Aperçu général sur l’origine, les progrès et l’état actuel de l’art de la guerre

Bernard

Capitaine adjudant-major au 92e régiment de l’infanterie

1868

 

Le présent ouvrage a été composé par Nadia Nin et corrigé par Hervé Coutau-Bégarie. L’Aperçu général sur l’origine, les progrès et l’état actuel de l’art de la guerre a été publié par la Librairie militaire J. Dumaine en 1868. Il semble n’avoir jamais été réédité.

Sommaire

Ière Partie : l’antiquité Égyptiens, Hébreux, Perses, Babyloniens, Assyriens, Indiens

IIe Partie : Le Moyen-Âge Les Barbares  

IIIe Partie : les XIVe, XVe et XVIe siècles    

IVe Partie : Temps modernes 

Ve Partie : L’époque contemporaine

État actuel de la science militaire

 

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La campagne de 1813 jusqu’à l’Armistice

Carl von Clausewitz

Clausewitz et De la guerre (Vom Kriege) 1832 : décryptage | amnistiegenerale

Table des matières

Introduction

Réorganisation de l’Etat militaire en Prusse

L’armée prussienne au début des opérations sur l’Elbe

Opérations sur l’Elbe

Bataille de Lützen

La bataille de Bautzen

L’armistice et ses conséquences

Matériaux historiques destinés à l’étude de la stratégie

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Matériaux historiques destinés à l’étude de la stratégie 

 Cet exposé a été trouvé parmi les papiers de l’auteur et, bien qu’il soit incomplet, nous avons pensé qu’il pourrait intéres­ser le lecteur.

Prenons la situation stratégique en 1813, après l’armistice. Une armée assaillante de 300 000 hommes (nous nous basons toujours sur les plus petits des nombres donnés par les écrivains) son avance jusqu’à l’Oder, à 80 lieues de ses frontières ; des deux côtés elle est débordée par les limi­tes de pays ennemis qu’elle n’occupe pas (Bohême et Marche de Brandebourg) et les habitants de son théâtre d’opérations sont des adversaires. Dans cette situation diffi­cile, cette ar­mée doit, ou continuer son mouvement offensif, ou bien faire tête défensivement sur sa position, à une ar­mée de 400 000 Hommes, d’un quart supérieure en nombre.

Outre ces avantages, l’armée alliée peut espérer être renforcée dans quelques mois par 50 000 hommes de trou­pes nouvelles et peut-être par un nombre égal de soldats préle­vés sur les troupes qui, depuis le commencement de la cam­pagne, sont occupées aux sièges des places de Stettin, Cus­trin, Glogau et Dantzig, et qui ne sont pas comprises dans l’évaluation ci-dessus.

La première conséquence de cette situation est que l’armée jusqu’alors assaillante est contrainte à la défensive. En effet :

  1. La supériorité numérique de l’armée ennemie attei­gnant la proportion du quart, et pouvant s’élever dans la suite jusqu’au tiers, est déjà un puissant obstacle à l’offensive ;
  2. Une ligne d’opérations longue de 80 lieues, de vas­tes pays ennemis qui ne sont pas et ne peuvent pas être oc­cupés par l’agresseur, constitue un inconvénient impor­tant, au­quel on ne peut remédier que par une supério­rité numéri­que très sérieuse ;
  3. La situation stratégique n’offrait pas un objectif immé­diat permettant d’obtenir un résultat décisif sur toute la coali­tion ; d’autre part, aucune tentative ne pouvait obli­ger fun des Alliés à conclure isolément la paix.

Bonaparte aurait pu diriger ses opérations exclusi­ve­ment sur Vienne s’il eût été en état de tenir en Saxe pen­dant ce temps ; mais il ne pouvait rien tenter contre Blü­cher et le roi de Suède sans avoir la supériorité numérique et, dès lor­s, restait trop peu de monde en Saxe. D’autre part, la Saxe était son théâtre d’opérations, et c’eût été déjà une défaite stratégique énorme que de l’abandonner pour prendre le Rhin comme base d’opérations, en admettant que ce projet fut réalisable.

Rester au milieu de ses ennemis, les battre successi­vement dans des combats distincts, les désunir et les inti­mider : tel était le seul parti qui restât à Bonaparte. Il en fut de même pour Frédéric le Grand dans la guerre de Sept ans ; il en sera de même pour tous ceux qui se trouveront dans une situation analogue.

Bonaparte devait opposer ses forces au gros des forces ennemies se rassemblant en Bohème et se concentrer à Dresde, parce que, de ce point, il pou­vait opérer, soit contre la Marche, soit contre la Silésie, soit contre la Bohême. Il partagea ses forces à peu près dans la même proportion que les Alliés ; mais il organisa son armée de Silésie plus forte­ment, de telle sorte qu’elle fût supé­rieure à celle de Blücher, tandis que l’armée principale et celle de la Marche furent presque d’un quart inférieures aux armées ennemies. Fit-il simplement une erreur d’évaluation ou bien ne s’attendait-il pas à la trahison de Bernadotte ? C’est ce qu’il est impossible d’établir.

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Ces considérations générales, qui étaient naturelles dans la situation faite à Bonaparte, devaient servir en par­tie de directives aux Alliés :

  1. Toutes les circonstances les contraignaient à l’offensive ;
  2. Ils pouvaient avoir la certitude de rencontrer le gros de l’ennemi partout où ils porteraient le leur ;
  3. La situation des États autrichiens permettait aux Alliés, par de simples marches et un simple déplacement de leur gros, de porter la guerre de l’Oder vers l’Elbe, à 40 lieues de l’est à l’ouest. Les Alliés auraient commis une faute en allant plus a l’ouest que la Saxe, car cette contrée était le noyau du théâtre de guerre français et Bonaparte ne pou­vait faire autrement que de les suivre avec le gros de ses forces ; il n’en aurait pas fait autant s’il s’était agi de la Franconie. Eu outre, une invasion en Saxe couvrait les États autri­chiens, tandis qu’une mar­che vers la Franco­nie les eût dé­couverts. Conclusion : il fallait pousser le gros des forces, de Bohême en Saxe, dans le but de livrer bataille à l’armée principale enne­mie.
  4. Comme il fallait, par principe, tenir autant que possi­ble ses forces réunies, et que, d’autre part, l’isolement de la Marche ne permettait pas d’un retirer des troupes, on se de­mandait ce qu’on devait laisser de troupes en Silésie. En évacuant tout à fait cette province, on pouvait être sûr que Bonaparte ne se lancerait pas sur rune des frac­tions avec une supériorité relative, se contentant d’ob­server faiblement l’autre fraction. On avait donc la certi­tude de conserver en main la supériorité initiale, au moment où on le rencontre­rait.

Cependant, bien des considérations pratiques ve­naient à l’encontre de cette idée abstraite :

