“Cette guerre extraordinaire et inexplicable”. La dimension militaire des guerres de Vendée

Hervé Coutau-Bégarie et Charles Doré Graslin

On peut partir d’un constat initial difficilement réfutable, celui de la sous-estimation de la place des guerres de Vendée dans la pensée politique et stratégique contem­poraine. La Vendée, pour faire court, a été supplantée par la guérilla espagnole, comme on peut le voir à travers la théorie du partisan de Carl Schmitt : “La situation qui fournit le point de départ de nos réflexions sur le problème du partisan est la guerre de guérilla menée par le peuple espagnol de 1808 à 1813 contre les forces armées”[1].

Carl Schmitt justifie ainsi son choix : la guérilla espagnole est plus importante que la guerre de Vendée car “c’est la guerre qui vit pour la première fois un peuple (un peuple d’avant l’ère bourgeoise, industrielle et conventionnelle) affronter une armée régulière bien organisée, issue des expériences de la Révolution française, une armée moderne. Ce fait ouvrit de nouveaux espaces à la guerre, il fit se développer de nouveaux concepts stratégiques, il fut à l’origine d’une doctrine nouvelle de la guerre et de la politique”. Pour lui, “c’est bien cette régularité de l’État qui, tout comme celle de l’armée, est définie avec une précision nouvelle par Napoléon dans l’État français aussi bien que dans l’armée française. Les innombrables guerres des con­quérants blancs contre les Peaux-Rouges américains du xviie au xixe siècle, et aussi les méthodes par lesquelles les Riflemen de la guerre d’Indépendance combattaient l’armée régulière anglaise (1774-1783), ainsi que la guerre civile vendéenne entre Chouans et Jacobins (1793-1796) appartiennent toutes encore au stade prénapoléonien”[2].

Nous aurons à discuter cette appréciation de Carl Schmitt qui sous-estime la spécificité et la modernité de la guerre de Vendée. Pour l’instant, bornons-nous à constater que le degré de finesse théorique de Carl Schmitt n’est pas celui de la majorité des commentateurs. Chez le plus grand nombre, le discrédit qui frappe les guerres de Vendée s’explique par deux raisons principales ; d’une part, la Vendée est un soulèvement local alors que l’Espagne est un soulèvement national ; la Vendée n’a pas eu d’impact notable sur les guerres de la République, alors que la guerre d’Espagne a été un facteur décisif dans l’affaiblisse­ment de l’empire napoléonien. D’autre part, la Vendée est présentée comme un soulèvement réactionnaire par l’historiographie dominante, depuis Michelet, alors que l’Espagne est regardée comme un soulève­ment populaire pour l’indépendance. Ces deux images sont aussi cari­caturales l’une que l’autre. Les travaux récents montrent la complexité des deux conflits avec, dans les deux cas, des dimensions sociales complexes. Elles n’en restent pas moins largement enracinées dans les esprits.

Or, cette sous-estimation constitue une erreur de perspective fon­damentale : la Vendée est aussi importante au plan théorique et presque aussi importante au plan historique que la guérilla espagnole.

D’abord parce qu’elle la précède : Clausewitz, jeune professeur à la Kriegsakademie après le désastre de 1806-1807, commence très tôt à réfléchir sur les possibilités du Landsturm, c’est-à-dire sur une armée populaire qui harcèlerait l’armée impériale française. Il le fait à partir du cas vendéen avant d’avoir une connaissance précise de l’insurrec­tion espagnole : “l’exemple que nous venons de développer ici s’appuie sur l’histoire de la guerre de Vendée”[3].

Ensuite, parce qu’à la différence de l’Espagne, il s’agit, au moins après l’échec de l’Armée catholique et royale, d’un cas presque parfait de guérilla, sans intervention extérieure, sans grande guerre parallèle. Les Vendéens ont souvent attendu un secours anglais qui n’est jamais venu[4]. La seule tentative sérieuse a été celle de Quiberon en 1795, qui ne s’inscrit pas dans le cadre spatial de la guerre de Vendée, mais plutôt dans celui de la chouannerie. Les Vendéens ont dû se débrouiller à peu près seuls, ce qui rend leur résistance encore plus remarquable.

Enfin, parce que les guerres de Vendée, de 1793 à 1796, forment le prototype de ce que l’on appellera plus tard la guerre totale. L’ex­pression apparaît, pour la première fois, à cette époque, dans la bouche de Robespierre[5].

Les guerres de Vendée méritent donc d’être étudiées en elles-mêmes :

  • dans leur dimension régionale : c’est l’événement fondateur de la mémoire vendéenne. On a pu dire que la Vendée était le seul département devenu province. Une telle inversion n’a été rendue possible que par cette série de guerres qui ont radicalement différencié la Vendée militaire de toutes les autres parties du territoire français ;
  • dans leur dimension nationale : les guerres de Vendée cons­tituent un épisode particulièrement critique de la Révolu­tion. Probablement moins par le risque militaire qu’elle a pu représenter, qui n’a jamais été aussi grand que celui consti­tué par les armées coalisées menaçant les frontières de l’Est, que par sa dimension politique : le soulèvement de la Vendée a encore accentué la radicalisation de la Terreur (qui lui est de toute façon antérieure) et les guerres de Vendée restent, encore aujourd’hui, l’une des pièce les plus sombres et les plus accablantes du procès de la Révolution. On a pu le vérifier lors du bicentenaire, aux réactions hai­neuses qui ont accueilli le livre de Reynald Secher, Le Génocide franco-français. La Vendée-Vengé[6].
  • enfin dans leur dimension globale : les guerres de Vendée constituent, on l’a dit, un épisode décisif dans le passage de la petite guerre, liée à la grande guerre, à la guérilla décon­nectée de la grande guerre, ainsi que dans le processus idéo­logique qui va aboutir à la guerre totale. Il faut donc s’inter­roger sur la place de la Vendée dans l’histoire des stratégies alternatives qui vont de la guerre de partis aux guerres insurrectionnelles pour aboutir aux guerres révolutionnaires contemporaines et, finalement, aux conflits asymétriques actuels.

Cela fait beaucoup de directions de recherche. Heureusement, le bicentenaire a stimulé les historiens et on ne compte plus les contribu­tions majeures qui ont renouvelé, parfois en profondeur, notre connais­sance des guerres de Vendée : citons simplement, parmi d’autres et selon des orientations très différentes, celles de Reynald Secher[7], déjà cité, de Jean-Clément Martin[8] ou d’Alain Gérard[9], très récemment celle de Jacques Hussenet[10]. Il faudrait y ajouter les œuvres majeures sur des régions limitrophes (Roger Dupuy sur la Bretagne, Claude Petitfrère sur l’Anjou…) et d’autres travaux trop nombreux pour être cités ici, moins globaux, mais pas nécessairement moins importants : là comme ailleurs, la part des érudits locaux est grande, trop peu connue.

Mais il n’est pas exagéré de dire que ce renouvellement n’a que modérément affecté la dimension militaire, pourtant fondamentale comme dans toute guerre. On s’est davantage intéressé aux ressorts politiques et idéologiques du bilan démographique et à la dimension sociale qu’au déroulement des opérations militaires dont, pourtant, tout a découlé. On peut y voir une manifestation, parmi beaucoup d’autres, en dehors d’un cercle étroit de spécialistes, du désintérêt des historiens des nouvelles générations pour l’histoire militaire, dédaigneusement considérée comme liée à l’histoire positiviste et événementielle de la première moitié du xxe siècle et donc dépassée. Probablement y a-t-il aussi une dimension spécifique liée à la répugnance de l’historio­graphie dominante à l’égard d’une sale guerre, guerre civile et guerre totale, dans laquelle les républicains n’ont pas souvent le beau rôle. On a pu contester l’application du mot génocide à la Vendée, suggérée par Reynald Secher[11], mais Gracchus Babeuf ne disait pas autre chose quand il forgeait, dès cette époque, le terme de “populicide”[12]. Bien évidement, la coexistence de ce populicide-génocide avec la célébration des droits de l’Homme peut poser problème. L’historiographie doit pourtant dépasser de telles querelles, d’essence idéologique.

La présente enquête n’a pas pour but de rouvrir le débat sur les finalités et les implications politiques ou philosophiques des guerres de Vendée. Elle entend s’en tenir au strict domaine de l’histoire militaire, qui est probablement celui qui attend les révisions les plus importantes. Certes, les historiens militaires n’ont pas été totalement passifs et on peut citer quelques contributions importantes qui sont venues sérieuse­ment rafraîchir les connaissances héritées de Savary ou de Gabory. On songe bien sûr ici aux multiples contributions de Simone Loidreau, dont plusieurs sont reprises ici, ou, plus récemment, de Pierre Gréau, aux articles très importants de Xavier du Boisrouvray ou du médecin général Adrien Carré, ici repris. Ou encore aux travaux novateurs de l’un de nos plus brillants historiens militaires, Bernard Peschot, dont le chef-d’œuvre sur la chouannerie en Anjou[13] ne fait que plus cruelle­ment encore ressortir le manque d’une synthèse équivalente sur la Vendée. Ce volume a pour but d’accumuler des matériaux en vue d’une synthèse qui reste à construire.

En effet, l’histoire érudite du xixe siècle, représentée par les sommes monumentales de Crétineau-Joly, de Gabory, de Chassin, avait, pour simplifier, une charge idéologique forte (Crétineau-Joly écrit l’histoire vue par les Blancs, Chassin l’histoire vue par les Bleus), mais un cadre stratégique faible : elle raconte ce qui s’est passé avec un grand luxe de détails et d’érudition qui en fait une référence encore indispensable[14]. Mais il n’y a pas véritablement d’approche stratégique, avec un essai de compréhension et d’interprétation de ce qui fait la spécificité du soulèvement vendéen, à savoir la persistance d’une résistance normalement condamnée à un échec rapide (que l’on songe à la réaction initiale des chefs que les paysans viennent chercher jusque sous leur lit).

Pourtant les éléments existent dès le xixe siècle. On doit citer les écrits du général de La Boéssière[15], du chef de bataillon Roguet[16], de Le Mière de Corvey[17], mais aussi les grands noms de la pensée mili­taire : si Clausewitz a peu écrit sur la Vendée[18], si Jomini s’y est montré assez peu attentif dans ses études-fleuves[19], il existe au moins un auteur qui a écrit un Précis des guerres de Vendée, c’est tout simplement Napoléon durant son exil à Saint-Helène[20]. Ouvrage incroyablement méconnu, comme la plupart des écrits militaires de l’Empereur, pourtant facilement accessible et d’une grande perspicacité.

Au xxe siècle, on ne trouve guère l’équivalent. Le dernier histo­rien militaire “global” des guerres de Vendée est Henri de Malleray, officier breveté, dont Les Cinq Vendées, terminé en 1914, ne sera publié qu’en 1924 à cause de la guerre[21]. C’est un livre précis et donc précieux, mais très factuel. Après lui le désintérêt s’installe, puis s’accentue, avec seulement des développements, plus ou moins sub­stantiels, plus ou moins précis, dans des ouvrages généraux. Un regain d’intérêt se manifeste au sein de l’enseignement militaire supérieur dans les années 1950, dans le cadre de l’étude de la guerre subversive[22]. Il retombe après la fin de la guerre d’Algérie. L’histoire militaire est marginalisée par la nouvelle histoire, centrée sur les déterminismes économiques et sociaux.

Il en résulte un décalage croissant avec les travaux historiques partiels fondés sur des sources d’archives, qui apportent quantité d’élé­ments nouveaux. Même pour les Vendéens, qui n’étaient pas aussi désorganisés qu’on l’a dit, les sources existent, comme le montre Pierre Gréau[23]. Évidemment, elles peuvent être contradictoires : le soulève­ment de 1815 aurait mobilisé 10 000 hommes d’après un rapport, 25 000 d’après un autre. Il y a encore d’énormes gisements à explorer. Mais il faut aussi reprendre les travaux des grands érudits du xixe siècle, insuffisamment sollicités, du point de vue militaire, et les mémo­rialistes, dont Alain Gérard a montré l’importance. Il en a trouvé 76, il y en a probablement d’autres qui attendent leur inventeur. Parmi eux, on trouve beaucoup de généraux, dont certains ont livré très tôt leur version : Poirier de Beauvais, Turreau, Westermann, Kléber… Toutes ces sources doivent être recoupées, comparées, intégrées dans un cadre théorique, stratégique et tactique.

De ce vaste programme, la présente introduction ne peut présen­ter qu’une esquisse, autour de deux axes : la place des guerres de Vendée dans la généalogie de la stratégie et la réinterprétation des acquis historiographiques dans un cadre stratégique structuré.

LES GUERRES DE VENDéE DANS LA GéNéALOGIE
DE LA STRATéGIE

La stratégie militaire classique est dominée, au moins dans sa version occidentale portée à son point de perfection théorique par Clausewitz, par le modèle (ou le spectre) de la bataille décisive, c’est-à-dire la recherche du dénouement de la guerre par une action d’ensem­ble aboutissant à la destruction ou la désorganisation de l’ennemi, rendu incapable de continuer le combat. C’est ce que Clausewitz appel­le la stratégie d’anéantissement, réservée aux armées régulières, suffi­samment équipées, armées et entraînées pour exécuter des manœuvres stratégiques et mettre en œuvre des tactiques élaborées dans une con­frontation d’ensemble. Les combattants irréguliers ont rarement cette possibilité, par manque d’entrainement des exécutants et de formation des chefs à l’exécution des manœuvres savantes, par manque de moyens en armements et en logistique leur permettant de soutenir des campagnes prolongées loin de leurs bases, face à un adversaire régu­lier. Au-delà de leurs formes diverses, les stratégies irrégulières ou alternatives ont en commun d’être des stratégies d’usure, qui cherchent à obtenir un résultat par l’accumulation dans la durée de petites actions susceptibles de fatiguer et de démoraliser l’adversaire. Ces stratégies alternatives peuvent être regroupées autour de deux grands groupes, la petite guerre et la guérilla.

La petite guerre est une expression apparue, en tout cas popula­risée, au xviiie siècle[24]. Mais elle renvoie à une réalité connue dès les premiers temps de la guerre, avec des appellations diverses : guerre d’embuscades à Rome, guerre des vélites à Byzance, guerre guerréante ou guerroyante au Moyen Âge, guerre de partis à partir du xvie siècle[25]… Cette petite guerre est menée par des combattants réguliers, pourvus d’une commission de l’autorité souveraine à défaut d’être toujours en uniforme ; leurs opérations s’inscrivent dans le cadre de la grande guerre, de la stratégie classique, en complément et non en opposition à celle-ci.

Elle a souvent mauvaise réputation, car les partis, opérant sur les arrières de l’ennemi et donc obligés de vivre sur le pays et livrés à eux-mêmes, s’adonnent volontiers au pillage. Mais, progressivement, à l’époque moderne, ils sont de mieux en mieux contrôlés par le com­mandement militaire, de sorte que la guerre de partis des xvie et xviie siècles devient la petite guerre, étroitement intégrée dans la manœuvre d’ensemble, au xviiie siècle. Turenne, durant la deuxième moitié du xviie siècle, reconnaît l’intérêt de la guerre de partis dans le cadre général des opérations. L’essor de ce type de guerre est lié à l’augmen­tation des effectifs et donc à l’importance accrue des communications et du ravitaillement qui multiplie les possibilités de coup de main, de harcèlement des convois et des détachements isolés.

Cette petite guerre se décline selon deux modèles :

–        l’école orientale et montée : c’est celle des Tatars lituaniens, des Slavons croates et hongrois utilisés par l’empire Habsbourg contre les Turcs, puis contre les Français dans la guerre de Succession d’Au­triche (1741-1748). Les Hongrois seront à l’origine du modèle parfait de cavalerie légère : les hussards, qui seront progressivement introduits dans toutes les armées européennes.

–        l’école montagnarde et piétonne est caractéristique de l’Euro­pe occidentale. Elle se développe au xviie siècle, d’abord à partir de troupes spéciales pour opérer dans les milieux montagneux : l’illustra­tion la plus parfaite en est les Miquelets qui combattent dans les Pyré­nées, de la guerre de Trente Ans (1618-1648) à la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714). On peut également y rattacher les partisans suédois qui jouent un rôle important dans la grande guerre du Nord (1705-1721). Dans un autre genre, on voit apparaître des compagnies franches issues des régiments de ligne, qui se spécialisent dans la traque des combattants irréguliers qui perturbent les opérations de l’armée dans certaines régions, par exemple les Chenapans (dérivés de l’alle­mand schnapans, buveurs de schnaps) durant la guerre de la Ligue d’Augsbourg.

Cette petite guerre est d’une efficacité considérable, trop long­temps sous-estimée : elle représente l’ordinaire de la guerre, quand la bataille décisive en est l’extraordinaire. Elle est théorisée à partir du milieu du xviiie siècle par des auteurs, d’abord français : La Croix, Grandmaison, La Roche…puis de tous les pays d’Europe : le roi de Prusse Frédéric II, le Hongrois Jeney, le Suédois Carl Funk (qui signe son livre JF…).

On peut se poser la question de la diffusion de cette littérature : s’il est facile d’identifier ceux qui écrivent, il est beaucoup plus difficile de connaître les lecteurs et de savoir ce qu’ils ont pu tirer de leurs lectures. Bernard Peschot a relevé la parenté entre les prescrip­tions de Grandmaison et de La Roche et les instructions sur la pacifi­cation édictées par Hoche en 1795[26]. Mais il se demande, avec raison, si cette identité résulte d’une filiation, Hoche ayant lu les auteurs de la généra­tion précédente, ou si elle découle du simple bon sens.

La petite guerre connaît un déclin relatif à la fin du xviiie siècle, avant même la Révolution. Guibert, dans ses œuvres célèbres, lues dans toute l’Europe, se montre très critique vis-à-vis de ce genre de guerre qui conduit à l’allongement des opérations. Il préfère un nouveau style fondé sur la recherche d’une décision plus rapide. C’est l’annonce de ce que fera Napoléon. Durant les campagnes de la Grande Armée jus­qu’en 1809, le rythme de progression des armées françaises est si rapide que la petite guerre n’a plus guère de sens. Elle ne reviendra sur le devant de la scène qu’à la fin de l’Empire en 1812, dans le contexte particulier de campagne de Russie, dominée par l’immensité de l’espace russe et la tradition des raids de cosaques, et de la campagne d’Allemagne en 1813, avec une armée française privée de cavalerie et donc incapable d’exploiter ses succès tactiques. Mais surtout, le relais sera dorénavant pris par la guérilla.

Celle-ci constitue le deuxième versant des stratégies alternatives, celui mené par des combattants irréguliers. On va parler de guerre de partisans ou, à partir de la guerre d’Espagne, de guérilla, désormais bien distincte de la petite guerre. La guerre de partisans ou guérilla n’est pas une annexe de la grande guerre. Elle peut être menée parallè­lement à cette dernière, comme ce sera le cas en Espagne de 1808 à 1813. Mais, le plus souvent, elle remplace la grande guerre, impossible à mener, avec deux cas de figure :

–    la guérilla succède à la grande guerre : c’est le cas de Vendée à la fin de 1793, après l’échec et la destruction de l’Armée catholique et royale qui interdit aux Vendéens de recourir plus longtemps à une stratégie (presque) classique.

–    la guérilla est acceptée d’emblée, sans plan préalable, sous forme de réaction spontanée des masses paysannes contre un ennemi trop puissant pour être affronté en terrain découvert et dans ses fiefs urbains. C’est le cas de la chouannerie, soulèvement spontané qui ne résulte aucunement d’un complot. Les travaux récents des historiens ont confirmé que le complot de La Rouerie, en 1791, avaient été très surestimés[27]. La concomitance du soulèvement dans l’Ouest de la France ne doit pas inciter à conclure à l’existence d’un complot, comme le soutenait l’historiographie républicaine du xixe siècle jus­qu’à Chassin. La quasi simultanéité des soulèvements découle très naturellement du refus de la levée en masse décidée par la loi du 20 février 1793 et dont le tirage au sort devait avoir lieu le 12 mars. La nouvelle a été connue dans les communes le 2 mars, entraînant le début de l’agitation dans les jours qui suivaient. Il n’y a pas de coordination au sommet.

La spécificité vendéenne réside, non pas dans le soulèvement, mais bien dans sa durée. À partir de 1792, l’Europe a été en guerre de manière à peu près continue et cette guerre a très vite pris une tournure que nous appellerions aujourd’hui idéologique ou totale, avec de multi­ples insurrections populaires. Or, en dehors du cas très particulier de l’Espagne, dans lequel la guérilla n’a pu se maintenir que grâce à la présence parallèle d’un corps expéditionnaire britannique qui occupait le principal des armées françaises, ranimait les énergies espagnoles et éventuellement fournissait des armes, tous ces soulèvements ont connu des échecs rapides[28]. Cela a été le cas de la guerre des paysans en Flandre en 1798, de la révolte du Nidwald (Suisse) en 1798[29], des sou­lèvements allemands en 1809 (Dörnberg en Westphalie, Schill en Prusse). Le Tyrol, sous la conduite d’Andreas Hofer en 1809-1810, a duré un peu plus longtemps en profitant du caractère montagneux du pays et de la complicité de l’administration autrichienne, mais il n’a jamais représenté une menace majeure[30].

Il y a eu, à la fin de l’empire, des appels à la guerre nationale, sur le modèle de la guérilla espagnole. Le cas le plus connu est celui de Landsturm prussien en 1813, dans lequel les nationalistes conduits par Scharnhorst et Gneisenau plaçaient beaucoup d’espoir. Mais les élites se sont très vite effrayées de ses potentialités révolutionnaires et si le roi a bien signé l’ordonnance, il l’a presque immédiatement annulée par des mesures interprétatives qui lui ôtaient toute portée[31]. Le Landsturm n’a joué aucun rôle opérationnel notable. Napoléon a tenté de retourner l’idée à son profit lors de l’invasion de la France en 1814, en accordant de véritables lettres de marque à des corsaires terrestres, mais l’initia­tive n’a eu que peu d’écho : les partis ainsi constitués ont été peu nombreux et n’ont pu influer sur le cours des opérations.

La Vendée constitue donc bien, sinon une anomalie, du moins une rupture dans l’histoire des stratégies irrégulières. Il y a eu avant elle des guérillas, mais au moins en Europe à l’époque moderne, elles n’ont jamais concerné que des régions isolées et des populations peu nombreuses. Elles ont pu représenter des gênes sérieuses, comme dans le cas des Camisards des Cévennes, durant la guerre de Succession d’Espagne[32], elles n’ont jamais constitué de menace comparable à ce qu’a pu représenter la Vendée pour la Convention, menace à la fois militaire et politique, comme le souligne le général Delmas[33]. La guerre de Vendée constitue bien le point le départ des guerres d’insurrection qui vont se développer aux xixe et xxe siècles et déboucher, sous l’impact de l’idéologie, sur la guerre révolutionnaire.

pourquoi la Vendée ?

L’Ouest n’est pas seul à avoir protégé des prêtres réfractaires, à avoir refusé l’assignat et les levées d’hommes. Il y a les Vendée temporaires ou avortées du Sancerrois, du Cambrésis, de la Corrèze, du Cantal, du Velay et de la Lozère sans oublier les camps de Jalès”[34]. Les soulèvements ont commencé dès 1791 en Bretagne avec la conspiration du marquis de La Rouerie, en 1792 encore en Bretagne avec la révolte de Nedelec, dans le Sud-Est avec le camp de Jalès. Soulèvements à tous égards prématurés et mal préparés, conduits par des chefs qui ne savent pas garder le secret et sont donc facilement réprimés. Les choses vraiment sérieuses commencent en 1793, après l’exécution du roi et la levée en masse qui occasionnent des soulève­ments un peu partout.

Il y a des révoltes urbaines, comme celle de Lyon le 29 mai 1793, d’emblée condamnée à l’échec du fait du désaccord entre la direction politique, dominée par les fédéralistes-républicains et le com­mandement militaire qu’il a bien fallu confier à des officiers royalistes, les seuls disponibles. Le général Précy fera ce qu’il pourra, mais toujours sous la surveillance soupçonneuse de la commune de Lyon, de sorte qu’il sera condamné à attendre l’assaut final ordonné par la Con­vention après l’ultimatum du 8 août[35]. Les opérations seront brèves, les combats prenant fin le 8 octobre ; deux mois seulement pour réduire l’insurrection de la deuxième ville de France. Les soulèvements dans les régions frontalières, dans le Nord ou en Alsace, sont facilement étouffés, du fait de la présence de l’armée régulière qui ne peut tolérer des désordres sur ses arrières immédiats alors qu’elle est en guerre. Mais il y a aussi de multiples soulèvements dans l’intérieur du pays : tous seront rapidement réduits[36]. Seule la Vendée géographique se transformera en véritable guerre. Cette spécificité vendéenne a toujours intrigué et l’explication commune a voulu y voir la preuve d’une irré­ductible spécificité. La guerre devait et ne pouvait se développer que dans cet environnement particulièrement propice. Ce genre d’explica­tion déterministe résiste difficilement à l’analyse.

Spécificité géographique

La Vendée était-elle inévitable ? C’était l’avis du général Dumouriez, qui aurait écrit dans son journal, dès 1791, que c’était dans cette région là qu’il fallait conduire une guerre civile. Les chefs républicains se sont volontiers abrités derrière cette excuse commode pour justifier leurs échecs, notamment le général Turreau dans ses Mémoires[37]. Kléber reprend cette idée d’un terrain favorable aux insurgés[38], comme du côté de ces derniers, Poirier de Beauvais[39].

On ne peut nier ce caractère favorable du terrain, plus accessible à des combattants locaux habitués à y évoluer qu’à une armée régulière plus lourde et issue de régions très différentes[40]. Joue aussi l’insuffi­sance du réseau routier, qui limite fortement la mobilité d’une armée[41]. Reste à savoir s’il y a vraiment là un facteur spécifiquement vendéen. Jean-Marc Lafon a mis en garde, à propos de la guérilla espagnole, contre les fausses évidences géographiques[42]. Son constat est large­ment transposable à la Vendée, comme le signalait déjà Clausewitz :

La Vendée, c’est-à-dire cette partie du Poitou et de l’Anjou qui a mené la fameuse guerre de Vendée et qui ne compte que quelques centaines de milles carrés, n’est qu’une région vallonnée et boisée loin de compter parmi ces montagnes inaccessibles[43].

Il n’y a pas de montagne, particulièrement favorable à la guérilla. La forêt est certes présente en Vendée, mais comme dans beaucoup de régions de France. Le bocage vendéen n’est pas plus serré que le bocage normand. Le marais est évidemment favorable à la guérilla, mais si le marais nantais sera le terrain d’élection de la guérilla de Charette, le marais poitevin, au sud de la Vendée militaire, ne se mon­trera pas favorable à l’insurrection : rebelle à toute autorité, il accueil­lera les réfugiés de tous bords, d’abord les républicains en fuite lors du soulèvement, puis les Vendéens après leur écrasement. Mais il ne combattra pas aux côtés de ces derniers[44]. Quant à l’insuffisance du réseau routier, elle n’est nullement une spécificité vendéenne.

Spécificité sociologique

Les historiens récents, notamment Roger Dupuy et Jean-Clément Martin, ont très fortement réagi contre l’idée d’une spécificité de la population vendéenne. Elle était loin de constituer un bloc homogène hostile d’emblée à la Révolution. Il y avait plusieurs noyaux protes­tants, par exemple à Mouchamps, qui se sont ralliés aux idées nou­velles, tout comme les élites urbaines, imprégnées des idées des Lumières. Les nobles ont participé, comme ailleurs, à l’achat des biens nationaux. Même l’exécution du roi, si elle suscite une réelle émotion, ne détermine pas le soulèvement.

