CONCLUSIONS DU COLLOQUE

Jean Klein

Au terme d’un débat qui n’a éludé aucune des questions soulevées par la réforme de la politique de défense de la France, il faut se garder de trancher les questions qui restent ouvertes et se borner à quelques observations sur les points qui paraissent les plus significatifs.

Sur les problèmes posés par la mutation des industries d’armement, tous les orateurs ont mis l’accent sur la nécessité de les aborder dans un cadre européen. À cet égard, l’approche des experts qui se sont exprimés pendant la dernière séance rejoint celle des analystes des politiques de sécurité et de défense qui ont pris la parole lors de l’ouverture du colloque. Si l’Europe rallie tous les suffrages, il convient toutefois de s’interroger sur la volonté des Européens de définir et de mettre en œuvre une politique étrangère et de défense commune conformément aux engagements pris dans le traité de Maastricht.

Aujourd’hui, cette volonté n’est pas clairement affirmée mais certains estiment que la nécessité de coopérer pour relever les défis lancés à l’Europe par les industriels américains de l’armement pourrait créer les conditions favorables à l’émergence d’une politique de défense européenne. Il s’agirait, en quelque sorte, d’appliquer au domaine des armements la méthode fonctionnelle qui a fait ses preuves au début des années cinquante avec le pool charbon-acier ; en revanche, le précédent de la CED ne laisse pas bien augurer du succès d’une telle démarche.

On conçoit donc que les incertitudes relatives à une politique de défense commune incitent les États à procéder à la restructuration de leurs industries d’armement dans un cadre national avant de s’engager dans la voie d’une coopération européenne, comme l’a suggéré Guillaume Muesser. En agissant de la sorte, ils se ménagent une position de repli et conservent une capacité de production autonome dans l’hypothèse où une politique de défense commune resterait hors de portée. Toutefois, une telle attitude pourrait également être interprétée comme l’expression d’une réserve à l’égard de la construction européenne et apparaître comme un obstacle à sa réalisation.

S’agissant de la mutation stratégique et de ses conséquences pour la politique de défense de la France, on admet que l’effondrement de l’ordre bipolaire a entraîné la disparition de la menace aux frontières même si l’on est encore fort éloigné d’un nouveau système de sécurité permettant de relever les défis du changement. Pour conjurer les nouveaux risques, les Européens ont affirmé la nécessité d’une PESC et ont pris des mesures pour se doter de forces multinationales dont la fonction est moins d’assurer la défense du territoire que d’appuyer une diplomatie préventive, de participer à la gestion des crises ou de contribuer à l’imposition ou au maintien de la paix. Toutefois, les progrès sur la voie d’une défense commune sont lents et il serait hasardeux d’affirmer que les quinze États-membres de l’Union européenne ont en la matière une vision claire du but à atteindre ; en fait, leurs intérêts de sécurité sont rarement convergents et ils n’ont pas la même perception des menaces. D’où l’intérêt d’une clause de flexibilité qui permettrait la constitution de « noyaux durs » au sein de l’Union et autoriserait certains États à aller de l’avant sans être entravés par le veto de partenaires plus prudents, voire pusillanimes.

André Brigot a plaidé en faveur de cette formule et a rappelé que c’était une des orientations de la coopération franco-allemande. Il reste à se demander si les Européens ont les moyens financiers de se doter d’une capacité d’action autonome et s’ils ont la volonté d’agir seuls dans l’hypothèse où les États-Unis répugneraient à intervenir militairement dans des conflits locaux tout en mettant à leur disposition leurs ressources au plan du renseignement, de la communication et de la logistique. Les précédents de la guerre de Yougoslavie ne sont pas encourageants puisque les Européens n’ont pas voulu prendre le relais des Américains à l’expiration du mandat de l’IFOR et ont laissé entendre qu’ils ne maintiendraient pas leurs forces en Bosnie si les États-Unis retiraient les leurs à l’expiration du mandat de la SFOR.