  1. Il était tout à fait invraisemblable que Bonaparte ne lais­sât rien ou presque rien contre l’armée de Silésie, car il était de son intérêt de ne pas laisser resserrer sa zone de manœuvre et de tenir les armées ennemies aussi éloi­gnées que possible ;
  2. La Silésie étant le centre du théâtre d’opérations prus­sien, Bonaparte, une fois dans cette province, aurait pro­fité de son évacuation et se serait emparé de Breslau ainsi que de tous les approvisionnements qui n’étaient pas dans les places fortes. Cette opération lui aurait coûté si peu de forces et de temps qu’en l’entreprenant il n’avait pas grand’chose à perdre sur l’Elbe. Si, au contraire, on mainte­nait une armée en Silésie, Bona­parte pouvait for­mer le pro­jet de conquérir cette pro­vince, mais alors il fallait mettre en jeu plus de forces et destinés à l’étude de la stratégie em­ployer plus de temps : dans ce cas la réper­cussion n’aurait pas manqué de se faire sentir sur l’Elbe ;
  3. Les talents du maître n’existaient chez aucun de ses maré­chaux : donc, plus on l’obligeait à confier ses forces à d’autres mains, mieux cela valait ;
  4. Il ne restait donc plus qu’à fixer la force qu’il conve­nait de laisser en Silésie. Pour cette évaluation, il fallait par­tir d’un seul principe. D’un côté, l’armée de Silésie de­vait avoir des forces telles, que l’ennemi ne fût pas en état de l’attaquer avec un effectif double ou même triple, car dans une armée qui a son théâtre d’opérations pro­pre et qui est très éloignée de l’armée principale, une semblable propor­tion des forces met le plus faible en danger non seulement d’être vaincu et mis en fuite, mais encore d’être cerné et totalement détruit. D’autre part, l’armée de Bohême de­vait avoir une force telle, qu’elle fût au moins égale, sinon supérieure, à celle de l’ennemi. Les Alliés ont trouvé à merveille cette pro­por­tion en laissant de 50 000 à 90 000 hommes en Silésie. Il aurait fallu à l’ennemi plusieurs centaines de milliers hommes pour conduire cette armée à une catastrophe. Mais il deve­nait difficile à Bonaparte de pénétrer en Si­lésie avec de semblables forces et d’y rester le temps né­cessaire ; il aurait, dans cet intervalle, subi en Saxe une catastrophe analogue, sans rien gagner à cette manœuvre. La Bohême vit entrer en scène de 220 000 à 230 000 hommes. Il n’était pas admissible que les forces des Français atteindraient ce chiffre, même en supposant que, de leurs 300 000 hommes disponibles, ils n’eussent détaché qu’un nombre relativement faible de trou­pes contre l’armée de Silésie et contre l’armée du Nord ;
  5. Le but des Alliés, en prenant l’offensive, était de li­vrer bataille avec leurs forces principales au gros des forces de l’ennemi, et de remporter la victoire qui aurait eu comme résultat immédiat le départ de l’adversaire de son centre d’opérations. En admettant qu’il n’eût rétro­gradé que jusqu’à Leipzig, il lui fallait abandonner la Si­lésie et la Marche, ce qui aurait amené une crise comme celle de Leipzig où, il est permis de le dire, la victoire ne fut pas douteuse. Une vic­toire décisive amenait les Al­liés sur le Rhin et peut-être même plus loin ;
  6. La marche sur Dresde avec l’armée principale était donc la solution la plus naturelle, puisque Bonaparte ne pou­vait arriver que de ce côté. Quant au détachement de 6 000 hommes envoyé pour soutenir la division Bubna sur la rive droite de l’Elbe, il était sans utilité.

Le passage de l’Erzgebirge sur un certain front était basé sur l’espoir de trouver l’ennemi au pied des hauteurs, de l’envelopper et de se ménager plusieurs chemins de re­traite. Il n’y a pas lieu, d’ailleurs, de critiquer cette ma­nœuvre, car, pour une armée de plus de 200 000 hom­mes, un front de six lieues n’est pas énorme.

Cependant, outre ces dispositions, on aurait pu penser à profiter de l’absence de Bonaparte, qu’on pouvait prévoir avec certitude puisqu’on avait appris sa marche sur la Silé­sie, et tenter un coup de main sur Dresde. Le 23 août, les Autrichiens pouvaient facilement être à Frei­berg, en même temps que Kleist, Wittgenstein et Bar­clay se trou­veraient devant Dresde ;

  1. Un coup de main contre Dresde ne pouvait être tenté que si les conditions se montraient particulièrement fa­vora­bles, car, même si l’on avait pris toutes les nouvelles forti­fi­cations et les faubourgs, il ne fallait pas s’attendre à prendre d’assaut les ouvrages de la ville elle-même que défendaient 20 000 hommes. En cela, aucune supé­riorité numérique n’a de valeur, c’est tout simplement un gas­pillage de forces inu­tile.
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Chapitre VI. L’armistice et ses conséquences 

La durée de l’armistice fut fixée à sept semaines, d’une part parce que ce laps de temps pouvait être largement mis à profit par les Alliés pour renouveler et augmenter considéra­blement les forces épuisées par deux batailles, pour les pré­parer énergiquement à la lutte à ve­nir et, d’autre part pour permettre à l’Autriche de mettre à pro­fit, comme elle le dési­rait, cette période d’inaction. En prin­cipe, en entreprenant cette guerre contre la France, il eût fallu compter sur deux facteurs capables d’opposer aux forces françaises un contre­poids suffisant.

En effet, l’on devait compter sur un soulèvement géné­ral en Allemagne, sur la défection de la Confédération du Rhin, sur des troubles en Suisse, en Tyrol, en Italie et en même temps sur la neutralité de l’Autriche ou sur sa com­plète adhésion.

Si l’un de ces deux événements favorables se produi­sait avec toutes ses conséquences, il donnait au parti des Al­liés, pour la continuation de la campagne, des éléments de force suffisants pour pouvoir compter avec vraisem­blance sur une issue heureuse. En ce qui concernait l’adhésion des puis­san­ces du Nord, la Suède et le Dane­mark, on n’était pas non plus sans espoir. La Suède s’était déjà déclarée d’une ma­nière peu équivoque et, au pis aller, par l’équilibre de leurs forces, neutraliserait le Dane­mark.

Dans le monde politique, la certitude n’existe pas, mais on doit savoir se contenter d’un degré plus ou moins élevé de vraisemblance. On pouvait donc dire simplement les deux événements sont possibles ; on est, par conséquent, d’autant plus autorisé à compter sur la réalisation de l’un des deux. Telles étaient les considérations que des gens de bon sens pouvaient opposer à ceux qui ne parlaient toujours que de l’insuffisance de nos moyens, de l’éloignement des renforts fournis par les Russes et qui, par là, prétendaient faire preuve de la science la plus éclairée. Mais c’est une science bien stérile que celle qui n’envisage que les diffi­cultés.

La suite montra bientôt que l’on ne s’était pas trompé dans les calculs. Ce que l’on avait attendu des peuples et des princes allemands ne se réalisa pas et, bien que l’édifice tout entier du conquérant vacillât un instant et menaçat de s’écrouler en Allemagne, le bras robuste de l’Empereur s’entendait à le remettre aussitôt debout. Par contre, l’Autriche se déclara contre lui, et il se vit par là trompé dans les effets les plus assurés de sa toute-puissance. L’Autriche s’était montrée déjà assez peu équivoque au mois d’avril, mais à ce moment ses dispositions n’étaient pas suffisam­ment prises pour pouvoir aussitôt commencer la guerre. Dans ces circonstances, il était nécessaire de rester conti­nuellement en relations avec l’Autriche pour les résolutions à prendre, et c’est ce qui avait déterminé la conclusion de l’armistice.

Si l’on examine sérieusement les diverses phases des événements qui se sont produits depuis décembre 1912, on ne peut nier que la Prusse et l’Autriche auraient pu activer davantage leurs résolutions et leurs armements et prendre de très bonne heure des mesures importantes qui auraient fait avancer les choses et modifié complètement la situation. Mais ce serait dénoter peu de connaissance de l’histoire et des hommes que de vouloir la perfec­tion dans n’importe quelle action. Celui qui agirait ainsi n’a qu’à jeter un coup d’œil sur son propre ménage, sur l’admi­nistration de ses biens, sur son genre de vie, il verra combien peu il est en droit d’exiger cette perfection ! Cette réflexion est destinée à mettre en garde ceux qui voudraient accorder leur confiance à de semblables criailleries et à empêcher que leur foi dans la bonne cause soit troublée par un bavardage vide de sens. Dans le monde politique, il faut donc se contenter d’une per­fection approximative, et, certes, on pourra être satisfait si les événements prennent une tournure plus favorable qu’on ne l’avait espéré tout d’abord.

Mais qui de nous espérait, en décembre 1812, qu’en juin 1816 la Russie, la Prusse et l’Autriche se trouveraient, avec des forces redoutables et supérieures, sur l’Elbe et l’Oder et forceraient l’empereur des Français à reconnaître une autre loi que celle de son arbitraire sans bornes ? Du moins, l’auteur de ces pages n’a rencontré à cette époque personne qui eût voulu croire à une irruption des Russes jusque sur la Vistule, même jusqu’au delà du Niémen et de la Pregel, pas plus qu’à une déclaration de guerre faite à la France par la Prusse et surtout par l’Autriche.

Si l’on avait dit, dans six mois, l’empereur Napoléon aura en Allemagne une armée de plusieurs milliers d’hommes et il livrera aux Alliés deux grandes batailles avec des forces bien supérieures, quel est celui qui n’aurait pas cru que les conséquences de ces événements seraient la dis­persion et le découragement chez les Alliés, leur retraite jusqu’au fond de la Pologne et de la Prusse et enfin le si­lence absolu de l’Autriche ? Et ils ne nous feront pas croire qu’ils ont pensé autrement, ceux qui, aujourd’hui encore, craignent tout de la toute-puissance de l’empereur des Fran­çais et cherchent à décourager les autres. Soyons donc re­connais­sants envers la Providence, qui nous a conduits plus loin que nous ne l’espérions ; envers l’empereur Alexandre, qui, confiant dans la Prusse et dans l’Autriche, a poursuivi vigou­reusement l’ennemi jusque sur l’Oder ; soyons recon­nais­sants envers notre souverain, qui, ne s’étant pas laissé abat­tre par les mauvaises chances précé­dentes, ni arrêter par les conseils de bavards prétentieux mais poltrons, prit les armes pour l’honneur et l’indépendance de son peuple ; reconnais­sants enfin envers cet empereur allemand qui, ne s’étant pas cru engagé par les liens d’une parenté imposée par la vio­lence, s’est déclaré sans crainte pour l’indépendance de l’Allemagne et de la Prusse.