La question religieuse continue à susciter la controverse : pour Jean-Clément Martin, par exemple, “l’originalité de la Vendée ne se trouve pas non plus dans la ruralité religieuse… La sensibilité religieuse paysanne imprégnée de superstitions et de dévotions paraît identique dans le Nord, en Bretagne, dans le Massif central et en Vendée”[45]. Cette négation, quelque peu méprisante à l’égard de la religion populaire, est contestée par l’historiographie “blanche” : le médecin général Carré voit une correspondance entre le rejet du protestantisme au xvie siècle et celui de la Révolution deux siècles plus tard[46], Marcel Lidove souligne le renouveau religieux suscité par les missions de saint Louis-Marie Grignon de Montfort[47]. Au moins doit-on constater l’adéquation presque parfaite entre le refus de la constitution civile du clergé et l’insurrection : le bocage et le marais sont massivement réfractaires, alors que la plaine et le Sud-Vendée reconnaissent les prêtres constitutionnels. D’où le caractère “compact” du pays insurgé, à la différence de ce qui se passera ailleurs dans l’Ouest, avec des “poches” républicaines qui gêneront l’union des paysans révoltés et faciliteront la contre-offensive républicaine. Pour paraphraser une formule célèbre, la Vendée militaire est un bloc, qui sera d’autant plus difficile à réduire.

Mais, même dans le marais et le bocage, le rejet des prêtres intrus, s’il occasionne des troubles et divise les communautés, ne conduit pas au soulèvement. C’est vraiment la levée en masse qui occasionne, en Vendée comme ailleurs, l’insurrection.

Celle-ci commence, on l’a dit, dans les premiers jours de mars, avec des troubles en de nombreux endroits. Le tournant se situe, en Vendée le 13 mars, avec l’entrée en action de Cathelineau, de d’Elbée et de Stofflet. Le lendemain, c’est le tour de Charette, de Sapinaud et de Royrand. Mais les mêmes phénomènes s’observent ailleurs. Le 20 mars, une dizaine de départements de l’ouest sont en état d’insur­rection :

  • à peu près entièrement : Morbihan, Loire-Inférieure, Vendée, Deux-Sèvres, Mayenne-et-Loire (Maine-et-Loire).
  • partiellement : Finistère, Côtes-du-Nord, Ille-et-Vilaine, Mayenne, Sarthe.

Spécificité militaire

Pourquoi le soulèvement va-t-il réussir en Vendée et échouer ailleurs ? Tout simplement à cause de la différence dans l’enchaine­ment des événements initiaux au nord et au sud de la Loire, comme le souligne Bernard Peschot[48].

Au nord de la Loire, la révolte des campagnes n’est pas unanime, particulièrement en Bretagne : “En mars 1793, la révolte se heurte, du moins au nord de la Loire, à une résistance locale active et organisée qui fragmente, refoule et isole les attroupements d’insurgés… Les « cocardes blanches » se heurtent à des « bastions bleus » et même à des contre-attaques patriotes conduites non seulement par des gardes nationales urbaines mais aussi par des milices rurales”[49]. La répres­sion est immédiate et efficace : dans le Finistère, le général Canclaux, qui dispose des troupes de Brest[50], écrase les insurgés au pont de Kerguidu, près de Morlaix, le 23 mars ; en Ille-et-Vilaine, le général Beysser forme une colonne mobile à partir du 39e régiment d’infanterie et de la garde nationale de Rennes, qu’il amalgame. Il reprend le contrôle de Redon, rétablissant les communications entre Rennes et Nantes, puis écrase les foyers insurgés procédant à une répression ciblée, mais spectaculaire, qui inspire, selon ses propres termes, “une terreur salutaire”[51]. Avant tout le monde, il a compris les règles de la contre-insurrection, notamment l’exigence d’agir très vite, pour ne pas laisser la révolte s’étendre et s’organiser. Les moyens mis en œuvre ne sont pas très considérables : la colonne, forte au départ de 1 200 hom­mes, ne compte plus, au final, que 236 hommes et 2 canons[52], car il a fallu laisser des garnisons dans les villes et bourgs repris. Dès lors, les paysans révoltés sont incapables de se réunir pour constituer des bandes suffisantes pour affronter les gardes nationales. La seule solution sera une micro-guérilla rurale qui ne s’attaque pas aux villes et qui se dérobe devant les affrontements de quelque ampleur. C’est la naissance, à des rythmes divers selon les lieux, de la chouannerie.

Au sud de la Loire, le scénario est radicalement différent, avec la défaite des gardes nationales, battues le 16 mars par Stofflet à la Butte des Hommes, près de Coron, et surtout de l’armée du général Marcé, battue le 19 mars à La Guérinière, près de Saint-Vincent Sterlanges[53]. Cette bataille, dite du Pont-Charrault, n’est pas si considérable d’un point de vue matériel : l’armée de Marcé ne comptait guère que 2 à 3 000 hommes. Mais son impact psychologique est immense, encore accru par la coïncidence avec la défaite de Neerwinden, survenue le même jour, qui ouvre le territoire à l’invasion : la nouvelle de la dispersion de cette armée par des paysans paraît incroyable. Barère, à la Convention, parle de trahison. Marcé sera arrêté, condamné et guillo­tiné en septembre. Il n’a pas trahi, mais a commis des erreurs inexcu­sables, surtout de la part d’un militaire qui s’était frotté, vingt ans auparavant, à la crochetta corse : il a été surpris par l’embuscade faute d’éclaireurs et sa troupe, récemment constituée avec des gardes nationales peu entraînées, s’est vite débandée. Les paysans n’étaient pas mieux organisés, mais ils étaient encadrés par d’anciens officiers : Sapinaud, Baudry d’Asson, les Béjarry, Royrand ; ils avaient peu d’armes à feu, mais le combat s’est déroulé presque au corps à corps. Certains avaient l’expérience de la milice[54]. Reynald Secher note que “dès la naissance de l’insurrection, le 10 mars 1793, on constate un double mouvement : d’une part, la reconstitution de véritables unités militaires par des soldats déjà entraînés (la division du Loroux-Bottereau compte 40 cavaliers, 15 dragons, 60 chasseurs à pied), d’autre part, une instruction militaire pour tous les autres hommes”[55].

La bataille du Pont-Charrault constitue un tournant. Les bandes paysannes s’organisent et occupent plusieurs villes. Le 4 avril, une structure militaire se met en place, avec la formation des :

  • armée du Poitou et du Centre, qui se dote d’un conseil militaire et élabore un règlement ;
  • armée d’Anjou, avec d’Elbée, Bonchamps, Cathelineau ;
  • Charette opérant de son côté, dans le marais.

première Vendée

Avant d’essayer de dégager les enseignements stratégiques des guerres de Vendée, il est nécessaire d’en retracer le déroulement chro­nologique, qui n’est pas simple. Napoléon soulignait déjà l’ampleur du conflit avec ses 17 batailles et 221 combats. A priori, cette histoire devrait être bien connue, à en juger par l’énorme littérature qui n’a cessé de proliférer depuis le début du xixe siècle[56]. Les ouvrages et articles se comptent par milliers. Ils ne devraient pas laisser beaucoup d’aspects dans l’ombre. On est néanmoins surpris de voir le désaccord qui persiste entre les historiens les plus renommés sur des données de base que l’on pourrait supposer parfaitement connues. Même une bataille aussi connue que celle d’Entrammes est placée par certains auteurs le 26 octobre, par d’autres le lendemain. Ce n’est que très récemment, par une comparaison systématique des sources, que Pierre Gréau a définitivement levé l’incertitude[57]. Certains livres accordent beaucoup d’importance à telle bataille qui est carrément ignorée par d’autres. Nous sommes encore loin de disposer d’une histoire événe­mentielle définitive des guerres de Vendée. Le survol qui suit ne peut donc avoir d’autre ambition que de rappeler une trame générale.

Après la bataille du Pont-Charrault et l’organisation des armées vendéennes, les opérations initiales sont presque partout favorables aux insurgés. Les troupes républicaines de Berruyer sont défaites à Che­millé par d’Elbée et Cathelineau, le 11 avril ; celles de Quétineau par Henri de La Rochejaquelein aux Aubiers, le 13 avril ; celles de Gau­villiers à Beaupréau, le 22 avril ; celle de Boisguyon par Charette à Legé, le 30 avril, dans la bataille des Moulins. Ces succès aboutissent à l’union des armées du Centre et d’Anjou qui forment l’Armée catho­lique et royale le 30 avril, mais sans commandement unifié.

Les Vendéens passent alors au stade supérieur en attaquant les villes : ils s’emparent de Bressuire le 2 mai[58] ; de Thouars le 5 mai[59] ; de Fontenay (chef-lieu du département) le 25 mai, après un premier échec le 16 ; enfin de Saumur le 9 juin. Cette dernière prise est une immense victoire, qui livre aux Vendéens d’énormes approvisionne­ments, 15 000 fusils, 50 canons, 11 000 prisonniers et semble leur ouvrir la route de Paris, plus aucune force sérieuse ne les séparant de la capitale. Henri de La Rochejaquelein, quelque peu dépassé par l’ampleur de ce succès, y voit la main de Dieu.

Toutes ces victoires renforcent la dynamique vendéenne et inci­tent les insurgés à structurer davantage leur mouvement. Le 30 mai, un Conseil supérieur est créé à Châtillon-sur-Sèvre pour administrer les territoires conquis. L’armée est réorganisée en trois branches :

  • Grande Armée catholique et royale d’Anjou et du Haut-Poitou, commandée par Cathelineau ;
  • Armée catholique et royale du Centre, commandée par Royrand ;
  • Armée de Retz et du Bas-Poitou, qui n’existe guère que sur le papier en raison de l’individualisme des Maraichins et des rivalités entre chefs : Joly, Lyrot, Charette.

Le 12 juin, après l’éclatante victoire de Saumur, l’édifice est couronné par la désignation d’un généralissime. C’est Cathelineau qui est choisi. Napoléon, qui s’y connaissait, lui rend un hommage flatteur à Sainte-Hélène : “Celui-ci avait reçu de la nature la première qualité d’un homme de guerre, l’inspiration de ne jamais laisser se reposer ni les vainqueurs, ni les vaincus”[60]. Il fera preuve d’une grande intelli­gence tactique, recourant volontiers aux stratagèmes : le 22 mars 1793, à Chalonnes, il fait allumer des feux de bivouacs nombreux pour faire croire à une armée plus forte qu’elle ne l’est  en réalité ; le mois sui­vant, sur la route de Chemillé, il dispose de faux canons pour retarder l’armée républicaine.

Durant cette première phase de la guerre de Vendée, les Ven­déens auraient pris, au dire de Kléber, “environ 80 000 fusils et près de 200 pièces de canon”[61].

Comment expliquer de tels succès ? La vision classique, large­ment colportée par l’historiographie républicaine, met en avant la fai­blesse des effectifs stationnés dans la 12e région militaire au début de l’insurrection[62]. C’était ce qu’affirmait déjà Napoléon : “À cette épo­que (début 1793), les forces républicaines, disséminées dans toute la Vendée, n’allaient pas au-delà de 15 000 hommes”[63]. Mais, comme le souligne Pierre Gréau, aux troupes de ligne, majoritairement disposées sur le littoral pour faire face à d’éventuelles incursions anglaises, il fallait ajouter les gardes nationales qui s’étaient constituées un peu partout depuis 1791[64]. C’est cette garde nationale qui avait écrasé le soulèvement de Châtillon-Bressuire en août 1792, au combat du Moulin-Cornet le 24 août. Le souvenir en était assez cuisant pour que les populations de la région restent passives au début du soulèvement et ne le rejoignent qu’après ses premiers succès. La garde nationale avait encore dispersé plusieurs émeutes et attroupements au début de 1793, notamment une émeute à La Callière le 24 février et le soulèvement d’une douzaine de communes du nord des Sables d’Olonne à partir du 2 mars

Durant la phase initiale, marquée par la série de victoires ven­déennes que nous venons d’évoquer, on trouve quand même des géné­raux républicains qui résistent :

  • Boulard tient la côte : après avoir repoussé l’attaque des insurgés contre les Sables d’Olonne le 24 mars, il contre-attaque le 8 avril avec une colonne mobile. Il occupe Challans, capitale du marais breton, le 12, sans que les chefs maraichins puissent s’y opposer. Charette est battu à Saint-Gervais le 17[65]. Boulard reprend Machecoul le 22 avril, Noirmoutier est reprise le 27 avril par une opération amphi­bie. Les insurgés sont coupés du littoral.
  • Westermann, aidé il est vrai par le souvenir de l’année précédente, tient la région de Bressuire ;
  • Chalbos, pourtant battu à La Châtaigneraie le 13 mai, repousse d’Elbée à Fontenay le 16 mai, mais il n’exploite pas son succès, permettant le retour offensif des Vendéens le 25.

Surtout, la phase initiale de la guerre révèle déjà la faiblesse stratégique des Vendéens, incapables de consolider leurs conquêtes : Thouars est réoccupée par les républicains le 7 mai ; Fontenay est évacuée par les Vendéens le 28 mai (ou le 30, selon certains) ; le raid sur Angers, occupée sans résistance le 17 juin (la ville a été évacuée par les républicains dès le 13), est sans lendemain ; Saumur est réoccupée par les républicains le 26 juin.

Les armées républicaines vont bénéficier de renforts réguliers. Les premiers interviennent dès avril avec 12 bataillons parisiens, 15 compagnies de canonniers et la légion germanique… Certes, leur quali­té est douteuse, c’est aussi un moyen pour les autorités parisiennes de se débarrasser des fédérés du 10 août 1792, devenus bien encombrants. Bon nombre de volontaires à 500 livres (montant de leur prime) s’éva­porent pendant le trajet. Néanmoins, quelques-uns arrivent, suivis, en mai, par de nouveaux renforts envoyés après la prise de Fontenay.

Le tournant va se situer durant l’été, avec le décret du 23 août qui envoie en Vendée l’Armée de Mayence, bien commandée et entraî­née[66]. Elle comprend, entre autres, deux bataillons de tirailleurs qui seront précieux contre les Vendéens, les Chasseurs de Cassel (ou Kas­tel) et la Légion des Francs. En novembre, deux colonnes de l’Armée du Nord, là aussi composées de soldats aguerris, seront encore envoyées.

Il en résulte une très forte croissance des effectifs républicains. On ne peut en donner que des estimations, en raison de l’écart constant entre les effectifs théoriques et les effectifs réellement disponibles. Claudy Valin propose les ordres de grandeur suivants :

  • printemps 1793 : 9 à 17 000 hommes ;
  • 15 août 1793 : 20 à 30 000 hommes, représentant 38 ba­taillons ;
  • 30 octobre 1793 : 40 à 70 000 hommes, représentant 71 ba­taillons ;
  • 30 janvier 1794 : 55 à 98 000 hommes, représentant 98 ba­taillons[67].

Face à un tel déferlement patriotique, l’initiative va progressi­vement changer de camp.

Après Saumur, le commandement vendéen ne peut que constater l’impossibilité de marcher sur Paris en raison de la désorganisation de l’armée. Il décide d’attaquer Nantes pour disposer d’un port et relier la Vendée à la Bretagne. C’est une décision stratégiquement correcte, qui recueille un assentiment général. Charette lui-même accepte d’apporter son concours. Chassin y voit pourtant une erreur politique majeure, au moment où les Girondins étaient mis hors-la-loi à Paris. Ce fut une “faute capitale des catholiques-royalistes d’avoir attaqué Nantes au moment où cette ville s’engageait dans la coalition contre la Monta­gne”[68]. C’est l’exemple de reconstruction a posteriori. Les Vendéens ne pouvaient avoir de connaissance précise du jeu politique parisien et il est plus que douteux qu’ils eussent pu tirer un réel profit de l’affron­tement entre Girondins et Montagnards.

La ville de Nantes n’est pas mieux défendue que Saumur, mais le commandement républicain y est plus résolu, avec les généraux Can­claux et Beysser et le maire Baco de La Chapelle. L’attaque vendéenne se déclenche le 29 juin au matin. L’avancée est rapide malgré la résistance des défenseurs. Les Vendéens pénètrent jusqu’à la place des Agriculteurs (aujourd’hui place Viarmes), mais le prince de Talmont commet une erreur majeure en fermant aux républicains la voie de retraite que le plan initial laissait ouverte[69] ; c’est condamner les répu­blicains à une résistance désespérée. Le tournant de la bataille survient en fin de matinée, avec la blessure de Cathelineau abattu par un tireur isolé (il mourra le 14 juillet). Les Vendéens, démoralisés, se retirent.

Au sud, l’Armée du Centre enregistre un échec comparable, avec la première bataille de Luçon, le 28 juin, perdue à cause d’une trop lon­gue marche d’approche, du manque de renseignements sur le dispositif ennemi (on n’a pas envoyé de reconnaissance) et du manque de muni­tions. Malgré la fuite de leur chef, le général Sandoz, les républicains se défendent bien, une utilisation judicieuse de leur cavalerie entraîne la déroute des Vendéens[70].

L’initiative change alors de camp et les républicains montent une offensive contre la Vendée. Elle s’ouvre par une victoire à Châtillon le 3 juillet, mais elle est mise en échec dès le 5 juillet à la bataille du Mont-Gaillard : le général Westermann est battu, laissant 5 000 morts et blessés sur le terrain. Les républicains n’en repartent pas moins à l’assaut, sous le commandement du général Santerre. Mais celui-ci est battu à Vihiers le 18 juillet. L’armée républicaine est déstabilisée par les intrigues parisiennes, avec la destitution de tous les officiers ci-devant nobles, remplacés par des incapables comme Rossignol et Santerre.

En face, d’Elbée est nommé généralissime le 19. Sapinaud de La Verrie est tué le 25 juillet lors d’une incursion républicaine[71], il est remplacé à la tête de l’Armée du Centre par Lescure.

Les Vendéens font une nouvelle tentative contre Luçon le 30 juillet. La deuxième bataille de Luçon est une défaite, avec 2 500 morts contre 100 chez les républicains. Le commandement vendéen s’obstine néanmoins, avec une dernière tentative le 14 août. Tout le monde y participe, même Charette. L’armée ainsi réunie compte 40 000 hommes, dont beaucoup ne sont pas armés. Cette troisième bataille de Luçon est encore un échec, particulièrement coûteux, avec 5 000 morts contre 100 chez les républicains. La défaite est imputable au manque de coordination entre les chefs vendéens (un seul prisonnier à l’aile droite), au manque de munitions et à l’incapacité des paysans vendéens d’affronter une armée régulière en plaine. Elle aura des conséquences stratégiques majeures. Fontenay est définitivement reprise par les répu­blicains le 16 août. Surtout, la mésentente s’installe au sein du com­mandement vendéen : Charette fera désormais cavalier seul[72].

En exécution du décret du 1er août de la Convention sur la destruction de la Vendée, un nouveau plan d’attaque est élaboré par les républicains lors d’un Conseil de guerre qui se réunit à Nantes le 2 septembre. L’absence de commandement unique se fait sentir et l’on décide d’attaquer à partir de Nantes et de Saumur. Cette division des forces va avoir des effets funestes. L’armée de Saumur, commandée par Santerre et essentiellement composée de nouvelles levées, est mise en déroute à Coron le 18 septembre. Une deuxième colonne, commandée par le général Duhoux, est battue au Pont-Barré[73] le lendemain 19 septembre. L’armée de Saumur est mise hors de cause.

Le général Canclaux attaque à partir de Nantes. Son avant-garde, commandée par Kléber, est battue à Torfou le 19 septembre. Le général Beysser est battu par Charette et d’Elbée à Montaigu le 21 septembre et Mieszkowski, qui a remplacé Boulard malade, est battu à Saint-Fulgent le 22 septembre. Au sud, le général Lecomte a été battu à Chantonnay dès le 5 septembre. Le plan républicain se termine par un échec total.

Canclaux n’en repart pas moins à l’offensive dès la fin du mois. Il obtient un premier succès aux Treize-Septiers le 6 octobre. Mais, révoqué comme noble, il est remplacé par Léchelle, incapable notoire. Celui-ci essuie un échec sévère à la bataille de Châtillon, dite aussi du Moulin-aux-Chèvres le 11 octobre, échec effacé par un retour offensif de Westermann dans la nuit, qui balaie sans effort les Vendéens trop occupés après leur succès à vider les caves de la ville. De son côté, l’armée commandée par Kléber s’avance vers Cholet. Les Vendéens sont battus à La Tremblaye le 15 octobre : l’armée républicaine, épui­sée, ne peut exploiter son succès, mais Lescure est mortellement blessé. Deux jours plus tard, c’est la bataille décisive de Cholet : le comman­dement vendéen, très divisé, s’est finalement rallié à l’idée d’une offensive. Les Vendéens, avec leur fougue habituelle, bousculent les Républicains, qui ne s’attendaient pas à pareil retour offensif, mais Kléber a disposé une réserve, dont l’attaque de flanc jette la panique dans les rangs vendéens[74]. Un dernier effort des chefs vendéens, qui lancent une colonne contre le centre ennemi, est balayé par deux canons tirant presque à bout portant (sur le modèle de ce qui était arrivé à la colonne anglaise à Fontenoy). C’est la déroute, Bonchamps et d’Elbée sont blessés à mort.

À l’instigation de Bonchamps, qui y avait songé bien avant la bataille de Cholet, le Conseil vendéen décide de franchir la Loire, malgré l’opposition de La Rochejaquelein et de Lescure mourant (ce dernier aurait déclaré : “Si je tenais le jean-foutre qui nous fait passer la Loire, j’utiliserais mes dernières forces pour lui bruler la cer­velle”[75]. Le but est de soulever la Bretagne et de disposer d’un port pour recevoir de l’aide des émigrés et des Anglais. L’armée vendéenne vaincue, accompagnée d’une foule de fuyards, peut-être 100 000 per­sonnes au total, passe la Loire à Saint-Florent-le-Vieil le 18 octobre. Les républicains disposent de canonnières fluviales qui auraient pu bloquer le passage, mais, par suite du désordre du commandement, elles sont restées à Nantes. Le 20, le Conseil élit La Rochejaquelein à la place de d’Elbée. L’armée républicaine, commandée par Léchelle, poursuit avec mollesse. Le 26 octobre, elle subit une défaite sérieuse à Entrammes[76] qui ouvre à l’Armée catholique et royale toutes les possi­bilités de manœuvre, mais le commandement vendéen ne va pas savoir en profiter : la majorité du Conseil décide de marcher vers la Nor­mandie pour joindre les fédéralistes du Calvados et les Anglais. C’est le véritable début de la Virée de Galerne avec une armée républicaine, maintenant commandée par Rossignol, aux trousses de l’armée vendéenne.

Les 14 et 15 novembre, c’est le siège de Granville qui se termine par un échec faute de moyens du Génie. L’Armée catholique et royale y perd son artillerie et surtout le désordre s’installe, les paysans n’ayant plus qu’une seule idée, rentrer chez eux. La pression républicaine les ramène à la réalité et leur redonne un semblant d’ordre. Le 18 novem­bre, à la bataille de Pontorson, La Rochejaquelein bouscule l’avant-garde du général Tribout, non soutenu par Kléber, et ouvre aux Vendéens la route de Dol. Westermann attaque le 21 novembre à Dol et subit un échec. Le lendemain, le 22 novembre, ce sont de nouvelles victoires vendéennes au combat de Baguer-Pican et surtout à la bataille d’Antrain contre Kléber et Rossignol : les républicains perdent 10 000 hommes, mais La Rochejaquelein ne parvient pas à imposer à ses troupes la marche vers Rennes. L’Armée catholique et royale redescend droit sur la Loire pour attaquer Angers les 3 et 4 décembre. Elle ne parvient pas à s’emparer de la ville et se retire vers Le Mans où elle subit une défaite totale les 12 et 13 décembre, avant le désastre final de Savenay le 23 décembre[77]. Au moins 15 000 morts et autant de pri­sonniers, c’est la fin de la Virée de Galerne et de l’Armée catholique et royale. Seuls, quelques petits groupes avec La Rochejaquelein et Stofflet, ont pu franchir la Loire à Ancenis le 16, les chouans de Jean Cottereau étant précédemment rentrés chez eux. Le général Wester­mann peut écrire à la Convention : “Il n’y a plus de Vendée”.

Pendant ce temps, Charette, qui avait refusé de participer à la Virée de Galerne, continue à résister en Basse-Vendée, réoccupant même l’île de Noirmoutier le 12 octobre. Mais il est dorénavant accablé sous le nombre. En novembre et décembre, les républicains prennent le contrôle du Marais et du littoral. Noirmoutier est reprise le 3 janvier 1794[78]. Charette, encerclé dans l’île de Bouin, échappe à ses poursui­vants[79] et se réfugie en forêt de Gralas, il ne lui reste que 200 ou 300 partisans. Malgré cela, il persiste à ne pas s’entendre avec La Rochejaquelein. Celui-ci est tué le 28 janvier 1794 près de Cholet : “La Rochejaquelein n’avait que 21 ans, qui sait ce qu’il fût devenu ?”[80]. C’est la fin de la première Vendée.

deuxième Vendée

De même que la chouannerie est une Vendée avortée, la Vendée vaincue devient chouannerie”[81]. Cette formule percutante n’est que partiellement exacte. Certes, il n’y aura plus de grandes batailles, mais Charette ou Stofflet ne vont quand même pas en être réduits aux actions de détail de Jean Chouan ou de Cottereau, ils vont continuer à com­mander à des forces de plusieurs centaines d’hommes, parfois plusieurs milliers, qui vont accrocher sévèrement les troupes républi­caines. Ce n’est plus la grande guerre de 1793, ce n’est pas non plus une microguérilla, comme l’est la chouannerie. D’ailleurs, loin de diminuer comme on devrait s’y attendre, les effectifs républicains continuent à croître, pour culminer, à l’été 1794, à 137 bataillons, un tiers de plus qu’à la fin de la Virée de Galerne.

Normalement, une telle prolongation de l’insurrection n’aurait pas dû se produire. Après l’écrasement de l’Armée catholique et royale, les Vendéens n’aspirent plus au repos, ils sont prêts à se soumettre. La politique terroriste de la Convention va relancer une guerre sur le point de s’achever. Le général Kléber propose un plan de pacification fondé sur la création de points d’appui à partir desquels opéreront des colonnes mobiles. Mais la Convention, fidèle à son objectif d’extermi­nation de la Vendée, lui préfère le plan du général Turreau,² qui prévoit la répression la plus sauvage. L’idée est de venir à bout des “brigands” par la destruction de leur environnement. Tout doit être livré aux flammes, la population massacrée ou déportée. Le 20 janvier 1794, les Colonnes infernales entrent en action, pillant et tuant[82]. Les paysans n’ont d’autre solution que de reprendre les armes pour une résistance désespérée. “Les ordres du comité de salut public, si fidèlement exécuté par ses généraux, au lieu d’anéantir la Vendée, armèrent de nouveaux bras”[83].

Si la première incursion des colonnes a effectivement été une “promenade”, comme l’annonçait plaisamment Turreau, la deuxième suscite une forte réaction vendéenne. Les paysans connaissent mieux le terrain, leur mobilité est supérieure, alors que l’armée républicaine, comme toute armée s’abandonnant au pillage et aux dévastations, perd rapidement de sa valeur militaire. Elle est, en outre, affaiblie par les prélèvements destinés aux armées du Rhin et des Pyrénées et par la maladie. Les colonnes sont constamment attaquées et vont subir les effets d’une stratégie d’usure : la colonne de Crouzat est étrillée par Stofflet à Gesté le 1er février, en trois engagements successifs ; la colonne de Grignon et de Lachenay est battue par Charette à Chauché le 2 février ; le général Moulin est battu et tué à Cholet le 8 février, mais l’arrivée de la colonne Cordellier oblige Stofflet à évacuer aussitôt la ville ; la colonne de Cordellier est mise en déroute par Charette et Guérin, dit “la terreur des bleus”, à La Vivantière le 28 février : il n’y a pas de combat sérieux, la colonne de gauche, commandée par Crouzat, étant emportée par la panique de la colonne de droite, commandée par Martincourt, qui avait commencé le massacre des Lucs[84], mais s’était débandée dès le premier contact avec les combattants vendéens ; la colonne de Lusignan est battue par Stofflet près de Vézins le 4 mars[85] ; le même Stofflet bat la colonne de Grignon à la Butte des Oulleries le 18 mars, mais Grignon parvient à investir son camp une semaine plus tard, dans la forêt de Vézins, en massacrant tous les occupants (3 000 dit-on ; on parlera du “champ des Martyrs”), suscitant un retour furieux de Stofflet contre le camp de Grignon : la deuxième bataille de la Butte des Oulleries, le 27 mars, est l’une des plus sauvages de toutes, elle se termine par la déroute complète de Grignon ; le général Haxo (qui ne commande pas une colonne infernale) est tué en poursuivant Charette le 20 mars ; la colonne de Dusirat est étrillée par d’Elbée à Saint-Pierre, près de Chemillé, le 7 avril, puis par Stofflet aux Aubiers le 5 mai ; le général Amey est lourdement battu par Marigny à Clisson, le 18 avril. Ce ne sont que quelques-uns des accrochages qui se produisent continuellement et qui, même s’ils ne tournent pas tous à l’avantage des Vendéens, entraînent une usure extrême de l’armée de Turreau, de plus en plus de soldats s’enfuyant sans combattre.