Par ailleurs, si la réforme de l’OTAN est amorcée, des incertitudes subsistent sur l’émergence en son sein d’une entité européenne de défense et il semble bien que les États-Unis ne soient pas favorables au succès d’une telle entreprise. À cet égard, l’analyse de la politique de sécurité des États-Unis par le commandant Michel Pène et les observations présentées par l’inspecteur des finances François Cailleteau sur les risques de dilution de l’Europe de la défense du fait du double élargissement de l’Union européenne et de l’OTAN inclinent à l’euroscepticisme. Enfin, le choix de la France de se rapprocher de l’OTAN en attendant d’en devenir un membre à part entière a suscité des réactions critiques de la part de Pierre Dabezies qui y voit une répudiation de l’héritage gaulliste alors que d’autres l’interprètent soit comme un aveu de l’échec de la diplomatie européenne de la France, soit comme une étape sur la voie d’une réforme de l’OTAN qui ferait droit aux exigences d’une « identité européenne de défense ».

Enfin, le passage de l’armée de conscription à l’armée professionnelle a fait l’objet d’une discussion animée. Le débat a été introduit par une communication de Pierre Dabezies qui s’est référé aux catégories de la sociologie militaire américaine pour dénoncer un certain mimétisme de la pensée française. Le choix de l’armée professionnelle s’expliquerait par deux considérations. La fin de l’antagonisme Est-Ouest a entraîné une modification de l’organisation des forces puisque l’accent est mis sur l’accomplissement de missions autres que la défense du territoire ou la participation à la défense commune en application de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord. En outre, les contraintes budgétaires plaident en faveur d’une réduction des effectifs puisque c’est au niveau des dépenses de fonctionnement que l’on espère pouvoir réaliser les économies les plus substantielles. Or la conscription n’est pas seulement un mode de recrutement ; elle a également une valeur symbolique dans la mesure où elle participe en France d’une culture stratégique spécifique et contribue à resserrer les liens entre l’armée et la nation. Rompre avec la tradition du citoyen-soldat présenterait plus d’inconvénients que d’avantages, d’autant que l’on n’est pas fixé sur les missions qui seraient confiées aux forces de projection et qu’on peut craindre une « dérive expéditionnaire ».

Les interventions des trois orateurs suivants se sont articulées autour du binôme armée de métier – armée de conscription et procédaient d’approches différentes. Patrice Buffotot a retracé l’histoire de la conscription depuis la proclamation de la République, le 4 septembre 1870, jusqu’à la réforme du service national annoncée l’an dernier par le président Jacques Chirac. Il a déploré l’abandon du modèle républicain et a mis en garde contre les risques d’une perte d’identité du citoyen du fait de l’adaptation de l’institution militaire à la mondialisation de l’économie. Bernard Boëne a abordé son sujet en sociologue et s’est fondé à titre principal sur les expériences des pays anglo-saxons pour procéder à un examen rigoureux de tous les problèmes soulevés par la constitution et le fonctionnement d’une armée de métier. Il ne s’est pas borné en l’occurrence à illustrer le modèle classique mais a également intégré dans son analyse des facteurs nouveaux qui sont susceptibles d’en modifier la configuration : tendances à la gestion néo-libérale des armées, contraintes de ressources qui obligent les armées à se recentrer sur leurs fonctions essentielles, modification du contexte social et culturel qui ne facilitent pas le recrutement des soldats de métier, etc. Toutefois, il ne considère pas que ces obstacles soient insurmontables et il estime que le pari de la mutation de l’armée française peut être gagné. On retrouve la même tonalité dans le propos de François Cailleteau qui fait observer qu’avant même la réforme annoncée par Jacques Chirac, les Français avaient émis des doutes sur l’efficacité du service militaire et en contestaient les modalités. Toutefois cette attitude ne relevait pas de l’antimilitarisme puisque l’armée bénéficie en France d’un capital de sympathie et que les interventions extérieures sont acceptées par la population, même si elles se traduisent par des sacrifices en vies humaines. Dans ces conditions, le passage à l’armée de métier ne devrait pas soulever de difficultés majeures, la marine et l’aviation étant déjà professionnalisées et le processus étant bien engagé dans les armes de mêlée. En revanche, il y a lieu de s’inquiéter des progrès de l’indifférence de l’opinion vis-à-vis de l’armée et il conviendrait d’y remédier en développant les contacts entre civils et militaires. En définitive, le débat reste ouvert entre les partisans d’un modèle du citoyen-soldat et ceux qui doutent de l’adéquation de l’armée de conscription pour relever les défis auxquels les Européens sont confrontés dans « un monde sans maître« 4.