Les progrès que nous faisions pendant l’armistice dans nos armements ne peuvent naturellement pas être exposés ici. Nous ferons seulement remarquer, d’une manière géné­rale, les conditions dans lesquelles ils ont été accomplis :

  1. L’armée russe s’était fait rejoindre par ses renforts et de plus par les réserves nécessaires, pendant qu’une ar­mée de 100 000 hommes au moins formait en Pologne une forte réserve ;
  2. L’armée prussienne s’était et avait pris ses disposi­tions pour réparer rapidement les pertes qu’elle avait subies au cours de la campagne ;
  3. Les troupes de réserve existantes avaient été for­mées d’une manière parfaite et incorporées dans l’armée ;
  4. Les fusils et les canons qui faisaient défaut étaient arri­vés d’Autriche et d’Angleterre ;
  5. Les munitions, tirées également d’Autriche et d’Angle­terre, avaient été augmentées de manière que Von n’ait pas à redouter d’en manquer ;
  6. Des effets d’habillement et surtout des chaussures avaient été réunis dans les magasins ;
  7. Grâce à ces mesures, toute la landwehr avait été habillée, complètement armée et, en outre, munie de tous les effets nécessaires à son équipement. De plus, les formations et les exercices des troupes de landwehr avaient été complé­tés pendant ce temps, de telle sorte qu’elles pouvaient être entièrement comparées au reste de l’armée ;
  8. La place forte de Schweidnitz avait été restaurée et pour­vue de tout le nécessaire ; les autres forteresses avaient été armées ;
  9. Les têtes de pont nécessaires avaient été créées sur l’Oder ;
  10. Les vivres nécessaires pour le début des opérations avaient été réunis.

II n’y a aucune raison pour exposer ici ce que l’Autriche a fait pendant ce temps. Néanmoins, il n’y a pas lieu de cacher qu’elle s’est présentée avec une puissance en rapport avec ses moyens et qui devait presque doubler les forces déjà existantes des Alliés.

En même temps, la Suède arrivait sur le théâtre de la guerre avec une armée de secours considérable. De son côté, l’empereur français mettait à profit, autant que pos­sible, l’armistice que lui-même avait proposé. Il formait et mettait en marche toutes les troupes qu’il avait pu rassem­bler. Il est difficile d’évaluer le nombre des combattants avec lesquels il pouvait entrer en ligne contre les Alliés à l’ouverture des hostilités.

Aujourd’hui, nous savons, d’une façon certaine, qu’il n’a retiré aucune armée de l’Espagne, mais qu’il a simple­ment emprunté des cadres à ces armées pour former de nou­veaux bataillons en France. En outre, on peut estimer très probable qu’il ne pouvait avoir terminé plus de formations pendant les mois de mai, juin et juillet que pendant les mois de janvier, février, mars et avril, car les forces d’un État ne s’accroissent pas dans un cas semblable, et il est bien convenu qu’en avril et mai il a conduit en Allemagne tout ce dont il pouvait disposer.

Les forces qui étaient venues en avril de France et d’Italie s’élevaient à environ 100 000 hommes ; celles qui suivirent en mai pouvaient être évaluées à 60 000 hommes. En mettant les choses au mieux, nous voyons que, dans les trois derniers mois, aussi bien que dans les quatre pre­miers, Napoléon a, de nouveau, formé 160 000 hommes. Si nous y ajoutons les 60 000 hommes qui étaient encore res­tés en Al­lemagne, sur l’Elbe, cela fait un total de 380 000 hommes. Il faut en défalquer au moins 50 000, représentant les pertes subies dans les batailles de Gross-Görchen et de Bautzen et dans les autres combats, par maladies et désertion ; de telle sorte qu’il reste 330 000 hommes de troupe français. Si l’on y ajoute 70 000 hommes de troupe danois et de la Confé­déra­tion du Rhin, on voit que les forces de nos ennemis s’élevaient à 400 000 hommes. L’auteur de ce récit est convaincu que ce chiffre est exagéré de 50 000 hommes au moins ; d’ailleurs, tous les renseignement, recueillis depuis, sont d’accord à ce sujet, car ils n’évaluent pas à plus de 350 000 hommes les forces de l’Empereur.

Tout ce que nous pouvons dire ici, c’est que ces 400 000 hommes, si toutefois ils existaient réellement, de­vaient trouver chez les Alliés une forte supériorité numéri­que, même en ne tenant pas compte des troupes qui se trou­vaient en Pologne.

Comment aurions-nous pu avoir des inquiétudes à la réouverture des hostilités, quand nous avions fait la guerre, jusqu’à l’armistice, avec 80 000 [1] hommes environ contre 120 000 [2], sans que l’ennemi nous eût infligé une défaite déci­sive, quand, dans l’espace de quatre semaines, nous avions pu lui livrer deux grandes batailles dont l’issue restait fort douteuse, quand l’ennemi se voyait obligé d’opérer contre nous avec la plus grande prudence sans éviter pour cela un grand nombre de combats désavantageux pour lui, quand enfin il était enchanté d’obtenir un armistice.

Sans doute, nous ne pouvions être absolument sûrs du succès futur, mais toutes les chances étaient pour nous !

II n’y avait plus lieu de tenir particulièrement compte du talent supérieur de l’Empereur comme grand capitaine : cet élément était déjà pris en considération dans les calculs.

C’était lui-même qui conduisait ses troupes contre nous.

Mais, parmi tous ceux qui ont pris part aux batailles de Gross-Görschen et de Bautzen, en est-il un seul qui n’ait pas eu le sentiment, la conviction même, que si nous avions été de force égale avec les Français, la victoire aurait été à nous.

Il y a des circonstances dans lesquelles le talent le plus supérieur échoue, et des cas où le général le plus ha­bile est sujet aux plus grosses erreurs ; nous l’avons bien vu pen­dant la campagne de 1812. Très peu d’hommes en Alle­magne ont cru que la Russie serait en état de résister à la puissance française, et bien qu’on leur eût mis en relief, aussi claire­ment que possible, la grande étendue et la na­ture de ce pays, ils n’auraient jamais pu admettre les résul­tats que l’on a vus à la Bérésina et à Wilna, pas plus qu’ils n’auraient admis que l’empereur Napoléon, fugitif, serait forcé de revenir sans un seul soldat.

L’épidémie de désespoir qui sévissait depuis long­temps, sur l’Allemagne en particulier, allait donc s’éteindre, maintenant qu’un orage formidable venait de purifier l’at­mosphère politique.

Le moment approchait où le théâtre de la guerre al­lait se rouvrir et où la marche de cette révolution euro­péenne allait reprendre son cours.

Comment pourrait-il aller de l’avant avec courage et confiance, celui qui, dans un hébétement profond, aurait laissé s’écouler l’armistice dans un calme absolu, celui dont les oreilles n’auraient plus perçu que la rumeur sourde des événements qui venaient de se dérouler, celui enfin qui, sans une parcelle de jugement, sans la moindre étincelle de bon sens, aurait jeté les yeux sur le voile ténébreux de l’avenir !

La crainte, qui est si intimement liée à la nature hu­maine, lui montrerait, à chaque pas, des abîmes et des gouf­fres. Cette pusillanimité serait surtout indigne du guerrier qui combat pour l’objet de ses pensées, qui défend la patrie et tout ce qui donne de l’attrait et du bonheur à l’existence hu­maine. Son âme est aussi intéressée à l’œuvre des princes et des généraux, que celle des princes et des généraux eux-mê­mes. C’est sa chose aussi bien que la leur. Il sera heureux d’apprendre du Passé et du Présent ce que, dans sa sphère, il est en droit de connaître, heureux de sa­voir par quoi l’avenir lui sera dévoilé et présentera à ses regards les objets dans lesquels il peut placer sa confiance, ses espérances et son ambition.

