, dont l’acharnement était extrême, une tournure définitive, le comte Wittgenstein ordonna à l’infanterie du général Winzingerode, sous le commandement du prince Eugène de Wurtemberg, de tom­ber dans le flanc gauche de l’ennemi, afin de rendre décisifs les avantages obtenus avec tant de peine contre les villages. C’est ce qui fut fait. Seulement, le prince vit s’avancer contre lui le vice-roi qui venait à l’instant même d’arriver de Leipzig sur le champ de bataille et, au lieu d’opérer son mouvement débordant, ce fut le prince de Wurtemberg qui se vit à son tour débordé par un ennemi supérieur en nombre. Il fallut toute la bravoure de ce jeune héros et de sa remarquable di­vision pour maintenir pendant quelque temps l’équilibre du combat sur ce point.

A ce moment, la cavalerie alliée échangeait des coups de canon avec l’aile droite de l’ennemi. Les deux par­tis perdi­rent beaucoup de monde, sans aboutir à rien de décisif. Les efforts répétés que fit la cavalerie prussienne pour enfoncer les masses de l’adversaire eurent parfois, il est vrai, un heu­reux résultat ; mais la ligne principale de l’infanterie enne­mie resta calme et en ordre sur ses positions, et il fut impos­sible de continuer le combat avec la cavalerie seule. On se disputa donc, jusqu’à la tombée de la nuit, la possession d’un terrain péniblement conquis par les Alliés pendant un com­bat de huit heures.

Pour conserver, pendant la nuit, le terrain gagné, il eût été nécessaire de faire approcher de nouvelles réserves d’infanterie. Du côté des Alliés, environ 38 000 hommes d’infanterie avaient pris part au combat ; or, la totalité de l’infanterie pouvait être évaluée à 53 000 hommes ; il restait donc encore 15 000 hommes de troupes fraîches, de cette arme. En supposant que l’ennemi eut mis en ligne, en tout, de 60 000 à 70 000 hommes (chiffre qu’on peut admettre après l’arrivée du vice-roi), il lui restait encore au moins de 40 000 à 50 000 hommes d’infanterie entièrement intacts.

Cette considération amenait forcément la conviction qu’il serait impossible, avec le temps, de tenir contre les for­ces ennemies ; aussi voulut-on faire encore un effort : qui sait si une charge soudaine de cavalerie, dans l’obscurité, ne pourrait pas, si la chance la favorisait, amener un grand ré­sultat ? Neuf escadrons de la réserve de cavalerie prussienne (qui était dans le voisinage et qui avait, pendant cette ca­nonnade de huit heures, perdu le tiers de ses forces) tombè­rent subitement, à 10 heures, sur les troupes de première ligne de l’ennemi. Ce fut une véritable irruption au milieu d’elles, et on les rejeta en désordre vers l’arrière.

Mais, d’une part, la masse de l’infanterie ennemie pla­cée en arrière était trop forte ; d’autre part, l’obscurité, puis, un chemin creux qu’il lui fallut passer au train de charge, disloquèrent complètement la cavalerie. On ne put, par suite, attendre de cette attaque aucun résultat sérieux. Si l’on ne voulait pas, désormais, jouer son reste contre une infanterie trois fois supérieure en nombre, il fallait battre en retraite le lendemain pour se rapprocher de ses renforts et laisser venir le moment de la déclaration de guerre de l’Autriche, tout en perdant le moins de terrain possible.

On n’avait perdu, dans cette bataille, que des morts et des blessés ; c’est à peine si l’ennemi pouvait avoir fait quel­ques centaines de prisonniers ; quant aux pièces, nous n’en avions pas abandonné une seule. En revanche, nous avions conquis une portion importante de la position ennemie, pris 2 canons et fait 600 à 800 prisonniers.

Tout cela avait eu lieu contre un ennemi très supé­rieur ; on était donc en droit de considérer cette bataille comme une victoire (en tant, du moins, qu’affaire d’honneur) qui rehaussait l’éclat des armées alliées.

Après ce qui vient d’être dit, on ne saurait considérer l’abandon de la plaine de Leipzig comme une conséquence de la bataille ; il était commandé par la supériorité numérique de l’ennemi et aurait été encore plus nécessaire si la bataille n’avait pas été livrée.

Il n’y a, au fond de cette assertion, aucune vaine fan­fa­ronnade ni aucune illusion : la conduite de l’armée enne­mie après a bataille en est la preuve. Elle s’était reportée un peu en arrière dans la soirée (de l’aveu même des écri­vains fran­çais) et elle n’occupa que le lendemain, à midi, et très faible­ment encore, les villages évacués par nous. Elle se contenta de cette occupation le 3, et ce ne fut que le 4 qu’elle se mit en mouvement pour poursuivre l’armée alliée.