Turreau a beau envoyer des messages rassurants, sinon triompha­listes, revendiquant “non pas des victoires éclatantes mais des succès réels et quelques échecs”, la Convention est bien obligée de constater que l’anéantissement des brigands, qu’on lui promettait rapide, n’est toujours pas réalisé. Dès le 13 février, le ministre de la Guerre lui exprime son mécontentement devant ses médiocres résultats : Le Comité de salut public “voit avec peine le système de dissémination des forces qui est le même qui nous a été si préjudiciable. Et il y a le défaut de vigilance dans le service, et de punition des chefs de poste qui se laissaient surprendre ou qui ne résistent pas… Quoique tu n’aies pas mandé la guerre de Vendée radicalement éteinte, cependant tu n’avais pas dépeint les choses au point de nous présenter des corps nombreux se promenant avec hardiesse”[86]. À plusieurs reprises, la Convention somme Turreau de finir cette guerre “impie” fixant même un délai de quinze jours, sans résultat évidemment. Le 17 mai, avant la fin de la Terreur (Robespierre tombe le 9 thermidor, c’est-à-dire le 27 juillet), il est relevé de son commandement. Il est remplacé par Vimeux, ancien de Mayence, puis en août par Dumas, qui reprennent le plan de Kléber avec des camps permanents d’où rayonnent des colonnes mobiles qui n’ont plus comme mission de pratiquer la terre brulée, mais de chasser les bandes vendéennes. Celles-ci subissent un échec au combat de Challans qui aggravent les dissensions en leur sein, avec la condamna­tion et l’exécution de Joly. Ce sont 9 puis 11 et finalement 14 camps retranchés qui encerclent Charette et Stofflet.

Mais les forces républicaines sont épuisées : prié de fournir 14 000 hommes pour une offensive générale, Dumas ne peut en offrir que 2 à 3 000[87]. Les réduits royalistes restent solides et bénéficient d’un bon ravitaillement. Charette va opérer un retour offensif foudroyant en septembre, s’emparant successivement des camps de La Roulière le 8[88], de Freligné le 15[89], de Moutiers-les-Mauxfaits le 24. Le général Dumas, démissionnaire[90], est remplacé par le général Canclaux. Bon connaisseur de la région, celui-ci recommande des négociations. Celles-ci sont désormais possibles depuis la fin de la Terreur et la disparition de la crainte d’une invasion (la victoire de Fleurus, le 26 juin, a redonné l’initiative aux armées françaises face aux alliés).

Le 2 décembre 1794, la Convention décrète une amnistie générale pour les Vendéens et entame des négociations avec les chefs royalistes. Le 17 février 1795, Charette et Sapinaud de La Rairie signent le traité de La Jaunaye. Les Vendéens obtiennent la liberté de culte de l’exemption d’impôts et de conscription pour dix ans, ils conservent une force armée soldée par la République, leurs dettes sont payées. Stofflet refuse le traité mais, battu à Chalonnes-sur-Loire le 18 mars, à Saint-Florent-le-Vieil le 22 mars, à Chanzeaux le 10 avril, il doit signer la paix de Saint-Florent le 2 mai, tandis que la plupart des chefs de la chouannerie bretonne signent la paix de La Mabilais le 20 avril. Les provinces de l’Ouest semblent pacifiées.

En fait, ce ne sont que de simples suspensions d’armes. La Répu­blique en profite pour réorganiser et renforcer son dispositif militaire. Le “traité” de La Jaunaye contient, par ailleurs, nombre d’ambiguïtés qui le rendent peu viable[91]. Ce n’est donc pas une véritable surprise si, le 25 juin 1795, Charette reprend les armes, au moment où la Royal Navy débarque 3 000 émigrés à Quiberon, où ils vont être rejoints par plusieurs milliers de chouans. Mais la masse des paysans, satisfaite de la fin des colonnes infernales et de la persécution religieuse, suit mal. Le 31 août, le Comité de salut public nomme le général Hoche commandant en chef de l’Armée de l’Ouest, en remplacement de Canclaux malade, après le refus de trois généraux, dont Bonaparte. Il commandait l’Armée des Côtes de Brest depuis le 1er mai et va y ajouter l’Armée des Côtes de Cherbourg dès le 17 septembre, les trois armées étant fusionnées le 26 décembre pour former l’Armée des Côtes de l’Océan. L’unité de commandement est réalisée à son profit. Il va bénéficier d’une complète liberté de manœuvre, sans ingérence des représentants sur place, et de l’appui des autorités parisiennes qui vont lui permettre de mettre en œuvre une politique de pacification comportant un volet politique et un volet militaire.

Sur le plan politique, il confirme le maintien de la liberté reli­gieuse, et traite avec beaucoup d’égards le clergé. Le retour de la disci­pline met fin au pillage et aux violences. La population est désarmée par un procédé simple et efficace : les récoltes et le bétail sont pris en otages et rendu aux propriétaires en échange de leurs armes. Sur un plan militaire, après avoir liquidé le réduit de Quiberon, qui capitule le 21 juillet, il reprend et intensifie le système des colonnes mobiles qui vont traquer Charette sans relâche.

Après avoir repris les armes, Charette se dirige vers le littoral, poursuivi par les colonnes de Hoche. Des navires britanniques lui apportent des armes et des munitions les 10 et 11 août à Saint-Gilles-sur-Vie, mais il subit un échec à Saint-Cyr-en-Talmondais le 25 sep­tembre et il enregistre sa grande déconvenue sur la plage de Saint-Jean-de-Monts le 16 octobre, puisque le comte d’Artois, installé à l’île d’Yeu depuis le 2 octobre, a finalement renoncé à débarquer. Ainsi que Charette l’a immédiatement compris, cette dérobade du prince entraîne la dislocation du gros de son armée, les paysans choisissant de rentrer chez eux. Ne reste avec lui que le noyau de ses fidèles. Il va être successivement approché aux combats de Savigny le 17 novembre, de Chatenay le 28 novembre, de La Thibaudière le 2 décembre et de L’Oie le 6 décembre, pendant que Sapinaud est battu à Clisson le 25 novem­bre. Charette est de nouveau accroché à La Bruffière le 2 janvier 1796, à La Créancière le 15 janvier et à La Bignonnière le 16 janvier. Il livre ses derniers combats à La Bignonnière le 21 février et à La Chauvière le 28 février. Il n’est plus qu’un homme traqué avec une poignée de partisans, poursuivi sans relâche par des colonnes qui quadrillent le pays. Capturé à La Chabotterie le 23 mars, il est fusillé à Nantes le 29.

De son côté, en Anjou, Stofflet a repris les armes le 26 janvier 1796, mais il n’a réussi à entraîner que 400 hommes. Son attaque contre Chemillé échoue. Capturé le 24 février, il est fusillé le lendemain. Son successeur Forestier est obligé de fuir en Espagne, l’armée d’Anjou est détruite. En juillet 1796, l’état de siège est levé dans les départements de l’Ouest. C’est la fin de la deuxième Vendée.

interprétation stratégique et tactique

Les guerres de Vendée apparaissent aujourd’hui comme le labo­ratoire des guerres insurrectionnelles contemporaines. On l’a dit, leur étude proprement stratégique reste largement à faire. On peut, au moins, suggérer quelques pistes.

Grande guerre ou guerre irrégulière ? La loi de Callwell

La guerre de Vendée pourrait être une bonne illustration de la loi de Callwell, qui affirme la supériorité stratégique et l’infériorité tactique des irréguliers[92]. Supériorité stratégique parce qu’ils sont plus mobiles qu’une armée régulière encombrée de matériel et de bagages, dépendantes de ses lignes de ravitaillement. Infériorité tactique face à la même armée régulière capable d’exécuter des manœuvres savantes et de garder sa cohésion sous le feu et au plus fort de la bataille, grâce aux automatismes acquis par l’entraînement et la discipline. La pensée stratégique contemporaine a quelque peu modifié cette loi en parlant de supériorité opérative, c’est-à-dire purement militaire à l’échelle du théâtre d’opérations, plutôt que stratégique, à l’échelle de la conduite d’ensemble de la guerre : en effet, le manque de coordination au sommet interdit aux irréguliers toute planification stratégique et toute exploitation de leur succès tactique. Cette infériorité stratégique ne disparaîtra qu’au milieu du xxe siècle, avec le passage de la guérilla à la guerre révolutionnaire encadré, par un parti politique.

En règle générale, il est très difficile de passer d’un genre de guerre à l’autre, de la guerre réglée à la guerre irrégulière. La différence dans les procédés tactiques révèlent d’abord un abime culturel. Alain Gérard insiste, avec raison, sur le fossé entre les officiers vendéens et leurs hommes. Un ancien officier de l’armée royale ayant rejoint les Chouans le dit très clairement : “Il nous fallut prendre ce genre de guerre et oublier la tactique des troupes régulières”[93]. Cela vaut aussi, dans une large mesure, pour la Vendée.

C’est le génie particulier de Charette de réussir cette mutation et donc de permettre la prolongation du combat de la Vendée[94]. Officier de marine, il n’a pas les préjugés, on pourrait presque dire les inhi­bitions des officiers de l’armée. Incapable de s’adapter à la grande guerre, de s’intégrer dans un dispositif d’ensemble, il comprend, sinon d’emblée[95], du moins très rapidement, la nature de la guérilla, avec un vrai sens tactique et même stratégique. C’est pour cela que sa résis­tance se prolongera si longtemps, obtenant un retentissement dans toute l’Europe : il recevra même une lettre du généralissime russe Souvoroff, qui lui parviendra, mais à laquelle il ne pourra répondre. 

Ce décalage énoncé par la loi de Callwell n’est cependant pas automatique. Les armées vendéennes ont souvent été battues en rase campagne, mais elles ont quand même enregistré des victoires d’une réelle ampleur, à Torfou, à Entrammes, à Pontorson, à Antrain. La solidarité sans faille des groupes élémentaires[96] (ici, les compagnies de paroisses), le courage des chefs et des combattants, l’adaptation au terrain, le coup d’œil[97], suppléent au manque de discipline militaire. Par ailleurs, les paysans vendéens avaient souvent l’expérience de la milice, étaient encadrés par d’anciens officiers de l’armée royale, on l’a dit, et l’Armée catholique et royale était loin d’être aussi désorganisée qu’on l’a prétendu, le ravitaillement était facilement assuré, il y avait une imprimerie[98], une caisse (le trésorier est parti avec, durant la Virée de Galerne) et même un embryon de service de santé[99]. Leurs plus farouches ennemis reconnaissent cette efficacité des Vendéens au combat, ainsi les représentants Richard et Choudieu :

Leur manière de combattre ne ressemblait en rien à notre tactique militaire : elle déconcertait tous les calculs. Elle était adaptée à leurs habitudes et au pays qu’ils défen­daient. Toujours tapis dans les genêts, dans les fossés et dans les haies ils se présentaient au moment où on les croyait éloignés. Dans le combat, ils s’avançaient en grosse masse, et bientôt se déployant à droite et à gauche, ils se précipitaient sans ordre et avec fureur sur nos bataillons et nos batteries. Pour résister à ce choc impé­tueux, il aurait fallu des troupes aguerries ou des hommes dévoués à la défense de la liberté[100].

En sens inverse, l’infériorité opérative des armées régulières s’amenuise au fur et à mesure que la guerre se prolonge : Kléber et Hoche réussissent cette adaptation opérative face à des combattants irréguliers. Processus tout à fait classique, dont on verra la répétition dans maints conflits asymétriques jusqu’à la guerre d’Algérie, avec l’initiative obtenue par les armées françaises dans le cadre du plan Challe.

Les Vendéens disposent d’un avantage militaire décisif grâce à leur position centrale. Combinée à leur mobilité supérieure, celle-ci leur permet de se porter rapidement, en nombre, face à des armées républicaines dont la dispersion est aggravée par l’incompétence du commandement. Leurs adversaires en prennent vite conscience, comme en atteste le rapport de Richard et Choudieu : “Les rebelles, placés au centre du cercle que formaient nos forces, se portaient avec rapidité sur les points qui leur convenaient et nos corps étaient toujours trop faibles pour résister séparément et trop éloignés pour se prêter un mutuel secours”[101]. Cela ne veut pas dire qu’ils s’efforcent d’y porter remède.

Le plan arrêté de Saumur le 2 septembre 1793 en est l’exemple le plus flagrant, sévèrement critiqué par Napoléon : “Il était difficile de rien concevoir de plus absurde : les divisions, opérant ainsi isolément, marchaient à des revers certains”[102]. Les armées républicaines sont également confrontées au problème classique des récriminations des autorités locales qui ne veulent pas laisser partir “leur troupe”, empê­chant ainsi la constitution d’une marche de manœuvre.

Sur un plan militaire, la contre-guérilla requiert une adaptation à l’ennemi irrégulier. “Il faut opérer en partisan partout où il y a des partisans” dira plus tard Napoléon[103]. La mobilité est une règle d’or qui révèle, en Vendée comme ailleurs, sa supériorité sur les dispositifs tactiques. Les colonnes mobiles faisant la chasse aux bandes d’irrégu­liers sont toujours plus efficaces que les systèmes de cantonnement et de cordon, qui n’arrivent jamais à arrêter des irréguliers connaissant parfaitement le moindre itinéraire. C’est ce que Kléber suggérera, sans l’obtenir, et que Hoche finira par imposer.

Dans ce genre de guerre, le renseignement joue un rôle primor­dial. Les Vendéens communiquent par moulins interposés, la position des ailes correspondant à un message convenu. Mais ils sont aussi capables d’intercepter le courrier des soldats républicains et de l’ex­ploiter[104]. En face, la grande faiblesse des armées républicaines est leur incapacité à connaître l’organisation et les intentions de leurs adver­saires. Malgré la présence de nombreux patriotes dans la quasi-totalité des bourgs de Vendée, elles sont, au départ, très mal renseignées sur les “brigands”. Un premier redressement se produit lors de la Virée de Galerne, lorsque le commandement républicain s’adjoint les services de Savary, originaire de la région et président du tribunal de Cholet, qui va faire fonction de chef d’état-major et éclairer les généraux sur la nature du terrain et de l’adversaire. Hoche sera un maître du renseignement, n’hésitant pas à recourir aux services de toutes les catégories : royalistes retournés, femmes amoureuses, traitres acquis à la concilia­tion. Du renseignement on glisse vite à l’action et même à l’intoxica­tion : le rôle d’Obenheim, transfuge républicain qui conseille au commandement vendéen l’assaut de Granville, reste discuté, mais c’était très certainement un agent républicain qui a délibérément engagé les Vendéens dans cette direction aventureuse (il le savait mieux que personne, puisqu’officier du Génie, c’est lui qui avait mis Granville en état de défense). Des deux côtés, on recourra des agents opérant sur les arrières de l’ennemi avec de faux uniformes : on les appellera les contre-bleus et les faux-chouans, toujours avec l’idée de soulever la population contre les auteurs présumés de ces exactions.

Pour finir, la réponse politique l’emporte sur la réponse militaire. La pacification donne toujours de meilleurs résultats que la répression, cela est vrai en Vendée comme cela le sera encore au xxe et au xxie siècles, en Malaisie, en Irak, en Afghanistan… Là encore, le général Hoche l’a parfaitement compris : “Ne perdons jamais de vue que la politique doit avoir beaucoup de part à cette guerre”[105]. Il plaide pour le respect du clergé : “La pacification du pays tient à ces êtres”[106].

La pacification va s’opérer par étapes : après la fausse pacifica­tion de La Jaunaye, ce sera la “pacification militaire du général Hoche, un désarmement obtenu par un mélange de ruse, de chantage et de bienveillance”[107], en attendant la pacification religieuse réalisée par Bonaparte, et la pacification politique qui n’interviendra que beaucoup plus tard[108].

Le problème du commandement

Le facteur décisif dans la guerre de Vendée réside, comme souvent dans l’histoire de la guerre, dans le commandement. Alain Gérard parle avec raison de “commandement impossible”[109]. Le paysan vendéen attend de son chef qu’il montre l’exemple, qu’il soit le pre­mier au combat… Et c’est ce qu’il fait, avec la plus extrême bravoure, au point de se faire souvent tuer. Le résultat est glorieux pour l’épopée, mais désastreux sur un plan pratique : à la bataille de Cholet, lorsque se déclenche la contre-attaque de la réserve d’Haxo, il n’y a personne pour parer le coup : La Rochejaquelein, Bonchamps, d’Elbée sont occupés à combattre en première ligne. Surtout, la défaillance la plus profonde des Vendéens réside dans les rivalités inexpiables entre leurs chefs qui les ont presque constamment privés du bénéfice de l’un des principes primordiaux à la guerre : l’unité d’action. Napoléon y a insisté à maintes reprises dans son Précis des guerres de Vendée :

Le 10 avril 1793, ces corps divers, sans avoir combiné leurs mouvements, se mirent en campagne. Il ne leur manquait qu’un général en chef, un prince surtout, pour en faire une armée conquérante… Si les chefs royalistes n’avaient pas eu chacun la fièvre du commandement et qu’ils eussent réuni leurs forces, il n’est pas douteux que tout l’ouest de la France se détachait de la République[110].

Dans le marais, “les Vendéens ne surent pas tirer parti des avan­tages qu’ils pouvaient rendre décisifs à cette époque … Si les opéra­tions de la Basse Vendée eussent été, comme cela devait être, combi­nées avec celles de la haute Vendée, la République était infailliblement vaincue”[111]. Fin septembre 1793, face à l’offensive républicaine, Charette reste à l’écart : “Cette conduite était un grand crime dans une pareille circonstance, où il s’agissait du salut de son parti… Les haines personnelles qui existaient entre les chefs des deux Vendées s’étaient réveillées avec plus d’animosité encore depuis le siège de Nantes et la mort de Cathelineau. Charette fut, dans cette circonstance, un mauvais chevalier ; il trahit la cause vendéenne en refusant de marcher”[112]. On trouve une opinion semblable chez la marquise de La Rochejaquelein, rapportant l’altercation entre Charette et Henri de La Rochejaquelein après leur entrevue de Maulévrier, le 22 décembre 1793, avec la réplique du second : “Je suis accoutumé non à suivre, mais à être suivi”[113].

Après la mort de La Rochejaquelein qui avait réussi, malgré tout, à s’imposer à peu près à tous, la mésentente s’aggrave. Charette dans le marais et Stofflet dans le bocage opèrent chacun de leur côté. “Ce qui nuisit toujours au parti royal, ce ne furent pas les chances malheu­reuses de la guerre, qui appartiennent à tout le monde, ce fut la jalousie : elle était extrême entre les armées d’Anjou et du Poitou ; elle fut constante et se signala par les plus grands désastres”[114].

Le Mière de Corvey, qui a servi en Vendée, a relevé, lui aussi, cette absence de commandement suprême : “S’ils avaient un point central pour la division de tel ou tel général qui commandait l’arron­dissement d’un évêché, ils n’en avaient pas pour tout le pays qu’ils occupaient : chaque général commandait à son gré dans l’étendue de son arrondissement et, si l’on se réunissait quelquefois pour une expé­dition, c’était de concert entre les généraux, mais il n’y avait personne parmi eux qui eût le droit d’ordonner un mouvement général”[115].

Cette absence de commandement résulte évidemment de l’indivi­dualisme des chefs vendéens et du caractère “méritocratique” de leur élection. De manière paradoxale, cette armée vendéenne, qui se bât pour la cause de la monarchie, marque aussi la fin de l’Ancien Régime. Cathelineau ne se gêne pas pour le dire aux nobles libérés après la prise de Fontenay : “MM., en vous tirant de prison, en vous associant avec nous, nous n’avons pas eu l’intention de nous donner des maitres. Si notre manière de faire la guerre ne vous convient pas, séparons-nous”[116]. Il est significatif que le premier généralissime élu soit un voiturier et non pas un noble. Stofflet ne se gêne pas pour manifester son mépris des nobles, qui n’épargne même pas La Rochejaquelein : “Votre marquis n’était après tout qu’un jeune imprudent ; ce n’était pas le Pérou”[117]. Napoléon l’a noté : “La révolution avait touché juste en proclamant l’égalité : les armées vendéennes étaient elles-mêmes dominées par ce grand principe qui venait d’envahir la France, et contre lequel elles se battaient chaque jour”[118].

La manifestation la plus spectaculaire et la plus tragique de cette désunion est survenue en avril 1794 après, paradoxalement, le pacte de La Boulaye conclu le 22 avril : Stofflet, Charette, Sapinaud et Marigny décident d’une action commune. Le dernier rejoint l’armée vendéenne à marches forcées, mais, mécontent de l’accueil qui lui est réservé, il refuse tout concours avant le combat de Chaudron, qui s’achève sur un échec vendéen ; le 28 avril, il est condamné à mort par les autres chefs vendéens, sur rapport de Charette, et exécuté le 10 juillet, sur ordre de Stofflet, à l’instigation de ce louche personnage qu’est l’abbé Bernier[119]. Ses hommes rentrent chez eux et la plupart ne participeront plus à la résistance. Charette aurait ensuite préparé l’élimination de Stofflet.

Certes, les disputes entre généraux sont le lot de toutes les armées et les armées régulières sont parfois aussi déchirées qu’ont pu l’être les armées vendéennes. Mais, dans le cas de ces dernières, le problème se trouve singulièrement aggravé par l’absence de direction politique, comme l’a bien noté Napoléon : “Il manqua toujours un prince à la tête de la cause vendéenne. Si j’avais été prince, j’aurais traversé la mer sur un coquille de noix”[120].

En fait, la politique des Bourbons a bien été, comme l’a noté le colonel Madelin[121], de ne pas dépendre d’un parti royaliste, mais de soudoyer le gouvernement en place ou l’armée républicaine, afin d’opérer une restauration sur le modèle de celle réalisée par le général Monck au profit de Charles II en Angleterre en 1660 : cela a échoué avec Hoche en 1795, avec Pichegru et Barras un peu plus tard, avec Bonaparte après Brumaire, pour finalement réussir avec Talleyrand et Fouché en 1814. Hoche a bien vu cet état d’esprit et il n’a pas manqué d’en profiter :

La désunion règne parmi les rebelles, je ferai de mon mieux pour l’entretenir… Ils se battent pour un roi et il n’y a pas de roi. Ils attendent un prince, il ne vient pas. Le prince a peur, il a raison. Pas un de ces chefs ne veut de lui sincèrement et ne pourrait désormais s’accommoder d’un maître. Ces gens-là ont goûté du pouvoir sans con­trôle et ils ne sauraient plus s’en dessaisir.

Société sans État contre État failli

Mais il n’y a pas que le comportement des chefs qui explique la faiblesse structurelle des armées vendéennes. Il faut aussi tenir compte du localisme des paysans, d’un courage exemplaire, auquel Turreau lui-même rend un hommage appuyé, mais, incapables d’opérer loin et longtemps : après la prise de Cholet le 15 mars et de Vihiers le 16 mars 1793, l’armée de Cathelineau se disperse pour aller faire ses Pâques. Après la prise de Saumur, les 9 ou 10 juin 1793, l’armée rentre “changer de linge” : elle qui vient capturer une ville défendue par plus de 15 000 hommes, s’est pour ainsi dire volatilisée : il n’y a plus que 8 hommes présents à l’appel[122]. Les compagnies de paroisse ne peuvent guère être engagées plus de trois jours. Émile Gabory a cette formule très juste : “Le paysan vendéen n’était pas un soldat ; il luttait juste­ment pour ne pas l’être”[123]. Les chefs vendéens ne peuvent compter que sur un noyau stable de quelques milliers d’hommes, 8 à 10 000 peut-être ; l’armée n’est réunie que pour des expéditions de courte durée[124]. Avec de telles troupes, il est impossible de garder les villes, perdues tout de suite après leur conquête, et de mener une offensive stratégique. C’est ce que ne voit pas Napoléon quand il critique l’arrêt des Vendéens après la prise de Fontenay : “Ils perdirent leur temps à cette organisation prématurée au lieu de poursuivre leurs avantages et de surprendre la ville de Niort”[125]. De la même manière, après la prise de Saumur, la route de Paris était ouverte, mais il n’y avait plus d’armée vendéenne pour en profiter.

Un autre indice en ce sens, peu relevé, est la quasi absence, durant la première Vendée, d’actions de petite guerre, c’est-à-dire de harcèlement de l’ennemi sur ses derrières, sur ses lignes de communi­cation et de ravitaillement. Il y avait là, a priori, d’immenses possibi­lités pour les Vendéens, aptes aux déplacements rapides et aux embus­cades. Certains chefs vendéens avaient l’expérience des “guerres indiennes”, durant la guerre d’Indépendance américaine, la plupart des anciens officiers avaient entendu parler des exploits des chasseurs de Grassin ou de La Morlière, à défaut d’avoir lu les traités de La Croix, de Grandmaison, du comte de La Roche[126]… Et, pourtant, l’Armée catholique et royale ne fait aucun effort sérieux en ce sens. Le seul qui semble avoir essayé est Poirier de Beauvais, qui n’est pas officier de carrière mais magistrat (ce qui suggère, au passage, que les écrits sur la petite guerre avaient trouvé un écho jusque dans la société civile). Son but était de “lever une légion afin de faire la petite guerre, inquiéter les armées républicaines sur leurs flancs, prendre ou détruire leurs provi­sions en tous genres, et à l’occasion faire des points dans l’intérieur de la République”[127]. Mais le généralissime d’Elbée tarde à donner son accord. Quand le projet peut enfin être lancé, c’est à la veille de la bataille de Cholet, quand il est déjà trop tard. Faut-il y voir une mani­festation supplémentaire de cette méfiance des officiers de ligne envers la petite guerre, dont on a tant de preuves par ailleurs ? Peut-être. Mais, surtout, il faut incriminer l’incapacité du paysan vendéen à mener ce genre d’opération, a priori si proche de la guérilla qu’il maîtrise, mais avec une différence décisive : le révolté, l’insurgé, combat sur son terroire, dans un environnement qu’il connaît, il n’en sort qu’en nombre et dans des circonstances exceptionnelles, alors que le partisan va faire des partis de guerre, la petite guerre, loin de ses bases, en territoire ennemi et inconnu. Poirier de Beauvais le sait, qui veut inclure dans sa légion les Suisses, les Allemands et la Compagnie française (composée de déserteurs républicains) avant les gars du pays. C’est d’ailleurs cette exigence qui fera échouer son projet, Donnissan et Lescure refusant de céder ces unités d’élite. On voit, par cet exemple, que petite guerre et guérilla, malgré leur analogie superficielle, relèvent bien de deux genres différents.