J’ai fait ici tout ce que mes faibles forces m’ont per­mis de faire dans ce but.

Je vous dédie ces lignes, camarades, dans l’espoir qu’un cœur plein de patriotisme et justement fier de votre noble valeur se montrera reconnaissant de ce petit service, si faible qu’il soit.

Si j’ai réchauffé vos cœurs, si j’ai contenté votre es­prit, mon but est atteint ; désormais, l’ouragan des événe­ments pourra disperser ces feuilles au point qu’il n’en reste pas la moindre trace ! 

 

[1] C’était l’effectif de l’armée alliée le 2 mai en Saxe et le 21 mai en Lusace.

[2] L’Empereur disposait de ces forces le 2 mai à Lützen et d’un effectif au moins égal à Bautzen.

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Chapitre V. Bataille de Bautzen 

Le 14 mai, l’armée installa son camp près de Bautzen, un demi-mille en arrière de la ville.

La ville et le terrain environnant étaient occupés par l’avant-garde sous les ordres du général comte Milora­do­witch. Le camp proprement dit avait son aile gauche derrière HIein-Jenkwitz, son centre derrière Gross­-Jenkwitz et Bas­chütz et sa droite appuyée à Kreckwitz.

La chaîne de hauteurs qui sépare le ruisseau de Klein-Bautzen de l’armée, entre Kreckwitz et Nieder­-Gurkau, ne fut pas occupée au début, pour ne pas étendre par trop la position. Lorsque le général Barclay de Tolly, qui s’était em­paré de Thorn, eut rejoint l’armée le 17, avec 14 000 hom­mes, en passant par Sprottau, il prit position sur les hau­teurs de Kreckwitz et forma l’aile droite de l’armée.

Devant le front, et derrière les villages de Gross, KIein-Jenkwitz et Baschütz, on créa des embrasures pour l’artillerie, afin de lui donner l’avantage d’un tir à couvert sur l’ennemi, car on prévoyait une longue et violente canon­nade.

L’armée goûta là un repos de huit jours, dont elle avait grand besoin après tant de marches et de combats.

L’ennemi se montra, il est vrai, dès le 15, devant nos avant-postes ; mais il se contenta de les rejeter un peu en arrière, et de faire camper son avant-garde sur les hauteurs opposées, ce qui n’empêcha pas nos avant-postes de rester établis au bord de la vallée.

L’armée s’était vu rejoindre, après la bataille de Gross-Görschen, par le général Kleist avec 5 000 hommes, par le général Barclay avec 1 000, par 3 000 hommes de la réserve prussienne, et quelques milliers d’hommes de ren­forts rus­ses. Elle s’était donc augmentée de 24 à 25 000 hommes. Si l’on évalue à 46 000 hommes les pertes qu’elle avait subies à la bataille de Gross-Görschen et dans les combats qui avaient suivi, on peut admettre qu’elle comptait 80 000 hommes prêts à entrer en ligne.

Quant aux forces de l’ennemi,. on ne saurait rien en dire de précis. Il paraît certain toutefois que ce n’est pas sans intention que l’Empereur resta immobile et inactif pendant huit jours devant Bautzen. D’après des renseignements ulté­rieurs, d’importants renforts traversèrent Dresde à cette époque, et il est certain qu’une partie des troupes de Davout avait été rappelée du bas-­Elbe. En outre, la garnison saxonne de Torgau et la grosse cavalerie qui était allée en Bohême avec le roi de Saxe, avaient dû rejoindre l’armée française en même temps que le contingent wurtembergeois.

On peut donc admettre que les pertes de l’ennemi à Gross-Görschen et aux autres combats ont été largement compensées et qu’à la bataille de Bautzen les forces françai­ses s’élevaient de nouveau à 420 000 hommes.

Dans ces conditions, puisqu’on avait affaire à une su­périorité numérique presque aussi considérable qu’à Gross Görschen, il n’eût pas été à propos de livrer bataille, si le système des Alliés n’avait pas consisté à disputer au­tant que possible le terrain à l’ennemi, et à montrer à l’Eu­rope que notre première bataille n’avait nullement été une défaite, et que, ni matériellement, ni moralement, nous n’étions hors d’état de tenir tête à l’ennemi. Il valait mieux donner aux Autrichiens cette conviction que nous étions résolus à ne pas épargner nos forces, et à ne pas nous en remettre à eux du soin de délivrer l’Europe, pendant que nous garderions une expectative pusillanime.

En raison de sa supériorité morale, l’armée nourrissait le désir de se mesurer de nouveau et aussi vite que possible avec l’ennemi ; une nouvelle retraite sans combat aurait anéanti ce beau zèle et affaibli la confiance dans le comman­dement. La région de Bautzen était, comme nous le démon­trerons avec plus de détail, favorable à nos armes ; par suite, on convint de tenter encore une fois sur cette position de ré­sister aux forces ennemies.

Le 18, on apprit que le général Lauriston, qu’on avait envoyé contre la Marche dans la conviction que les Alliés seraient désormais incapables de résistance, s’avançait par Hoyerswerda. Aussitôt, le corps de Barclay, auquel se joignit celui d’York, fut dirigé vers cette localité.

La marche s’exécuta sur deux colonnes dans la nuit du 18 au 19. La colonne de gauche, sous le général Barclay, tomba près de Koenigswartha sur le corps du général Lau­riston, le repoussa après une lutte opiniâtre et lui enleva 2 000 prisonniers et 11 canons. La colonne, de droite, sous le général York, forte d’environ 5 000 hommes, rencontra à Wleissig le corps du maréchal Ney qui s’était réuni à celui du général Lauriston. Les attaques répétées du général York contre les forces bien supérieures du maréchal Ney contri­buèrent beaucoup à empêcher le maréchal de se porter au secours de Lauriston. Grâce à cet effort, qu’York continua jusqu’au soir, le combat de Barclay contre Lauris­ton prit une tournure favorable et les positions du champ de bataille fu­rent maintenues jusqu’à la nuit. L’obscurité étant venue, le corps prussien retourna à l’armée principale.

La direction prise par les corps de Ney et de Lauriston sur le flanc droit de Bautzen dévoilait l’intention de ces deux généraux de tourner la position par Gleina et Preititz, le premier de ces deux villages se trouvant un petit demi-mille derrière l’emplacement de l’aile droite, à Kreckwitz. Il fallut donc chan­ger de position, et le 20, premier jour de la bataille, l’armée était établie de la façon suivante

L’aile gauche occupait une petite colline derrière Klein-Jenkwitz. La ligne de front, passant par les villages de Gross-Jenkwitz et Baschütz, se dirigeait sur Krechwitz et de là vers Nieder-Gurkau sur la Sprée, où le flanc droit, décri­vant une légère courbe en arrière, la Sprée devant lui, allait aboutir au moulin à vent de Gleina.

Klein-Jenkwitz est situé près d’un ruisseau qui des­cend de la haute croupe à laquelle est adossé Hochkirch ; cette croupe longeait donc le flanc gauche de la position. Le ruisseau coule de Klein-Jenkwitz par Nadelwitz, Nieder­kaina et Basankwitz jusqu’à Kreckwitz où il fait un léger coude à droite pour atteindre Gleina en passant par Klein­Bautzen et Preititz. Ce ruisseau décrivait donc une courbe devant le front : au centre il s’en éloignait d’environ 4 500 pas et formait une sorte de demi-lune entièrement plane. A Kreckwitz, il coupait la position, tandis que l’aile droite oc­cupait le secteur compris entre lui et la Sprée ; cette rivière coule, en effet, pendant un quart de mille, tout à fait parallè­le­ment an ruisseau. A Gleina, il venait effleurer sur les ar­rières l’extrême aile droite de la position, parce que ce flanc (potence) courait depuis Nieder-Gurkau jusqu’à Gleina, dia­gonalement entre lui et la Sprée. De même que le ruis­seau couvrait le front jusqu’à Kreckwitz, de même la Sprée cou­vrait le flanc de Nieder-Gurkau à Gleina. L’espace com­pris entre Kreckwitz et Nieder-Gurkau est découvert et large d’environ 1 500 pas ; en avant se trouvent des hau­teurs qui, près du village de Burk, forment la limite de la vallée de la Sprée.

Tout le terrain, depuis Klein-Jenhwitz jusqu’à Krecl­cwitz peut être considéré comme une plaine, quoique l’aile gauche se trouvait un peu plus élevée. Mais, derrière la posi­tion, le terrain monte dans la direction d’Hochkirch.