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Notes:

4 Gabriel Robin, Un monde sans maître. Ordre ou désordre entre les nations ?, Paris, Éditions Odile Jacob, 1995, 285 p.

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Débat

Une première question a porté sur la distinction entre l’armement rustique et sophistiqué. Pour Paul-Ivan de Saint Germain, le vrai problème est, pour les militaires, d’avoir un matériel d’utilisation facile. On assiste actuellement à la multiplication des fonctions demandées aux matériels, ce qui conduit à leur sophistication et donc à des coûts plus élevés. L’impératif de la réduction des coûts oblige alors à revoir à la baisse les fonctions attribuées aux matériels.

La coopération franco-allemande a ensuite été évoquée. Depuis l’élection de Jacques Chirac, elle a subi des vicissitudes, même si le sommet de Nuremberg a permis une certaine amélioration de la situation. Pour Guillaume Muesser, la crise budgétaire actuelle pousse les Allemands à limiter leurs investissements dans les domaines où ils ne sont pas assurés d’un certain leadership en matière industrielle. Ils ont également identifié les secteurs dans lesquels ils souhaitent demeurer, tels que l’armement terrestre, les hélicoptères, etc.

L’impact du retrait de la France de l’OTAN sur la coopération en matière d’armement est, selon Guillaume Muesser, limité. Il est vrai que la France, en quittant l’OTAN, a été pénalisée par rapport aux États-Unis qui peuvent de ce fait proposer du matériel aux Européens, plus habitués à travailler avec eux. Cependant, l’OTAN n’a pas permis à l’Europe de coopérer ensemble sans la France.

En conclusion, Jean Paul Hébert rappelle qu’on assiste à un mouvement rapide d’européanisation industrielle qui conduira à la création de deux ou trois grands pôles d’armement. Cette évolution va poser le problème du déficit d’un pouvoir politique fort et légitime qui pourrait maîtriser l’ensemble de cette industrie.

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L’adaptation de l’industrie d’armement à l’environnement international

Guillaume Muesser

L’importante baisse du budget que la France a su consacrer à la défense a affecté tous les postes du titre V, et notamment ceux dédiés aux fabrications et à la Recherche et au Développement (R&D). L’évolution à la baisse du budget, aggravée par l’annulation de crédits de paiements, a eu de fait un impact considérable pour les industriels en réduisant fortement leur visibilité. Enfin, les difficultés de trésorerie rencontrées par la DGA ont eu pour conséquences d’entraîner d’importants reports de charges. Celle-ci a dû freiner ses engagements de crédits afin d’honorer ses contrats en cours.

Il convient d’ajouter à ce panorama le fait que les programmes engagés simultanément au cours des années 1980 entrent actuellement dans leurs phases finales, qui nécessitent des financements importants. De plus, le nouveau contexte géostratégique a fait apparaître de nouveaux besoins, qui nécessitent de nouveaux programmes. D’où une inadéquation totale entre les besoins, de plus en plus coûteux, et les ressources financières en baisse constante.