Celle-ci, marchant en deux colonnes, atteignit, le 2, Borna et Altenbourg ; le 4, Rochlitz et Kolditz ; le 5, Döbeln et Nossen ; le 6, Meissen et Wilsdruf ; le 7, elle passa l’Elbe, et le 8 elle poursuivit sa route vers Bautzen, où l’on espérait pouvoir déjà offrir à l’ennemi une seconde bataille générale.

Pendant la bataille, le général Kleist, qui, à l’approche de l’armée principale ennemie, avait évacué Leipzig, venait de la réoccuper. Ce ne fut que le 3 qu’il l’abandonna et se re­plia sur Mühlberg, où il franchit l’Elster.

Le général de Bulow avait, le 2 mai, pris Halle d’assaut et conquis 6 canons. Ce glorieux fait d’armes mon­tra, comme tout le reste, l’excellent esprit des troupes ; mais ses conséquences allèrent se perdre dans le courant dont l’ensemble des événements venait de décider le sens.

Ce fut seulement le 5 que l’ennemi se montra à Kolditz en présence de l’arrière-garde prussienne. Il y eut là un vio­lent combat, mais qui n’apporta pas le moindre changement ni la moindre hâte dans la marche de la colonne. L’ennemi ne tenta aucun autre combat d’arrière-­garde qui eût de l’importance. Par contre, dans la colonne de l’armée russe, l’ennemi fit quelques tentatives contre le général Milorado­witch, dont le corps formait l’arrière-­garde ; mais elles n’aboutirent pour lui à aucun avantage et ne furent, au contraire, à plusieurs reprises, châtiées par de très heureux succès de la part des Russes.

Si nous jetons un coup d’œil sur la première partie de cette campagne, nous arrivons forcément à dire que le résul­tat général était une conséquence toute naturelle des condi­tions de l’ensemble. C’était un seul État allemand, une seule petite fraction de ses forces à venir qui, avec l’appui d’une médiocre armée alliée, avait à lutter contre les forces concen­trées de la France, alors si colossale. Par malheur, cette fois encore, des princes allemands avaient laissé leurs contin­gents se joindre à l’oppresseur et le reste de l’Allemagne gar­dait timidement le silence, appelant de ses vœux ardents le moment de la délivrance sans trouver le courage d’y tra­vailler de ses propres mains ; par malheur, l’Autriche n’avait pas encore terminé ses prépa­ratifs. Il n’y avait dès lors qu’une issue possible : résister énergiquement à la nouvelle irruption d’un conquérant supérieur en forces et, par ce moyen, rendre ses progrès plus pénibles, ruiner autant que possible ses forces et lui montrer, ainsi qu’au reste de l’Europe, la va­leur de nos armes ; avant tout, justifier et exalter la confiance en soi-même qui animait l’armée.

Cela se réalisa-t-il ? C’est ce qu’on peut demander hardiment ; il n’est pas de Prussien qui craigne la réponse. Soyez tranquilles ! Vous pouvez jeter un regard en arrière sur votre conduite d’alors. Vous avez fait ce que la patrie at­tendait de vous, ce que Dieu demande aux défenseurs d’une cause juste et sainte. C’est la reconnaissance au cœur que le peuple constate vos efforts et vos sacrifices et l’orgueil qu’il trouve à jeter les yeux sur votre lutte glo­rieuse est, pour l’esprit guerrier qui l’enflamme, un nouvel aliment.

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Chapitre III. Opérations sur l’Elbe

Le général Blücher quitta la Silésie, avec 25 000 hommes, à la fin de mars et franchit l’Elbe, le 3 avril, à Dresde. Le général Wizingerode, mis sous ses ordres avec 13 000 hommes, le précédait. Le comte Wittgenstein, le gé­néral York et le général Borstell se trouvaient, avec environ 25 000 hommes, sur la rive droite de l’Elbe, devant Magde­burg. En aval de Magdeburg étaient les détachements russes de Tettenborn, Dörenberg et Tchernitcheff, forts en tout de 6 000 à 7 000 hommes répartis sur les deux rives de l’Elbe.

La principale armée russe, forte d’environ 30 000 hommes, dont le général Miloradowitch formait l’avant-garde, était à Kalisch et sur la frontière de la Silésie.

Les places fortes situées en arrière : Dantzig, Thorn, Modlin, Zamocz et Stettin, Kustrin, Glogau et Spandau étaient les unes assiégées, les autres bloquées.

En outre, le corps du prince Poniatowsky se trouvait encore en Pologne et devait être maintenu par un corps russe.

Les forces des alliés sur l’Elbe étaient donc, depuis les frontières de Bohême jusqu’à l’embouchure du fleuve, d’environ 20 000 hommes. Ils ne tenaient pas d’autre point sur l’Elbe que la ville ouverte de Dresde. Les ponts construits à Dresde, Meissen, Muhlberg et Roseau étaient au début ab­solument sans protection.