Entre Kreckwitz et Nieder-Gurkau se trouvait le groupe de collines dont il a déjà été question et qui servit de position principale au corps du général Blücher. Les villa­ges situés en avant de cette position et plus près de la Sprée fu­rent occupés par des troupes légères. L’extrême aile droite, sous Barclay, était à Gleina et sur la position avan­tageuse du Moulin a vent. Elle avait devant elle, a portée de canon, le défilé de Klix, au delà de la Sprée ; il s’agissait donc d’organiser la défense sur la rivière même, c’est-à-dire der­rière les villages de Nieller-Gurkau, Doberschütz, Plies­ko­witz et Malschwitz. Cependant, le mont du Moulin à vent près de Gleina, offrait un point très avantageux pour défen­dre, à portée de canon, les passages de la Sprée en aval de Malschwitz.

Le 20, les troupes étaient réparties de la façon sui­vante sur cette position

Le lieutenant général de Berg avec son corps, envi­ron 4 000 hommes, à l’aile gauche, derrière Jenkwitz ; à sa droite, le lieutenant général York et 5 000 hommes de trou­pes jusque derrière Baschütz. De Baschütz jusqu’à Krech­witz était un espace d’environ 2 000 pas, complètement plat, où aucune troupe ne se trouvait en première ligne. Il était couvert par la réserve des cuirassiers placée en ar­rière.

De Krechwitz à Nieder-Gurkau, en passant par Do­berschütz jusqu’à Plieskowitz, s’étendait le front du corps Blücher qui, sans la réserve de cuirassiers, peut être éva­lué à 18 000 hommes.

A Gleina se tenait le général Barclay avec 14 000 hommes.

Le général Blücher était d’ailleurs séparé du général Barclay par une ligne continue d’étangs avec peu de points de passage ; cette ligne commence à Plieskowitz sur la Sprée et se termine à Preititz sur le ruisseau.

Devant ce front, à Bautzen et aux environs, se te­naient 10 000 hommes sous les ordres du général Milorado­witch et sur les hauteurs de Burck, 5 000 hommes sous le géné­ral Kleist.

La garde impériale et le reste de l’infanterie russe, 16 000 hommes environ, étaient établis en arrière du front, formant une réserve derrière l’aile gauche et le centre. En partie derrière eux, en partie à leur droite, se trouvaient les réser­ves de cavalerie russe, en tout 8 000 hommes, pour la plu­part des cuirassiers.

Le front depuis Klein-Jenkwitz et Kreckwitz jusqu’à Gleina, par Nieder-Gurkau, embrasse plus d’un mille alle­mand. Par la configuration du terrain même, la position avait donc une très grande étendue. Cependant, la croupe élevée qui s’étend vers Hochkirch, en suivant l’aile gauche, devait être occupée dès que l’ennemi ferait mine d’y envoyer des masses importantes de troupes. C’est, en effet, ce qui arriva par la suite, car une partie des réserves, notam­ment la division du prince de Wurtemberg et une fraction du corps de Miloradowitch allèrent s’y établir et prolongèrent ainsi le front d’un demi-mille.

A l’aile gauche, en terrain montagneux, le défenseur avait naturellement beaucoup d’avantages. En plaine, depuis KIein-Jenkwitz jusqu’à Krecklwitz, l’ennemi avait peu de chances de percer. Il fallait, en effet, passer le ruisseau ma­récageux sous le feu meurtrier d’une puissante artillerie qui était cachée dans des coupures du terrain et que l’ennemi aurait difficilement réduite au silence avant d’entreprendre son mouvement.

Les villages de Gross-Jenkwitz et de Baschütz étaient organisés défensivement, une nombreuse cavalerie était à proximité ; enfin, la partie de la plaine qui s’étend de Bas­chütz à Kreckwitz était si puissamment flanquée par la hau­teur de Kreckwitz, formant en quelque sorte saillant sur la position où était établie l’aile gauche de Blücher, que l’ennemi ne pouvait faire un pas en avant sans être préala­blement maître de la région de Kreckwitz.

D’autre part, la position du général Blücher à Kreck­witz et à Nieder-Gurkau se trouvait sur des hauteurs avan­tageuses d’où elle avait des vues sur la vallée de la Sprée couverte de prairies en terrain plat. Comme front, on ne pou­vait pas demander mieux. Cependant, l’espace com­pris entre Kreckwitz et Malwitz), en passant par Nieder-­Gurkau, était d’un demi-mille trop grand pour 18 000 hom­mes, et d’autre part, le général Blücher, qui était éloigné d’un quart de mille de l’armée, était forcé, en cas d’échec, de se retirer par deux défilés à travers le ruisseau maréca­geux, et il ne pouvait pas non plus se passer d’une importante réserve. Par suite, il lui devenait impossible de dé­ployer plus de 12 000 hommes sur son front.

Le général Barclay occupait un point sans doute fort avantageux, mais il était entouré de bois et plus éloigné en­core de l’armée que le général Blücher.

Le, 20, vers midi, l’ennemi attaqua le général Kleist sur les hauteurs de Burk et le général Miloradowitch à Baut­zen. Bientôt, le combat devint très violent, surtout du côté du général Kleist. L’ennemi considérait la possession de ces hauteurs comme le prélude nécessaire de la bataille et il amena, peu à peu, tant de troupes au combat, qu’il fallut soutenir le général Kleist. Cinq bataillons du corps de Blü­cher lui furent successivement envoyés. Dans le but de tour­ner le général Kleist sur son flanc droit, l’ennemi tenta de percer à Nieder-Gurkau vers 3 heures de l’après-midi. Mais là il rencontra quelques bataillons de la brigade de Ziethen du corps de Blücher et fut exposé au feu des batte­ries russes et prussiennes avantageusement établies sur les hauteurs, non loin et en arrière du défilé. Sur ce point, le combat se borna donc à un échange énergique de coups de fusil.

En revanche, du côté du général Kleist, l’ennemi fit des efforts plus sérieux qui contribuèrent beaucoup rehaus­ser, en cette journée mémorable, la gloire et renommée de ce général remarquable et de ses troupes.

Les attaques opiniâtres que l’adversaire entreprit en­tre midi et 8 heures du soir pour venir à bout des Prus­siens dans leur position tout à fait favorable ont principa­lement contribué aux pertes qu’il a subies dans la bataille de Baut­zen. Les 18 000 blessés qui de Bautzen ont été transportés à Dresde nous en ont donné la preuve évidente.

Près de Bautzen, du côté du général Miloradowitch, le combat quoique sérieux, fut moins violent que contre le gé­néral Kleist. En outre, l’ennemi avait repoussé jusque dans les hautes montagnes les détachements russes qui, sous le commandement du général Emmanuel, étaient établis à gauche de Bautzen, et il avait envoyé à leur suite d’impor-tantes masses de troupes. Cependant, les détache­ments rus­ses furent renforcés par une infanterie plus nom­breuse et, sur ce point, l’ennemi ne réussit pas non plus à dépasser les troupes avancées pour se jeter sur le flanc gau­che de l’armée, comme il parait en avoir eu l’intention.

Rien ne fut entrepris ce jour-là contre le général Bar­clay, à l’extrême aile droite, sans doute parce que le maré­chal Ney et le général Lauriston n’étaient pas encore arrivés.

Ainsi se termina, à la tombée de la nuit, le combat du 20, dont on ne pourrait dire exactement s’il fut la ba­taille principale ou simplement un acte préparatoire. En effet, bien que du côté des Alliés on se fût contenté de dé­fendre certains points préalablement occupés et d’empêcher ainsi l’ennemi de pénétrer jusqu’au cœur de la position principale, la résis­tance due à la bravoure des troupes et aux avantages du ter­rain fut si grande et les pertes de l’en­nemi furent si nom­breuses qu’on était en droit d’espérer que l’adversaire s’abstiendrait de toute nouvelle attaque. Cependant, on ne voulait pas transformer ces points en champ de bataille pro­prement dit, dans le cas où l’ennemi renouvellerait son atta­que le lendemain, d’abord parce qu’on se promettait plus de succès sur la position princi­pale, ensuite, parce qu’une atta­que contre Barclay était inévitable dans ce cas et que sa po­sition avancée devenait intenable. On se décida donc, à la tombée de la nuit, à ramener les corps du général comte Mi­loradowitch et du gé­néral Kleist sur la position principale. Le général Milora­dowitch fit sa jonction avec le général de Berg et le général Kleist avec le général York.