Il est donc apparu nécessaire et urgent d’opérer une réforme du secteur de l’industrie de défense. Cette réforme pourrait s’effectuer dans un cadre franco-français, le pays bénéficiant des réserves nécessaires. Or, la politique actuelle du gouvernement va à l’encontre d’une augmentation du budget, afin de répondre aux critères du passage à la monnaie unique, qui impose à la France de réduire son déficit. Par ailleurs, si en théorie un transfert des dépenses sociales et de santé vers le budget de la défense est possible, le contexte social ne se prête pas à une telle politique. Enfin, le financement pourrait être assuré par l’impôt, mais ceci va également à l’encontre de la politique gouvernementale actuelle, engagée dans une baisse de l’impôt sur le revenu. De plus, sur le plan international, la France est engagée avec ses partenaires européens dans l’édification d’une Politique étrangère et de sécurité commune. Une telle attitude « franco-française » serait incompréhensible.

Il ressort de ce constat que l’adaptation de l’outil de défense ne pourra se faire que dans un cadre européen. Cependant, si l’Europe doit être le cadre de la restructuration de l’industrie d’armement, elle n’est pas de nature à se substituer en totalité aux États-nations dans le domaine de la politique de défense et de sécurité. En effet, l’UEO ne dispose pas de pouvoirs suffisants pour mener une telle politique. L’Union européenne, quant à elle, permet, par l’article 223 du traité de Rome, de déroger aux obligations du même traité dans le domaine de la défense. La restructuration de l’outil industriel ne peut donc être conduite in extenso au niveau européen, d’autant plus qu’une intégration des outils industriels ne peut être réalisée en dehors d’un rapprochement des politiques de sécurité. De plus, la France ne doit pas se priver de la capacité de production d’armes majeures. C’est pourquoi la restructuration française doit se faire sur le plan national et européen.

Au plan national, l’État, qui est à la fois industriel, actionnaire, acheteur, utilisateur et autorité de tutelle, doit se désengager de certaines de ses fonctions, dont celles d’industriel et d’actionnaire dans la mesure où il n’a plus les capacités financières d’assurer ce dernier rôle. Les industries publiques souffrent ainsi d’une insuffisance de fonds propres qui ne leur permet pas d’aborder la restructuration avec les outils suffisants comme leurs partenaires européens. Cependant, l’État a encore un rôle important à jouer, en respectant en premier lieu le budget voté, en recapitalisant les sociétés publiques, en finançant la R&D et en définissant les secteurs stratégiques sur lesquels les efforts doivent être portés.

Ces orientations stratégiques revêtent une importance certaine car elles permettront aux industriels d’effectuer une politique de rapprochement pertinente et adéquate avec leurs partenaires européens. Il importe de fait que l’industrie d’armement ait été réorganisée nationalement avant que la restructuration européenne soit abordée. À ce titre, une telle refonte de l’industrie nationale impose la suppression de toute forme de redondance à l’intérieur des frontières et qu’un leader soit dégagé. En outre, les industriels devraient posséder une surface financière suffisante afin de pouvoir investir dans des programmes coûteux. Enfin, la constitution d’un tissu d’équipementiers très solide, qui auraient la capacité financière à long terme de rester dans leur domaine, ne doit être en aucun cas négligée, dans la mesure où, au travers de ces derniers, un schéma de coopération pourra être instauré en Europe.