Les Français avaient sur l’Elbe, Magdeburg et Wit­temberg. En cas de malheur, Torgau devait être considéré également comme une place ennemie.

Sur le haut Elbe, les Français n’avaient plus aucune troupe. Ils commençaient seulement à rassembler leurs for­ces à Würzbourg.

Sur l’Elbe moyen était le vice-roi d’Italie, disposant, avec la garnison de Magdeburg, de 50 000 hommes. En ou­tre, la garnison de Wittemberg comptait de 5 000 à 6 000 hommes.

Vers le bas Elbe, les Français avaient, sous Van­damme et Morand, de petits corps isolés qui pouvaient à peu près balancer nos forces. (Les troupes de Davout étaient comprises dans les 50 000 hommes du vice-roi.)

Telle était la situation lorsque la campagne com­mença, et durant tout le mois d’avril elle resta la même dans l’ensemble, sauf que le comte Wittgenstein passa l’Elbe, porta la guerre sur la basse Saale et fit investir Wittemberg. A cette époque, on croyait généralement qu’on avait négligé de pousser franchement l’armée sur la Thuringe et la Fran­conie pour attaquer et disperser, avant leur concentration, les forces ennemies qui se rassemblaient à Würzburg. Mais en examinant et en comparant les forces en présence, on verra que cela était tout à fait impossible.

En admettant que l’on se fut porté contre Würtz bourg avec les 43 000 hommes du haut Elbe, on n’aurait quand même pas pu livrer bataille dans cette région avant le 20 avril. D’après tous les renseignements, il paraissait d’ailleurs plus que probable que l’ennemi avait, dès ce moment-là, ré­uni des forces de beaucoup supérieures, et la suite a justifié cette supposition. En effet, dans les derniers jours d’avril, il était venu, de Franconie sur la Saale, de 70 000 à 80 000 hommes, que l’on aurait eu bien, plus tôt devant soi si l’on avait marché vers la Franconie.

Sur la ligne de l’Elbe tout entière, nous ne possédions pas un seul point protégé ; bien mieux, cette ligne se trou­vait, par les places de Magdeburg, de Wittemberg et de Tor­gau, entre les mains de l’ennemi.

En outre, le vice-roi était de beaucoup supérieur au comte Wittgenstein, et le combat de Möckern ne pouvait, en aucune façon, nous rassurer au sujet de l’équilibre de ces deux armées En cas de désastre, l’armée du comte Wittgens­tein, poussée très en avant, avait derrière elle une armée victorieuse et un cours d’eau occupé par l’adversaire, devant elle un ennemi supérieur en nombre ; de plus, elle se trouvait séparée de toutes les autres armées et sans communication avec les ressources qui pouvaient lui venir de l’arrière.

Qu’une telle situation, avec l’empereur Napoléon pour adversaire, dût amener pour nous des défaites décisives, et pour lui les plus grands résultats, c’est ce que l’expérience des guerres précédentes rendait trop évident ; aucun homme ne, pouvait donc, en conscience, prendre la responsabilité de fonder sur un plan aussi inconsidéré les dernières espéran­ces de l’Europe.

Il eût été préférable de songer à réunir les forces du bas Elbe avec celles du comte Wittgenstein, pour repousser complètement le vice-roi de la ligne de l’Elbe.

Mais ce projet suscitait les réflexions suivantes : les opérations contre le vice-roi pouvaient avoir lieu vers le mi­lieu d’avril, parce qu’alors, le comte Wittgenstein aurait fini son pont sur l’Elbe et l’armée de Blücher serait arrivée sur la basse Saale.

Cependant, dès le milieu d’avril, la plus grande partie des forces ennemies se trouvait en Thuringe ; il fallait donc abandonner et dégarnir le cours et les passages de l’Elbe su­périeur et se contenter d’occuper, entre deux places enne­mies, le pont de Roslau. C’étaient là de très mauvaises condi­tions. On aurait pu, néanmoins, s’exposer aux inconvénients de cette situation, s’il avait été permis d’espérer un succès décisif sur le vice-roi. Mais le vice-roi qui, d’après ce que l’on savait, était toujours prêt à abandonner la Saale dès qu’il se verrait pressé par des forces supérieures, et à se retirer en Thuringe, se serait dérobé, de sorte que toute l’opération au­rait eu pour résultat de changer par nos marches la réparti­tion des forces sur le théâtre de la guerre. De cette façon, l’armée de Wittgenstein-Blücher se serait trouvée adossée à l’Elbe-moyen, tandis que la route directe du haut Elbe eût été ouverte à l’ennemi.

On perdait évidemment au change. Nos communica­tions les plus courtes avec nos centres de ressources auraient été partout abandonnées ; nous aurions permis à l’ennemi de se placer entre nous et la principale armée russe ; enfin, nous aurions eu sur nos derrières deux places fortes enne­mies : Magdeburg et Wittemberg.