Comment, avec une telle infériorité structurelle, expliquer alors les étonnants succès des Vendéens ? Tout simplement parce que le tableau n’est pas très différent dans le camp républicain. C’est une règle générale que la révolution et la guerre civile entraînent une désorgani­sation de l’armée. Le pouvoir révolutionnaire a autant peur de ses propres généraux que de ses ennemis politiques, d’où une instabilité du commandement, avec l’élimination des professionnels suspects et leur remplacement par des nouveaux venus choisis pour leurs sentiments révolutionnaires. D’où la nomination de parfaits incapables comme Huché, Léchelle ou Rossignol. Le représentant Prieur de La Marne est on ne peut plus clair : “Je déclare aux officiers généraux qui m’entou­rent que, quand même Rossignol perdrait encore vingt batailles, quand il éprouverait encore vingt déroutes, il n’en serait pas moins l’enfant chéri de la Révolution et le fils aîné du Comité de salut public”[128]. La loyauté politique prime la compétence militaire. Le rapport de Richard et Choudieu rend bien compte de cet état d’esprit : l’armée républicaine n’est jamais battue, elle est trahie par des généraux acquis à la contre-révolution ou coupables de modérantisme : “Il était évident pour nous que ce général (Biron) trahissait la République : nous le dénonçâmes au comité de salut public, de concert avec Ronsin et les autres agents du conseil exécutif ; il fut rappelé et bientôt après arrêté : il a subi depuis le châtiment dû aux traitres”[129]. Après lui, Westermann subira le même sort, et Beysser, et d’autres…

On ne compte plus les généraux violents ou ivrognes, plus adonnés au pillage et à la dévastation qu’à la tactique[130]. Eux aussi se jalousent entre eux, se rejetant mutuellement la responsabilité des échecs. Kléber parle de “l’ineptie la plus crasse, la négligence la plus impardonnable et la lâcheté peut-être” à propos de Léchelle[131]. Mais il devrait aussi s’en prendre à lui-même, car il a refusé le commandement de l’armée qu’on lui proposait, pour des raisons qui ne sont pas très claires, vraisemblablement la peur des responsabilités, et, durant la Virée de Galerne, son comportement est loin d’avoir été sans reproche : il n’a pas secouru Tribout à Pontorson[132] et il porte au moins une part de responsabilité dans la défaite d’Entrammes[133]. En contrepartie, c’est son action qui a renversé le cours des choses à Cholet, bataille décisive entre toutes.

À l’incompétence des généraux il faut ajouter les ingérences continuelles des représentants en mission qui interviennent dans la conduite des opérations et brident l’action du commandement. C’est à eux que l’on doit, au moins pour partie, la défaite initiale du général Marcé ou le plan défectueux arrêté à Saumur le 2 septembre 1793. Il faut dire qu’ils sont aiguillonnés par la Convention, toujours prête à les soupçonner de ne pas montrer “assez d’énergie, toujours tremblant sur les mesures, douteux sur les succès et ne harcelant pas assez les chefs militaires”[134].

À l’incapacité du commandement correspond logiquement la démoralisation et le sous-équipement de l’armée. Porté à minimiser, autant (et même plus) que faire se peut, l’ampleur des oppositions à la levée en masse, Jean-Paul Bertaud reconnaît, au moins, que “les armes manquaient”[135]. C’est peu dire. “Les levées d’août 1793 sont, au moins jusqu’en octobre ou novembre 1793, armées de piques”[136]. On trans­forme un pis-aller issu de la pénurie en symbole de la Révolution (la Sainte-Pique). Hormis les Mayençais et les 10 000 hommes de Duques­noy envoyés en novembre 1793, les troupes expédiées dans l’Ouest ne sont ni entraînées, ni convenablement équipées. Les formations sont hétéroclites, les volontaires indisciplinés, les désertions fréquentes. Le ravitaillement ne suit pas : en septembre 1794, sur un effectif théorique de 70 000 hommes, l’Armée de l’Ouest n’en a que 30 000 dans un état sanitaire satisfaisant et 15 000 habillés et armés de façon règle­mentaire[137].

La guerre de Vendée constitue, comme l’avait noté le général Roguet dès 1836, le choc de deux impuissances. En utilisant les caté­gories de la science politique contemporaine, on pourrait dire que l’on assiste à l’affrontement entre une société sans État et un État failli. Ce n’est que lorsque celui-ci commencera à se rétablir que l’insurrection vendéenne pourra finalement être réduite. Il faut noter que le Direc­toire, présenté comme un État faible, souvent avec raison, a, en l’occurrence, fait preuve de continuité et de fermeté en soutenant l’action de Hoche sans faiblesse.

après la Vendée, la chouannerie

Après la mort de Stofflet et de Charette, il ne subsiste plus que des bandes résiduelles : Charles d’Autichamp en Anjou et Haut-Poitou, Joseph-Armand de Vasselot dans le bocage, Constant de Suzannet dans le marais. Elles vont maintenir une guérilla d’envergure limitée, mais tenace, impossible à réduire facilement en l’absence de tout contrôle centralisé, que l’on va confondre avec la chouannerie[138].

La chouannerie “n’est qu’une esquisse de guérilla sans bases idéologiques clairement définies, presque sans concept tactique et, à plus forte raison, sans ambition stratégique. Tout au plus peut-on porter à son actif un sens inné de la petite tactique”[139]. C’est un combat spon­tané de petites bandes, 150 hommes au plus, sur un espace restreint (avec toutefois des raids loin de ses bases). L’effectif de la “petite Vendée”, qui rejoint l’Armée catholique et royale durant la Virée de Galerne, en 1793, n’est que de 3 à 4 000 combattants[140]. La contrepar­tie est une grande extension spatiale, puisque pratiquement tout l’Ouest va être touché, du Finistère à la Sarthe, de la Normandie au Poitou. Ainsi qu’une persistance remarquable, puisque le phénomène s’amorce dès 1793 et s’éteint, pour l’essentiel, en 1800, ne subsistant qu’à l’état résiduel à partir du Consulat, plus proche du brigandage que du soulèvement politique.

Très logiquement, cette extension et cette durée engendrent une grande diversité de formes. Même dans un espace assez restreint comme l’ouest de la Bretagne, “on peut différencier une Chouannerie puissante, populaire, bien organisée autour de Vannes, d’Auray et de Locminé (Bignan), d’une sorte de brigandage plutôt mal accepté, redouté des paysans, dans le reste du Morbihan et le sud des Côtes-du-Nord, avec toutes les nuances possibles entre ces deux aspects”[141]. Dans le temps, Bernard Peschot distingue cinq formes successives de chouannerie :

  • la première, de février 1794 au printemps de 1795, “essen­tiellement spontanée et populaire” ;
  • la deuxième, de 1795 à 1796, marquée par l’activisme des émigrés à la suite de l’échec de Quiberon, qui essaient de discipliner le mouvement ;
  • la troisième, de 1797 à 1799, qui “voit la chouannerie en partie récupérée et manipulée par les nobles avec l’aide du clergé” ;
  • la quatrième, après 1800, faite de brigandage ;
  • enfin, la cinquième, avec les soulèvements de 1815 et de 1832 qui entraînent des relances temporaires et localisées du mouvement[142].

Une mutation s’opère donc après la mort de Cottereau, avec la reprise en main par un encadrement nobiliaire. Les grades sont désor­mais conférés, en fait ratifiés le plus souvent, par les Princes qui vont planifier une troisième Vendée. Mais les Armées catholiques et royales reconnues par le comte d’Artois à Édimbourg en août 1799, lorsque les émigrés préparent ce qui va devenir la troisième Vendée, n’existent, souvent, que sur le papier :

  • l’Armée catholique et royale de Bretagne et des provinces adjacentes du comte de Puisaye, soi-disant de 80 000 hommes, n’a jamais dépassé 20 000 hommes, au moment de Quiberon. Dispersée ensuite, elle ne survit qu’à peine, sous le commandement nominal du comte de Chalus, nommé par le comte d’Artois en juin 1797 ; il émigre, avec Puisaye, l’année suivante, conscient de l’impossibilité de poursuivre la lutte. En 1799, la Bretagne ne se soulèvera guère, à cause des mésententes entre chefs et des intrigues de l’abbé Bernier.
  • l’Armée catholique et royale du Bas-Anjou et de la Haute-Bretagne, sous le comte de Châtillon.
  • l’Armée catholique et royale du Maine, de la Touraine, du Blaisois, du Vendômois, du Perche et du pays Chartrain, préparée de 1795 à 1798 par Guyon de Rochecotte, com­mandée par le comte de Bourmont.
  • l’Armée catholique et royale de Basse-Normandie, préparée par Louis de Frotté depuis 1796, avec 9 divisions.
  • l’Armée catholique et royale de Haute-Normandie, sous le commandement du général Mallet.

La troisième Vendée est planifiée, à la différence des deux premières. Elle ne sera pas limitée à l’Ouest, mais doit mettre en action des mouvements dispersés sur tout le territoire, notamment dans le Midi. Mais les temps ont changé et les royalistes ne s’en sont pas vraiment aperçus : la masse paysanne ne suit plus et l’anarchie révo­lutionnaire, puis directoriale va bientôt céder la place à la poigne méthodique et implacable du Premier Consul. Pour tout aggraver, les royalistes du Midi déclenchent leur action prématurément à l’été et le manque de coordination leur est fatal devant Toulouse, au point que le général Rougé, dans la nuit du 5 au 6 août, ayant attendu en vain le signal escompté, renonce à donner l’assaut et se replie, jusqu’à la défaite de son armée à Montréjeau, le 20 août. L’Ouest se soulève à l’automne. C’est la “guerre des chefs-lieux”, qui va enregistrer quel­ques succès, spectaculaires mais éphémères : le comte de Bourmont ouvre ce dernier acte en s’emparant du Mans le 14 octobre, mais il ne peut s’y maintenir que quatre jours[143]. Le comte de Châtillon réussit l’exploit d’investir Nantes dans la nuit du 20 au 21 octobre, mais ce n’est qu’un raid sans suites. Mercier-la-Vendée entre dans Saint-Brieuc le 25 octobre pour en sortir dès le lendemain. Dans le Maine, De Sol enregistre un échec semblable à La Ferté-Bernard. La réaction du Directoire est rapide et l’annonce de la victoire de Zurich, par laquelle Masséna, le 3 octobre, a disloqué la deuxième coalition et écarté la menace de l’invasion, refroidit les ardeurs. La suite ne sera plus qu’une série de petits combats, qui tourneront pratiquement tous au désavan­tage des royalistes : le général Delaage bât d’Autichamp à La Poeze, près de Cholet, le 29 octobre ; le général Dupesse le bouscule à nouveau aux Aubiers le 3 novembre, tandis que le général Travot, le vainqueur de Charette, liquide promptement le soulèvement du Bocage.

En Vendée, les négociations s’ouvrent dès le 10 novembre, pour aboutir à la paix de Montfaucon le 18 janvier 1800. Dans le Maine, Bourmont est battu par Chabot à Meslay le 23 janvier. En Bretagne, Cadoudal fait sa soumission le 12 février ; refusant les offres de Bona­parte, il s’exile en Angleterre. En Normandie, Frotté, battu aux Forges-de-Cossé, dans l’Orne, les 25 et 26 janvier, n’a pas cette chance : Bonaparte le fait exécuter, malgré le sauf-conduit qui lui avait été délivré. En Basse-Normandie, l’armée du général Mallet “n’a manifesté son existence par aucun acte”, sauf sous la Restauration pour réclamer des gratifications et des pensions, dit méchamment Chassin. Au final, plutôt “une de ces bouffées éphémères qui épuisent le malade sans détruire la cause du mal” dira lucidement Louis XVIII[144]. Bonaparte n’en a pas moins pris la menace au sérieux, bien décidé à ne pas laisser pourrir la situation alors que la guerre aux frontières prend une tournure incertaine ; l’état d’urgence est décrété dans dix départements et l’Armée de l’Ouest, aux ordres de Brune, puis de Bernadotte, traque sans relâche les foyers d’insurrection[145]. Dès le printemps 1800, la guérilla est terminée. Les irréductibles se tournent vers le terrorisme, comme Cadoudal, ou vers le complot, comme Forestier[146], dérive logique pour un mouvement définitivement privé de base populaire. Comme le dit Thierry Heckman :

Les agitations qui ont pu donner l’illusion d’une reprise de la guerre de Vendée en 1799, en 1815[147] ou encore en 1832[148] ne lui ressemblèrent en rien. Elles n’en avaient ni l’engagement massif, ni l’origine spontanée, ni l’inspira­tion populaire, et elles ont substitué, à la défense prin­cipale de la religion, la cause d’une dynastie. Leur insuc­cès fut rapide. La guerre a donc bien fini en 1795 (début 1796, au plus tard)[149].



[1]       Carl Schmitt, La Notion de politique. Théorie du partisan, Paris, Calmann-Lévy, 1972, p. 213.

[2]       Carl Schmitt, op. cit., pp. 213-214.

[3]       Carl von Clausewitz, De la Révolution à la Restauration, Paris, Gallimard, 1976, p. 298.

[4]       Moins par machiavélisme du gouvernement de Londres, comme l’ont souvent cru les historiens “blancs”, que par manque d’informations fiables. Les communications avec les insurgés étaient difficiles, les républicains ayant conservé le contrôle du littoral. Cf. Emile Gabory, Napoléon et la Vendée,1912, repris dans Émile Gabory, Les Guerres de Vendée, Paris, Robert Laffont, Bouquins, 1989.

[5]       Jean-Jacques Langendorf, dans La Guerre totale, Pully, Centre d’histoire et de prospective militaires, 2003.

[6]       Cf. Reynald Secher, La Désinformation autour des guerres de Vendée et du génocide vendéen, Anet, Atelier Fol’fer, 2009.

[7]       Cf. Reynald Secher, Le Génocide franco-français. La Vendée-Vengé, Paris, PUF, 1986 ; rééd. Paris, Perrin, 2006.

[8]       Jean-Clément Martin, La Vendée et la France, Paris, Seuil, 1987.

[9]       Jacques Hussenet (dir.), “Détruisez la Vendée !” Regards croisés sur les victimes et destructions de la guerre de Vendée, La Roche-sur-Yon, Éditions du Centre Vendéen de Recherches Historiques, 2007.

[10]     Alain Gérard, La Vendée 1789-1793, Seyssel, Champ Vallon, 1992 et “Par prin­cipe d’humanité…” La terreur et la Vendée, Paris, Fayard, 1999.

[11]     Au motif d’anachronisme, le mot ayant été forgé au cours de la seconde guerre mondiale. Recevoir cet argument reviendrait à nier l’existence de toute stratégie avant l’élaboration du concept par Joly de Maizeroy, Nockern de Schorn et von Bülow à la fin du xviiie siècle. En outre, le mot a été utilisé au moins une fois avant même la Révolution, à propos du “grand déménagement” des Acadiens en 1755. Adrien Carré, “La guerre du génocide. Histoire d’un mot”, Revue du Souvenir vendéen, n° 184, octobre 1993, p. 8.

[12]     Gracchus Babeuf, La Guerre de Vendée et le système de dépopulation, présenté et annoté par Reynald Secher et Jean-Joël Brégeon, Paris, Tallandier, 1987, rééd., Paris, Le Cerf, 2008.

[13]     Bernard Peschot, La Chouannerie en Anjou, Montpellier, Université Paul-Valéry, 1999.

[14]     Revue historiographique dans Claude Petitfrère, “Les causes de la Vendée et de la Chouannerie. Essai d’historiographie”, Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 1977–1.

[15]     Lieutenant-général de La Boéssière, Considérations militaires et politiques sur les guerres de l’Ouest pendant la Révolution française, Paris, 1827.

[16]     Comte de Roguet, Essai théorique sur les guerres d’insurrection, Paris, 1836.

[17]     Le Mière de Corvey, Des partisans et des corps irréguliers, Paris, 1823.

[18]     Infra, Jean-Jacques Langendorf, “Clausewitz et la Vendée”. Le fragment de Clausewitz sur la Vendée a été récemment traduit dans Sur la guerre et la conduite de la guerre. Œuvres posthumes du général Carl von Clausewitz, tome IX-tome X, trad. G. Reber, Paris, La Maison du dictionnaire, 2008.

[19]     Infra, Bruno Colson, “Jomini analyste des guerres de Vendée”.

[20]     “Précis des guerres de Vendée”, publié dans Commentaires de Napoléon, tome IV, Paris, Imprimerie impériale, 1855 (cité ci-après Commentaires, IV).

[21]     Lieutenant-colonel Henri de Malleray, “tué à l’ennemi (Verdun 1916)”, Les Cinq Vendées. Précis des opérations militaires sur l’échiquier vendéen de 1793 à 1832, Angers, Siraudeau-Paris, Plon-Nourrit, 1924. L’avant-propos est daté de juillet 1914.  

[22]     C’est le sens du livre du colonel Montagnon, Une guerre subversive. La guerre de Vendée, Paris, La Colombe, 1959.

[23]     Infra, Pierre Gréau, “Organisation de l’Armée catholique et royale outre-Loire”.

[24]     Sandrine Picaud-Monnerat, La Petite guerre au xviiie siècle, Paris ISC-Economica, 2010.

[25]     Panorama des formes historiques de la guerre irrégulière dans Hervé Coutau-Bégarie, “Stratégies irrégulières : De quoi parle-t-on ?”, dans Hervé Coutau-Bégarie (dir.), Stratégies irrégulières, Paris, ISC-Economica, 2010.

[26]     Infra, Bernard Peschot, “La question des niveaux de guerre dans les pacifications de l’Ouest”.

[27]     Roger Dupuy, De la Révolution à la chouannerie. Paysans en Bretagne 1788-1794, Paris, Flammarion, 1988, p. 291.

[28]     Présentation de quelques-uns de ces soulèvements dans François Lebrun et Roger Dupuy (dir.), Les Résistances à la Révolution, Paris, Imago, 1987.

[29]     La révolte éclate le 18 août, à l’instigation d’un moine capucin, le père Styger ; les Français attaquent le 2 septembre, les Nidwaldois sont écrasés le 9.

[30]     On notera cependant qu’après les échecs successifs du maréchal Lefebvre, c’est une armée franco-bavaroise de près de 40 000 hommes, aux ordres du prince Eugène de Beauharnais, qui a été envoyée pour venir à bout d’insurgés deux fois moins nombreux.

[31]     Jean-Jacques Langendorf, “Landwehr et Landsturm. Une armée de l’ombre et une armée à l’ombre de l’armée”, dans Hervé Coutau-Bégarie (dir.), Stratégies irrégulières, op. cit.

[32]     Paul Bury, “Une guerre irrégulière, civile et religieuse au sein de la grande guerre : l’exemple de la guerre des Camisards”, dans Hervé Coutau-Bégarie (dir.), Stratégies irrégulières, op. cit., pp. 235-251.

[33]     Général Jean Delmas, “Légende et réalité : la Vendée a t-elle représenté un danger militaire pour la Convention ?”, dans La Vendée dans l’histoire, Paris, Perrin, 1994, p. 115.

[34]     Roger Dupuy, op. cit., p. 332.

[35]     René Bittard des Portes, Contre la Terreur. L’insurrection de Lyon en 1793, Paris, Émile Paul, 1906.

[36]     Cf. par exemple, Georges Yver, “La petite Vendée du Sancerrois”, Revue d’histoire moderne et contemporaine, III, 1901-1902 et Gérard Saclier de La Batie, Vendée sancerroise 1796, Bourges, Société de Presse Berrichonne, 1971.

[37]     Louis-Marie Turreau, Mémoires pour servir à l’histoire de la guerre de Vendée, réédités dans Turreau en Vendée, Mémoires et Correspondance présentés et commentés par Michel Chatry, Cholet, Les éditions du Choletais, 1992.

[38]     Kléber, Mémoires politiques et militaires, Paris, Tallandier, 1989, pp. 52-56.

[39]     Mémoires inédits de Bertrand Poirier de Beauvais, commandant général de l’artillerie des armées de la Vendée, rééd. s.l. [Cholet], Les éditions du bocage-Pays et Terroirs, 1994, pp. 4-9.

[40]     Infra, Philippe Boulanger, “Géographie militaire de la Vendée”.

[41]     Infra, Dominique Gautron, “L’état des routes de Vendée en 1793”.

[42]     “Il ne semble pas que le relief escarpé et cloisonné ait joué un rôle majeur dans le succès de la guérilla, y compris dans la zone où elle connut sans doute son déve­loppement optimal, le nord de la Navarre”. Jean-Marc Lafon, “Armée déficiente, sentiment national introuvable. Recours et moyens de la résistance espagnole à Napoléon (1808-1814)”, dans Nationalstaat, Nationalismus und Militär, XXXII-Com­mission Internationale d’Histoire Militaire Kongress, Potsdam 2006, Potsdam, Militargeschichtliches Forschungamt, 2007, p. 78.

[43]     Carl von Clausewitz, De la Révolution à la Restauration, Paris, Gallimard, 1976, p. 300.

[44]     Yannis Suire, Le Marais poitevin. Une échohistoire du xvie au début du xxe siècle, La Roche-sur-Yon, Centre vendéen de recherches historiques, 2006, pp. 302-303.

[45]     Jean-Clément Martin, “La Vendée moteur de la Révolution”, dans Frédéric Bluche et Stéphane Rials (dir.), Les Révolutions françaises, Paris, Fayard, 1989, p. 260.

[46]     Adrien Carré, “Nouvelles problématiques, anciens problèmes : originalité des guerres de l’Ouest”, dans Vendée-chouannerie, op. cit., p. 167.

[47]     Marcel Lidove, Les Vendéens de 93, Paris, Seuil, “Le temps qui court”, 1971, p. 31.

[48]     Infra, Bernard Peschot, “Le triomphe de la Vendée militaire”.

[49]     Roger Dupuy, op. cit., p. 283.

[50]     “Dans l’ensemble, la Bretagne s’est dégarnie progressivement de troupes après 1791-1792, ce qui a privé les révolutionnaires d’actifs soutiens et a pu favoriser les progrès de la réaction. Les grands ports de Brest et de Lorient ont gardé des troupes assez nombreuses du fait de leur nouvelle situation stratégique face à l’Angleterre. Mais les explications ne sont pas simples, car au calme du Léon, surveillé par les troupes brestoises, ne correspond pas tellement le calme du Vannetais surveillé par Lorient. D’autre part, la Cornouaille et le Trégor ont connu peu d’agitations malgré la pénurie de troupes”. Alain Pennec, “La chouannerie en Basse-Bretagne”, dans Vendée-Chouannerie, Nantes, Reflets du passé, 1981, p. 103. 

[51]     Cité dans Reynald Secher, La Vendée-Vengé. Le génocide franco-français, Paris, PUF, 1986, p. 136.

[52]     Roger Dupuy, op. cit., p. 282.

[53]     Infra, Claudy Valin, “La bataille inaugurale dite du Pont-Charrault”.

[54]     Le médecin général Carré insiste sur cette tradition militaire des Vendéens et des Bretons, souvent négligée. Adrien Carré, “Des Milices de la Monarchie à l’insurrection de 1793. Bretons et Vendéens et la défense du royaume”, Revue historique des armées, 1977-4.

[55]     Reynald Secher, La Chapelle-Basse-Mer, village vendéen, Paris, Perrin, 1986, p. 120.

[56]     Edmond Lemière, Bibliographie de la Contre-Révolution dans les Provinces de l’Ouest ou des guerres de Vendée et de la chouannerie (1793, 1815, 1832), nouvelle édition par Yves Vachon, Nantes, Librairie nantaise, 1976 à compléter par la superbe bibliographie de Jacques Hussenet dans “Détruisez la Vendée !”, op. cit.

[57]     Pierre Gréau, 26 octobre 1793. La Bataille d’Entrammes, Nantes, Éditions Siloë, 2007.

[58]     Certaines sources retiennent la date du 3 mai.

[59]     Infra, Daniel-Jean Amiglio, “Thouars et les armées vendéennes”.

[60]     Napoléon, Commentaires, IV, p. 90.

[61]     Kléber, Mémoires politiques et militaires, Paris, Tallandier, 1993, p. 51.

[62]     Infra, Anne Briqueler, “La force armée en Vendée, du déclenchement de la Révolution à la proclamation de la République”.

[63]     Napoléon, Commentaires, IV, p. 92.

[64]     Infra, Pierre Gréau, “Les armées républicaines en Vendée en 1793”.

[65]     Jacques Hussenet retient la date du 15 avril.

[66]     Infra, Jérôme Laborieux, “Les Mayençais en Vendée”.

[67]     Infra, Claudy Valin, contribution citée. Pierre Contant a procédé à un autre décompte, qui aboutit à des résultats à peu près comparables : 70 000 hommes en novembre 1793, près de 100 000 en février 1794 qui constitue le maxium. Jacques Hussenet, “Combien de combattants, combien de morts ?”, dans Jacques Hussenet (dir.), “Détruisez la Vendée !”, op. cit., p. 417.

[68]     Charles-Louis Chassin, La Vendée patriote, tome IV, p. 319.

[69]     Procédé recommandé par les stratégistes chinois (Sun Zi) et byzantins (Nicéphore Phokas).

[70]     Dominique Gautron, Luçon 14 août 1793. Une grande bataille méconnue des guerres de Vendée, s.l., chez l’auteur, 1988.

[71]     Pierre Gréau, “Les accrochages sur le Grand Lay dans la nuit du mercredi 24 au jeudi 25 juillet 1793 et la mort de Louis-Célestin Sapinaud de La Verrie”, Revue du Souvenir vendéen, n° 239, juin 2007.

[72]     Infra, Dominique Gautron, “Sainte-Gemme la Plaine, verrou essentiel du dispositif militaire républicain”.

[73]     Infra, André Sarazin, “La bataille du Pont-Barré à Beaulieu-sur-Layon”.

[74]     Docteur Charles Coubard, La Guerre de Vendée. Cholet 1793-1794, Cholet, Les éditions du Choletais, 1992 (rééd.), p. 79.

[75]     François Lebrun, La Virée de Galerne, Nantes, Ouest Éditions et Institut Culturel de Bretagne, 1989, p. 11.

[76]     Pierre Gréau, 26 octobre 1793. La bataille d’Entrammes, op. cit.

[77]     Infra, Simone Loidreau, “Savenay-Honneur et grandeur des vaincus”.

[78]     Paul Roger, “Noirmoutier et la maîtrise des côtes pendant les guerres de Vendée”, n° 240, septembre 2007.

[79]     Infra, Simone Loidreau, “Charette l’insaisissable”.

[80]     Napoléon, Commentaires, IV, p. 139.

[81]     François Lebrun, préface à Jean-Clément Martin, La Vendée et la France, p. 9.

[82]     Simone Loidreau, Les Colonnes infernales en Vendée, Cholet, Éditions du Choletais, 1994, décrit en détail l’action des colonnes.

[83]     Napoléon, Commentaires, IV, p. 141.

[84]     Père Marie-Auguste Huchet, “Le massacre des Lucs (28 février 1794)”, dans Vendée-Chouannerie, Nantes, Reflets du passé, 1981, p. 83. Martincourt sera jugé, pour sa défaite, pas pour le massacre, et sera acquitté.

[85]     La réalité de ce massacre a été mise en doute par Jean-Clément Martin à partir d’arguments pour le moins fragiles. Ceux-ci ont été réfutés, de manière tout à fait convaincante, par Pierre Marambaud. “Il semble tout à fait avéré que, deux jours durant, plus de 500 personnes, des hommes, mais surtout des femmes et des enfants, furent massacrées par les deux colonnes du général Cordellier”. Carrier avait exhorté la colonne Cordellier : “Je vous ordonne de mettre le feu par-tout, et de tout fusiller sans distinction”. Pierre Marambaud, Les Lucs. La Vendée, la terreur et la mémoire, Fromentine, éditions de l’Étrave, 1993, pp. 129-130.

[86]     Cité dans Louis-Marie Clénet, Les Colonnes infernales, Paris, Perrin, 1993, p. 244.

[87]     Roger Dupuy, “L’impossible pacification (décembre 1794-juin 1795)”, dans La Vendée. Après la terreur, la reconstruction, Paris, Perrin, 1997, p. 265.

[88]     Infra, Simone Loidreau, “L’attaque surprise par Charette du camp de La Roullière”.

[89]     Infra, Simone Loidreau, “La prise du camp de Freligné par Charette”.

[90]     Il refuse de cautionner la poursuite des exactions.

[91]     Pierre Marambaud, Le général Hoche, le « pacificateur de la Vendée »”, dans La Vendée. Après la Terreur, la reconstruction, op. cit., pp. 281-283.

[92]     C.E. Callwell, Petites guerres, Paris, ISC-Économica, 1998. L’original anglais est paru en 1896.

[93]     Bernard Peschot, op. cit., p. 79.

[94]     Infra, Jean-Pierre Bois, “Charette et la guerre”.