Dès lors que la réorganisation dans le cadre national aura été effectuée, il sera possible d’aborder la restructuration au niveau européen. L’objectif de l’ensemble des pays européens, à savoir de réduire les coûts des programmes, impose de suivre une démarche pragmatique. À ce titre, l’Union européenne pourrait être mise à profit, sans qu’elle devienne cependant l’acteur exclusif de cette restructuration, qui devrait s’effectuer rapidement : en effet, les États-Unis, plus en avance, risquent de s’imposer comme producteurs uniques de systèmes d’armes complexes. L’Union a, depuis 1958, une législation qui a permis de stimuler la croissance économique en Europe. Cette expérience pourrait être mise à profit, en intégrant la notion de concurrence, même partielle, dans les programmes de coopération. L’application de cette législation serait des plus rationnelles, puisqu’une partie non négligeable de maîtres d’œuvre et d’équipementiers ont une activité civile, et doivent se soumettre à la législation européenne. Cependant, dans des domaines tels que la R&D, une législation différente serait à appliquer car ces domaines sont du ressort national. De fait, si l’Union européenne devait être intégrée aux réflexions qui conditionnent l’évolution du secteur de l’armement, l’industrie de défense ne pourrait être confrontée à une concurrence semblable affectant le secteur civil. L’intégration doit de ce fait être modulée, permettant à l’industrie d’armement de conserver une spécificité au sein du marché unique. En d’autres termes, il ne faut pas faire de la Commission européenne le seul décideur des évolutions du secteur de l’armement, mais les directeurs nationaux d’armement doivent pouvoir être intégrés dans un schéma décisionnel où leurs avis seraient prédominants lorsque certains points sensibles de l’industrie de défense seraient abordés.

Plus généralement, il convient d’instituer des règles de fonctionnement du marché européen de l’armement, qui devront définir les principes de coopération, dont celui de la préférence européenne (cependant, les États devraient conserver leurs capacités de conception et de production de systèmes d’armements dont eux seuls auraient la nécessité). Il devient alors nécessaire d’harmoniser les procédures d’acquisition et d’appels d’offres ; une politique de R&D commune devrait être mise sur pied. Il est également important qu’un statut de société européenne soit créé afin de rendre possible un rapprochement des industriels, notamment par des joint ventures. Cependant, la Commission ne peut appliquer au domaine de la défense les mêmes règles de fusion que dans le domaine civil. Enfin, le commerce d’armements devra être réglementé, avec une attention particulière portée à l’ouverture des marchés des pays fournissant des systèmes à l’Union européenne et à l’exportation vers des pays proliférants ou en état de guerre.

En résumé, la restructuration de l’outil industriel a pris un retard certain, dû aux non-choix des gouvernements successifs. Il importe aujourd’hui d’aller vite, car l’industrie a besoin rapidement d’orientations claires. Sans l’élaboration d’une politique coordonnée, bâtie sur les besoins de la France, les sociétés françaises n’auront pour aiguillon que la satisfaction de leurs actionnaires et les politiques des autres Européens.

Si la notion de marché doit être introduite dans les règles de fonctionnement de l’industrie de défense, il ne faut pas qu’elle prenne le pas sur l’intérêt des États.

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La réforme de la politique de défense et l’industrie française d’armement

Jean-Paul Hébert

La mutation actuelle de la politique de défense, ainsi que celle de l’armement, sont une des plus importantes réalisées depuis les années soixante. Ces mutations s’accompagnent d’une réflexion doctrinale et, si l’on reprend le Livre blanc de 1994, il en ressort une pensée d’ensemble cohérente, qui gagne à être analysée en comparaison avec le précédent Livre blanc de 1972.

En premier lieu, le Livre blanc de 1994 insiste sur l’Alliance et le caractère multilatéral du contexte géopolitique actuel. De fait, la politique française de défense se définit désormais par référence à une interdépendance, où l’OTAN est perçue comme un instrument majeur de sécurité.

Il convient également de noter une inversion des priorités entre le nucléaire et le classique, inversion qui se reproduit à l’intérieur des missions classiques. En effet, le nucléaire constitue désormais une « protection arrière », empêchant le contournement des forces classiques.

Ces points doctrinaux et le nouveau contexte géopolitique influencent indirectement la politique française d’armement. Celle-ci est du reste traitée directement dans le Livre blanc, et il convient de souligner quelques points forts.

En premier lieu, il donne dorénavant à l’industrie d’armement un horizon européen. Dans cette optique, on relève que la DGA n’est mentionnée que trois fois, de façon incidente. Ce silence n’est pas fortuit et correspond aux interrogations relatives à son avenir dans un nouveau système de production encore mal défini. Si l’on se reporte au texte de la Commission des finances relatif à la loi de programmation militaire 1997-2002, l’existence même de la DGA est remise en cause, celle-ci ne devant plus servir d’intermédiaire entre les industriels et les militaires.