C’eût donc été folie de commencer les opérations pour une simple inquiétude et par pure vanité, et d’aller ainsi de soi-même se mettre dans une situation plus défavorable que celle où l’on se trouvait.

Tout bien réfléchi, on acquit la conviction qu’il ne fal­lait plus songer à de nouvelles opérations offensives avant l’arrivée de la principale armée russe sur la, ligne de l’Elbe dont elle pourrait, dans tous les cas, assurer la protection, avant l’achèvement des têtes de pont commencées le long du fleuve.

La principale armée russe atteignit l’Elbe le 26 avril, et la bataille de Gross-Görschen fut livrée le 2 mai. Dès l’arrivée de cette armée, les opérations de celle du haut Elbe (Blücher et Winzingerode) furent plus restreintes. Cette ar­mée passa sous les ordres du commandant en chef de l’ensemble des forces, et les décisions de ses généraux ne pu­rent plus, comme auparavant, donner à la masse telle ou telle tournure.

En traçant ce tableau, j’ai voulu convaincre mes frères d’armes de Prusse que jamais, à aucun moment, personne dans notre armée ne s’est rendu coupable de l’oubli de notre mission et que, si nos généraux ont laissé échapper une belle occasion d’agir avec toutes nos forces nationales contre un adversaire non préparé, il ne faut leur reprocher ni indéci­sion ni inertie.

On croyait alors assez généralement qu’une semblable occasion s’était déjà offerte au printemps ; mais cette opinion n’a jamais été clairement formulée et elle repose, d’ailleurs, sur ne fausse base.

La puissance que les Russes avaient péniblement ac­quise, grâce aux victoires remportées sur la Moskova, arri­vait épuisée sur l’Elbe.

L’armée russe, affaiblie par les opérations immenses imposées par sa poursuite de l’ennemi, poursuite jusqu’alors sans exemple dans l’histoire, fatiguée, en outre par le siège et l’attaque d’innombrables places fortes, n’eût pas été capa­ble de se maintenir un seul instant sur l’Elbe, si elle n’avait trouvé un allié formidable dans la puissance militaire, de la Prusse. Quoique cet allié fût en état de conduire à travers toutes les places, jusqu’à l’Elbe, les armées russes dont les opérations, par la nature même des choses, devaient s’arrêter sur la Vistule, ces forces réunies n’étaient pas assez puissantes pour pouvoir transporter le théâtre de la guerre à 110 milles plus loin, jusque sur le Mein. On ferait preuve d’un défaut absolu de jugement, si l’on oubliait un instant qu’en se rapprochant de ses magasins, l’ennemi augmente ses forces dans la même proportion que les nôtres diminuent. Le plan primitif de l’Empereur prévoyait que la deuxième quinzaine d’avril serait l’époque décisive dos opérations ; aussi pendant les mois de janvier, de février, de mars et d’avril Napoléon n’avait-il poursuivi qu’un but, celui d’avoir en position, à ce moment, en Thuringe et sur la basse Saale, des forces importantes qui se trouvèrent presque deux fois supérieures à celles de l’armée alliée de l’Elbe (Wittgenstein et Blücher). Voilà qui est établi d’une façon immuable. On pouvait à volonté tourner et retourner les opérations, jamais on ne battrait l’empereur Napoléon disposant d’une telle su­périorité numérique, quelque dissemblables que pussent être à d’autres points de vue les armées en présence.

Ainsi le mois d’avril, contre notre gré, s’écoula pour nous sur le haut Elbe dans une complète inaction. L’armée de Blücher était en Saxe ; elle exploitait les ressources de ce pays et elle était prête à secourir, en cas de nécessité, l’armée du comte Wittgenstein. Elle cherchait d’ailleurs, avec ses partis de cavalerie légère, à faire le plus de mal possible à l’ennemi.

Le comte Wittgenstein menait la campagne contre le vice-roi avec autant d’avantages que le lui permettait la su­périorité numérique de son adversaire. Le combat de Möckern lui permit de couvrir Berlin et la Marche que l’ennemi cherchait à envahir avec 40 000 hommes. Ces 40 000 hom­mes furent, au dire même des rapports ennemis que l’on sai­sit, refoulés par les 17 000 hommes de l’armée de Wittgens­tein. D’une part, les fautes et l’indécision du commandement chez l’ennemi ; d’autre part, la suprême bravoure des troupes alliées permirent au comte Wittgenstein d’arracher à l’adversaire cette difficile et glorieuse victoire. Prussiens ! Vous avez votre part dans la gloire de cette journée. Le comte Wittgenstein lui-même vous a signalés dans son rap­port.

Les événements militaires étaient plus heureux encore pour les détachements du bas Elbe. Le général Dörenberg fit prisonnier le général Morand avec toute sa division, et là aussi, Prussiens, il vous revient une large part dans cette, glorieuse journée où 600 fantassins défendirent une porte et un pont contre toute la division ennemie.