[95]     Dans les premiers temps du soulèvement, il conçoit encore la tactique comme n’importe quel officier de ligne, allant jusqu’à faire couper les forêts autour de son quartier-général de Legé.

[96]     Dont la sociologie militaire fait, depuis le travail fondateur d’Edward Shils et Morris Janowitz sur la Wehrmacht au combat, le facteur central de cohésion et d’efficacité d’une force combattante.

[97]     Infra, Xavier du Boisrouvray, “Comment combattaient les Vendéens 1793-1796”.

[98]     “L’imprimerie du Conseil supérieur de l’Armée catholique et royale à Châtillon-sur-Sèvres, en 1793”, Bulletin de la Société historique et scientifique des Deux-Sèvres, 1979, n° 2-3.

[99]     Infra, Marie Bréguet, “Le service de santé dans les armées catholiques et royales”. Sur les hôpitaux dans le camp républicain, Pierre Contant, “Dans les hôpitaux de l’armée de l’Ouest”, dans Jacques Hussenet (dir.), “Détruisez la Vendée !”, op. cit.

[100]   Rapport sur la guerre de la Vendée, présenté à la Convention nationale par les citoyens Richard & Choudieu, Représentants du peuple, [Paris], De l’imprimerie nationale, s.d. [novembre ou décembre 1793], p. 19.

[101]   Rapport sur la guerre de la Vendée, op. cit., p. 23.

[102]   Napoléon, Commentaires, IV, p. 118.

[103]   Cité dans Bruno Colson, “Napoléon et la guerre irrégulière”, dans Hervé Coutau-Bégarie (dir.), Stratégies irrégulières, op. cit.

[104]   Ce point est signalé aux républicains par un chef vendéen capturé à Savenay, Joudonnet de Laugrenière. Reynald Secher, Introduction à Gracchus Babeuf, La Guerre de Vendée et le système de dépopulation, op. cit., p. 17.

[105]   Cité dans Pierre Marambaud, art. cit., p. 288.

[106]   Cité dans Pierre Marambaud, art. cit., p. 292.

[107]   Pierre Marambaud, art. cit., p. 298.

[108]   Reynald Secher note que c’est en 1917 que le drapeau tricolore est enfin admis dans l’église de La Chapelle-Basse-Mer.

[109]   Alain Gérard, La Vendée 1789-1793, op. cit., p. 171.

[110]   Napoléon, Commentaires, IV, p. 92.

[111]   Napoléon, Commentaires, IV, p. 97.

[112]   Napoléon, Commentaires, IV, p. 120.

[113]   Thérèse Rouchette, “Charette sous le regard des siens (à travers les mémoires royalistes)”, Études et documents (Nantes), “Charette”, 23, 1996, p. 139.

[114]   Napoléon, Commentaires, IV, p. 113.

[115]   Le Mière de Corvey, Des partisans et des corps irréguliers, op. cit., pp. V-VI.

[116]   A. Rolland-Boulestreau, Cathelineau Généralissime de l’armée vendéenne (1759-1793) en 30 questions, La Crèche, Geste Éditions, 2001, p. 19.

[117]   Charles-Louis Chassin, op. cit., p. 355.

[118]   Napoléon, Commentaires, IV, p. 139.

[119]   Stéphane Hiland, Marigny ou la mémoire assassinée, Cholet, Les éditions du Choletais, 1998. Jacques Hussenet retient, avec hésitation, la date du 19 juillet.

[120]   Napoléon, Commentaires, IV, p. 97.

[121]   Infra, Colonel Madelin, “La pacification de la Vendée par Hoche”.

[122]   Infra, Simone Loidreau, “Saumur 9 juin 1793. La grande occasion manquée”.

[123]   Émile Gabory, Les Guerres de Vendée, Paris, Robert Laffont, “Bouquins”, 1989, p. V.

[124]   On retrouvera ce genre d’organisation dans la guerre civile chinoise durant les années 1930-1940, avec une armée communiste tripartite : des milices paysannes peu armées et limitées à leur terroir, de milices régionales mieux armées, mieux entraînées et semi-permanentes et enfin une armée régulière disposant d’armements lourds et disponible en permanence.

[125]   Napoléon, Commentaires, IV, p. 108.

[126]   Le livre de Sandrine Picaud-Monnerat, déjà cité (note 24), est fondamental.

[127]   Poirier de Beauvais, Mémoires inédits sur la Guerre de Vendée, op. cit., p. 131.

[128]   Cité dans Alain Gérard, La Vendée 1789-1793, op. cit., p. 227.

[129]   Rapport sur la guerre de la Vendée, op. cit., p. 39. Ils y reviennent dans la conclusion de leur rapport, lorsqu’ils prennent la défense de Rossignol : “Au surplus, quand on aurait eu à reprocher à ce brave homme quelques fautes involontaires, ne vaut-il pas mieux cent fois nous exposer à l’inexpérience et aux erreurs des sans-cu­lotte, que de nous livrer aux talents et à la perfidie des hommes de l’ancien régime ?”, p. 77.

[130]   Infra, Adrien Carré, “Les colonnes infernales et leurs généraux”.

[131]   Kléber, Mémoires politiques et militaires, op. cit., p. 51.

[132]   Infra, Paul Liguine, “La bataille de Pontorson”.

[133]   Pierre Gréau, 26 octobre 1793. La Bataille d’Entrammes, op. cit., p. 46.

[134]   Tirade de Barère, le 5 novembre 1793, citée dans Pierre Gréau, 26 octobre 1793. La bataille d’Entrammes, op. cit., p. 68.

[135]   Jean-Paul Bertaud, La Révolution armée. Les soldats citoyens et la Révolution française, Paris, Robert Laffont, 1979, p. 125.

[136]   Renaud Faget, Stratégie, grande tactique, tactique révolutionnaire, mémoire de DEA, Ecole pratique des Hautes Études, Section des sciences historiques et philo­logiques, 1999, p. 8.

[137]    Roger Dupuy, art. cit., p. 265.

[138]   Infra, Simone Loidreau, “Vendéens et Chouans”.

[139]   Bernard Peschot, op. cit., p. 101.

[140]   Pierre Gréau, “Les compagnons de Jean Cottereau, dit Jean Chouan dans la Virée de Galerne”, Revue du Souvenir vendéen, n° 220, septembre 2002.

[141]   Alain Pennec, “La chouannerie en Basse-Bretagne”, dans Vendée-Chouannerie, op. cit., 1981, p. 99.

[142]   Bernard Peschot, op. cit., pp. 27-28, qui s’appuie sur Roger Dupuy, Les Chouans, Paris, Hachette, “Vie quotidienne”, 1997.

[143]   Exemple type des approximations que l’on trouve dans les livres les plus estima­bles : pour certains, la ville est occupée le 14 (à l’aube !), pour d’autres le 15 ; Bourmont s’y serait maintenu, selon les auteurs, deux, trois ou quatre jours.

[144]   Jean-Paul Bertaud, Les Royalistes et Napoléon, Paris, Flammarion, 2009, p. 49.

[145]   Mais la pacification a été réalisée, avant leur arrivée, par le général Hédouville, disciple de Hoche. Bonaparte, qui l’a relevé de son commandement pour manque d’énergie, reconnaîtra finalement la justesse de son action.

[146]   Infra, Frédéric Augris, “1805, l’insurrection qui n’a pas eu lieu”.

[147]   Infra, Jean-Albéric de Bony de Lavergne, “Le soulèvement de la Vendée pendant les Cent-Jours”.

[148]   Infra, Thérèse Rouchette, “Les aspects militaires du soulèvement de 1832”.

[149]   Thierry Heckman, “La paix de la Vendée, une victoire sur le ressentiment”, dans Après la Terreur, la reconstruction, op. cit., p. 440.

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Avant-propos

Le présent livre s’inscrit dans le cadre d’un programme général sur l’histoire et la stratégie des guerres irrégulières lancé en 2005. Il a déjà donné lieu à la publication d’un ouvrage général, Stratégies irré­gulières[1], d’un numéro de revue sur la petite guerre[2], tous deux parus en 2009, en attendant un troisième volet qui sera présenté au colloque international d’histoire militaire qui se tiendra à Amsterdam en août 2010[3]. Parallèlement, des recherches plus spécialisées ont été lancées. D’abord sur la petite guerre au xviiie siècle, avec la publication de la grande thèse de Sandrine Picaud-Monnerat[4], qui sera suivie de la réédi­tion de plusieurs traités du xviiie siècle sur la petite guerre (La Croix, Grandmaison, La Roche, Scouand, du Portal) dans le cadre du Corpus des écrivains militaires en langue française. Deux autres thèmes sont en cours d’élaboration, l’un sur la guerre irrégulière sur mer[5], l’autre sur Insurrection et contre-insurrection. Enfin le volet Histoire militaire des guerres de Vendée, dont ce volume marque l’aboutissement provisoire.

Ce volume est composite, car constitué d’un mélange de commu­nications présentées lors de journées d’études et de textes écrits anté­rieurement. Lorsque le programme sur les guerres irrégulières a été lancé, il y a plus de cinq ans, par la Commission Française d’Histoire Militaire et l’Institut de Stratégie Comparée, aujourd’hui réunis au sein de l’Institut de Stratégie et des Conflits – Commission Française d’Histoire Militaire, les guerres de Vendée se sont imposées comme le prototype des guerres insurrectionnelles contemporaines. Alors que la guérilla espagnole a récemment fait l’objet de travaux remarquables, tant en espagnol qu’en anglais ou en français, les guerres de Vendée n’ont pas bénéficié d’une attention équivalente sur le plan strictement militaire. Certes, celui-ci a bénéficié de contributions notables, mais parcellaires, et de la part d’historiens locaux qui n’ont pas suffisamment été pris en compte par la corporation universitaire ou par les straté­gistes. Le présent programme a donc été lancé en vue de combler cette lacune et de tirer parti de tous ces éléments dispersés.

D’où le choix d’un travail en réseau associant des historiens d’horizons différents, issus de l’université, de l’enseignement militaire supérieur et des sociétés savantes. L’Institut de Stratégie Comparée et la Commission Française d’Histoire Militaire se sont donc associés avec le Souvenir vendéen et la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlantique pour organiser des journées d’étude. Trois ont ainsi pu être montées : la première à Paris le 25 mars 2006, avec le Souvenir vendéen ; la deuxième à Nantes le 20 mai 2006, avec la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlan­tique ; la troisième à La Roche-sur-Yon le 20 septembre 2006, avec le Souvenir vendéen et l’Institut Catholique d’Études Supérieures qui a créé un Groupe de polémologie et stratégie dont c’était la première manifestation. 25 communications ont été présentées et discutées au cours de ces trois journées. 23 sont ici publiées. Il en manque deux, celles de Reynald Secher sur la signification idéologique des guerres de Vendée et de Jean-François Pernot sur les villes dans les opérations des guerres de Vendée. Leur retranscription, initialement prévue, s’est finalement révélée impossible, par suite d’un problème technique avec les bandes d’enregistrement. Lorsque ce problème a été constaté, les délais étaient trop courts pour que les auteurs puissent reconstituer leurs textes. Nous espérons néanmoins pouvoir récupérer ces importantes communications et les publier dans un complément au présent volume.

À ces communications ont été ajoutés plusieurs textes déjà publiés, pour l’essentiel, dans la Revue du Souvenir vendéen et dans le Bulletin de la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlantique. Dans le premier cas, il s’agit d’un article d’André Sarazin, aujourd’hui décédé, et de plusieurs contributions de Madame Simone Loidreau, que des problèmes de santé ont empêchée de parti­ciper aux journées d’étude. Il nous a paru important de reprendre ces textes qui montrent, comme aujourd’hui ceux de Pierre Gréau, qu’une histoire proprement militaire des guerres de Ven­dée est possible, le manque de sources n’étant, trop souvent, qu’un alibi commode, alors que la matière existe et même abondamment. Le texte de Claudy Valin avait été précédemment publié dans les actes du colloque “La Vendée et le monde”, publié dans les Enquêtes et documents (n° 20) de l’Université de Nantes. L’article de Xavier du Boisrouvray, “Comment combattaient les Vendéens ?”, a paru dans le Bulletin de la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlantique. L’essai de synthèse du professeur Jean-Pierre Bois, “Charette et la guerre”, a paru dans les actes du colloque “Charette” publiés dans les Enquêtes et documents de l’université de Nantes. La réédition de ce dernier texte s’imposait d’autant plus que la faillite de l’éditeur a entraîné l’arrêt de la collection et la disparition des stocks, de sorte que les actes de ce colloque sont désormais très difficiles à trouver. L’article du médecin-général Carré sur les généraux républicains est issu de sa communica­tion au colloque international d’histoire militaire de 1989.

Nous avons repris deux articles de Bernard Peschot parus dans des revues régionales, peu accessibles : “Le triomphe de la Vendée militaire”, paru dans Histoire et défense, les cahiers de Montpellier, et “La question des niveaux de pacification dans les guerres de l’Ouest. L’exemple du général Hoche”, paru dans Impacts. Ces deux rééditions constituent aussi un hommage à l’un de nos plus grands historiens militaires modernistes, dont l’œuvre n’est malheureusement connue que d’une poignée de spécialistes. Il a été la premier à mettre en lumière l’importance de la petite guerre à l’époque moderne et sa thèse sur La Chouannerie en Anjou, malheureusement peu diffusée, est un chef d’œuvre dont il n’existe pas d’équivalent sur les guerres de Vendée.

Enfin nous avons repris deux pièces que l’on n’ose pas dire archéologiques, mais déjà anciennes. D’abord, un article de synthèse d’Eric Muraise sur l’insurrection catholique de l’Ouest paru dans la Revue historique de l’armée en 1966. Eric Muraise, plus connu pour ses romans pour la jeunesse, a été l’un de nos plus grands historiens militaires dans les années 1950-1970. Son Introduction à l’histoire militaire, récemment rééditée, reste une lecture obligée. Il a également écrit d’autres livres, en collaboration avec le général Gambiez, sous son véritable nom, Eric Muraise étant le pseudonyme du colonel Maurice Suire. L’article du colonel Madelin est le texte d’une conférence prononcée dans le cadre d’un exercice de contre-insurrection à l’Ecole supérieure de guerre à la fin des années 1950. Il n’a pas été possible de retrouver de version publiée. L’intelligence de l’analyse politique de la pacification reste inégalée, un demi-siècle plus tard.

Ce programme ne concerne que les guerres de Vendée, même si l’on a rajouté, grâce à l’obligeance de M. Paul Roger, un article sur les mouvements bretons. Il faudrait compléter cette recherche par son équivalent sur l’ensemble des mouvements insurrectionnels de l’Ouest, voire à l’échelle de la France entière, pour replacer l’insurrection ven­déenne dans son contexte historique et pour essayer de faire ressortir, de manière plus systématique que cela n’a été fait jusqu’à présent, les points communs entre tous ces mouvements, mais aussi les spécificités irréductibles de chacun. Bernard Peschot a bien montré que l’appella­tion générique de chouannerie pouvait recouvrir des phénomènes très différents dans leur intensité, dans leurs structures, voire dans leur nature, et cela est vrai tant dans l’espace que dans le temps. Il faudrait procéder à cette comparaison systématique des chouanneries bretonne, normande, sarthoise, mayennaise…

Le but de ce programme est de replacer les guerres de Vendée dans le contexte général des guerres irrégulières et de fournir des maté­riaux en vue d’une synthèse, qui reste encore largement à écrire. Alain Gérard, le directeur du très dynamique Centre Vendéen de Recherches Historiques, écrivait, en 1992, que “l’histoire militaire des guerres de Vendée attend encore son historien” et ce constat reste largement valable. En lisant les contributions ici réunies, le lecteur pourra se convaincre que les historiens ont, malgré tout, été actifs et que notre connaissance de l’histoire militaire des guerres de Vendée a beaucoup progressé. Il ne reste plus qu’à rassembler ces fragments disjoints. Peut-être est-ce paradoxalement l’énormité de la bibliographie qui a découragé les chercheurs de se lancer dans une telle entreprise. Sans oublier naturellement l’aspect idéologique qui demeure très présent.

Ici surgit une objection qu’il vaut mieux prévenir qu’essayer de la dissimuler. Le travail en réseau unit des partenaires d’origines très différentes, dont certains sont nettement engagés dans un camp. L’objet du Souvenir vendéen est de perpétuer le souvenir des martyrs de la Vendée. Il continue une historiographie “blanche”, qui se reconnait dans la somme de Crétineau-Joly plutôt que dans celle de Chassin. Il nous paraît qu’aujourd’hui, la césure la plus décisive, sur un plan pure­ment historiographique, est moins entre historiens “bleus” et historiens “blancs” qu’entre les historiens qui se reportent aux sources primaires, archives et témoignages de l’époque, sans en exclure aucune a priori, et ceux qui se bornent à recopier ce qui a été écrit avant eux, en ne retenant qu’une version. La Revue du Souvenir vendéen peut revendi­quer un niveau scientifique comparable à celui de beaucoup de revues universitaires. À l’origine simple bulletin de liaison, elle a évolué vers une forme de plus en plus élaborée, avec des articles de fond d’une qualité souvent remarquable. Le fait que ses membres se sentent héri­tiers des insurgés de Vendée ne doit pas conduire à remettre en cause a priori le niveau scientifique de leur contribution. Au reste, on remar­quera que cette objection est toujours faite à sens unique. Personne n’a jamais osé mettre en doute le statut d’Ernest Labrousse, l’un des grands maitres de l’école des Annales, ou de Georges Lefebvre, qui a dominé l’historiographie révolutionnaire pendant une génération. Ernest La­brousse était directeur de la Revue socialiste, Georges Lefebvre était membre du parti communiste et nul n’y trouvait à redire. Sur un sujet d’histoire militaire, d’essence technique, dans lequel il n’y a pas besoin de prendre parti sur les grandes questions polémiques, ce genre de controverse ne devrait pas avoir d’objet. Comme l’a si bien dit Jacques Hussenet, il faut “transcender les clivages partisans et extraire les informations utilisables là où elles se trouvent, quelles que soient les opinions de leurs auteurs”. Encore une fois, le but de cette recherche n’est pas de réécrire l’histoire des guerres de Vendée, mais simplement de mettre l’accent sur une dimension militaire qui devait être fonda­mentale comme dans toute guerre, mais qui a été un peu trop éclipsée par les enjeux politiques dans l’historio­graphie contemporaine. Cette recherche espère être utile, à la fois, à l’histoire militaire et à la théorie stratégique.

Nous avons essayé, dans la mesure du possible, d’homogénéiser la présentation des textes ainsi que l’orthographe des personnages et des lieux. Un tel exercice est très difficile, en raison de la grande liberté (ou de l’anarchie) qui existait alors. On parle ainsi du prince de Talmont ou de Talmond. La Révolution a encore compliqué les choses dans le cas des ci-devant nobles : on a ainsi le général du Bayet ou Dubayet, le chevalier Des Touches ou Destouches… De la même manière, une bataille peut être désignée sous plusieurs noms différents, Claudy Valin donne ici l’exemple, porté à l’extrême, de la bataille dite du Pont-Charrault. Nous n’avons pas cherché à réaliser une standar­disation factice là où ce n’était pas indispensable.

À l’issue de cette recherche qui s’est étalée sur plus de cinq années, c’est pour nous un agréable devoir que de remercier tous ceux qui y ont contribué, d’une manière ou d’une autre. D’abord, en priorité, ceux qui ont accepté de participer aux journées d’étude et de mettre en forme leur contribution. Ensuite, les présidents des associations qui ont bien voulu s’associer à cette entreprise et ont permis à ce livre de voir le jour : Mlle Thérèse Rouchette pour la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlantique et M. Jehan de Dreuzy pour le Souvenir vendéen. Mme Simone Loidreau a généreusement soutenu notre initiative et autorisé la reproduction de plusieurs de ses articles. M. François Boulêtreau, directeur général de l’Institut Catho­lique d’Etudes Supérieures, nous a accordé une aide inestimable en accueillant la troisième journée d’étude et en permettant, par son soutien financier, la publication du présent volume. M. Jean-Marie Schmitt, directeur général de l’Institut d’Etudes Supérieures des Arts, nous a généreusement accueillis pour la première journée d’étude dans ses locaux de l’avenue de l’Opéra à Paris, tandis que l’équipe du musée Dobrée nous accueillait pour la deuxième à Nantes. M. Jean-François Dubos a efficacement contribué à la relecture, Mlle Isabelle Redon a pris en charge l’édition du volume. Que tous trouvent ici l’expression de notre reconnaissance. Naturelle­ment, chaque auteur n’est responsa­ble que de ce qu’il a écrit, les maîtres d’œuvre assurant seuls la respon­sabilité de l’ensemble et de ses inévitables imperfections.

 Hervé Coutau-Bégarie et Charles Dore Graslin


[1]    Hervé Coutau-Bégarie (dir.), Stratégies irrégulières, Paris, ISC-Économica, 2010, reprise d’un numéro spécial de Stratégique, n° 93-94-95-96, 2009.

[2]    Revue internationale d’histoire militaire, n° 85, 2009.

[3]    Stratégique, n° 101-102, juillet 2010.

[4]    Sandrine Picaud-Monnerat, La Petite guerre au xviiie siècle, Paris, ISC-Économica, 2010.

[5]       Une esquisse a été proposée dans Hervé Coutau-Bégarie, “Irrégularité et guerre sur mer”, Bulletin d’études de la marine, n° 45, mai 2009, p. 109-110.

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Le meilleur des ambassadeurs. Théorie et pratique de la diplomatie navale

Hervé Coutau-Bégarie

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Table des matières 

AVANT-PROPOS

INTRODUCTION
Une découverte récente
Une inconnue française ?

PREMIERE PARTIE – THEORIE

CHAPITRE PREMIER – HISTOIRE DE LA DIPLOMATIE NAVALE

Préhistoire de la diplomatie navale
La maturation de l’époque moderne
L’âge d’or de la diplomatie des canonnières
La diplomatie de la canonnière hors d’Europe
La diplomatie de la canonnière dans les crises européennes
Les mutations du XXe siècle
L’entre-deux-guerres
Le déclin de la diplomatie de la canonnière
Nouvelles formes de la diplomatie navale

CHAPITRE II – TYPOLOGIE DE LA DIPLOMATIE NAVALE

Marine et politique étrangère
Considérations générales
L’indétermination du concept
Les définitions de James Cable
Les fonctions
Diplomatie permanente
Diplomatie de crise
Les catégories
Diplomatie préventive, diplomatie réactive
Diplomatie coopérative, diplomatie coercitive
Diplomatie nationale, diplomatie multinationale
Autres critères
Les instruments
Diplomatie nucléaire, diplomatie conventionnelle
Diversité des moyens
Les résultats

DEUXIEME PARTIE – LA DIPLOMATIE NAVALE FRANÇAISE
INTRODUCTION

CHAPITRE III – BILAN QUANTITATIF

Constitution du corpus
Les sources
Critères du corpus
Problèmes d’identification
Exploitation du corpus
Diplomatie de routine
Diplomatie humanitaire
Diplomatie protectrice
Diplomatie de puissance
Essai d’évaluation quantitative

CHAPITRE IV – LES INTERVENTIONS POLITIQUES PAR THEATRES D’OPERATIONS

Méditerranée
Maghreb
Le soutien à l’Irak
La guerre du Golfe en Méditerranée
Les crises libanaises
Les crises en ex-Yougoslavie
La lutte contre le terrorisme en Méditerranée
Océan Indien
Mer Rouge et Corne de l’Afrique
Golfe Persique
La participation à la lutte anti-terroriste après le 11 septembre 2001
Zone Sud de l’océan Indien
Pacifique
Missions de souveraineté
Mission de rétablissement de l’ordre au Vanuatu
Le secours aux boat people en mer de Chine méridionale
La crise de Timor
Atlantique Sud
Les premiers déploiements
Les croisières Corymbe
L’activité dans les Caraïbes

CHAPITRE V – L’EFFICACITE POLITIQUE DE LA DIPLOMATIE NAVALE FRANÇAISE

Impact symbolique
Impact de la diplomatie de coopération
Le soutien aux alliés et amis de la France
Le rang de la France en coalition
La guerre du Golfe : un échec relatif
Impact de la diplomatie de coercition
De la diplomatie de la canonnière à la coercition
Succès dans la guerre Iran-Irak
L’imbroglio libanais
Le surengagement yougoslave

TROISIEME PARTIE – ÉLEMENTS DE COMPARAISON
INTRODUCTION

CHAPITRE VI – UNE LEÇON D’HISTOIRE : LA DIPLOMATIE

NAVALE SOVIETIQUE ET RUSSE
Diplomatie symbolique
Diplomatie active
Diplomatie protectrice
Diplomatie de coopération
Diplomatie de coercition
Efficacité de la diplomatie navale
La diplomatie navale russe

CHAPITRE VII – LA DIPLOMATIE NAVALE AMERICAINE

La tradition de la diplomatie de la canonnière
Diplomatie humanitaire
Diplomatie protectrice
Diplomatie de puissance

CHAPITRE VIII – L’AFFIRMATION DES DIPLOMATIES NAVALES ASIATIQUES ET OCEANIENNES

L’émergence de la diplomatie navale japonaise
Bilatéralisme : le problème de la Corée
Multilatéralisme (I)
Multilatéralisme (II) : maintien de la paix
Vers une diplomatie navale coréenne
Coopération : visites, exercices, maintien de la paix
Coercition : un avertissement au Japon
La diplomatie navale chinoise
Coercition : de la diplomatie du missile à la diplomatie du sous-marin
Coopération : la diplomatie des visites et des manœuvres conjointes
La diplomatie navale australienne
L’alliance avec les États-Unis
La stabilité régionale
La diplomatie navale indienne
Rayonner sur tout l’océan Indien
S’affirmer sur la scène mondiale
La diplomatie navale pakistanaise

CHAPITRE IX – VERS UNE DIPLOMATIE NAVALE EUROPEENNE ?

Des coopérations opérationnelles insignifiantes
Les opérations en mer d’Arabie
Les opérations en Adriatique
L’échec des coopérations institutionnelles
L’absence de diplomatie navale européenne
L’échec d’EUROMARFOR
Une première : l’opération Atalanta
Perspectives
Une diplomatie européenne de défense ?
Une diplomatie navale humanitaire ?
L’intervention dans les crises
Des fragments disjoints
Diplomatie navale britannique
Diplomatie navale italienne
Diplomatie navale espagnole
Diplomatie navale allemande
Et les autres…

CONCLUSION GENERALE

BIBLIOGRAPHIE

INDEX

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Chapitre Premier. Histoire de la diplomatie navale

L’indifférence des théoriciens navals à l’égard de notre sujet n’a d’égale que celle des historiens. Les multiples histoires de marines présentent un récit discontinu, passant d’une guerre à l’autre, comme si les intermèdes des entre-deux-guerres étaient vides, seulement dignes d’être évoqués pour la préparation de la guerre à venir. Il n’existe aucun survol, aussi sommaire soit-il, de l’histoire de la diplomatie navale. Le dernier livre de sir James Cable, The Political Influence of Naval Force in History, a un but plus vaste et son investigation est fondamentalement limitée à l’Europe moderne et au monde contempo­rain. De simples sondages suggèrent pourtant l’universalité du phéno­mène, bien au-delà des mers européennes. Le présent chapitre n’a pour ambition que de donner une idée des possibilités d’une enquête systé­matique. Il faut cependant toujours garder à l’esprit les inconvénients d’une catégorisation trop rigide : la distinction marquée entre la guerre et la paix est le produit d’une lente maturation du droit international, elle ne trouve pas nécessairement à s’appliquer pour les périodes ancienne ou médiévale. C’est l’éternel problème de la théorie qui englobe dans un concept unique des réalités changeantes, aux frontières souvent floues.