Ainsi, les troupes, avec le sentiment réconfortant de s’être heureusement défendues, passèrent la nuit sur le champ de bataille, et, si quelque chose devait affirmer le suc­cès d’une journée, c’était bien de voir régner chez les soldats un ordre et un calme qu’on trouve rarement après un combat si meurtrier.

Le 21, quelques heures après le commencement du jour, on entendit les premiers coups de fusil. L’ennemi re­prenait son attaque en la dirigeant sur trois principaux points de la position : contre le général Blücher, contre le général Barclay, à gauche dans la montagne et, plus tard, pendant que s’engageait un combat de tirailleurs et d’artillerie, il déployait ses forces sur tous les points à la fois.

Au centre, où la vue pouvait s’étendre librement, on vit venir sur les hauteurs, à droite et à gauche de Bautzen, de grosses colonnes qui allèrent s’établir en face de la posi­tion principale, hors de la portée du canon. Cette masse de troupes pouvait être évaluée à 30 ou 40 000 hommes.

A peine ces troupes avaient-elles pris position qu’on vit s’élever sur les hauteurs de Burk des colonnes de fumée ; c’était le signal d’attaque pour le maréchal Ney et le général Lauriston. Ceux-ci étaient arrivés avec 30 000 hommes qu’ils lancèrent sur Barclay. Le combat, devenu bientôt très vio­lent, dura jusque vers 10 heures.

Le général Barclay, repoussé par un ennemi supé­rieur en nombre, fut réduit à abandonner le Moulin à vent de Gleina et à se retirer peu à peu derrière le ruisseau auquel il était adossé ; il ramena ensuite une, partie de ses troupes par le cours d’eau de Löbau jusque sur les hauteurs de Ba­ruth.

Comme ce point était un des plus sensibles de la posi­tion, le général Kleist reçut l’ordre de marcher au secours du général Barclay ; mais celui-ci, très affaibli par le combat sanglant de la veille et réduit à 3 000 hommes à peine, ne put repousser un ennemi supérieur et ne parvint qu’à faire sus­pendre le combat.

Pendant ce temps, l’engagement s’était vivement ra­nimé dans la montagne. L’ennemi, toutefois, ne fit aucun progrès dans la journée. Le prince de Wurtemberg et le gé­néral Miloradowitch défendirent ce point, pas à pas, en fai­sant donner toute leur infanterie, et les avantages du ter­rain coûtèrent à l’ennemi un très grand nombre d’hommes.

Au centre, l’ennemi s’était très peu avancé, de sorte que le feu de l’artillerie venait seulement de commencer. Du côté du général Blücher, auquel, sur la rive opposée de la Sprée, un bois cachait la force de l’ennemi, on s’était borné à un combat de tirailleurs dans la vallée. Les choses en étaient là, vers midi, lorsque le maréchal Ney et le général Lauriston envoyèrent des détachements sur la droite et s’emparèrent du village de Preititz. Le village se trouvait entre le général Blücher et le général Barclay, sur le ruisseau souvent cité, près de Klein-Bautzen, par conséquent derrière l’aile droite du général Blücher.

Cette localité était pour le général Blücher de la plus haute importance. Si l’ennemi parvenait, de là, à s’emparer des villages voisins, Klein-Bautzen et Purschwitz, non en­core occupés, le général Blücher ne pouvait plus rejoindre le reste de l’armée que par Kreckwitz. Or, Kreckwitz se trouvait en face de la position, sous le feu de l’artillerie enne­mie, il n’avait pu, en outre, être occupé que par un batail­lon et, l’en­nemi étant tout prés, à Bazankwitz, on n’était pas très sûr de pouvoir se maintenir à Kreckwitz.

Le général Blücher se décida donc, quelque besoin qu’il en eût dans sa situation, à renoncer à la seule réserve qu’il eût avec lui, et à la faire marcher au secours du géné­ral Barclay, afin de pouvoir reprendre le village de Preititz. La lutte n’étant pas encore sérieusement engagée, il espé­rait que la brigade de réserve pourrait amener une diver­sion en survenant ainsi sur le flanc droit du maréchal Ney et de Lauriston. En même temps, une partie de la cavalerie de ré­serve prussienne fut envoyée vers la Sprée, qui sépa­rait alors le général Blücher du maréchal Ney, pour obser­ver les passages, menacer de plus en plus le flanc droit de l’ennemi et diriger sur lui les coups de la grosse artillerie.

A peine ces dispositions étaient-elles prises et les troupes mises en mouvement que l’ennemi se précipita sur la position même de Blücher. A Pheskowitz d’abord, puis à Nieder-Gurkau et, enfin, sur toute la ligne de la Sprée s’engagea un violent combat de mousqueterie. Au bout d’une heure, et alors que la seconde ligne d’infanterie avait dû être amenée, le général Blücher, incertain de pouvoir conserver sa ligne, donna ordre à la brigade de réserve de battre en retraite et d’alter prendre position à Purschwitz pour parer à l’imprévu. Cependant, celle brigade s’était déjà mise en mou­vement sur Preititz et, se reliant au corps de Kleist, elle avait attaqué le village. Déployant une bravoure extraordi­naire, ces bataillons pénétrèrent dans le village et, malgré de très grosses pertes, s’en emparèrent rapidement. Ils s’y maintinrent pendant que le reste de la brigade, conformé­ment aux ordres reçus, battait en retraite.

Le corps de Blücher se trouvait ainsi dans l’obligation de faire face de trois côtés à la fois :

  1. entre Krechwitz et Nieder-Gurkau, contre l’ennemi qui descen­dait des hauteurs de Burk ;
  2. de Nieder-Gurkau à Plies­kowitz, pour défendre la vallée de la Sprée ;
  3. de Pliesko­witz à Preititz, derrière les étangs, contre les troupes de Ney, qui avançaient rapi­dement.

En même temps, on dut employer la réserve tout en­tière pour reprendre à l’ennemi le village de Preitiz dont il s’était emparé par les derrières et pour s’ouvrir ainsi le qua­trième côté menacé de la posi­tion, le seul par lequel on pou­vait, ou recevoir des renforts, ou opérer sa retraite.

A ce moment, le combat livré sur le front du général Blücher avait pris une très mauvaise tournure. Deux batte­ries lourdes russes, rune à Kreskwitz, l’autre à Nieder-Gur­kau, chargées de couvrir ces deux points d’appui, avaient épuisé leurs munitions et se trouvaient réduites à l’impuissance. En arrière de Nieder-Gurkau, où l’on n’avait pu établir que quelques bataillons, l’ennemi, supérieur en nombre, s’était rendu maître des hauteurs qui, seules, ren­daient possible la défense de ce point. L’ennemi s’avançait maintenant dans le secteur formé par le ruisseau et la Sprée, et, quoique la brigade du colonel de Klüx l’eût attaqué deux fois à la baïonnette et l’eût repoussé, on ne put parvenir à reprendre les hauteurs.

Le général Blücher demanda du renfort : ordre fut donné â York de voler à son secours. Ce général marcha contre le village de Kreckwitz, afin de se jeter sur le flanc droit de l’ennemi, qui poussait de l’avant. Il arriva trop tard.

Les deux brigades de front du corps de Blücher s’étaient peu â peu retirées de leur position convexe entre les collines, pour se porter sur Kreckwitz, mais sans pouvoir trouver un terrain à peu près convenable pour s’y établir. Si l’on voulait absolument rester maître de la position, il n’y avait plus qu’un moyen : réunir les deux brigades de front très affaiblies avec ce qui restait de la réserve et attaquer l’ennemi coûte que coûte avec ces forces. Il est hors de doute que de cette manière on aurait pu atteindre de nouveau la vallée de la Sprée.

Mais la brigade de réserve n’était pas encore de re­tour! En outre, il pouvait surgir d’autres complications.

En reprenant ce terrain, on était loin d’avoir gagné la bataille ; bien plus, en lâchant pied à l’aile droite, on provo­quait un événement tellement décisif que le quartier général, voyant qu’il devenait impossible de progresser de ce côté, ne pouvait plus s’attendre à une issue tout â fait favorable du combat.

Si Blücher tenait à tout prix à reconquérir son an­cienne position, il était obligé, même en cas de succès, de dé­ployer son corps tout entier. Il ne savait encore rien de l’arrivée du général York ; chez les généraux Barclay et Kleist, le combat continuait et il était peu probable qu’ils pourraient conserver leur ligne. En conséquence, le général Blücher prit le parti de ne rien entreprendre de décisif avant d’avoir reçu de nouveaux ordres. Il voulait attendre l’arrivée de la brigade de réserve à Purschwitz, mais elle n’y était pas encore. Il envoya donc, aux deux autres brigades, l’ordre de tenir aussi longtemps mue possible et, au pis aller, de se re­tirer sur Purschwitz. Quant à la cavalerie de réserve, de peu d’utilité sur ce terrain, il la fit reculer au­-delà du défilé pour ne pas barrer la retraite aux deux brigades, s’il fallait en ve­nir là.