Les entreprises de nos partisans du Thüringer-Wald n’étaient pas moins glorieuses pour nos armes. Je Citerai entre autres le major Hellwig, qui tomba avec 120 chevaux sur un régiment bavarois fort de 1 300 hommes et lui prit 5 canons.

Ces hautes preuves de rare bravoure, que quelques fractions étalaient aux yeux de tous, fortifiaient la confiance de l’armée en elle-même. C’était comme un miroir où elle se regardait. Elle n’avait ni orgueil ni présomption, mais on sentait qu’elle était pleine d’une confiance sereine et péné­trée de la sainteté de sa cause : jamais on n’a vu une armée animée d’un meilleur esprit.

Cet esprit allait se manifester quelques jours plus tard à la face de l’Europe dans les plaines sanglantes de Lützen.

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Chapitre premier. Réorganisation de l’État militaire en Prusse.

La renommée de l’armée prussienne sombra au jour funeste d’Iéna et d’Auerstædt. Dans sa retraite, elle-même se désorganisa ; les forteresses tombèrent, le pays fut conquis, et, après une guerre de quatre semaines, de l’État et de l’armée, il ne restait presque plus rien. La petite armée qui était allée grossir l’armée russe dans la province de Prusse, trop faible pour reprendre ce qui avait été perdu, disposait de trop peu de ressources pour se recompléter. Pour comble de malheurs, la paix de Tilsit vint limiter l’effectif de l’armée prussienne au chiffre dérisoire de 112 000 hommes, et encore 1’ennemi se réservait-il le droit de fixer les proportions des différentes armes.

Ainsi, en une année, avait disparu ce brillant état mi­litaire de la Prusse, l’orgueil de tout ce qui s’intéressait aux armes ; à l’admiration avaient succédé le blâme et les repro­ches ; on l’avait exalté, il était humilié.

Dans l’armée régnait une tristesse écrasante ; pas un regard consolateur sur le passé, pas un rayon d’espoir dans l’avenir ; elle avait même tout à fait perdu cet élément de force et de courage : la confiance dans les chefs. Dans cette courte campagne, en effet, aucun n’avait pu se mettre hors de pair, et les rares officiers qui s’étaient fait remarquer n’avaient obtenu que les suffrages de quelques partis très res­treints.

Ainsi le moral de l’armée était affaissé, l’État forte­ment ébranlé, les finances désorganisées ; du dehors, une volonté impérieuse limitait nos efforts, tandis qu’à l’intérieur le parti des découragés s’opposait à toute mesure énergique : que de difficultés pour atteindre le but que l’on se proposait ! Il fal­lait réorganiser l’armée, relever son courage, élever son moral, extirper les anciens abus ; il ne fallait créer et ins­truire que dans les limites fixées par le traité et avec cela poser les bases d’une nouvelle organisation militaire plus considérable, dont la puissance devait éclater tout à coup au moment décisif.

Ce fut dans cet ordre d’idées que l’on travailla sans relâche pendant les quelques années qui s’écoulèrent de 1808 à 1811.

D’après le traité avec la France, l’effectif de l’armée devait être de :

24 000 hommes d’infanterie

 6 100 hommes de cavalerie

 6 000 hommes d’artillerie

 6 000 hommes de la garde

Au total : 42 000 hommes

On en forma six corps : chaque corps comprenait les trois armes, et, sous le nom de brigade, avait un effectif de 6 000 à 7 000 hommes.

En outre, l’organisation militaire tout entière compre­nait trois gouvernements – ceux de Prusse, de Silésie, et ce­lui de la Marche avec la Poméranie.

Il ne fut naturellement pas difficile de compléter l’armée à l’effectif de 42 000 hommes ; mais il fallait lui don­ner une nouvelle organisation et surtout lui inspirer un es­prit tout nouveau ; pour cela, on eut à lutter contre mille préjugés : contre la mauvaise volonté, les intérêts particu­liers, la maladresse, l’indolence et la routine ; mais tous ces obstacles ne purent arrêter le progrès.

En 1809, l’armée était complètement réorganisée, ses règlements et ses manœuvres étaient changés ; on peut dire même que l’esprit qui l’animait avait pris un nouvel essor. Plus rapprochée du peuple que par le passé, elle semblait devoir justifier l’espérance fondée sur elle, qu’à son école l’esprit national tout entier se formerait et deviendrait mili­taire.

Peu à peu et avec le même bonheur, on surmonta les difficultés auxquelles se heurtait le développement de cet édifice, base de toute la puissance militaire de la, Prusse. De peur d’être trop prolixe, nous n’énumérerons ici ni ces diffi­cultés ni les moyens employés pour les combattre. Qu’il nous suffise de dire que si le but a été atteint, ce ne fut que grâce à une persévérance obstinée à n’employer que des mesures de détail peu apparentes, telles enfin que le per­mettaient les circonstances.