Préhistoire de la diplomatie navale

La flotte athénienne pratiquait fréquemment cette diplomatie d’intimidation, quand elle faisait la tournée des cités vassales de la ligue de Délos : lorsque, à la veille de la guerre du Péloponnèse, les cités de Lesbos voulurent sortir de l’alliance athénienne, “les Athé­niens, prévenus, envoyèrent quarante navires assortis d’un ultimatum, firent une démonstration de force jusqu’à conclusion d’un armistice”[1]. On a de multiples exemples de diplomatie de coopération (avec le droit d’épimachie, qui permettait d’envoyer des secours à un allié sans entrer formellement en guerre) ou de coercition (en 426, les Athéniens envoient 60 navires pour contraindre Melos à l’alliance, puis, dix ans après, 36 navires, qui assiègent la ville et la détruisent). De même, la flotte romaine, avant que la Méditerranée ne devienne un lac romain par conquête de toutes ses rives, mais aussi après, est utilisée à de multiples reprises, à des fins diplomatiques, pour prévenir les insoumis­sions. Le procédé est aussi utilisé à l’encontre des peuples du Nord : en 4 ou 5, Germanicus conduit sa flotte jusqu’au promontoire des Cim­bres, à la pointe du Danemark, pour impressionner les populations litto­rales[2]. En 358, l’empereur Julien effectue une campagne vers l’embou­chure du Rhin, avec une flotte de 600 navires, pour mettre fin aux attaques des pirates francs : cette grandiose démonstration de force incite les Francs à traiter[3]. Une fois l’empire parvenu à son maximum d’extension, la marine manifeste la présence de Rome aux frontières et sur les mers lointaines, jusqu’en Inde, intervenant parfois dans des conflits locaux[4].

On peut citer des exemples au Moyen Âge, malgré la régression stratégique qui caractérise cette période, particulièrement dans le domaine naval : en 939, le roi angle Athelstan envoie une flottille sur le continent pour soutenir le roi carolingien Louis IV, aux prises avec une révolte ; en 972, le roi Edgar se rend à Chester pour son couronnement, accompagné de sa flotte ; il reçoit l’hommage de six rois qui s’engagent à combattre avec lui[5]. Les Vikings envoient des “levées navales” (stefnu leidangr) à l’occasion des couronnements ou des rencontres “au sommet” : il s’agit de flottes imposantes et leur arrivée est préparée avec beaucoup de soin, pour produire le maximum d’effet[6].

On trouve des exemples comparables pour la Méditerranée[7]. Mais la distribution entre diplomatie navale est souvent malaisée, à la fois par manque de documentation et parce que la démarcation entre paix et guerre est, le plus souvent, ténue : dans quelle catégorie faut-il inscrire les multiples expéditions de l’empire carolingien contre les “pirates” (de leur point de vue, des guerriers) frisons, saxons, vikings en mer du Nord ?

Le plus bel exemple de diplomatie navale n’est pourtant pas européen, mais chinois. La Chine, on l’ignore trop souvent, a été une grande puissance maritime qui a dominé toutes les mers d’Orient à plusieurs reprises, notamment entre le xe et le xve siècle. La dynastie mongole des Yuan, à la fin du xiiie siècle, lance des expéditions outremer, qui sont de véritables campagnes militaires, contre le Japon (1274 et 1281) ou Java (1292), avec des résultats divers. La dynastie nationale des Ming, qui la remplace en 1368, ne cherche pas la soumission par la force, mais une soumission formelle, matérialisée par le “tribut” ; pour l’obtenir, de grandes expéditions maritimes sont lancées : “elles sont à la fois des entreprises de prestige, des expédi­tions militaires, des voyages diplomatiques et de grandes tournées commerciales”[8]. Le point culminant se situe dans les premières décen­nies du xve siècle lorsque l’empereur Yong Le envoie, à sept reprises, entre 1405 et 1433, une flotte de plus de 300 jonques, commandée par Zheng He et montée par 30 000 hommes, faire le tour de l’océan Indien pour recueillir le tribut[9]. À l’occasion, elle intervient dans les litiges entre colons chinois et pouvoir local ou dans des querelles de succes­sion ou de voisinage. Les marins chinois iront ainsi jusqu’à Ormuz, Aden, et Zanzibar, dans une impressionnante démonstration de puis­sance, qui ne sera pas poursuivie, pour des raisons sur lesquelles les historiens n’ont pas encore réussi à se mettre d’accord[10].

La maturation de l’époque moderne

L’époque moderne voit le retour en force de cette dimension politique de la marine, qui se manifeste par des préparatifs à finalité dissuasive, des démonstrations et des croisières visant à montrer le pavillon et à appuyer la politique du souverain. De tels signaux sont parfaitement compris, parfois au-delà du cercle étroit des gouvernants : “Tout Rome se perd en conjectures sur la destination de la flotte française, qui appareille au début de 1572 dans un contexte de grande tension avec l’Espagne”[11]. Lorsque la Suède essaie de prendre le contrôle de Dantzig en 1656, les Provinces-Unies envoient une flotte, qui contraint le roi Charles X de Suède à renoncer à son entreprise[12].

Au xviiie siècle, ce genre de démonstration devient plus courant. La puissance maritime britannique se fait une spécialité du genre après sa victoire dans la guerre de Sept Ans, au point qu’un historien a pu parler d’“utilisation, généralement couronnée de succès, de la puis­sance navale dans une diplomatie « au bord du gouffre » (brink­manship) durant la période de 1764-1775”[13]. C’est généralement l’Espagne qui en fait les frais, notamment lors de la crise de 1770, qui voit les Britanniques mettre la main, une première fois, sur les îles Malouines-Malvinas, rebaptisées Falkland[14], puis, vingt ans plus tard, lors de la crise du Nookta Sound, en 1790 : l’Angleterre appuie ses prétentions sur la future Colombie britannique par la concentration d’une flotte qui croise au large d’Ouessant durant tout l’été ; l’Espagne riposte par des mesures de mobilisation navale, tandis que la France arme 14, puis 45 vaisseaux[15]. Finalement, la crise se termine par un règlement diplomatique, mais, parfois, de telles démonstrations peuvent dégénérer en épreuve de force : le célèbre “coup de Copenhague”, par lequel Nelson s’empare de la flotte danoise en 1801[16], n’est que l’aboutissement d’une longue série, aussi bien en Baltique, où les Britanniques sont très actifs, qu’en Méditerranée. Bien sûr, il n’y a pas que des succès. Si la France renonce à soutenir la Pologne en 1734 et en 1773, précisément à cause de la supériorité de la Royal Navy, la Russie, beaucoup moins vulnérable à une quelconque pression navale, ne se laisse pas intimider, tant en 1719, lorsque l’envoi d’une escadre britannique en Baltique ne convainc nullement Pierre le Grand de renoncer à ses conquêtes sur la Suède, qu’en 1790-1791, lors de la crise dite d’Ouchakov : la tentative britannique d’inciter Catherine la Grande à renoncer à ses conquêtes sur la Turquie échoue pareillement, con­trairement aux prévisions trop optimistes d’un diplomate selon lesquel­les “la simple idée d’une telle apparition [de la Royal Navy] suffira probablement à amener les Russes aux termes qu’elle appuierait”[17].

La Grande-Bretagne n’a pas le monopole de telles actions. La France agit à de multiples reprises, aussi bien à l’encontre des cités italiennes que des Barbaresques. À l’automne 1792, lorsque la tension est à son comble entre la France et le Saint-Siège, des navires français viennent croiser au large des États pontificaux, menace à laquelle le pape ne peut répondre que par l’organisation d’un jubilé de prière[18]. En 1770, la Russie tente une intimidation contre Malte, dans l’espoir d’y obtenir une base de revers contre la Turquie : “Le 24 mars 1770, trois bâtiments russes « farcis de monde » se présentèrent à l’entrée du Grand Port, mais ayant refusé de se soumettre à la quarantaine, ils furent fermement priés de faire demi-tour”[19].

Contre les Barbaresques, un pays comme le Danemark envoie à plusieurs reprises des escadres en Méditerranée, pour appuyer la conclusion de traités avec la régence d’Alger (en 1746, 1769-1770)[20]. Même les États-Unis s’y mettent, avec des expéditions contre les cor­saires de Tripoli et d’Alger dès les premières années du xixe siècle[21].

La dimension politique de la puissance navale est donc bien perçue. Au début de la guerre de Succession d’Espagne, l’amiral Norris demande l’armement du plus grand nombre de navires possible : “Cela doit prévenir les Français de se déclarer contre nous, ce qui est évi­demment leur inclination, ainsi que leur intérêt”[22]. Mais, pour autant, la diplomatie navale n’est pas routinière, car “les marines manquaient beaucoup de cette flexibilité qui en a fait un instrument diplomatique efficace dans les époques récentes. Les flottes étaient lentes à équiper, sujettes à de longues attentes dans des mouillages houleux, et une fois à la mer, elles étaient difficiles à contacter et à contrôler”[23]. Le perfectionnement de l’administration navale, avec un système de fréga­tes qui permet des communications plus régulières avec la terre, donc avec le gouvernement, explique le recours plus intensif aux démons­trations navales au xviiie siècle.

L’âge d’or de la diplomatie des canonnières

Au xixe siècle, à l’époque de la pax britannica, la diplomatie navale est devenue d’emploi courant. Cela tient à deux innovations majeures : d’abord, la révolution de la vapeur, qui permet une mobilisa­tion et un transfert plus rapides des flottes, qui doivent désormais disposer de bases permanentes outre-mer ; ensuite, l’apparition des câbles sous-marins, qui permettent aux chancelleries d’être informées et de donner des instructions, sinon en temps réel, du moins en temps utile[24]. Innovations auxquelles il faut ajouter un droit international qui, s’il proclame le dogme intangible de la souveraineté des États, avec son corollaire, la non-intervention, le limite aux États “civilisés” pour admettre, à l’inverse, un droit et même un devoir d’intervention, à l’égard des “races inférieures” et des États non européens. La fin des guerres napoléoniennes va mettre fin à la retenue jusqu’alors observée[25] et le succès facile des premières entreprises de coercition incitera les puissances européennes à des interventions de plus en plus brutales.

Toutes les marines européennes participent au mouvement, avec des missions qui combinent objectifs diplomatiques, commerciaux et scientifiques. Parfois, les marins dépassent leur rôle de fournisseurs de moyens de transport et d’intimidation pour devenir eux-mêmes diplo­mates et signent, avec ou sans l’aval de leurs chancelleries, traités de commerce ou de protectorat. C’est à cette époque que sont institution­nalisés les attachés navals, premiers marins à être officiellement dotés d’un statut permanent de diplomates : largement méconnus, ils joueront, en maintes occasions, un rôle important, parfois décisif[26], notamment avant la Grande Guerre, lors de l’élaboration de multiples conventions navales. On verra aussi l’envoi des premières missions navales, pour la formation des nouvelles marines. La puissance navale dominante est le modèle que tous s’efforcent de copier : la Royal Navy envoie des missions en Turquie, au Chili, au Japon… La France, qui a dû sacrifier ses relations privilégiées avec la marine japonaise (l’ingé­nieur Émile Bertin est l’organisateur des arsenaux japonais) à l’alliance franco-russe, a des missions en Grèce et au Pérou à partir de 1905. Cette dernière sera victime d’un scandale militaro-financier, à la suite de la vente du vieux croiseur Dupuy de Lôme pour trois millions de francs-or : mis en service en 1895, il était complètement démodé et la plupart des Péruviens y ont vu une escroquerie ; il en a résulté une campagne de presse qui s’est terminée par la fin de la mission navale française en 1914[27].

La diplomatie de la canonnière hors d’Europe

Cette diplomatie navale est généralement caractérisée par un degré relativement primitif d’emploi de la force, loin de la graduation subtile qui caractérise notre époque. Le “service des canonnières chargé de la police des côtes du Céleste Empire” en est l’exemple le plus pittoresque et le plus connu, mais il est loin d’être le seul. Les stations d’Extrême-Orient disposent aussi de navires de haute mer, croiseurs et cuirassés[28]. On connaît les conséquences immenses des visites de l’escadre du commodore Matthew Perry au Japon, en juillet 1853 et février 1854, qui contraignent le Japon à s’ouvrir au monde : Perry réussit là où le commodore Biddle avait échoué sept ans plus tôt, parce que son affaire avait été très soigneusement préparée (il avait bien compris l’importance du cérémonial pour les Japonais) et qu’il dispo­sait de navires à vapeur, alors que Biddle n’avait que des navires à voile. Les Européens prennent ensuite le relais en profitant de la guerre de Sécession qui détourne les États-Unis du Pacifique : en 1863 et 1864, des escadres combinées franco-britanniques bombardent les ports de Kagoshima et Shimonoseki. Mais le Japon réussit à préserver son indépendance et il apprend vite : dès 1876, il recourt au même procédé à l’égard de la Corée, obligée de lui ouvrir trois ports.

Les affaires japonaises et chinoises ne sont que les épisodes les plus connus d’une succession d’ambassades auxquelles prennent part toutes les puissances européennes : l’Italie envoie ainsi, en 1866, la corvette Magenta, pour la signature des premiers traités de commerce et de navigation avec le Japon (25 août) et avec la Chine (26 octobre)[29], puis la corvette Principessa Clotilde, en 1871, pour la signature du traité d’amitié et de navigation avec la Birmanie (3 mars). En 1876, la corvette Vettor Pisani, commandée par le duc de Gênes, permet l’éta­blissement de relations diplomatiques avec la Corée[30]. La différence principale avec notre époque est le recours plus fréquent et plus « facile » à la force, lorsque les nationaux sont menacés ou lorsque les exigences diplomatiques et commerciales ne sont pas satisfaites avec suffisamment de célérité : l’amiral Daveluy a laissé un tableau particu­lièrement vivant de la démonstration effectuée par la division navale d’Extrême-Orient contre le Siam en 1893[31]. Dans nombre de cas, la démonstration dégénère en imposition du protectorat ou en annexion pure et simple. C’est ainsi que la France met la main sur l’Indochine et sur Madagascar, entre autres. En Indochine, il y a d’abord des démons­trations navales pour protéger les missionnaires français : en 1843 et 1845, deux frégates parviennent à se faire remettre des missionnaires français condamnés à mort ; en 1847, une nouvelle démonstration en faveur de la liberté du culte catholique dégénère en combat contre la flotte annamite, qui est détruite, mais ce succès tactique se paie d’une recrudescence des persécutions anti-chrétiennes, comme celle de 1856. Le parti catholique en profite pour obtenir “un coup de vigueur” contre Tourane, de concert avec les Espagnols, qui veulent venger l’exécution d’un de leurs évêques. La prise de Tourane, en septembre 1858, ouvre la voie à celle de Saigon, en février 1859, puis à un engrenage qui aboutit à l’établissement de la France en Cochinchine : “La campagne de Cochinchine est l’exemple type de l’opération de « maintien de la paix » qui a « échoué » et s’est transformée sous la pression des événe­ments militaires en conquête territoriale puis en colonie”[32]. L’affaire malgache est également représentative du processus : au départ, il y a l’envoi d’une escadre, commandée par le contre-amiral Pierre, pour faire respecter les traités de 1841 et 1842 avec les Sakalaves de la côte, face aux empiètements du gouvernement hova soutenu par la Grande-Bretagne ; l’ultimatum ayant été repoussé, Tamatave est bombardée et occupée le 13 juin 1883. S’ensuit une implantation militaire, prélude à la conquête totale de l’île en 1895, malgré les protestations britanni­ques.

L’empire turc est fréquemment visé, dès la première moitié du xixe siècle, lorsque l’Europe envoie ses flottes au secours des insurgés grecs : la démonstration destinée à “en imposer aux Turcs et les déterminer à transiger” se termine par la destruction de la flotte turque à Navarin, en 1827[33] ; à maintes reprises, les stations de Méditerranée orientale viennent protéger les chrétiens d’Orient. C’est le lieu d’élec­tion de la rivalité franco-anglo-russe[34], qui se manifeste avec éclat lors de la crise de 1840 : après être restée passive face aux demandes d’assistance du sultan confronté aux velléités d’indépendance du pacha d’Égypte Méhémet-Ali, la diplomatie britannique se décide à intervenir pour faire échec à la France, qui soutient Méhémet-Ali, et ne pas laisser le sultan s’en remettre à la Russie ; en avril 1840, le Mediterranean Squadron est envoyé à Constantinople pour prévenir une attaque égyp­tienne ; en juin, un détachement est expédié à Beyrouth pour protéger les intérêts britanniques en cas de trouble. Il s’agit jusqu’alors de dissua­der Méhémet-Ali d’entreprendre de nouvelles opérations, mais ce but négatif cède bientôt la place à un objectif plus ambitieux : le contraindre à abandonner la Syrie. Le 9 septembre, l’amiral Stopford bombarde Beyrouth, un corps expéditionnaire est mis à terre ; enfin, le 3 novembre, Saint-Jean d’Acre est bombardée et occupée, ce qui conduit Méhémet-Ali à céder. La Grande-Bretagne est parvenue à ses fins, non sans avoir risqué une crise majeure avec la France, qui aurait pu dégénérer en guerre sans la prudence du roi Louis-Philippe[35].

 C’est le début des interventions humanitaires, au bénéfice des ressortissants nationaux et européens, en premier lieu, mais plus géné­ralement des personnes ou des communautés menacées, comme l’indi­que le ministre de la Marine français en 1841 : “Dans le cas où il s’agirait de sauver des proscrits ou de soustraire à la vengeance du vainqueur les vaincus… il n’y aurait plus lieu de se renfermer sur l’attitude passive… L’humanité a des droits que rien ne peut faire méconnaître”[36]. Apparaît ainsi l’intervention d’humanité qui ne sera théorisée que plus tard, mais qui est bien à la base de l’intervention française en Syrie, en 1860, destinée à arrêter les massacres perpétrés par les Druzes contre les Chrétiens. Les instructions du commandant de la division navale du Levant sont explicites : “Votre tâche est, avant tout, une tâche d’humanité… Il importe que votre présence prouve aux montagnards que nous ne sommes point indifférents à leur sort et que nous compatissons à leurs maux”[37].

Les pays d’Amérique latine, nouvellement indépendants, ont également fait les frais, à de multiples reprises, de cette diplomatie de la canonnière, sans pouvoir se défendre autrement que sur un plan juridique en essayant de mettre la protection diplomatique hors la loi (par les clauses Calvo et Drago, que les juristes européens s’empres­saient de déclarer invalides). C’est par une telle intervention que commence la guerre du Mexique, les autres pays européens choisissant ensuite de se retirer, tandis que la France continuera[38]. C’est également une telle intervention qui marque le début de l’affirmation internatio­nale des États-Unis, lorsque ceux-ci se manifesteront avec éclat durant la crise venezuelienne de 1902-1903, pour s’opposer aux prétentions européennes et mettre en pratique la doctrine de Monroë : pour la première fois, l’US Navy concentre dans les Caraïbes une flotte supé­rieure à la force anglo-italo-allemande qui a entrepris le blocus des ports venezueliens, bombardant certains d’entre eux et détruisant la flotte venezuelienne pour obtenir le paiement des dettes. L’épisode contribue encore à renforcer le navalisme aux États-Unis[39]. Mais certains États d’Amérique latine ne se contentent pas de subir, ils se lancent eux aussi dans des démonstrations navales, notamment l’Argen­tine et le Chili, qui se disputent la Patagonie : en novembre 1878, les deux pays sont sur le point d’en venir à la guerre lorsque chacun envoie une division navale vers le détroit de Magellan. Finale­ment, un accord est trouvé, mais la tension persistante entraînera une course aux armements navals, qui ne sera enrayée que par les Pactos de Mayo, en 1902[40].

C’est à cette époque que s’organisent les opérations de protection ou d’évacuation de ressortissants lors des guerres civiles ou inter­étatiques, effectuées par les navires de différents pays qui agissent parallèlement. La coordination est parfois prévue au niveau diploma­tique, mais, le plus souvent, elle s’organise sur place, de manière empirique. En 1890, lors de la mutinerie de la flotte argentine, les commandants des navires étrangers présents à Rio de Janeiro (un Espagnol, deux Britanniques et un Uruguayen), se concertent et sortent en colonne pour intimer aux mutins l’ordre de cesser leur bom­bardement[41]. L’épisode le plus spectaculaire est la révolte des Boxers, en 1900 : les commandants des stations navales française, britannique, russe, allemande, italienne, autrichienne, américaine et – fait nouveau – japonaise se concertent pour assurer la protection des légations face aux insurgés ; à l’exception de l’américain, qui a reçu de son gouvernement l’ordre de ne pas intervenir[42], ils envoient à terre des détachements qui vont soutenir un siège de 55 jours, abondamment popularisé par la littérature et le cinéma, jusqu’à leur délivrance. L’affaire dégénérera en guerre, avec l’envoi d’un corps multinational de 120 000 hommes aux ordres du maréchal allemand von Waldersee[43]. Moins spectaculaire est la coordi­nation des stations navales à l’occasion de la guerre hispano-américaine de 1898, à Cuba et aux Philippines, des crises coréennes, lors du déclenchement de la guerre russo-japonaise, en 1904, et lors de l’annexion par le Japon, en 1910[44], ou de la révolution chinoise de 1911.

Il peut y avoir aussi des missions qui se rapprochent des actuelles missions de service public, comme la lutte de la Royal Navy contre la traite dans la première moitié du xixe siècle, avec déjà les ambiguïtés qui s’attachent aux actuelles interventions humanitaires : même quand ils sont acquis à l’abolition de la traite, les dirigeants américains n’acceptent pas un droit de visite contraire à la liberté des mers (il est vrai que la Grande-Bretagne en avait plus qu’abusé durant les guerres napoléoniennes, n’hésitant pas à rafler des marins américains pour compléter les équipages de la Royal Navy) ; chaque interception, lorsqu’elle est suivie d’une fouille, entraîne des protestations et des demandes d’indemnité[45].

La diplomatie de la canonnière dans les crises européennes

Mais les victimes pouvaient aussi être européennes, comme le Portugal, lors du forcement des défenses du Tage par l’escadre de l’amiral Roussin en 1831. Et, naturellement, il y a les démonstrations navales entre puissances européennes lors des crises : la plus specta­culaire est celle de 1840 à propos de l’Égypte[46], qui manque de peu de dégénérer en guerre, mais il y en a d’autres : lors du coup d’État du 2 décembre 1851, l’escadre française établit une croisière dans la Manche contre une hypothétique descente britannique.

Vers la fin du siècle, les démonstrations navales se multiplient au fur et à mesure que le climat international se tend et que les alliances s’organisent : en février 1888, le gouvernement italien s’attend à une attaque imminente de la France, à la suite de propos provocateurs tenus par des officiels français. Il appelle l’Allemagne au secours, mais celle-ci n’a pas encore de flotte de haute-mer ; Bismarck réussit à convaincre le gouvernement britannique d’envoyer une escadre de la Royal Navy faire escale à Gênes. Cette visite est abondamment couverte par la presse internationale, et notamment française, qui comprend parfaite­ment l’avertissement. Dès le mois suivant, une nouvelle démonstration anglo-italo-autrichienne est menée devant Barcelone en soutien du premier pacte méditerranéen implicitement dirigé contre la France[47]. Certaines de ces visites peuvent d’ailleurs avoir un effet pervers : en 1891, la Mediterranean Fleet fait escale à Fiume puis à Venise. Il n’y a là que des visites de bon voisinage sans message politique particulier. Mais les décideurs français établissent un lien, purement artificiel, entre ces escales et la visite d’État du Kaiser à Londres. Ils y voient l’amorce d’une coalition contre la France, ce qui les incite à resserrer l’alliance franco-russe, d’où la décision d’envoyer la flotte française en visite à Kronstadt[48]. Cette visite, en août 1891, est suivie de celle de l’escadre russe de l’amiral Avellan à Toulon, en octobre 1893. L’accueil est enthousiaste, l’alliance franco-russe est scellée aux yeux du monde.

Le retentissement est immense, suscitant de vives inquiétudes à Londres[49]. L’escadre italienne se rend en visite à Toulon en 1901, marquant la fin d’une longue période de brouille et ouvrant la voie aux accords secrets de 1902 qui détachent de facto l’Italie de la Triplice[50]. En 1903, l’Espagne, inquiète des menées britanniques et allemandes, envisage une alliance avec le bloc franco-russe. La France répond à ses invitations par une spectaculaire visite de sa flotte à Carthagène qui reçoit une grande publicité et a un impact profond dans les milieux politiques et militaires espagnols, sans pour autant déboucher sur l’alliance espérée par Madrid, en raison des divergences de vue entre les deux capitales[51].

On assiste aussi, le climat de rivalités impériales aidant, à une diplomatie navale de prestige, qui culmine avec la célèbre croisière autour du monde de la Great White Fleet de décembre 1907 à février 1909, décidée par le président Théodore Roosevelt : une escadre de 16 cuirassés parcourt 43 000 milles en quinze mois, avec vingt escales sur tous les continents. L’affaire a été préparée avec le plus grand soin sur le plan diplomatique : au moment où les relations avec le Japon se dégradent, Roosevelt s’est assuré que la flotte américaine serait la bienvenue en baie de Tokyo ; il confie à l’amiral Sperry un message pour l’empereur ; afin de ne pas inquiéter les Chinois, seule une partie de l’escadre s’arrêtera dans un port chinois et il n’y aura pas d’escale à Hong Kong, pour ne pas suggérer une collusion anglo-américaine. Ce premier grand déploiement sur toutes les mers manifeste avec éclat la montée en puissance des États-Unis. L’Australie, dominion britanni­que, insiste pour que la White Fleet fasse escale dans ses ports[52].

Certains pays, qui n’ont pas les moyens d’une telle politique, essaient de se rattraper par des effets d’annonce, ce que l’on appellera plus tard une stratégie déclaratoire. Les Russes sont particulièrement experts dans ce domaine : “les Russes étaient de bons publicistes (bien meilleurs que l’amirauté britannique[53]) et toutes sortes de merveilles étaient constamment annoncées comme prêtes à sortir des chantiers de Sébastopol et de Kronstadt. En 1894, par exemple, ils annonçaient un programme vicennal de 24 cuirassés et 13 croiseurs. En 1896, ils promettaient solennellement de répondre navire pour navire aux Britanniques avec des unités égales ou supérieures. L’opinion publique britannique avalait ces histoires et même l’Amirauté, qui de toute façon n’avait pas de raison de calmer les inquiétudes publiques, s’y laissait prendre de temps à autre”[54]. Il peut en résulter un décalage fâcheux entre la stratégie déclaratoire et la réalité des moyens, avec parfois des conséquences diplomatiques. C’est ainsi que les Russes insistent auprès de Paris pour obtenir un accès à la base de Bizerte, qui leur permettrait d’établir une division navale en Méditerranée. Le Quai d’Orsay serait prêt à leur donner satisfaction, mais la rue Royale s’y oppose farouchement, précisément parce qu’elle connaît l’état de faiblesse de la marine russe, qui n’a pas les moyens de ses ambitions[55].

Au début du xxe siècle, la visite de la canonnière allemande Panther à Agadir a un immense retentissement : elle projette au premier plan de l’actualité européenne la crise marocaine[56] et donne un nom à notre phénomène, puisque c’est elle qui popularise l’expression “diplomatie de la canonnière”. L’affaire a été étudiée en détail par Jean-Claude Allain qui a en fait ressortir toute sa complexité. La lecture commune y voyait une illustration de l’impulsivité du Kaiser qui aurait agi “sur un coup de tête”, par simple désir de montrer sa force. L’ou­verture des archives révèle, au contraire, une décision soigneuse­ment mûrie et pesée dans tous ses détails. Au départ, Guillaume II était opposé à une démonstration navale, dont il pensait qu’elle ne produirait aucun effet. Il a changé d’avis après la marche des Français sur Fès, qui violait manifestement l’accord d’Algésiras sur le statut du Maroc, et après avoir épuisé les ressources de la diplomatie classique. Agadir a été choisi de préférence à Mogador, pour éviter des complications avec les puissances européennes ; une préparation diplomatique en direction des tribus locales est prévue, avec des agents ; le secret qui entoure l’opération est très vigoureux, les exécutants étant informés au dernier moment, par un télégramme en forme d’acrostiche (d’où le nom de code : opération Acrostychen) ; le commandant du croiseur Berlin, qui rejoint la Panther, reçoit l’ordre d’éviter toute démonstration intempes­tive. De fait, la surprise sera totale et l’effet saisissant, alors que l’es­cale de la canonnière Eber à Casablanca, quelques mois plus tôt, était passée inaperçue. L’opération a donc été bien préparée et plutôt bien conduite, même si l’obsession du secret a empêché la préparation psychologique prévue d’avoir lieu (les agents ont été prévenus trop tard). Ses effets n’en sont pas moins discutables : malgré les précau­tions prises, c’est l’Allemagne qui passe pour le fauteur de crise, alors même que c’est la France qui a pris l’initiative de remettre en cause le statut de l’empire chérifien. Le président du Conseil Joseph Caillaux a “géré” la crise intelligemment, s’abstenant de toute escalade : la canonnière La Surprise est mise en alerte à Casablanca, mais n’est pas envoyée à Agadir. La France sort diplomatiquement renforcée de l’affaire et consolide son emprise sur le Maroc. En même temps, sans cette démonstration, l’Allemagne aurait été mise devant le fait accom­pli sans aucune compensation, alors que la négociation qui s’ensuit lui en octroie en Afrique équatoriale (c’est l’accord sur “le bec de canard”). On mesure la difficulté d’une utilisation symbolique et “maitrisée” de la force.