Ensuite, il faut souligner qu’en France, un certain temps s’est écoulé avant qu’on ait pris conscience de l’accroissement exponentiel des coûts des programmes d’armements ; ce retard est dû au fait que cet accroissement n’est pas toujours perçu comme insupportable, si le pays jouit d’une forte croissance économique comme ce fut le cas dans les années soixante et d’un niveau d’exportation favorable. Les données économiques ayant changé dans la seconde moitié des années quatre-vingts, des problèmes sérieux virent le jour quant au rythme d’accroissement des prix des programmes d’armements. De fait, signe de la crise actuelle, le Livre blanc ne parle plus de maîtrise des coûts mais de dérive. Il convient donc d’arriver à une baisse de ces coûts de 30 %, sans savoir avec précision si la période de référence s’étend à 2002 ou 2015 et correspond à la période de planification.

La politique d’exportation d’armement s’inscrivait, dans le Livre blanc de 1972, dans un cadre géopolitique où prévalaient le refus des blocs et le non-alignement sur les grandes puissances. En 1994, la politique d’armement relève d’une analyse essentiellement économique, postulant un soutien renforcé à l’exportation. Or, si on rentre dans une telle logique, une compétition s’engagera avec le producteur dominant, à savoir les États-Unis, ce qui contraindra la France à s’aligner sur les progrès techniques américains. Une dérive des prix en sera la résultante directe.

Quant à l’évolution de l’industrie d’armement, quelques éléments sont à retenir. Cette industrie enregistre actuellement une baisse dans plusieurs domaines, à savoir les effectifs, le chiffre d’affaires, les exportations, les crédits d’équipements. Ces baisses imposent à l’industrie de fortes contraintes, qui touchent à la structure même des firmes. En effet, la France se prévalait d’un système centré sur l’existence de sociétés-mères, alors qu’on assiste aujourd’hui à un véritable éclatement qui conduit à la création de structures de type holdings. Autre tendance contemporaine, on assiste à un basculement, pour l’ensemble du système, du public vers le privé. De fait, avec la privatisation de Thomson, d’Aérospatiale et de leurs filiales, il ne restera du secteur public que le GIAT, en situation économique si difficile qu’à moyen terme il ne pourra survivre qu’en se transformant, et la Direction des Constructions Navales (DCN) dont le statut ne pourra rester inchangé si elle demeure le seul îlot public. En quelques années, le système de production d’armement va passer d’un centre de gravité public à un autre, privé, ce qui soulève des questions. La privatisation et la restructuration ne sont pas fondamentalement synonymes, mais il est clair qu’on assiste à une recomposition du paysage industriel français du secteur défense.

Plusieurs schémas d’alliance, dans le cadre européen, se dessinent, dont celui d’une grande alliance regroupant Matra, Alcatel, Aérospatiale, Thomson, qui constituerait à ce titre un élément important de la restructuration européenne. La meilleure manière de défendre l’autonomie future de la France consiste à créer les conditions appropriées d’une industrie de défense européenne autonome face aux États-Unis. En effet, le problème fondamental, aujourd’hui, se pose en termes de concurrence entre l’industrie d’armement américaine et ses homologues européenne et française. Si l’exportation était auparavant perçue comme un facteur marginal, il n’en est plus de même actuellement. Aussi l’impératif de maîtrise des marchés d’armements devient-il un objectif dans la pensée stratégique et économique. La question de survie se pose alors pour l’industrie d’armement française et européenne. En tous cas, il importe de garder à l’esprit qu’il n’est pas d’autonomie politique en matière de défense sans une autonomie en matière de décision de production d’armement.