Voici quelles furent les principales :

  1. Il fallait pouvoir grossir rapidement l’effectif de l’armée ; dans ce but, on instruisit en permanence des recrues, que l’on renvoyait aussitôt après dans leurs foyers ; par ce moyen, trois ans après, la Prusse put mettre, en ligne une masse de 150 000 hommes ;
  2. Il fallait fabriquer l’armement nécessaire. On installa des ateliers pour les réparations ; la manufacture de Berlin, qui existait déjà, fut aménagée à nouveau de manière à pouvoir fournir 1 000 fusils par mois ; on créa une nou­velle manufacture à Neisse. En outre, on acheta en Autri­che une quantité d’armes relativement considérable. En trois ans, on eut ainsi un approvisionnement dépassant de beaucoup le chiffre de 150 000 fusils ;
  3. On avait perdu presque toute l’artillerie de campagne. Les huit places qui nous restaient en fournirent une nou­velle ; on y trouva quantité de pièces de bronze que l’on refondit et qu’on remplaça par des pièces en fer. Pour ces opérations, aussi bien que pour la fabrication des projec­tiles, il fallut réorganiser les usines ; mais en trois ans l’armée fut dotée d’une artillerie de campagne pour 120 000 hommes ;

Enfin nous avions encore huit places fortes qu’il fallait remettre en état, approvisionner et armer. Vrais piliers de la monarchie prussienne, si petite que le flot ennemi la pouvait facilement submerger, ces places fortes, comme des rochers dans la mer, pouvaient seules résister aux efforts de la va­gue : elles étaient donc tout indiquées pour arracher à l’inondation le plus possible des forces militaires de la Prusse. On créa donc des camps fortifiés à Pillau et à Col­berg, à cause de leur situation au bord de la mer ; un troi­sième, pouvant recevoir des troupes et des approvisionne­ments de toute sorte, fut également établi à Glatz en Silésie, où se trouvaient déjà les vastes lignes de la Neisse.

Dans ces quatre points de refuge : Colberg, Pillau, Neisse et Glatz, on devait encore rassembler, pour les sous­traire à l’ennemi et les mettre en état de servir en cas de be­soin, dans le courant même des opérations, toutes les res­sources brutes utilisables pour la guerre, tant en hommes qu’en armes et autres objets de toute nature.

En 1812, cette organisation était complète.

Grâce à ces efforts incessants, à cette sage économie dans l’emploi des ressources que nous avions encore à notre disposition, ressources qu’auparavant nous connaissions à peine, l’organisation de l’armée prussienne, de cette armée de 42 000 hommes, lui permettait, en quelques mois, de se grossir jusqu’au chiffre de 120 000 à 150 000 hommes. Cha­que unité avait à sa tête un chef jeune, fort, à la hauteur de ses fonctions ; on avait dérogé au funeste principe de l’avan-cement à l’ancienneté. L’homme de valeur qui s’était distin­gué à la guerre ou avait apporté à l’État un gros tribut de sacrifices était mis en avant. Chacun avait peu à peu senti naître dans son cœur l’amour pour son nouvel état, la confiance en lui-même et la conscience de sa valeur person­nelle.

Malgré cette création nouvelle, l’organisation militaire du royaume n’eût pas été complète si l’on n’y avait pas joint à l’idée de défendre le territoire au moyen d’une landwehr et d’un landsturm. La landwehr permettait, au moment même d’une guerre, de doubler ou à peu près, l’effectif de l’armée : ainsi le petit État, même isolé, pouvait se défendre avec nue, certaine indépendance. La préparation de tous les moyens permettant de grossir rapidement l’armée marchait de pair avec la création d’une milice nationale, et les éléments de cette création devaient être fournis par le surplus d’hommes exercés qu’il était impossible d’incorporer dans l’armée.

La nouvelle organisation défensive du pays contre l’oppresseur étranger marchait à grands pas quand elle fut momentanément arrêtée par le traité d’alliance de 1812. Ce traité arrachait à la petite armée la moitié de son effectif, pour le faire concourir à un but entièrement opposé. Natu­rellement, tout nouvel effort vers le but que nous nous pro­posions s’en trouva paralysé.

Dans l’incertitude où l’on était que ces moyens ne se­raient pas employés à un objet tout contraire, il n’eut pas été sage de les augmenter encore. Non seulement donc, aucun progrès ne fut fait dans l’année, 1812, mais chacun perdit confiance et espoir, et l’armée de secours revint, à la fin de la cam­pagne, affaiblie de 10 000 hommes, ce qui enleva à la meilleure partie des forces le quart de leurs effectifs et de leur valeur. Peut-être, cependant, ce désavantage fut-il, dans l’ensemble, largement compensé par l’expérience de la guerre que s’était acquise le petit corps de secours, par la confiance qu’il avait gagnée en lui et en sa nouvelle organi­sation, par le respect qu’il avait su inspirer à ses alliés et aussi à ses ennemis, par la nouvelle haine dont il s’était rempli contre les oppresseurs de tous les peuples.