Célèbre entre toutes, l’affaire d’Agadir est loin d’être la seule de son espèce. Il y en a plusieurs durant les crises balkaniques. La tension est à son comble à l’été 1908, lorsque l’Autriche-Hongrie annexe la Bosnie, qu’elle occupe depuis 1878. Face aux réactions serbes et russes, le gouvernement de Vienne concentre sa flotte dans le port de Cattaro en octobre 1908 ; en mars 1909, lorsque la Serbie relance la crise en réclamant un accès à la mer, l’escadre austro-hongroise se livre à des manœuvres, incluant des exercices de débarquement près de la frontière montenegrine ; un accord entre Rome et Vienne est finalement conclu le 31 mars et la flotte austro-hongroise est démobilisée le mois suivant[57]. En novembre 1912, lorsque la Serbie occupe Saint-Jean de Medua et Durazzo, Vienne réagit en rappelant son escadre, alors en croisière en mer Égée, et en mettant en alerte sa flottille du Danube ; seule l’internationalisation de la crise évitera qu’elle ne dégénère en guerre[58].

Certaines interventions multinationales pour faire respecter le droit peuvent être regardées comme les ancêtres des actuelles opéra­tions sous mandat. La Méditerranée a vu se succéder de telles opéra­tions à partir des années 1880, au fil des crises balkaniques : en 1896-1897, la crise crétoise aboutit au blocus de la partie occidentale de l’île par une force internationale pour empêcher la Grèce d’approvisionner les insurgés ; en 1912, les velléités serbes de main-mise sur le Monté­négro entraînent un blocus international des côtes monténégrines, qui contraint la Serbie à renoncer à son dessein d’envoyer à Scutari des troupes transportées par des navires grecs. L’année suivante, la crise albanaise, du fait de la rivalité entre l’Italie et l’Autriche-Hongrie, est réglée par un blocus international de Durazzo[59].

Le recensement de toutes ces manifestations reste à faire. Une étude historique comparative ferait apparaître un corpus extrêmement étendu concernant la plupart des pays européens. Il suffit de lire les études de Mariano Gabriele et Giuliano Friz[60] pour mesurer l’implica­tion de l’instrument naval italien dans ce genre de pratique en Médi­terranée bien sûr, mais aussi en mer Rouge, dans l’Atlantique Sud et jusqu’en Extrême-Orient et dans le Pacifique Sud-Est.

Les mutations du xxe siècle

Avant même la première guerre mondiale, des signes annoncia­teurs laissent augurer du déclin de la diplomatie des canonnières : c’est ainsi que la deuxième convention de la Haye, dite convention Porter, en 1907, interdit le recours à la force pour le paiement des dettes et lui substitue l’arbitrage. Surtout, les marins eux-mêmes tendent à se désintéresser de ces actions “périphériques” pour concentrer toute leur énergie sur la guerre générale qui se profile à l’horizon, avec une netteté grandissante à partir des premières années du xxe siècle. Lord Fisher, réorganisant la Royal Navy dans la perspective d’une guerre contre l’Allemagne, sacrifie sans états d’âme les stations lointaines au profit d’une concentration dans les eaux métropolitaines (la Home Fleet), en vue de la bataille décisive ; dans ses mémoires, parus après la première guerre mondiale, il tournera en ridicule les protestations des diplomates. La stratégie navale se trouve dépouillée d’un volet, aupa­ravant essentiel, de sa dimension politique, pour être asservie à la guerre future[61].

L’entre-deux-guerres

Après la première guerre mondiale, la diplomatie navale est confrontée à une mutation de l’environnement international, principale­ment d’ordre juridique : alors qu’auparavant, l’intervention était prati­quement une compétence discrétionnaire de l’État, elle tend de plus en plus à se transformer en compétence liée, c’est-à-dire encadrée par des conditions : le doyen Georges Scelle, l’un des plus illustres internatio­nalistes français, affirme ainsi que “l’intervention a pour but le main­tien de l’ordre public international et la réalisation du Droit. Le cas type est celui de l’intervention d’humanité”[62]. On voit donc s’es­quisser une remise en cause de la diplomatie de puissance au profit d’une diplomatie humanitaire. Naturellement, la pratique reste en retard sur la théorie : les démonstrations nationales demeurent, mais l’on assiste à la multiplication d’opérations multinationales, sous l’égide de la Société des nations ou de coalitions ad hoc.

En 1919, la France envoie le croiseur La Marseillaise dans la Baie allemande, à la demande du gouvernement danois qui craint des manifestations allemandes dans le Schleswig, où doit être organisé un plébiscite. Cette intervention classique, purement française, cède bientôt la place à la première opération navale multinationale sous mandat de la SDN : celle-ci met en place une commission internatio­nale de surveillance du plébiscite, appuyée par une force navale franco-britannique, placée sous les ordres d’un amiral britannique. D’autres interventions se produisent en Baltique pour soutenir l’indépendance des États baltes et de la Finlande[63].

Les années 1930 voient la répétition des crises en Europe, dont certaines entraînent des démonstrations navales de grande ampleur. La plus impressionnante intervient en 1935-1936 : le gros des moyens de la Royal Navy est concentré en Méditerranée et à Gibraltar pour faire fléchir Mussolini : le First Sea Lord explique qu’un tel envoi “would act as a deterrent to Mussolini”[64], c’est l’une des toutes premières occurrences militaires du concept de dissuasion. Double échec : l’Italie ne renonce pas à la conquête de l’Éthiopie et il ne reste plus grand-chose dans les eaux métropolitaines lorsque Hitler remilitarise la Rhénanie, en mars 1936, affaiblissant encore la capacité de réaction britannique. Tout de suite après éclate la guerre civile espagnole, qui se traduit par un engagement massif des marines européennes, pour des évacuations de ressortissants espagnols qui relèvent de la diplomatie humanitaire[65], des évacuations de nationaux ou à l’appui de l’un ou de l’autre belligérant[66] (l’Italie allant jusqu’à engager clandestinement des sous-marins contre les cargos soviétiques qui ravitaillent les républi­cains[67]) ou pour faire respecter le droit international (la conférence de Nyon organise un dispositif de lutte contre ces sous-marins “pirates”[68]).

La diplomatie de la canonnière, sous sa forme la plus primaire, n’est pas pour autant devenue caduque, les petits souverains du Moyen-Orient, notamment ceux du golfe Persique, en font encore l’expé­rience : encore en 1930, lorsque l’émir de Sharjah a l’audace de refuser le stationnement d’une barge de la Royal Air Force dans ses ports, la Grande-Bretagne réagit en envoyant un navire qui détruit sa flotte perlière. En 1933, le gouverneur de Djibouti craint une déstabilisation de la colonie par suite des incursions répétées de “bandes éthio­piennes”. La marine envoie d’abord deux petits bâtiments, les avisos Vimy et Diana, pour une mission en mer Rouge, puis le transport d’hydravions Commandant Teste, qui arrive à Djibouti le 5 mars et met en œuvre ses hydravions au-dessus du désert, avec des effets immé­diats : “Arrivée Commandant Teste, Ypres et troupes produit un effet moral considérable… Gouvernement Abyssinie a aussitôt fait transmet­tre gouverneur intentions amicales”[69].

Le déclin de la diplomatie de la canonnière

Après 1945, l’usage, même limité, de la force devient de plus en plus difficile, car les victimes n’hésitent plus à riposter : sir James Cable date le tournant de 1949, lorsque la frégate Amethyst, qui remonte le Yang Tse jusqu’à Nankin, où elle doit assurer la protection de l’ambassade britannique, se fait canonner par une batterie commu­niste : plusieurs fois touchée, obligée de s’échouer, elle parvient à se dégager et à rejoindre la haute mer ; mais plus aucun navire occidental n’essaiera de remonter les fleuves chinois[70]. Le droit international se montre de plus en plus hostile à la diplomatie de la canonnière. La Grande-Bretagne, en fait l’amère expérience dès 1949, lorsqu’elle est condamnée par la Cour internationale de justice pour avoir pénétré dans les eaux territoriales albanaises en vue de neutraliser un champ de mines posé clandestinement par le gouvernement communiste de Tirana (opération Retail) : la Cour n’admet pas l’argument de la légi­time défense[71]. De même, les États-Unis seront sévèrement condamnés, en 1986, pour leurs activités illicites contre le Nicaragua sandiniste[72]. Plus remarquable encore, la Cour a récemment renvoyé dos à dos les États-Unis et l’Iran dans l’affaire de la destruction des plates-formes pétrolières détruites par l’US Navy en 1987 : par une démarche assez tortueuse, elle a considéré que la preuve de la nationalité de la mine ayant endommagé le destroyer Samuel B. Roberts (fait à l’origine de l’action américaine) n’était pas apportée et, qu’en tout état de cause, la riposte était disproportionnée[73].

Nouvelles formes de la diplomatie navale

Cette double évolution, jointe à l’émergence d’un nouveau droit de la mer consacré par la IIIe convention des Nations unies sur le droit de la mer signée le 10 décembre 1982, a pu conduire certains observa­teurs à mettre en doute la pérennité de la diplomatie navale[74]. Craintes compréhensibles, en une période de profonde transformation du système international, mais démenties par la simple observation de l’actualité internationale : la diplomatie de la canonnière, dans sa forme “rustique”, est plutôt passée de mode, elle n’a pas pour autant disparu. La Chine, la Turquie, pour ne citer qu’elles, recourent volontiers aux démonstrations de force. Et le Mexique, en avril 1979, a effectué une manifestation que l’on croyait surannée, à savoir l’envoi d’une division navale, à bord de laquelle avait embarqué le président de la Répu­blique, pour prendre solennellement possession de l’île Clarion, à 1 100 km des côtes mexicaines[75]. Dans les années 1970-1980, les attaques de territoires, le plus souvent insulaires, n’ont pas manqué : Abou Moussa et les Tomb par l’Iran en 1971 ; Mbanié par le Gabon en 1972 ; les Paracels par la Chine en 1974 ; Chypre par la Turquie en 1974 ; le Timor oriental par l’Indonésie en 1975 ; les Spratleys par plusieurs riverains à partir de 1976 ; les Malouines par les Argentins en 1982 ; la Grenade par les États-Unis en 1983. Et cette diplomatie navale “traditionnelle” est rejointe (ou relayée) par des utilisations politiques, de l’instrument naval plus variées, plus complexes et au moins aussi nombreuses, sinon plus, avec la multiplication des conflits économiques (guerres de la morue entre l’Islande et la Grande-Bre­tagne, de l’anchois entre les riverains d’Amérique latine et les pays pra­tiquant la pêche lointaine… ; disputes innombrables sur la délimitation des zones économiques) et des crises régionales ou locales dans lesquelles l’instrument naval sert à manifester sa présence et à envoyer des signaux.

Loin de décliner, la diplomatie navale aurait plutôt tendance à proliférer et à “se démocratiser” comme l’a bien vu James Cable, pour des raisons à la fois techniques et politiques : techniques, avec la “diffusion de la puissance maritime” rendue effective par le missile, les patrouilleurs légers, les mines… qui ont donné une réelle capacité de nuisance aux marines les plus faibles dans les eaux côtières[76] ; politi­ques, dès lors que “les petits États non seulement peuvent causer da­vantage de dégâts en mer, mais en outre, ils sont souvent moins expo­sés qu’auparavant à des représailles”[77]. La conclusion est logi­que : “Nous pouvons raisonnablement espérer, même si nous ne pouvons pas en être certains, que la plupart des marins du monde effectueront leur carrière sans jamais recevoir l’ordre d’ouvrir le feu dans une guerre internationale. Ceci ne doit pas conduire à mettre en doute l’utilité de leurs fonctions. Dans les dernières décennies du vingtième siècle, il restera d’autres utilisations, plus fréquentes, des marines”[78].



[1]     Jean-Nicolas Corvisier, “Écrire et maintenir la paix dans le monde grec antique”, dans Isabelle Clausel, “Il n’est de trésor au monde que de paix”, Hommes, lieux et instruments de pacification de l’Antiquité à nos jours, Cahiers du Boulonnais, Cycle d’études en pays boulonnais, vol. II, 2007, pp. 24.

[2]     Renseignement fourni par M. Pierre Laederich.

[3]     John Haywood, Dark Age Naval Power. A Reassessment of Frankish and Anglo-Saxon Seafaring Activity, Londres-New York, Routledge, 1991, p. 42.

[4]     Michel Reddé, Mare nostrum, Les infrastructures, le dispositif et l’histoire de la marine militaire sous l’empire romain, Rome, École française de Rome, 1986 et Jean Peyras, “La marine romaine, arme d’élite méconnue : logistique, opérations combinées, interventions au sol”, dans Jean-Pierre Bois (dir.), Dialogues militaires entre Anciens et Modernes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004.

[5]     Jean-Michel Rat, L’Éveil de la marine dans l’Angleterre du haut Moyen-Âge, Ville­neuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1999, pp. 150-151.

[6]     On en trouve des descriptions dans l’histoire de Saint Olaf (renseignement fourni par M. François-Xavier Dillmann).

[7]     Archibald R. Lewis, Naval Power and Trade in the Mediterranean A.D. 500-1100, Princeton, Princeton University Press, 1951.

[8]     Jacques Dars, La Marine chinoise du xe au xive siècle, Paris, CFHM-Économica, 1992, p. 349.

[9]     Edward L. Dreyer, Zheng He, China and the Oceans in the Early Ming Dynasty 1405-1433, New York, Pearson, 2006.

[10]    Hervé Coutau-Bégarie, “L’autre moitié du monde. L’influence de la puissance maritime sur l’histoire de l’Orient”, dans Christian Buchet, Jean Meyer et Jean-Pierre Poussou (dir.), La Puissance maritime, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2003.

[11]    Alain Tallon, “Diplomatie, réforme catholique et conscience nationale : la papauté au miroir de la monarchie française pendant les guerres de religion”, Annuaire-bulletin de la Société de l’histoire de France, 1999, p. 36.

[12]    R.C. Anderson, Naval Wars in the Baltic, 1552-1850, Londres, Francis Edwards, 1969.

[13]    Jeremy Black, “Introduction”, dans Jeremy Black and Philip Woodfine (eds), The British Navy and the Use of Naval Power in the Eighteenth Century, Leicester Univer­sity Press, 1988, p. 16.

[14]    L’utilisation politique de la Royal Navy durant la période 1763-1775 a été étudiée par Nicholas Tracy dans Navies, Deterrence and American Independence. Britain and Sea Power in the 1760s and 1770s, Vancouver, University of British Columbia Press, 1988, précédé par d’importants articles : “Parry of a threat to India 1768-1774”, Mariner’s Mirror, 59, 1973 ; “The gunboat diplomacy of the government of George Grenville: the Honduran, Turks Islands and Gambian Incidents”, Historical Journal, 17, 1974 ; “The Falkland Islands crisis of 1770 : use of naval force”, English Historical Review, 90, 1975.

[15]    Barry M. Gough, Distant Dominion. Britain and the Northwest Coast of North America 1579-1809, Vancouver-Londres, University of British Columbia Press, 1980, pp. 113-114.

[16]    Succès tactique, mais erreur politique à terme, car ces démonstrations brutales jettent le Danemark dans l’alliance française, jusqu’en 1814.

[17]    Jeremy Black, op. cit., p. 17.

[18]    Gérard Pelletier, Rome et la Révolution française, Rome, École française de Rome, 2004, p. 93.

[19]    Alain Blondy, “Malte, enjeu diplomatique européen au xviiie siècle”, dans Chris­tiane Villain-Gandossi, Louis Durteste et Salvino Busuttil (dir.), Méditerranée Mer ouverte, Malte, Fondation internationale, 1997, tome I, p. 116. Il ne s’agissait pas d’une simple intimidation, puisque les navires devaient appuyer un soulèvement.

[20]    Dan H. Andersen, “La politique danoise face aux États barbaresques (1600-1845)”, dans Gérard Le Bouedec et François Chappé (dir.), Pouvoirs et littoraux du xve au xxe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2000, pp. 246-247.

[21]    En 1803, la frégate Philadelphia s’échoue devant Tripoli et est capturée. Le lieute­nant de vaisseau Stephen Decatur parvient à pénétrer dans le port sur un ketch tripo­litain et à incendier la frégate. Renato Battista La Racine, “Le guerre degli Stati Uniti contro gli stati barbareschi (1801-1805 e 1816)”, Rivista Marittima, janvier 2008.

[22]    Philip Woodfine, “Ideas of naval power and the conflict with Spain 1737-1742”, dans Jeremy Black and Philip Woodfine (eds), op. cit., p. 78.

[23]    Idem.

[24]    Paul Kennedy, Stratégie et diplomatie 1870-1945, Paris, Économica, 1989.

[25]    Encore en 1816, un commandant britannique, qui a pénétré dans le port de Macao, est réprimandé et relevé de ses fonctions.

[26]    En attendant une étude comparative, cf. Geneviève Salkin-Laparra, Marins et diplomates, Vincennes, Service historique de la Marine, 1989.

[27]    Robert L. Scheina, Latin America. A Naval History 1810-1897, Annapolis, Naval Institute Press, 1987, p. 131.

[28]    Pour l’Angleterre, cf. les travaux pionniers de Gerald S. Graham, Great Britain in the Indian Ocean 1810-1850, Oxford, Oxford University Press, 1967 et The China Station. War and Diplomacy 1830-1860, Oxford, Clarendon Press, 1978. Pour les États-Unis, Robert Erwin Johnson, Far China Station. The U.S. Navy in Asian Waters 1800-1878, Annapolis, Naval Institute Press, 1979. Pour la France, Hervé Barbier, La Division navale d’Extrême-Orient, thèse, Université de Nantes, 2006. Ce ne sont que quelques jalons dans une littérature devenue abondante.

[29]      Accessoirement, le Magenta est le premier navire de la marine italienne à effectuer une circumnavigation.

[30]    Ezio Ferrante, “Marina e diplomazia”, Afari sociali internazionali, n° 1, 2000, p. 31-32.

[31]    Amiral Daveluy, Réminiscences, Paris, CFHM-Économica, 1992, tome I, pp. 163-168.

[32]    Michèle Battesti, La Marine de Napoléon III, Vincennes, Service historique de la Marine, 1997, tome 2, p. 896.

[33]    Michèle Battesti, “La bataille de Navarin, prélude à l’indépendance de la Grèce”, dans Français et Anglais en Méditerranée 1789-1830, IIIe Journées franco-britanni­ques d’histoire de la marine, Vincennes, Service historique de la Marine, 1990.

[34]    Cf., entre autres, C.I. Hamilton, Anglo-French Naval Rivalry 1840-1870, Oxford, Clarendon Press, 1993 et John C.K. Daly, Russian Seapower and “the Eastern Ques­tion”, Annapolis, Naval Institute Press, 1991.

[35]    John B. Hattendorf, “The Bombardement of Acre, 1840 : a case study in the use of naval force for deterrence”, dans Les Empires en guerre et paix 1793-1860. IIe Journées franco-anglaises d’histoire de la marine, Vincennes, Service historique de la Marine, 1990.

[36]    Instructions du commandant d’une frégate envoyée en Crète, lors de l’insurrection de 1841, citées dans Patrick Louvier, “La Marine française et la sécurité des Chrétiens du Levant au xixe siècle (1815-1878)”, Chronique d’histoire maritime, n° 57-58, décembre 2004-mars 2005, p. 38.

[37]    Michèle Battesti, op. cit., tome 2, p. 897.

[38]    Jean Avenel, La Campagne du Mexique (1862-1867), Paris, Économica, 1996.

[39]    Ronald Spector, “Roosevelt, the Navy and the Venezuelan Controversy 1902-1903”, American Neptune, 1972 et Holger H. Herwig, Politics of Frustration : The United States in German Naval Planning 1898-1914, Boston, Little Brown, 1976, pp. 76-80.

[40]    Robert L. Scheina, op. cit., pp. 45-52.

[41]    Robert L. Scheina, op. cit., p. 56. Le même scenario se reproduira en 1893 au Brésil, lors de la révolte de la marine brésilienne.

[42]    Les États-Unis ne restent pas autant inactifs. Ils renforcent leur station, qui va compter jusqu’à 42 unités. Le secrétaire à la Marine Long prescrit à son commandant de profiter de la crise pour obtenir une base bien placée. Lorsque l’affaire s’ébruite, les Japonais font acidement remarquer que ce projet contrevient au principe d’intégrité territoriale de la Chine énoncé par le secrétaire d’État Hay quelques mois plus tôt. Il faut y renoncer.

[43]    Raymond Bourgerie, Pierre Lesouef, La Guerre des Boxers (1900-1901), Paris, Économica, 1998.

[44]    Évoquée dans la thèse citée de Hervé Barbier.

[45]    Bernard Semmel, Liberalism and Naval Strategy. Ideology, Interest and Sea Power during the Pax Britannica, Boston, Allen and Unwin, 1986, p. 34.

[46]    Patrick Louvier, La Puissance navale et militaire britannique en Méditerranée 1840-1871, Vincennes, Service historique de la Défense, 2006.

[47]    Théodore Ropp, The Developpment of a Modern Navy. French Naval Policy 1871-1904, Annapolis, Naval Institute Press, 1987, p. 192-195.

[48]    Théodore Ropp, op. cit., p.295.

[49]    En témoigne l’article de William Laird Clowes, l’un des chroniqueurs navals les plus en vue, dans le Times du 31 octobre 1893, “Toulon and the French Mediterranean Fleet”, qui relance l’épouvantail de la menace française en Méditerranée.

[50]    Pierre Milza, Français et Italiens au tournant du siècle, Rome-Paris, École fran­çaise de Rome – de Boccard, 1982.

[51]    Theodore Ropp, op. cit., p. 338.

[52]      Richard D. Challener, Admirals, Generals and American Foreign Policy 1898-1914, Princeton, Princeton University Press, 1973, pp. 258-261.

[53]    Cette affirmation est pour le moins contestable, car l’Admiralty avait développé un art consommé de la manipulation de la presse et de l’opinion visant à susciter des “paniques navales” (navy scares) lorsque le Cabinet ne lui accordait pas les crédits qu’elle réclamait.

[54]    Theodore Ropp, op. cit., p. 241.

[55]    Theodore Ropp, op. cit., p. 243.

[56]    Cf. Jean-Claude Allain, Agadir 1911, Paris, Publications de la Sorbonne, 1976.

[57]    Milan N. Vego, Austro-Hungarian Naval Policy 1904-1914, Londres-Portland, Frank Cass. 1996, pp. 51-53.

[58]    Paul G. Halpern, The Mediteranean Naval Situation 1908-1914, Cambridge, Harvard University Press, 1971.

[59]    Cf. Paul G. Halpern, The Mediterranean Naval Situation, op. cit.

[60]    Mariano Gabriele, Giuliano Friz, La Flotta como strumento di politica nei primi decenni dello stato unitario italiano, et La Politica navale italiana dal 1885 al 1915, Rome, Ufficio storico della marina militare, 1982. Également, sur l’affaire tunisienne, Mariano Gabriele, Marina e diplomazia a metà ottocento, Rome, Rivista marittima, 1996.

[61]    La théorie navale rend bien compte de cet appauvrissement. Mahan et ses épigones ne s’intéressent qu’à la bataille décisive. Même Corbett, de loin le plus perspicace, inscrit sa distinction entre major strategy et minor strategy dans le seul contexte de la guerre.

[62]    Georges Scelle, Précis du droit des gens, Paris, Sirey, deuxième partie, 1934, p. 31.

[63]    Jean-David Avenel, Interventions alliées pendant la guerre civile russe 1918-1920, Paris, Économica, 2004.

[64]    Arthur J. Marder, “The Royal Navy and the Ethiopian Crisis of 1935-1936”, dans son recueil From Dardannelles to Oran. Studies on the Royal Navy in War and Peace, Oxford, Oxford University Press, 1974, p. 68.

[65]    Sir James Cable, “Naval Humanitarianism”, International Relations, XI-4, avril 1993.

[66]    Claude Huan, “La marine allemande dans la guerre d’Espagne”, Historia, n° 487, juillet 1987.

[67]    Patrizio Rapalino, La Regia Marina in Spagna 1936-1939, Milan, Mursia, 2007.

[68]    René de Lachadenède, La Marine française et la guerre d’Espagne, Vincennes, Service historique de la Marine, 1993.

[69]    Rapport du contre-amiral Joubert, cité dans Arnaud Prudhomme, “Mission express à Djibouti”, Cols bleus, n° 2648, 15 février 2003, p. 29.

[70]    James Cable, The Political Influence of Naval Force in History, Londres, Macmillan, 1998, p. 154.

[71]    Arrêt du 4 avril 1949, Royaume-Uni contre Albanie, affaire du détroit de Corfou.

[72]    Arrêt du 27 juin 1986, Nicaragua contre États-Unis d’Amérique, Affaire des acti­vités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci.

[73]    Arrêt du 6 novembre 2003, République islamique d’Iran contre États-Unis d’Amé­rique, Affaire des plates-formes pétrolières. Cf. Pierre d’Argent, “Du commerce à l’emploi de la force : l’affaire des plates-formes pétrolières (arrêt sur le fond)”, Annuai­re français de droit international, 2003.

[74]    Par exemple, Elizabeth Young, “New laws for old navies : military implications of the law of the sea”, Survival, novembre-décembre 1974 ; Peter Nailor, “A new envi­ronment for navies”, dans Geoffrey Till (ed.), Maritime Strategy and the Nuclear Age, New York, St Martin Press, 2e éd. 1984, pp. 163-164.

[75]    Charles Rousseau, “Chronique des faits internationaux”, Revue générale de droit international public, 1979, p. 408. À vrai dire, personne ne songeait à contester au Mexique la possession de cette île, mais deux précautions valent mieux qu’une, d’au­tant que le Mexique a gardé un amer souvenir d’un arbitrage du roi d’Italie en 1931, à propos de Clipperton.

[76]    James Cable, “The diffusion of maritime power”, 1982, repris dans son recueil Diplomacy at Sea, Londres, Macmillan, 1985.

[77]    James Cable, “Conflict at Sea”, Naval Review, avril 1986, p. 107.

[78]    James Cable, Navies in Violent Peace, Londres-New York, Macmillan Press, 1989, p. 31.