Pendant ce temps, l’ennemi n’avait rien fait au cen­tre que de montrer ses colonnes et d’entretenir une assez vive canonnade. Il était évident que la force de notre posi­tion sur ce point le faisait réfléchir. Il attendait sans doute que le centre de l’armée alliée se fut plus affaibli encore qu’il ne l’était déjà pour se porter au secours de l’aile droite menacée, espérant que l’effort produit sur ce point sensible lui procu­rerait l’occasion favorable pour prononcer l’attaque générale qui, seule, rendrait possible une victoire complète.

Mais depuis l’ouverture de la campagne, les Alliés, s’inspirant de motifs politiques, avaient pris pour principe de ne jamais s’exposer à une défaite décisive, préférant rompre le combat avant son dénouement. Ici, c’était le cas plus que jamais, le combat, dans son ensemble, ayant pris déjà une mauvaise tournure. Et, précisément, les raisons qui ne per­mettaient pas d’espérer un résultat décisif de la reprise du terrain par le général Blücher, mais qui faisaient redouter pour son corps une situation fort dangereuse, dé­terminèrent le quartier général à rompre le combat entre 3 et 4 heures de l’après-midi et à ordonner la retraite. Dans ces conditions, cette retraite s’effectua en deux colonnes dans un ordre par­fait. Les troupes russes du centre et de l’aile gauche se diri­gèrent par Hochkirch sur Löbau, les troupes prussiennes par Wurschen sur Weissenberg. Les généraux Barclay et Kleist, avec la réserve de cavalerie prussienne, allèrent occuper les hauteurs avantageuses de Gröditz pour contenir sur ce point le maréchal Ney et le général Lauriston et ils y réussirent pendant toute la soi­rée ; de sorte que les généraux Blücher et York purent dé­passer Weissenberg avec la queue de leurs colonnes. Cette mesure était d’autant plus nécessaire que de Baruth àWeissenberg l’ennemi avait une distance moindre à parcourir que les généraux Blücher et York, qui venaient de Kreckwitz et de Purschwitz.

Au centre, l’ennemi poursuivit mollement et, pour mieux dire, pas du tout. Il ne s’empara d’aucun canon pen­dant la bataille et ne fit guère de prisonniers. Il délogea les Alliés d’une partie de leurs positions, cela est vrai ; mais au prix de quels sacrifices ? On peut soutenir, sans exagéra­tion, qu’il perdit en hommes le double de l’adversaire. Les Alliés, en effet, eurent de 12 000 à 15 000 morts et blessés, tandis que l’ennemi, nous l’avons déjà fait remarquer, fit conduire à Dresde, rien qu’en blessés, 18 000 hommes.

 

Ce ne sont certainement pas des victoires de ce genre sur lesquelles l’empereur Napoléon comptait. Il avait l’habi-tude d’infliger à son adversaire des défaites décisives tout en perdant relativement peu de monde lui-même, et il en profi­tait pour imposer une paix rapide, précipitée. Son caractère de conquérant le veut ainsi. Mais maintenant après le désas­tre inouï qu’il a subi en Russie, et dans l’extrémité où il se trouve réduit, c’est pour lui une double, une triple nécessité de foudroyer par une éclatante victoire les espérances re­naissantes de l’Europe et de terrifier dans leurs préparatifs les nouveaux ennemis.

Nous avons déjà vu que ses désirs ne se sont pas réali­sés. Il est obligé de se contenter d’un demi-succès, qui ne peut opposer qu’une faible digue au torrent qui se précipite sur lui, tandis que derrière lui une nouvelle tempête éclate sur sa puissance et ses plans ;- lord Wellington, le vainqueur de Vittoria, est aux portes de la France.

Nous n’avons donc aucune raison de nous lamenter sur notre situation et nous pouvons être convaincus que la persévérance, l’ordre, le courage et la confiance nous condui­ront à notre but, malgré les avantages passagers dont l’ennemi fait parade devant nous et qui ne lui donne­ront que des fruits verts.

De Weissenberg et de Lobau, les Alliés se retirèrent le 22 sur Gôrhtz. A Reichenbach, l’arrière-garde eut à sou­tenir un petit combat qui coûta à l’armée française un ma­réchal et deux généraux et, à l’empereur Napoléon, un ami. En effet, l’Empereur, vexé de voir que ses généraux de l’avant-­garde ne faisaient pas de prisonniers à une armée battue, prit, pour un jour, lui-même le commandement de l’avant­-garde, afin de leur donner une leçon. Notre arrière-garde était à Reichen­bach ; elle avait une nombreuse cavalerie et beau­coup d’artillerie et elle désirait vivement en venir aux mains avec la cavalerie française. La canonnade se fit en­tendre et quel­ques régiments de cavalerie ennemie se mon­trèrent en effet. On n’eut pas de peine à les repousser et, pendant la canon­nade, il arriva qu’un boulet néfaste étendit raide mort le gé­néral français Kirchner à côté de l’Empe­reur, éventra le ma­réchal Duroc et blessa mortellement le général La­bruyère.

L’Empereur, ébranlé par ce coup du destin, qui ve­nait de se passer sous ses yeux et lui enlevait son meilleur ami, fit tourner silencieusement son cheval, et, depuis lors, on s’en tint à l’ancienne manière de faire la poursuite.

De Görlitz, l’armée alliée se retira de nouveau en deux colonnes : par Naumbourg sur le Queiss, Bunzlau, Haynau et par Laubau, Löwenberg, Goldberg et Striegau sur le camp de Piltzen, près de Schweidnitz, où elle arriva le 1er juin.

L’armée prussienne se trouvait avec le corps du gé­né­ral Barclay dans la colonne de l’aile droite qui marchait par Haynau. Comme on avait l’intention de continuer la retraite aussi lentement que possible et d’éviter un combat général ; comme, d’autre part, l’avant-garde ennemie com­mençait peu à peu à serrer de plus près notre arrière-garde, le général Blücher se décida à tendre une embuscade à l’avant-garde ennemie. La contrée située en arrière de Haynau en offrit bientôt l’occasion.

Entre Haynau et Liegnitz, à un quart de mille en ar­rière de Haynau, se trouve le village de Michelsdorf, et, de ce village à Doberschau, qui est situé à un demi-mille de là, le pays est complètement plat et découvert. Seuls, les vil­lages de Pantenau et de Stendnitz, qui sont dans un fond de prai­ries, marquent une coupure du terrain. A droite de la plaine s’étend un terrain coupé qui commence au village d’Uberschaur et qui se compose d’un fond tout à fait plat et de quelques petites forêts. C’est ainsi que se dessine la contrée jusqu’à Baudmannsdorf, qui est à peu près à la même hauteur que Doberschau, mais à un demi-mille à droite. Le 26, l’armée prussienne se portait de Haynau sur Liegnitz. L’arrière-garde suivait l’armée à une distance de 2 milles et traversait Haynau le même jour.

Le plan était le suivant : l’arrière-garde, qui se com­po­sait de 3 bataillons d’infanterie et de 3 régiments de cava­lerie légère sous les ordres du colonel de Mutius, devait re­culer à tra­vers cette plaine sur Stendnitz mais devait tenir devant Haynau jusqu’à ce que l’ennemi débouche pour la mettre en fuite. Elle devait chercher à attirer l’ennemi à sa suite. Toute la réserve de cavalerie, 20 escadrons et 2 batte­ries à cheval, sous le commandement du colonel de Dolffs, fut disposée à couvert à Schellendorf. Elle devait s’avancer dans ce terrain coupé avec toute la dissimulation et toute la rapi­dité possible, de manière â débou­cher dans la plaine par Uberschaur et à tomber dans le flanc droit de l’avant-garde ennemie pendant qu’elle était occupée à attaquer le colonel Mutius.

Entre Baudmannsdorf et Pohlsdorf se trouvait un moulin à vent que les deux partis pouvaient voir distincte­ment. On devait y mettre le feu et donner par là, à la ré­serve de cavalerie, le signal de l’attaque. La brigade de Zie­then fut établie en réserve derrière Pantenau et Pohlsdorf, et la di­rection de l’ensemble fut confiée à son général. Le général Blücher se trouvait aussi dans le voisinage.