Tel était l’état militaire de la Prusse an moment où la défaite atteignait l’armée française et, comme un torrent qui charrie les débris d’un vaisseau détruit, poussait ses faibles restes sur les plaines de l’Allemagne. On allait donc mettre à exécution les plans dès longtemps préparés, et bien­tôt sorti­rait de terre l’audacieux édifice.

Si l’on ne pouvait suivre en tous points les lignes d’un aussi vaste projet, si les grandes idées qui avaient inspiré l’emploi de 250 000 hommes pour la défense du pays de­vaient, comme cela s’était déjà vu, souffrir dans leur applica­tion bien des restrictions (car il est de la nature des œuvres humaines de ne jamais atteindre tout ce, que l’on s’est pro­posé), on devait cependant compter sur l’énergie et l’activité dans l’exécution pour se rapprocher plus ou moins du but.

La suite a montré, du reste, que l’on n’avait pas fait de vaines spéculations, car en peu de mois ces idées prenaient corps et entraient dans la réalité.

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Chapitre II L’armée prussienne au début des opérations sur l’Elbe.

Au mois de janvier 1813 commencèrent, en Prusse, les levées pour compléter les effectifs des troupes existantes et en former de nouvelles, à peu près au même moment où la France organisait de nouveaux corps. Après deux mois, c’est-à-dire vers la fin de mars, l’armée de Silésie était portée à 25 000 hommes de troupes complètement formées, sans compter les garnisons des places fortes, et environ 20 000 hommes de troupes en voie d’organisation.

Le corps prussien d’York, fort de 15 000 hommes, vint vers les Marches (il avait plus de 6 000 malades).

Dans les Marches et en Poméranie étaient environ 10 000 hommes de troupes complètement formées, non com­pris les garnisons des places fortes, et 15 000 hommes de troupes en formation.

Par conséquent, les forces prussiennes s’élevaient à :

1.      Troupes complètement formées non compris les garnisons des places fortes…………………  

50 000

2.      Troupes non complètement formées………….. 35 000
Malades environ………………………………….. 10 000
Dans les huit places fortes………………………. 15 000
Total………………….. 110 000

Les forces de l’armée avaient donc été presque qua­druplées. Les nouvelles troupes, non complètement formées en mars, se trouvèrent prêtes à la fin d’avril lorsque la guerre éclata, mais elles n’avaient pas encore pu arriver sur le théâtre d’opérations de Saxe. Au commencement de mai (au moment de la bataille de Görschen), l’armée prussienne comprenait les trois parties suivantes :

 

 

Partie active

devant l’ennemi : 70 000 hommes.

 

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1°En Saxe ;

Présents à la bataille de Görschen

25 000
Sous le général Kleist à Halle 4 000
Détachés 1 000
2°Sur l’Elbe et devant les places de Span­dau, Stettin, Glogau, Wittemberg, etc.  

30 000

70 000

 

 

Fractions

qui n’étaient pas devant l’ennemi

ì

í

î

3°Réserves en marche vers l’armée 15 000
4°Garnison des places fortes 15 000

100 000

5°malades 10 000
Total 110 000

Les troupes de landwehr étaient, en ce moment, en­core en formation. D’après le plan d’organisation, elles de­vaient atteindre la force de 450 000 hommes. Toutes ces troupes complètement formées étaient animées du meilleur esprit. Leur organisation en petits corps de 7 000 à 8 000 hommes de toutes armes, munis de tout le nécessaire, peut passer pour une des meilleures que des troupes aient jamais eue. Les commandants des corps étaient :

  1. Le général de cavalerie Blücher.

Sous ses ordres :

1re brigade, colonel de Klüx ;

2e brigade, général de Ziethen ;

Brigade de réserve (garde), général de Röder

Réserve de cavalerie (comprenant tous les cuirassiers), colonel de Dolffs ;

  1. Le lieutenant général d’York.

Sous lui :

Lieutenant général de Kleist, colonel du Horn et général de Hunerbein.

L’organisation primitive de ce corps avait été si sou­vent modifiée au cours des opérations auxquelles il n’avait cessé de prendre part depuis la campagne de Courlande qu’elle n’était plus reconnaissable au moment de la, bataille de Görschen. Le général d’York était à la bataille avec 8 000 hommes, ayant sous ses ordres le général de Hunerbein et le, colonel de Horn. Le général de Kleist, avec une partie du corps et quelques régiments russes, en tout environ 5 000 hommes, était devant Leipzig. Les autres fractions du corps étaient restées, partie devant Spandau, partie devant Wit­temberg ;  

  1. Le général Bülow et, sous ses ordres, le général Borstell. Ils commandaient les corps établis devant les places de Magdebourg et Wittemberg, ainsi que sur l’Elbe.