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Introduction

L’une des principales transformations du système stratégique contemporain est la fin de la distinction tranchée entre la guerre et la paix, pour des raisons multiples. Elles sont d’abord juridiques, avec la fin du droit à la guerre pour les États, auxquels la charte des Nations unies ne reconnaît plus que le droit à la légitime défense. Elles sont aussi politiques, avec la multiplication d’états intermédiaires entre la paix et la guerre que l’on a appelé “paix-guerre” (Beaufre) dès 1939, puis guerre froide à l’époque de l’affrontement planétaire américano-soviétique, que l’on appelle aujourd’hui crises dans le nouvel environ­nement stratégique. Elles sont enfin, et probablement surtout, techni­ques, avec l’avènement de l’arme nucléaire qui a introduit une mutation fondamentale : l’impossibilité d’un conflit majeur volontairement planifié a suscité en contrepartie une instabilité accrue au niveau inférieur : l’instrument militaire est constamment appelé à intervenir, tant dans un but de dissuasion que d’action.
Plusieurs appellations ont été proposées pour rendre compte des actions engendrées par ces crises. Dès le début des années 1960, on s’est mis à parler de diplomatie de la puissance, de diplomatie d’intimi­dation, de diplomatie coercitive, de diplomatie militaire… Sur un registre différent, les Britanniques, en 1998, dans la Strategic Defence Review, ont introduit le concept de Defence Diplomacy, entendu comme la participation des forces armées à la politique extérieure de l’État en dehors de tout emploi de la force. Ce concept a été repris simultané­ment en Espagne, par la Revision estrategica de la Defensa 2003, et en France, par la loi de programmation militaire 2003-2008 qui lui donne une portée plus large, en la définissant comme “la partici­pation des forces armées aux actions de la diplomatie française”. Au-delà des différentes appellations, on retrouve la même idée de combi­naison d’une logique d’influence, caractéristique de la diplomatie, et d’une logique de puissance, caractéristique de la stratégie. Plus que jamais, les forces armées sont appelées à être des instruments de politique étrangère. Constamment sollicitées pour des actions qui ne sont plus seulement militaires, mais désormais civilo-militaires, elles mettent en œuvre une panoplie complète de moyens, avec une échelle de menace ou d’emploi de la force de plus en plus complexe et subtile.À vrai dire, ce n’est pas une nouveauté absolue. L’utilisation politique des forces armées est aussi vieille que les forces armées permanentes elles-mêmes. La diplomatie navale a une histoire très ancienne et très riche. Cette dimension politique est intrinsèquement liée aux marines, dont l’une des missions est de montrer le pavillon. Les fonctions de la marine en temps de paix sont nettement plus importantes que celles de l’armée de terre parce que sa flexibilité est incomparablement plus grande, comme le notait déjà l’amiral Chasse­loup-Laubat sous le Second Empire : “L’action maritime, quel que soit le plus ou moins de succès, n’entraîne guère après elle que les conséquences que le Gouvernement peut vouloir en faire sortir[1]. Mais, pendant très longtemps, on n’y a porté qu’une attention très réduite. La raison d’être des forces armées est, en effet, de faire la guerre. C’est dans cette optique guerrière qu’elles ont toujours été étudiées par les stratégistes et les tacticiens jusqu’à la seconde guerre mondiale. La doctrine n’avait pas d’autre finalité que de préparer la guerre future. La diplomatie navale n’était qu’un sous-produit, généralement réservé à des destinataires sous-développés, plus pittoresque que stratégiquement important. Les crises étaient certes nombreuses, mais elles n’étaient envisagées que sous l’angle du risque de guerre et ce travers a encore été accentué par Mahan et ses successeurs. On aboutissait ainsi à ce paradoxe, justement relevé par Ken Booth, que l’on disposait de beaucoup d’instruments, avec le développement de la stratégie nucléaire, pour penser l’utilisation presque inconcevable des armes les plus terrifiantes, et de très peu d’instruments pour penser les utilisations très diverses de la puissance navale moderne[2]. Ce n’est que très récemment que les analystes ont pris conscience de cette dimension politique et ont commencé à l’étudier en tant que composante de premier plan des fonctions des forces navales contemporaines.

Une découverte récente

Le grand fondateur a été l’ambassadeur britannique sir James Cable, avec son livre pionnier Gunboat Diplomacy, publié en 1971 par l’International Institute for Strategic Studies[3]. Il fait œuvre, à la fois, théorique, en proposant des catégories sur lesquelles nous reviendrons, et historique, en réunissant un corpus de 133 exemples de 1919 à 1970.

Edward N. Luttwak explore la voie ainsi ouverte dans une plaquette publiée en 1974, The Political Uses of Sea Power. Comme tous les continuateurs, il commence par critiquer le pionnier. Les catégories de Cable “mélangent les critères fonctionnel et d’intensité. En conséquence elles sont plus utiles à des fins de description que d’analyse”[4]. Il s’attache donc à proposer une nouvelle typologie des applications de la puissance navale à partir du concept de suasion, censé combiner la dissuasion et la persuasion. La suasion peut être mise en œuvre par n’importe quelle force armée, elle peut être latente, résultant de déploiements de routine ou non liés à une crise spécifique, ou active, résultant d’une action ou d’un signal délibéré. La suasion latente peut être en mode dissuasif ou en mode coopératif (supportive) ; la suasion active peut être coopérative ou coercitive avec, dans ce dernier cas, un but négatif (la dissuasion) ou un but positif (la persua­sion). Ce petit essai a rencontré une large audience, encore accentuée par l’immense succès du livre publié par Luttwak deux ans plus tard, The Grand Strategy of the Roman Empire. Il a le grand mérite d’attirer l’attention sur la dimension permanente de la diplomatie navale, alors que Cable se focalisait plutôt sur les manifestations de crise. Il témoi­gne d’un renversement de perspective : alors que Cable, diplomate de profession, adoptait une démarche résolument empirique, historico-descriptive, Luttwak, politiste de formation, se place d’emblée sur le plan théorique en transposant aux affaires navales des catégories et des concepts forgés par Thomas Schelling pour la stratégie nucléaire. Son livre a donc été utile, même si le pseudo-concept de suasion ne lui a pas survécu.

À peu près au même moment, le vice-amiral Stansfield Turner publie un article appelé à devenir un classique : “Missions of the US Navy” érige, en effet, la présence en fonction stratégique, à égalité avec la dissuasion, la maîtrise des mers et la projection de puissance[5]. Le bref essai du marin aura plus d’échos au sein de la profession que tous les écrits des théoriciens.

Le balancier ramène ensuite le sujet de l’autre côté de l’Atlan­tique, avec l’essai plus substantiel de Ken Booth, jeune politiste de l’Université du Pays de Galles à Aberystwyth, Navies and Foreign Policy, paru en 1977[6]. L’auteur essaie de présenter un panorama global des fonctions des marines qu’il regroupe en trois grandes catégories :

  • militaires : dissuasion nucléaire stratégique ; dissuasion et défense conventionnelles ; dissuasion et défense “étendues” (extended), visant à protéger les ressortissants et les intérêts à l’étranger et en haute mer ; maintien de l’ordre international en général et à la mer en particulier, avec la défense du droit de la mer mais aussi d’éventuelles revendications.
  • politiques : missions de police, mais aussi de politique inté­rieure : contribution à la construction de l’État-nation, à sa stabilité interne et à son développement.
  • diplomatiques : elles se déclinent en trois volets : 1. négocia­tion en position de force, avec les traditionnelles démonstra­tions navales ; 2. manipulation, pour modifier les comporte­ments des autres acteurs ; 3. prestige, qui résulte à la fois d’actions spécifiques comme les visites, mais surtout des capacités et du comportement de la marine.

Comme Luttwak, Booth est extrêmement sensible à la théorie. Là où Cable se situait encore dans une logique traditionnelle de force, Booth raisonne en termes de signaux : un déploiement naval est moins effectué pour recourir à la force que pour adresser un signal destiné à produire un effet psychologique chez le récepteur. Booth se montre également attentif à la dimension juridique, à laquelle il consacre, quelques années plus tard, un deuxième ouvrage, Law, Force and Diplomacy at Sea, paru en 1985, dans lequel il adopte une position ambivalente : d’un côté, il affirme que le temps de la diplomatie de la canonnière est révolu ; de l’autre, il estime que la multiplication des frontières maritimes, à la fois légales et psychologiques, peut donner une nouvelle signification aux déploiements navals[7].

Booth ne reviendra plus sur son sujet initial, puisqu’il va aban­donner le réalisme, ce courant jusqu’alors dominant dans la science des relations internationales qui place au premier plan l’usage ou la menace de la force par les États, pour se tourner vers les nouveaux paradigmes de la sécurité humaine et du constructivisme qui délaissent les approches traditionnelles, politico-militaires, au profit d’approches sociétales et globales. Comme Luttwak va, lui aussi, délaisser le sujet, celui-ci va redevenir l’apanage de sir James Cable, qui va refondre son maître-livre en 1979, puis en 1991[8], en intégrant les conséquences de la disparition de la menace soviétique, et le compléter par plusieurs travaux importants, parmi lesquels il faut principalement citer un recueil d’articles, Diplomacy at Sea, paru en 1984 ; un essai sur Britain’s Naval Future, publié en 1983 mais écrit juste avant le déclenchement de la guerre des Malouines ; un essai débordant du cadre de la diplomatie navale, sur les nouvelles fonctions des marines, Navies in Violent Peace, paru en 1989 ; et enfin un ultime ouvrage de synthèse, The Political Influence of Naval Force in History, paru en 1998[9]. Il meurt en 2001, laissant derrière lui une œuvre qui en fait, sans aucun doute, le plus important de tous les penseurs navals de la deuxième moitié du vingtième siècle. Il a créé un genre nouveau[10] et a obligé les analystes à penser la stratégie autrement, à ne plus limiter leur perspective à la préparation d’une guerre de haute intensité de plus en plus hypothétique.

Cable, à défaut d’avoir un véritable successeur, aura des disci­ples dans plusieurs pays. Curieusement assez peu en Grande-Bretagne, où il sera souvent cité, mais sans réussir à créer une école. Diplomate de carrière, tard venu à l’écriture, il est quelque peu resté en marge de la petite communauté des analystes navals, qui lui a préféré un auteur plus conventionnel comme l’amiral Richard Hill : Geoffrey Till le qualifie ainsi de minor classic[11], compliment pour le moins ambigu. Une plus grande attention lui sera accordée en Inde, pays qui a expé­rimenté concrètement la diplomatie de la canonnière durant sa guerre avec le Pakistan en 1971, lorsque les États-Unis ont fait pénétrer dans l’océan Indien le groupe du porte-avions Enterprise. L’amiral Kohli insiste sur cette dimension dans son livre Sea Power in the Indian Ocean, paru en 1979. Il sera suivi par des épigones, de faible impor­tance théorique, mais qui témoignent de la sensibilité du sujet dans le sous-continent indien. On trouve aussi quelques disciples exotiques, dont le plus important est le capitaine de vaisseau Paulo Lafayette Pinto, de la marine du Brésil[12]. Mais il s’agit finalement de peu de choses. L’Europe qui est, avec bien sûr les États-Unis, le foyer d’acti­vation de la diplomatie navale, n’y consacre qu’une très faible attention doctrinale ou académique. La contribution la plus importante vient d’Allemagne, avec le gros ouvrage collectif dirigé par Dieter Mahncke et Hans-Peter Schwarz, Seemacht und Aussenpolitik, paru en 1974. Malgré son titre, plutôt réducteur, il s’agit d’un panorama global des missions des marines dans le monde contemporain, la Kannonen­bootdiplomatie n’occupant qu’une place réduite. Mais cette première incursion, impressionnante, restera sans suite. La France ne montrera guère plus d’empressement[13], en dehors de quelques travaux dispersés de l’auteur de ces lignes et d’une étude de cas, en tous points remar­quable, de Jean-Marc Balencie sur la diplomatie navale française dans l’océan Indien, malheureusement restée inédite.

Le constat de carence majeur concerne les pays anglo-saxons, créateurs du genre avec les travaux de Cable et de ses successeurs immédiats et les plus intéressés par leur puissance maritime. En fait, il n’y aura pas d’école britannique ou américaine de la diplomatie navale, en dehors des études sur la diplomatie navale soviétique suscitées par Michael MccGwire au début des années 1970 et continuées par le Center for Naval Analyses, avec la magnifique enquête dirigée par Bradford Dismukes et James McConnell sur la diplomatie navale soviétique dans le tiers monde[14], qui restera, elle aussi, sans suite : l’état-major de l’US Navy refuse de financer une recherche sur la décennie 1977-1986 qui ferait apparaître trop crûment le déclin de la présence navale soviétique et donc enlèverait à la marine son plus puissant argument lors des discussions budgétaires au Congrès. La principale lacune concerne évidemment la diplomatie navale améri­caine, pour laquelle on ne dispose que d’une grande enquête interar­mées, avec de solides études de cas, mais ancienne et limitée à un trop petit nombre d’opérations[15], et une chronologie “sèche”, plus complète, mais peu utilisable en l’état, chaque opération se limitant à un résumé en quelques lignes[16].

Autant dire que le bilan global est maigre. Il existe des études dispersées[17], nullement négligeables, mais manifestement insuffisantes par rapport à l’ampleur et à l’intérêt du domaine. Il y a un embryon de théorisation, qui différencie la diplomatie navale de ses consoeurs aérienne ou terrestre, mais il faudrait le reprendre pour y intégrer toutes les modifications intervenues depuis la fin de la guerre froide, avec le passage de plus en plus marqué aux opérations de maintien de la paix sous toutes ses formes. Or le secteur naval est celui qui a suscité le moins d’intérêt parmi les analystes du maintien de la paix : on ne peut guère citer que les travaux de Michael Pugh[18]. Sur un plan quantitatif, nous manquons cruellement de données qui permettraient une étude comparative pour évaluer le poids respectif des uns et des autres. Il y a là un vaste chantier qui devrait susciter une attention plus soutenue, tant de la part des analystes, qui cherchent à comprendre les mutations de la force dans le système stratégique contemporain, que des praticiens, qui se privent stupidement d’un moyen de légitimation de leur existence et de leurs demandes.

On peut dire qu’aujourd’hui, la diplomatie navale est un concept encore émergent, dont les applications ont été étudiées, mais de manière encore insuffisante et fragmentaire. Le principal problème est désormais sa prise en compte dans les réflexions générales sur la stratégie navale.

On notera au passage que le bilan est encore plus négatif pour la diplomatie militaire terrestre ou la diplomatie aérienne. Ces deux concepts ne sont d’ailleurs presque jamais employés et on ne peut guère citer de tentative de théorisation digne de ce nom. Les utilisations politiques de l’instrument aérien, particulièrement abondantes durant les trois dernières décennies, ont rarement été étudiées en tant que telles, en dehors de quelques annotations ou études furtives dispersées ça et là[19]. La diplomatie aérienne attend encore son James Cable. Pourtant, l’utilisation de l’arme aérienne à des fins à la fois politiques et militaires a commencé dès l’entre-deux-guerres, dans les empires coloniaux. Elle avait fait l’objet d’une première tentative de théorisa­tion, restée sans lendemain, avec l’air control des auteurs britanniques, transposition évidente du sea control des théoriciens navals[20]. Les auteurs aériens se sont plutôt orientés dans une direction différente, celle de la théorisation d’un degré d’emploi de la force armée inter­médiaire entre la dissuasion et l’action qu’ils ont appelé coercition. Ce genre d’étude a commencé dans les années 1970 aux États-Unis, il est dominé aujourd’hui par l’ouvrage du politiste américain Robert Pape, Bombing to Win[21].

Il faudrait se livrer à une étude comparative des diverses composantes de la diplomatie militaire : terrestre, navale et aérienne. Souvent présentées comme concurrentes, pour des motifs corporatistes, celles-ci sont, en réalité, complémentaires. La stratégie contemporaine est trop complexe pour qu’elle puisse être intégralement assurée par une seule armée, aussi perfectionnée et efficace soit-elle. Les qualités principales sont nettement différentes : la force aérienne assure la rapidité de la réaction, sous réserve des contraintes politiques souvent pesantes, alors que la force navale assure la durée, plus difficile à obtenir avec des forces aériennes en l’absence de prépositionnement ou de facilités. La force terrestre assure l’engagement massif à terre, qui est souvent le seul moyen d’assurer le contrôle des territoires et des populations, notamment dans les conflits asymétriques qui sont le lot le plus fréquent de ce xxie siècle commençant. La deuxième guerre du Liban, à l’été 2006, en a apporté une nouvelle et bien inutile confirmation.

Cette réflexion devrait être replacée dans une perspective histo­rique pour confronter des expériences très diverses, préalable indis­pensable à l’élaboration de typologies compréhensives, comme disait Max Weber, et fonctionnelles, la comparaison entre les différentes armées étant le seul moyen de mieux comprendre cette utilisation poli­tique des forces armées dans leur ensemble. Il s’agit là d’une recherche immense, probablement encore prématurée, tant les matériaux sont dispersés : la littérature est massivement anglo-saxonne, encore que l’on puisse trouver des échantillons intéressants dans d’autres langues qui ne restent inconnus que par suite de l’obstacle languistique.

Le présent essai a un double but :

  • progresser dans le sens d’une théorie globale de l’utilisation politique de la force armée, par un effort de réflexion sur des concepts encore en gestation ;
  • faire ressortir l’importance décisive, et pourtant méconnue, de la diplomatie militaire dans le statut international d’un pays et dans le statut de ses forces armées. Toutes ces utilisations politiques sont au cœur des missions des forces armées contemporaines et contribuent grandement à leur légitimité. L’effort de recherche empirique est évidemment centré sur la France, assorti de points de comparaison.

Une inconnue française ?

Ouvrons ici une parenthèse pour essayer de fournir des éléments de réponse à une question décisive : si la diplomatie navale française est si abondante et importante, pourquoi est-elle si mal connue ?[22] Faut-il y voir, comme le pensent un certain nombre de marins, un signe de cette mentalité bleu horizon ou kaki qui ferait des Français d’incurables terriens, les yeux rivés sur la ligne des Vosges et la frontière de l’Est ? Il faudrait en finir avec ce lieu commun, qui relève largement du mythe. La France a un passé naval considérable et celui-ci n’est ni le résultat d’accidents successifs, ni le fait d’une petite élite à l’esprit maritime qui aurait constamment dû batailler contre l’esprit continental des Français. Chaque fois que la France a dû mettre de l’argent dans sa marine, elle l’a mis, et même en quantité considérable : de 1880 à 1914, elle a dépensé autant d’argent pour sa marine que l’Allemagne. Si, en 1914, elle avait une marine inférieure à celle de son ennemi, il y avait des causes autres que financières et que l’incurable étroitesse d’esprit des députés du Centre ou de l’Est[23]. En fait, la discontinuité de l’histoire maritime française ne fait que refléter le caractère heurté de l’histoire de la France elle-même.

Aujourd’hui encore, les Français sont capables de comprendre les enjeux maritimes, si ceux-ci leur sont clairement expliqués. Cela relève bien sûr, en premier lieu, de la responsabilité du pouvoir politique. Mais la marine a, elle aussi, un rôle à jouer. C’est à elle de fournir des renseignements sur ce qu’elle fait. Le contraste est étonnant entre la marine française, qui a pour tradition de donner le moins de renseignements possible sur ses activités opérationnelles, héritage d’une culture du secret devenue obsolète, et la marine américaine qui, dès qu’elle fait la moindre opération, s’empresse de la faire connaître, avec une autosatisfaction qui confine parfois au ridicule[24]. Nous n’avons pas pour la marine française, loin de là, l’équivalent du livre d’Eric Grove, remarquable histoire de la politique maritime britannique depuis 1945[25], ni même les parfaites petites synthèses réalisées sur la marine italienne[26]. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de chercheur qui ne voudrait pas s’attaquer au problème, c’est parce que l’information est très difficile à réunir.

Mais le problème n’est ni spécifiquement français, ni spécifique­ment maritime. Malgré les études de Luttwak, de George, de Blechman et Kaplan, de Dismukes et McConnell, la doctrine américaine ne s’inté­resse que médiocrement à la diplomatie militaire. Certains y verront une manifestation de la culture stratégique américaine tournée vers le règlement militaire du conflit plus que vers les aspects politiques ; d’autres une focalisation de cette même pensée stratégique sur les aspects techniques au détriment de la complexité politique, sur la guerre rêvée au détriment des conflits réels, asymétriques (jusqu’au dur réveil que constitue l’Irak). Les deux propositions sont vraies. Mais le même désintérêt s’observe dans d’autres pays. Pour nous en tenir à la France, comment ne pas noter que la reconnaissance officielle des opérations extérieures n’est intervenue que très tardivement, avec la loi de programmation militaire 1984-1988 ?[27] Une explication, probable­ment déterminante, tient à la réticence de l’institution militaire à mettre en avant des opérations de police internationale ou de sauvetage de ressortissants qui l’éloignent de ce qu’elle estime être le cœur de sa mission, la préparation aux opérations de haute intensité, à la guerre réglée[28] ; dans le cas de la marine, la protection des communications maritimes et la projection de puissance “lourde”. Selon James Cable, “les amiraux étaient plus préoccupés par la menace la plus grave que par la menace la plus probable”[29]. Sous-jacente à cette réticence, transparaît la crainte que le pouvoir politique n’en tire la conclusion que des moyens rustiques suffisent. Même si la tentation peut s’em­parer de quelques candidats pressés (en vertu de l’équation simpliste, encore entendue dans une campagne électorale récente : un porte-avions = tant d’écoles), une telle objection est infondée.

À l’heure où toute stratégie doit être justifiée, où beaucoup s’interrogent sur l’utilité de moyens hauturiers, surtout lorsqu’ils sont aussi coûteux qu’un porte-avions, la connaissance du bilan réel de la diplomatie navale française s’inscrit dans une stratégie déclaratoire qui est dorénavant une composante à part entière de la stratégie contem­poraine[30]. La doctrine ne peut plus borner son horizon à une hypothé­tique guerre future, elle doit désormais intégrer les opérations de toute nature qui constituent le lot quotidien des forces militaires, sauvegarde maritime et diplomatie navale dans le cas de la marine. Mais il est bien entendu que celles-ci ne représentent qu’une partie du spectre, très étendu, des missions de la stratégie navale contemporaine[31]. La prise en compte de toutes ces dimensions est le défi majeur auquel est con­frontée la théorie stratégique navale en ce début du troisième millé­naire, avec des conséquences tout à fait concrètes dans la définition d’une stratégie et le choix d’un modèle de marine.

 


[1]        Cité dans C.I. Hamilton, Anglo-French Naval Rivalry 1840-1870, Oxford, Claren­don Press, 1993, pp. 287-288.

[2]     Ken Booth, Navies and Foreign Policy, New York, Meier & Holmes, 1979, p. 10.

[3]     Sir James Cable, Gunboat Diplomacy, Londres, Chatto and Windus, 1971 ; traduc­tion espagnole (en Argentine) 1977.

[4]     Edward N. Luttwak, The Political Uses of Sea Power, Baltimore – Londres, The Johns Hopkins University Press, 1974, p. 3.

[5]     Stansfield Turner, “Missions of the US Navy”, Naval War College Review, janvier-février 1974.

[6]     Ken Booth, Navies and Foreign Policy, Londres, Croom Helm, 1977 ; traductions espagnole 1980, portugaise 1979-1982, dans la Revista maritima brasileira.

[7]     Law, Force and Diplomacy at Sea, Londres, George Allen and Unwin, 1985; traduction portugaise 1989.

[8]     Gunboat Diplomacy 1919-1979, Londres, MacMillan, 1979, réimpr. 1985, 1986 ; 3e éd. Gunboat Diplomacy, 1919-1991, Londres, MacMillan, 1994.

[9]     Diplomacy at Sea (recueil d’articles), Londres, MacMillan, 1985 ; Navies in Violent Peace, Londres, MacMillan, 1989 ; The Political Influence of Naval Force in History, Londres, MacMillan, 1998.

[10]    Bien entendu, on peut lui trouver des précurseurs, qui avaient entrevu la question. Le plus important est Laurence Martin, The Sea in Modern Strategy, 1967. Mais Cable est bien le premier à l’avoir systématisée.

[11]    Geoffrey Till, Sea Power. A Guide for the Twenty-First Century, Londres-Portland, Frank Cass, 2004, p. 273.

[12]    Paulo Lafayette Pinto, O Emprego do poder naval en tempo de paz, Rio de Janeiro, Serviço de documentaçao da marinha, 1989 ; 2e éd. 1995.

[13]    Il est significatif qu’aucun livre de James Cable n’ait été traduit en français (ce n’est pas faute d’avoir essayé). Seuls trois articles ont pu être traduits : “L’avenir de la diplomatie navale”, Stratégique, 48, 1990-4 ; “Une stratégie maritime sur mesure” et “Hors zone mais sous contrôle”, tous deux dans Hervé Coutau-Bégarie (dir.), La Lutte pour l’empire de la mer, Paris, ISC-Économica, 1995.

[14]    Bradford Dismukes and James McConnell (eds), Soviet Naval Diplomacy, New York, Pergamon, 1979.

[15]    Barry M. Blechman and Stephen S. Kaplan (eds), Force Without War. U.S. Armed Forces as a Political Instrument, Washington, The Brookings Institution, 1978 ; mise à jour dans Philip D. Zelikow, “Force Without War 1975-1982”, The Journal of Strategic Studies, 7-1, mars 1984.

[16]    Adam B. Siegel, The Use of Naval Forces in the Post-War Era : U.S. Navy and U.S. Marine Corps Crisis Response Activity 1946-1990, Center for Naval Analyses, CRM 90-246, février 1991.

[17]    Je n’ai pu consulter Charles D. Allen, The Uses of Navies in Peacetime, Washington, American Enterprise Institute, 1980.

[18]    Michael Pugh (ed.) Maritime Security and Peacekeeping, Manchester, Manchester University Press, 1994.

[19]    À signaler particulièrement : David R. Mets, Land-Based Air Power in Third World Crises, Maxwell AFB, Air University, 1986.

[20]    Cf. Basil Liddell Hart, La Guerre moderne, Paris, Éditions de la Nouvelle Revue Critique, 1934, qui consacre un chapitre à l’air control.

[21]    Robert A. Pape, Bombing to Win. Air Power and Coercion in War, Ithaca, Cornell University Press, 1996, en cours de traduction en français.

[22]    Le travail est en cours : le Service historique de la Défense, section Marine, a entrepris un historique des opérations extérieures de la marine, à partir de la base de données élaborée par le Collège Interarmées de Défense.

[23]    On doit maintenant renvoyer à la thèse majeure de Martin Motte, Une éducation géostratégique. La pensée navale française de la Jeune École à 1914, Paris, CFHM-ISC-Économica, 2004.

[24]    L’évacuation de l’ambassade américaine à Mogadiscio, en 1991, avait donné lieu à un article de 30 pages dans les US Naval Institute Proceedings : on avait l’impression d’une affaire conçue au plus haut niveau, qui avait nécessité des trésors d’intelligence et de courage. Il n’y avait pourtant pas de quoi crier à l’exploit.

[25]    Eric Grove, Vanguard to Trident. British Naval Policy since World War II, Londres, The Bodley Head, 1987.

[26]    Michele Cosentino, Dalla lege navale al terzo millenio. La Marina Militare dal 1975 al 2000, Rome, Rivista marittima (supplément), octobre 2000.

[27]    Jérôme de Lespinois, L’Armée de terre française. De la défense du sanctuaire à la projection, tome II 1981-1996, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 432.

[28]    Cet argument est rarement exprimé aussi directement mais il affleure souvent, en France comme ailleurs. C’est une justification de ce type qu’avance Condoleeza Rice, alors conseiller à la sécurité nationale, pour expliquer la réticence des États-Unis à s’engager dans des opérations de maintien de la paix : “Les États-Unis sont la seule puissance capable de conduire une démonstration dans le Golfe, de mettre sur pied l’ensemble de forces nécessaire à la protection de l’Arabie saoudite et de désamorcer une crise dans le détroit de Taïwan. Un maintien de la paix intensif (extended peace­keeping) nous détourne de notre disponibilité pour ces missions globales”. Cité dans Katsumi Iskizuka, “Japan’s Policy towards UN Peacekeeping Operations”, Internatio­nal Peacekeeping, 12-1, printemps 2005, pp. 66-67.

[29]    James Cable, “Gunboat Diplomacy and the Conventional Wisdom”, Naval Review, juillet 1982, p. 174.

[30]    La stratégie contemporaine s’organise en triptyque : stratégie des moyens – straté­gie opérationnelle –, stratégie déclaratoire. Cf. Hervé Coutau-Bégarie, Traité de straté­gie, Paris, ISC-Économica, 6e éd., 2008, pp. 509 et 529.

[31]    Cf. Hervé Coutau-Bégarie, L’Océan globalisé, Paris, ISC-Économica, 2007.

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