 

L’ennemi ne suivait, ce jour-là, qu’avec beaucoup de prudence. Ce ne fut qu’après 3 heures qu’il parut en avant de Haynau ; il s’avançait lentement, à pas craintifs. Le colonel Mutius se retirait tout aussi lentement. C’était la division Maison qui formait cette avant-garde. Le maréchal Ney, au corps duquel elle appartenait, était lui-même présent, peu avant l’attaque. Le général Maison, comme s’il était averti par un pressentiment, manifesta sur la marche dans cette plaine des craintes qui furent raillées par le maréchal Ney. Le maréchal se rendit sur un autre point et le général Mai­son s’avança dans la plaine, le cœur serré ; pourtant, malgré son appréhension, il avait omis d’envoyer des déta­chements à droite dans le terrain coupé, seul moyen par le­quel il pût assurer convenablement son flanc droit.

Lorsque l’ennemi eut dépassé d’environ 1500 pas le village de Michelsdorf, la réserve de cavalerie se porta en avant parce qu’elle avait à parcourir un quart de mille avant de se trouver à la même distance de l’ennemi que le colonel Mutius. Elle parcourut ce trajet au trot, et, là-dessus, le gé­néral de Ziethen donna le signal de l’attaque par l’incendie du moulin à vent. Le général Maison comprit aussitôt ce si­gnal et donna l’ordre de former les carrés ; mais ses troupes en eurent à peine le temps. Le colonel Dolffs laissa 2 régi­ments en réserve ; et, négligeant d’utiliser son artillerie à cheval, il saisit le moment favora­ble et se précipita sans dé­lai sur l’ennemi avec 3 régiments. La cavalerie ennemie prit la fuite et abandonna à leur sort les trois ou quatre masses en désordre qui cherchaient à se former. L’infanterie fut aus­sitôt culbutée, et ce qui ne fut ni sabré, ni pris, s’enfuit vers Haynau à travers le village de Michelsdorf Tout cela fut l’affaire d’un quart d’heure, en sorte que le colonel Mutius eut à peine le temps d’arriver avec sa cavalerie et de prendre part au combat.

L’ennemi abandonna toute son artillerie, qui se com­posait de 18 pièces. Comme on manquait de chevaux harna­chés, on ne put emmener que 11 pièces. On fit en outre de 300 à 400 prisonniers. La cavalerie rétrograda ensuite sur Lobendau ; l’arrière-garde s’installa sur place et poussa ses avant-postes dans la plaine, près de Haynau. L’ennemi n’osa pas reprendre l’offensive le jour suivant et c’est le 28 seule­ment que l’arrière-garde fut retirée jusqu’aux environs de Kloster-Wahlstatt.

Dans ce combat, la cavalerie s’est acquis une gloire que la supériorité de la tactique de l’infanterie lui rendit plus tard bien difficile à conquérir. Nous avons là une preuve que, dans certaines circonstances, la supériorité de l’infanterie disparaît et qu’alors la cavalerie est capable de grandes cho­ses.

Le colonel Dolffs, qui trouva la mort au milieu des en­nemis, peut, avec juste raison, être comparé ce jour-là à un Seidhtz.

A l’arrière-garde russe, il y eut également quelques combats brillants, mais nous n’en connaissons pas les dé­tails.

Aussitôt que l’empereur Napoléon fut arrivé à Liegnitz avec son armée, il s’aperçut que l’armée alliée se retirait, non sur Breslau, mais sur Schweidnitz ; il détacha alors sur Neumarkt un corps de 30 000 hommes, qui entra à Breslau le jour suivant.

L’empereur Napoléon, avant la bataille de Bautzen, avait déjà fait des propositions d’armistice et de négociations pour la paix. Il renouvela ces propositions sur ces entrefaites, et les Alliés tombèrent d’accord avec lui pour une suspension d’armes préalable qui, d’abord de trente-six heures, fut en­suite portée à trois jours.

Pendant que les Alliés reculaient en Silésie, le général de Bülow quitta la Marche et se porta avec environ 20 000 hommes dans la région de la basse Lusace.

L’empereur Napoléon détacha le général Oudinot avec son corps d’armée pour arrêter les progrès du général de Bülow. Celui-ci se trouvait à Luckau lorsque le général Ou­dinot marcha contre lui. Le 4 mai, le général de Bülow fut attaqué et la lutte devint bientôt générale ; elle roula sur l’occupation de Luckau. Mais les Français n’étaient pas en état de déloger les Prussiens du village en flammes ; ils fu­rent assaillis sur leurs arrières par la cavalerie du général de Bülow, sous le commandement du général de Oppen, et for­cés d’évacuer le champ de bataille, nous abandonnant 1 ca­non et 400 à 500 prisonniers. Le général de Bülow menaçait alors les communications de l’ennemi avec l’Elbe.

Des détachements prussiens et russes opéraient iso­lément sur les arrières de l’armée française sur les deux ri­ves de l’Elbe et même dans la Franconie. Ils firent indivi­duellement un grand nombre de prisonniers : deux de ces détachements se signalèrent d’une manière brillante.

Le capitaine de Colomb, qui avait passé l’Elbe avec un escadron de chasseurs volontaires au moment où les deux armées se trouvaient sur ce fleuve, atteignit alors la fron­tière de la Franconie. C’est là qu’il enleva un convoi de 16 canons et 10 caissons qui se rendait à l’armée avec une es­corte de Bavarois. Il détruisit les canons, fit sauter les cais­sons et fit 200 à 300 prisonniers.

Le général russe Tschernitschef traversa l’Elbe avec 1 800 hommes de cavalerie légère et tomba près d’Halber­stadt sur un convoi du même genre : 14 canons et un grand nom­bre de caissons formaient un parc défendu par 2 500 hommes sous le commandement du général de division west­phalien von Ochs. Le général Tschernitschef n’avait que 2 pièces légères. Il fit canonner le parc et sauter plu­sieurs caissons, puis, avec une hardiesse rare, n’ayant au­cune in­fanterie, il se jeta sur le parc. En un clin d’œil, les cosaques se trouvèrent entre les canons et les caissons. On fit sauter tout le convoi ; le général Ochs fut fait prisonnier avec toute son infanterie et les 14 pièces qu’il perdit purent être ame­nées facilement sur l’autre rive de l’Elbe. Aussitôt après, le général Tschernitschef et le général Woronzof se mirent en marche et se portèrent sur Leipzig où le duc de Padoue était en train de remonter la cavalerie française. Là encore, ils auraient obtenu un brillant succès, si la nouvelle de l’armistice ne leur était parvenue à ce moment.

Les pourparlers au sujet de l’armistice furent conti­nués sur ces entrefaites et l’on s’entendit sur une prolonga­tion de sept semaines, c’est-à-dire jusqu’au 20 juillet, à la condition de prévenir six jours avant l’expiration. Les condi­tions furent l’évacuation de Breslau par les Français et le retrait de leurs troupes en arrière de la Katzbach. La ligne des avant-postes des Alliés devait s’appuyer à l’Oder, à une lieue en amont de Breslau, aller de là au ruisseau de Schweidnitz qu’elle remonterait, puis passer par Folken­hain, Landshut et Schmiedeberg.

Toute la région comprise entre les deux armées fut dé­clarée neutre ainsi que la ville de Breslau.

Les détachements des Alliés qui se trouvaient sur les arrières de l’armée française durent repasser l’Elbe ; en somme, les limites des États prussiens avec la Saxe et la Westphalie formèrent la ligne de démarcation. Sur le bas Elbe, la situation devait rester telle qu’elle était le 7 juin à mi­nuit.

Les Danois, qui au nombre de 10 000 hommes, s’étaient portés dans les environs de Hambourg dans l’intention de prendre part aux opérations des Alliés, avaient pendant ce temps abandonné cette détermination, par suite de mésintelligences politiques survenues avec l’Angleterre et la Suède. Ils se déclarèrent tout à coup pour la France, firent cause commune avec les généraux Van­damme et Davout et forcèrent le général russe de Tetten­born à évacuer Ham­bourg. C’est ainsi qu’avant le 7 juin tomba, pour la deuxième fois, entre les mains des Français cette antique ville libre d’empire qui, par ses efforts pour la bonne cause, s’était mon­trée digne de ses anciennes liber­tés ; c’était incontestable­ment la perte la plus douloureuse que les Alliés avaient faite jusque là.

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