Le lieutenant général Tauentzheim commandait les troupes devant Stettin ; le général Schüler, celles devant Glogau ; le général Thümen celles devant Spandau.

Tel était l’état de l’armée prussienne au début des opérations sur la rive droite de l’Elbe.

Ainsi que cela se produit d’habitude, les conditions dans lesquelles on se trouvait furent cause d’un éparpille­ment des forces auquel ne songe guère celui qui, éloigné du théâtre des opérations, calcule du fond de son cabinet les di­vers événements qui peuvent se produire. Par la force des choses, cet éparpillement devait être là plus important que de coutume : d’abord, on avait derrière soi un nombre inusité de places fortes tant ennemies qu’amies, puis la Prusse avait commencé la formation de sa puissance militaire dans les provinces éparses de son royaume mutilé et encore occupé par l’ennemi ; enfin, elle n’avait pas eu le temps d’échanger ses positions contre celles des troupes russes et de réunir ses forces en un même point.

 

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Introduction

Lorsque la Victoire, comme un torrent que rien n’arrête, s’élança de Moscou, franchissant le Niémen, fran­chissant les frontières de la Prusse et de la Pologne, on vit se briser les rênes au moyen desquelles la tyrannie d’un conquérant prétendait diriger à son gré les peuples alle­mands courbés sous son joug. Ils étaient attelés, comme des esclaves à son char triomphal qu’ils avaient dû traîner. Mais, comme sur un ordre de Dieu, fers et rênes, tout vola dans les airs. Délivrés de cette étreinte, échappés à cette ignominie, rendus enfin à la liberté, quelle honte pour ces peu­ples si dociles et consentants, venus se soumettre à leurs oppres­seurs, offrir d’eux-mêmes leurs fronts au joug ! Même pour l’animal le plus vil l’esclavage n’a pas tant d’attraits, et quelle corruption il faut au cœur de l’homme pour se ravaler ainsi au-dessous de la bête!

Au travers de la neige et des forêts de la Courlande, sans bruit, en ordre, le cœur vaillant, se retirait la petite armée prussienne, oubliée, abandonnée par les Français auxquels la fuite donnait des ailes ; elle venait reprendre sa vraie, sa seule mission : servir son roi et lui obéir. Un corps russe l’avait devancée sur la frontière et lui barrait la route ; mais des deux côtés la raison et le cœur guidaient les chefs et l’on s’entendit vite. C’est sous la contrainte que les Prussiens avaient envahi la Russie ; c’est le droit du plus fort qui les y avait poussés. Ce droit n’existait plus. En employant incon­sidérément la force, l’empereur français lui en avait de lui-même enlevé sa valeur. Les Prussiens pou­vaient se permet­tre de ne plus se considérer comme les ennemis des Russes ; tant qu’ils avaient gardé leur indépen­dance, ils ne l’avaient pas été, et la seule obligation qu’ils pussent désormais se re­connaître était d’aller au-devant des nouveaux ordres de leur roi. Quant aux Russes, croyant à l’union prochaine de tous les peuples mûrs pour la délivrance, leur intérêt leur com­mandait évidemment de mettre fin aux effets de cette al­liance forcée de la Prusse avec la France, et d’ouvrir les voies vers une étroite union.

Sans amitié, ni haine, mais respectueux de leur indé­pen­dance mutuelle, les deux corps se retirèrent chacun de son côté et les Prussiens regagnèrent les cantonnements de leur pays où ils gardèrent la neutralité.

Mais à peine cette petite armée se fut-elle arrachée au joug de l’oppresseur, à peine le peuple eut-il vu ces conqué­rants superbes revenir en débris, misère ambulante, pauvres men­diants méprisés de conquérant doit toujours réussir s’il ne veut être justement honni, qu’alors, emporté par la force de sa destinée, ce peuple aspira à une existence libre et indé­pendante et comprit qu’il devait rassembler toutes ses for­ces ; car, il fallait cette fois défendre cette indépendance mieux et plus énergiquement que dans la malheureuse an­née 1806.

Le roi et ses ministres entendirent la voix du peuple et partagèrent ses sentiments ; ils comprirent que leur devoir était de l’appuyer de toutes les forces de l’autorité et de l’ordre établis ; ils se rendirent compte qu’en ce court mo­ment d’indépendance, il fallait faire l’impossible pour réunir au plus tôt toutes les forces, livrer le grand combat et conquérir encore une fois une existence libre parmi les peu­les de l’Europe.

C’est ainsi que la, Prusse modifia sa position et que dans la nouvelle lutte pour l’indépendance de l’Europe, elle fut la première alliée de la Russie.

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