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Exposé introductif

Paul-Ivan de Saint Germain

Il faut replacer le problème de l’industrie d’armement dans le contexte géopolitique d’aujourd’hui. La mutation de cette industrie s’explique en partie par un contexte nouveau dont les éléments les plus significatifs sont la chute du mur de Berlin et la guerre du Golfe, celle-ci pouvant être classée comme une guerre de type nouveau.

Cependant, depuis 1991, on assiste à l’irruption de nombreux conflits de basse intensité qui obligent les Européens, dans leurs interventions, à utiliser des moyens militaires d’un genre différent de ceux utilisés lors de la guerre du Golfe. Il convient alors de réfléchir à une typologie des conflits auxquels les Européens auront à faire face à l’avenir. À ce sujet, on peut reprendre le Livre blanc de 1994, où les experts ont évoqué plusieurs scénarios.

Le premier fait référence à un conflit de type majeur tel qu’il était pensé avant les événements de 1989 ; à ce titre, la dissuasion nucléaire garde toute son importance, car il n’est pas exclu qu’une menace de cet ordre apparaisse dans quelques décennies. Le deuxième se rapporte à un conflit tel que la guerre du Golfe. Technologies de pointe et risque nucléaire (problème de contre-prolifération) sont alors à prendre en considération et il convient de ce fait de pouvoir développer des systèmes d’armes permettant, par exemple, d’intercepter en vol des missiles balistiques.

Parallèlement à ces conflits « majeurs », le contexte géopolitique actuel voit la prolifération d’opérations limitées d’interposition ou de rétablissement de la paix qui, par la nature même du conflit (chefs de guerre, pouvoir diffus, etc.), rendent l’aspect militaire insuffisant quant à sa résolution.

Enfin, le terrorisme, qui tend à se transnationaliser, représente une menace de plus en plus réelle, liée aux problèmes de prolifération des armes chimiques, biologiques, etc.

Le contexte géopolitique actuel ne permettant d’exclure aucun de ces scénarios, quel qu’il soit, il revient à l’industrie d’armement de développer une capacité à faire face à tout type de situation. Or il faut admettre que, d’une part, si l’adaptation est partielle, celle-ci doit, d’autre part, tenir également compte de la multinationalisation des opérations. La mise en œuvre de l’interopérabilité implique une souplesse d’organisation qui n’est pas systématiquement réalisée, pour des raisons techniques et culturelles. La tendance actuelle est donc à la constitution d’opérations qu’on pourra appeler ad hoc, dont le renseignement et l’observation constitueront la clé. Il convient alors de mettre l’accent sur cet aspect pour l’industrie d’armement. En effet, des exemples récents montrent l’importance de la bataille de l’information et de la désinformation. Or les techniques actuelles sont déficientes dans ce secteur. L’interopérabilité exige également d’accorder une plus grande importance aux moyens de commandement, qui devront être modulables dans chaque cas et projetables si nécessaires. À ce titre, la projection impose la création d’armements nouveaux et légers.

De cette analyse succincte du contexte géopolitique, il ressort que l’industrie d’armement doit faire face à un triple défi. D’une part, il convient de changer la nature des matériels à fournir. D’autre part, la crise économique impose une réduction des budgets de la défense. Enfin, et conséquence directe des problèmes financiers, l’industrie d’armement doit se diversifier et se trouver des marchés différents. En France, l’industrie d’armement souffre de réductions depuis 1982, réductions de budget, d’effectifs, d’exportation, et si les États-Unis font face aux mêmes problèmes, ils ont su restructurer plus rapidement et de fait, sont plus compétitifs.

De cette analyse générale, il ressort la nécessité de garder une base technologique et industrielle de défense afin de conserver une défense autonome. Dans cette optique, le nucléaire doit rester national. Dans les autres cas, il n’est plus possible de raisonner uniquement dans un cadre hexagonal et l’Europe, à ce titre, doit devenir le cadre de référence, afin d’éviter une dépendance absolue par rapport aux États-Unis. Enfin, la survie de l’industrie d’armement passe par la diversification dans le domaine des hautes technologies.

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